Le chemin parcouru
COLLIGNON LE
CHEMIN PARCOURU
L'EFFONDREMENT
DE ROSSENBERG PREPARATION
1)
Nuit à Rossenberg
a)
les lieux (trois
pages)
1)
le
bâtiment et ses entours
(une page)
2)
chambre
blanche, petit lit de camp,
portrait d'Henri
V de Chambord. (une page)
3)
ma compagne à côté (une page)? et l'impression étrange des volets
hermétiquement clos. (une page)
b)
les raisons pour lesquelles nous y sommes,
(trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons
c)
élargissement de l'espace, sorte
de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'I. à
l'horizontale.
DIX
PAGES (EN FAIT, SIX SEULEMENT)
2)
L'effondrement
a)
alors que je me balade, effondrement d'une aile, je
sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une
illustration de la collection "tremblements de terre et
catastrophes naturelles"
b)
les
hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre,
masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage
de la vaisselle,
aidé par des fillettes, puits à chadouf, bien préciser à ce
moment la situation d'humiliation et d'infériorisation dont je suis
l'objet dans ce groupe de merde.
c)
Evocation effectivement
d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en
marche.
Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir
(digeridoo, Uruguay)
3)
Mes
lectures, destinées à bien montrer combien je suis supérieur
(Musset
aux chiotttes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est
un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi
vaseux".
a)
mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce
que je m'en promets
b)
un commentaire là-dessus
c)
ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille,
cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"
4)
Ma soûlographie
en mémoire de l'ermite
a)
le menu pantagruélique "Au Paléolithique", "Au Grand
Béarnais" à Sarlat, les sauveteurs se restaurent
b)
Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres
de vin avec L.
c)
Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de croître
5)
Le voyage du retour
a)
Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne
savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière
de G., pélerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.
b)
le peintre Manolo, les adieux à tous.
c)
engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous
deux est le père.
6)
Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère
a)
l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.
b)
accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras,
écoeurant.
c)
elle nous annonce qu'elle va l'abandonner chez une autre copine
7)
Achat de bouffe cours Dr Lambert
a)
je médite ma vengeance en achetant des produits avariés
b)
je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de
mon compagnon et de moi
c)
le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon
d'York
8)
Toujours la soirée studieuse
a)
Je reviens sur Musset
b)
je fais le tour de tous mes bouquins
c)
je fais effondrer à mon tour toute ma cabane
9)
Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.
a)
je me sortirai de là, j'irai à St-Flour
b)
je ne pourrai jamais, jamais vivre seul
c)
j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les
recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.
Pendant
ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.
JE
JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE
JE JE JE
I,
1, a (une page)
Il
est sur
une bosse un
lieu
nommé
« Calvitie
de Vénus », avec
dans la clairière
une
maison de bois:
trois
étages haussés par-dessus les cimes, en tous points comparable aux
maisons fermières
de l’Ouest canadien (Calgary, Mouse Jaw) – où croissent à
l’infini les beaux blés de printemps.
Juste
devant l’entrée règne une calvitie d’herbe
sans
trace de jardinage : le
propriétaire,
Stoffer Jyves,
poussant
de
plus en plus, assis
sur sa tondeuse, la machine à débroussailler,
a dégagé le sous-bois, découragé
le feu.
Sec
et décharné, le tondeur utilitaire et monotone poursuit à travers
les âges son apocalypse - remise en fin de journée son engin sous
son appentis. Sa femme Jamie au contraire entraîne dans son cercle
tous ceux qui l’approchent, dans un sourire où s’évanouit toute
disgrâce, accueillante aux visiteurs sans issue.
L'extérieur
consiste en ces ingénieux recouvrements de lattes goudronnées plus
enchevronnées vers les vent du nord-ouest : volants de Gitane
biblique figée grise et verticale, pâtisserie de bois badigeonnée
d’enduits dont l’entêtant parfum bitumineux redouble à chaque
réfection. De rares ouvertures s’étagent sous leurs auvents,
prolongées jusqu'au sol par ces raides volées de marches
métalliques imposées par la législation contre l’incendie.
L'intérieur
présente aussi ses raides échelles de meunier, trappes et rampes
vernies, où se déclinent les couleurs de miel : il fait toujours
bien chaud dans les étages.
I,
a, 2
Le
couple cependant évite les visites, les "intrusions".
Jeanne et moi bénéficions seuls de leur hospitalité ; ils nous
logent alors dans une chambre du rez-de-chaussée, à gauche, donnant
de plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, à moins
que nous n'y transportions un de ces chauffages d'appoint, aux
résistances électriques rougeoyantes, à l'odeur entêtante : rien
qui s'épuise plus vite que ces minuscules bouteilles de gaz compact,
riches d'explosions absolument impossibles. Nous dormons dans un
petit lit de fer luthérien qui grince lorsque nous y sautons, pour
nous rejoindre et nous réfugier sous l'édredon. Les deux panneaux
du lit, à la tête et au pied, présentent des ferronneries
industrielles remarquablement conçues ; il n'y manque pas une
volute, apparenté sans doute au mot volupté : le creux du
matelas forme une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en
mémoire sans que je ne l'associe à d'intenses courbatures érotiques
dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs
qu'inférieurs.
