LE JOUR DE NOTRE MORT
COLLIGNON LE JOUR DE NOTRE MORT
Argh,
virgule, chienne,
salope, virgule, tu la
sens (« écarte
un peu les jambes que je pêche au large »), rhâ,
bourre-moi, je n’aime que toi, grosse
truie,
virgule,
« retiens-toi de péter » fermez-moi les guillemets, je
vais partir, je pars, je
t’aimerai toute ma vie. Point. Je t’aime, Heinrich. Je t’aime,
Betty.
-
On se dit des bêtises.
-
Je me sens ridicule.
-
On fait des bruits de bouche, on fait des bruits de cul. »
Heinrich ajoute « en amour, tu abdiques ; tu fermes les
yeux, tu bourres et tu jouis. Tu es banale.
"OLGA" tableau d'Anne Jalevski
-
Et arrête de me demander si j’ai mal. Je n’ai pas
mal.
-
Ces propos de cul m’écœurent.
-
Moi je t’aime, Heinrich.
« Tu
ne t’appellerais plus Heinrich. Tu chercherais à me séduire. Je
serais à une table de café avec des jonquilles dans un vase. Tu me
sourirais, tu m’offrirais un verre, je t’entraînerais dans ma
chambre juste au-dessus. Il y aurait des jalousies. Je serais excitée
plus tard. Surtout tu fermerais ta gueule. Je te déshabillerais
doucement, tu porterais une chemise en nylon jaune, tu lèverais les
bras et tu me regarderais dans les yeux.
« Je
me sentirais amoureuse mais pas trop. Je ferais glisser ma jupe, il y
aurait un lit de cuivre à boules jaunes, et je t’attacherais les
bras et les jambes aux quatre coins, et tu reviendrais souvent à la
terrasse du Soleil Lent », (« ...au bord de
la mer, bonjour, Docteur. - Bonjour, monsieur le Sexologue.
-
…I am Doctor…
-
Tout baigne entre nous. Ma femme
est moi.
-
...confirmé ! treize ans de mariage, pas une défaillance.
-
Nous avons su garder intactes nos facultés de renouvellement…
-
...d'épanouissement…
-
Nous sommes venus vous voir Docteur, pour vous dire que tout
fonctionne admirablement bien.
-
Depuis tant d’années.
-
Nous avons pensé que vous aimeriez nous rencontrer…
-
…mon mari et moi, pour vous remonter le moral…
-
Merci Henri, Merci Lisbeth, vous pouvez rentrer chez vous, tout se
passera bien, ne
vous
en faites pas, pour moi également, ha ha... »
L'acte
sexuel complet suppose, implique une connaissance approfondie de la
sensua-
lité
du partenaire. Il est hautement souhaitable, voire indispensable, que
les deux
actants
soient profondément amoureux. C'est assez dire que la perfection ne
se ren -
contre
jamais, bien qu'il ne soit pas prohibé d'y aspirer.
Si
le jeu amoureux ne devait mener qu'à une gymnastique sans âme,
mieux
vaut
s'abstenir.
L'échange
des souffles par les orifices buccaux facilitera la circulation des
for-
ces
des deux sexes, ce qui s'appelle la Fusion des amants dans le souffle
du Prâna universel et de Dieu s'ils y pensent.
De
retour chez eux, les deux
sexes poursuivent le
dialogue :
« La
perfection dit la femme (BETTY)
me semble limitée. Pourquoi
glisser vers Dieu ?
notre exclusivité, c'est le
mal.
-
Par le mal nous serions, dit l’homme (HEINRICH), en phase avec
l’Ordre du monde, grands, et Utiles.
La
femme s’exclame qu’elle n’en a rien à foutre [sic].
C’était
une grande blonde aux longs cheveux tombants.
Elle
écoutait trop volontiers les discours mystiques.
Parfois
sans effort elle accédait aux cimes les plus escarpées.
C’était
une nature contrastée. Heinrich disait Humaine à ne
savoir qu’en faire (le cerveau
ballottait au bout de ces grands corps d’asperge, et le sexe y
tenait une place spongieuse. Et ils s’aimèrent du mieux qu’ils
purent.
BETTE
collectionnait, six par semaine, à grand-peine au-dessous du seuil
de la prostitution disait
HEINRICH, de la nymphomanie.
« C’était
avant de te connaître » disait-elle (« il ne connaissait
rien à la nymphomanie », etc.) « Dans les petites
annonces se recrutent les plus vicieux, les plus retors « -
garçons de café, garçons d’écurie – éjac faciale » -
elle en rajoutait, non ?
« C’est
bon le vice .
N.B.
Les ouvriers sont les plus puritains.
« Le
péché ? Vous divaguez mon
cher ».
Les
femmes sont incapables de faire le mal.
« Si
nous nous libérons, le monde tombera
-
À
d’autres, dit Heinrich. Il cure sa pipe. La femme pour le jeu,
l’homme à la guerre, les filles découpées violées par morceaux,
bouts d’hostie dans le cul, tous membres jaillissant sous les obus,
les ossements se font la malle. Femme égale pléthore. Homme égale
néant. En faisant l’amour l’homme doit se retenir de tuer.
Celui-ci
ne
pense pas du tout comme ça. Jamais
il ne baise une mouche. Une goutte de sang le plonge dans l’hystérie.
« Je veux mettre un peu d’ordre » dit-il à Bette
« dans tes prestations échevelées ». De quoi rire en
vérité. Répondre « tu es
chiant ». -
-
Du premier jour où je te connus » dit-il » tu fus avare
de tes regards, je ne voyais que ton profil et tes cheveux. J’ai
passé tout un an à te surprendre en face. Ton œil
était d’un brun pur de choses qui se mangent, tout s’est noué
dans notre estime réciproque, j’étais le seul à te désirer, je
ne me suis pas contenté de frôlements ni de raisonnements
appliqués. » Heinrich domine, ordonne, tantôt l’homme est
dessous, tantôt Bette. Il provoque, émet des grognements saccadés.
Parfois la sodomie. Parfois le poignet (mystère).Parfois ils
s’aiment, ils s’entraident, ils se manifestent de la tendresse,
par paroles et en action, tout
le jour. Bette et Heinrich ont gagné le concours de la maison
fleurie en 88. Soudain, que se passe-t-il M. Heinrich ? sous vos
cheveux blonds pâle à l’islandaise, vous, dans un bordel ?
« Il
faut bien que je rêve.
-
Mes compliments, M. Heinrich. Rêvez plutôt sur le papier glacé (ou
sans, comme les femmes). Vous
croyez vraiment qu’enfoncer son pinceau dans un trou gluant
- gluant : à grand-peine – et
cerné de poils rêches
suffit à calmer la grosse Démangeaison d’amour (ressentie tout
enfant parmi de gros draps gras?) - les aller-retours se succèdent :
petites lèvres- col – grandes lèvres – museau de tanche - et
que ressent la femme ?
-
C’est
vrai que les putes s’épuisent à toujours se tenir sur le bord du
jouir (« on n’est pas de bois ») sans conclure ?
Ce
n’est pas vrai.
Le
type, là, au-dessus, au-dessous, il ferme les yeux, il pense « je
t’aime », s’il ouvrait leqs yeux, s’il fixait ceux
de l’autre – qu’arriverait-il ?
se
moquerait-elle de lui ? Lui
livrerait-elle un beau secret ? en pleurant « ne le
regarde pas comme ça ça me gêne » ? Heinrich, le
« blond islandais », monte au 28e
avec sa maîtresse.
Quelle
activité !
Lui
qui préfère les chambres en boyau, les fantaisies d’étudiante
égyptienne, on entre à quatre pattes, on progresse de même, pour
se coucher juste – le voici escaladant une grande, grande bonne
femme au centre d’un espace immense, sous des verrières, au
dernier étage donc, avec vue sur les plantes vertes et les
projecteurs ! « ...il
n’y a que les aviateurs qui nous voient ».