Mais
nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le puritanisme et ses
douilletteries. Ce n'est cependant pas un crucifix qui le domine,
mais un portrait de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut
imaginer de plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé
dans la graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru,
"gros jaune", et les écaillures lézardant l'esquisse.
Rien d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait
équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon deviendrait
obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi,
sous son poids justement.
Nos
nuits sont encombrées de lourdeurs impériales propices aux
infarctus. Le matin, lorsque sont enlevées les lourdes barres de fer
qui closent le volet, nos regards se posent sur une affiche
décharnée, occupant cette fois le verso de la porte : un horrible
Christ aux Souffrances, chantourné par la douleur, ce qui veut dire
creusé du dedans. Sur sa peau friable coulent des larmes de sang,
comme autant de rubis malsains. Les couleurs sont donc : jaune
impérial, rouge christique, gris d'agonie, et nous.
Puis
la clairière, dégagée juste sous nos fenêtres, dont il nous
suffirait d'enjamber les bords pour fouler l'herbe des Rocheuses. Les
volets de bois lourd résonnent en s'ouvrant sur les bardeaux
superposés, comme autant de volants d'une lourde gitane noire et
goudronnée, figée dans une verticalité digne d'Edith, femme de
Loth : une figure de bitume.
L'odeur
stagne. Celle d'un bateau calfaté poupe en terre, comme un bloc de
goudron fissuré.
1
a 3 Ma compagne
La
femme qui est dans mon lit devrait
être un homme. Un maigre à moustache, qu'il ne peut ni couper ni
tailler. C'est bien plus facile de se faire enculer : comme une
femme, rien à foutre et se laisser faire. On sait qu'on jouira plus
tard, toute seule, tranquille, à la branlette. En attendant que le
mec ait fini de se secouer comme un porc, on se sent utile, on sait
où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à concevoir ce
que c'est qu'une femme ? La
mienne a des besoins tellement plus énormes que moi, tant
en sexe qu'en sommeil,
que je puis aussi bien me promener dans les sentiers de prairie
pendant plus d'une heure, dans la rosée, avant qu'elle ait songé à
s'éveiller.
La
femme qui est dans mon lit est une femme. Elle ne dort, en vérité,
jamais vraiment : du sein de sa torpeur et quelles que soit les
questions que je lui pose, elle sera capable d'émettre un soupir ou
une opinion pertinente. Je ne sens plus son odeur. Nous emmêlons nos
membres au petit matin, au début de notre liaison je m'étouffais
sous le poids de ses jambes, puis j'en ai redemandé, ce jour-là
j'ai compris à quel point nous formions un vieux couple comme on dit
d'un cheval de retour.
Je
me suis plaint d'elle, c'était mon sujet de conversation : preuve
d'amour, de même qu'un blasphème prouve l'existence de Dieu. Il
n'y a pas de crucifix dans la chambre, mais tout un rite matinal est
respecté, petits baisers sur la bouche et les yeux, frôlements de
joue, expirations tendres, ma barbe grattant encore à peine, car je
me suis rasé la veille au soir.
Nous
n'y avons jamais froid dans le lit ni la pièce malgré les - 25 au
dehors, il y règne toujours une transpiration, une buée de la lèvre
supérieure de ma compagne délicieusement semblable à un loir au
corps grassouillet, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé
à mes jambes les raides tibias d'un mâle moustachu plus rassurant
mais sec. Je me suis toujours demandé comment la femme peut porter
le corps de l'homme, à voir combien nous sommes démunis, taillés
comme des bœufs, bâtis
en barre à mine ou mous comme des poires avec des érections
défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la seule que je
connaisse et qui les a remplacées toutes, "vous êtes
attendrissants", "nous vous portons dans notre ventre",
ceci bien que l'une d'entre elles ait osé proférer (je l'ai lu)
qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas avoir un
sexe mâle dans le ventre, mon Dieu...
Puis
nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence
: les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air
abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud. XXX
62 02 02 SV 92 XXX
ICI
SINGE VERT N° 107
b)
les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois
pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et
1)
ceux qui nous hébergent,
2)nous
leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes
là, tous les ans depuis des années,
3)je
n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel,
nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le
mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.
I,
b, 1) ceux qui nous hébergent.
Soixante-dix,
quatre-vingts fois, nous aurons débouché dans cette salle sentant
la cendre été comme hiver, frissonnant le matin sous nos peignoirs
troués, retrouvant sur la table invariablement les toasts saisis à
point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos habits de vie,
car nous couchons nus et ne nous rajustons que pour la décence.
L'été, la porte intérieure s'entr'ouvre, et déjà nos hôtes sont
là, souriants, prévisibles, humains. Comme nous sortons de nos
tendresses personnelles, cet accueil agissait jadis comme un viol :
d'autres êtres que nous peuvent donc s'aimer aussi bien que nous,
avec leurs secrets à confier ou taire.