Ce
qu’il aime, ce sont les noiraudes, les Tunisiennes, les minuscules
aux seins de momie, on
peut se placer dessous comme une bouillotte. Mais
les Teutonnes aux grands bras en bataille, aux jambes de cisailles
roses, blanches et rapides sous les sunlights…
Helda lui
fournit bien des avantages, lui offre des sensations, ...c’est une
fille aérodynamique, on
l’aime, tant qu’on la monte – on
pense à elle, après, un peu, on se rajuste, elle sur son épaule,
par une belle nuit de juin.
« Je
me sens lourd, lassé par tant de prouesses ».
Nous
nous sentons inquiets pour Heinrich qui s’invente des mots de tête
et des picotements, précis les picotements, voire
des suintements, des odeurs même pas très franches, alors, un
bon test, une bonne panique, une semaine ou deux d’attente avec
neuroleptiques, ils
pensent donc tous à passer l’hémotest en même temps, les
graveleux.
Ce
n’est pas amusant de cacher à Bette l’état où l’on se
trouve, de juste doser les calmants pour ne pas débander, car il
faut maintenir la
régularité des accouplements.
« Je
t’aimerai toute la vie, même si nous devons mourir un jour, ou ne
plus nous connaître un an, deux, trois »
« J’ai
passé avec toi de merveilleux instants.
Résultat
positif.
Revenons
à Bette : elle aime son ami, explorant avec lui le vaste champ
du lit qu’il trouve ou feint de trouver si borné ; il faut à
cette femme une activité calibrée, ce qu’il faut de manualité,
d’intellect ordonné - mettons préparatrice
en pharmacie. Elle
lit aussi plus de trois livres par mois, l’histoire se passe en
France. Aime Jean Vautrin, Saint-John-Perse à faibles doses, les
pièces de théâtre d’Ödön von Horvath et les
opera-seria.
Une
femme cultivée.
Exerce
le sain travail des labos (fenêtres hautes, néons tamisés ;
elle est grande, moins qu’Heinrich, brune, un peu de félin dans
l’avancée de mâchoire, museau froncé avec taches de rousseur aux
commissures). Il est instructif de parler avec elle, malgré les
sautes d’humeur (39 ans).
« Séropositif ?
Ils exagèrent. Ce sont nos concurrents. Ils disent ça pour
t’emmerder. De toute façon si tu reviens chez nous, tu n’auras
que de fausses informations. ; tu deviendrais une bête lâchée,
une épave à pattes - doute, rongement, Satan.
-
J’ai compris.
-
Tu n’as rien compris. « Séropo », c’est pas
« condamné ».
-
Je serai mort dans 15 ans comme tout le monde. Est-ce que je peux
coucher avec toi ?
-
Non.
-
Je cracherai sur nos sexes, un petit lac de crachat qui tremblote !
-
Pas
de germes dans la salive. Dans ta salive. J’ai déjà des douleurs
de tête, toujours au même endroit sous l’os, j’ai oublié ton
nom, nous allons jouer, très
bien.
« Les
articulations du crâne sont dites soudées,
du
pariétal au temporal, du temporal à l’occipital, par
de très fines césures imbriquées comme des frontières
politiques : en tenant compte des bosquets, des sentiers, des
buissons de mûres…
-
Chouette Bette, nous sommes à égalité.
-
Pas chouette : mon cancer est vrai, fini de tricher, personne ne
veut plus crever de ça. Regarde la radio. C’est sous l’os de
l’oreille, gros
comme une orange desséchée. Tu sens le jus filandreux, fibreux.
Les filaments du film sont des dendrites.
-
On ne voit pas les neurones à l’œil
nu.
-
C’est le fil de mort qui se tend, ça déroule tout le cerveau si
tu tires ».
...Délimiter,
circoncire, exciser, la mort fait son marché, le cerveau de Bette
dans le filet, le chou-fleur dans les mailles.
-
Si
tu bois tu triche.
-
Trop fort, Heinrich ».
Son
Heinrich n’est pas le Diable. Il s’épile la barbe avec les
ongles ; les champs de blé après
la moisson n’ont plus que des éteules, et des brins de paille.
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