L'hôte,
grand maigre taciturne,
ouvre
et ferme ses longues mâchoires. Il mange salement,
avec des claquements. Je
voudrais
voir les
pluvians
nilotiques
picorer
ses
interstices interdentaires. Je hais ces gens et leur suis attaché si
viscéralement que je ne sais pas
ce que je pense. La
boulette
de graisse qui lui sert de femme tourbillonne autour de nous en
imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire non pas ce doux
hululement
du hibou,mais cette criaillerie obscène du
nocturne
dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi, il n’est
croissant si chaud ni si moelleux
qui ne nous rappelle le goût du rongeur mort.
Parfois
lui et moi partons dans ces bois, à nuit
tombante,
fusils
cassés à la main, bien que cela soit strictement interdit par les
autorités de
Regina ou Saskatoon
: tout est loin.
Nous feignons d'imiter
le hibou qui bouboule ; il nous
est répondu par familles
entières
sous le long ciel arctique de
septembre.
Et en vérité combien nous sommes désappointés, même atteints
d’une sombre colère,
de ne point voir sur la silhouette des branches à peine distinctes à
présent ne fût-ce qu’une ombre géante et tutélaire de
rapace. Nous
rentrons seuls, la mort délicieuse dans l’âme ; en vue de la
haute tour hantée par le vieux couple (réflexe
guerrier, comme une porte qu’on pousse à regret),
nous refermons d’un déclic sec nos deux fusils.
Décidément,
celui
avec
lequel
je dors est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de la nuit. Il
est des obscénités qu’on ne commet pas entre hommes. Casqués
et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu beaucoup
de viols entre hommes et de tentatives dans les tranchées
d'Europe. Nos
fusils devant nous sur le râtelier, vue
sur nos
virilités au clou, nous sentons s'appesantir
nos
paupières, et nous sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin.
J’ouvre le volet qui bat lourdement la
paroi, je sens monter d’en bas les effluves d’une chicorée
amère, déjà la chouette féminine nous informe que le
petit-déjeuner est prêt,
ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors
éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant sans nous
laver nos habits pour la
décence, des
scènes de ménage entre les
dents.
Nous
leur devons de l'argent, des services. Voilà
pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années. Nous
venons d’Edmonton, 326
miles.
C’est sans originalité. Nous ne devrions pas appeler réellement
cette ville « Edmonton », car « Edmonton » existe réellement.
Disons que la
nôtre est
perdue au milieu d’un désert glacé, soudain
truffé de hauts
gratte-ciel où il ne viendrait à personne l’idée de précipiter
un avion, avec des silos à grains d’une hauteur démesurée, où
tout fermente sous la
paupière obtuse
des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les automnes,
tous les hivers aussi (les scooters des neiges déblaient tout) nous
ramènent chez Jywes et Holly, son
épouse.
Nous
leur
devons cela.
Ils ont acheté pour nous cette haute baraque,
« la
Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait. Mais
comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre «
la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes
de ce somptueux cadeau, ne sachant ni bricoler quoi que ce fût ni
passer une couche de lasure tant soit peu régulière ni quelque
fongicide que ce soit,
ils se sont sentis obligés d’occuper notre maison, de
l’entretenir, d’y passer couche de pinceau sur couche de pinceau,
goudron sur goudron, de
clouer bardeau
sur bardeau. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de
pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au
Lac
des Esclaves, la température descendait à des degrés inimaginables
- mais ici, à
la Masure, c’étaient
eux qui entretenaient cette
maison
qu’ils nous avaient offerte.
Est-ce
qu’il ne s’était pas agi à un moment donné de Dieu savait
quel billet de loto gagnant que nous aurions partagé, est-ce que
nous ne nous serions pas bien mieux entendus jadis qu’à présent,
est-ce que nous n’avions pas échangé nos femmes ou nos maris, n’y
avait-il pas entre nous de ces secrets qui traînent depuis des
décennies à l’intérieur des sectes et des communautés qui se
sont faites, toutes, ne vous y trompez pas, à l’époque des
Guerres du Viet-Nam ? canadiens ou pas... Ceux qui sont passés par
ces épisodes confus peuvent seuls savoir - et nous sommes loin
d’être justement les seuls - le caractère irréfragable que
peuvent prendre alors les liens qui se tissent entre les gens, le
fait d’avoir senti subrepticement se glisser en vous une queue qui
ne vous était pas destinée, qu’on soit mâle ou femelle - ceux-là
seuls peuvent comprendre l’impossibilité archi-absolue de toute
rupture, le silence qui s’abat sur vous pendant des années, les
folies aux visages variés qui vous font ou pousser des cris de
chouettes ou des bubulements de hiboux, les culpabilités molles, les
traînassements d’habitudes, et les jouissances de désespoir, de
dérisions, lorsque le vent qui se faufile entre les cimes vient se
heurter à nos volets.
Ici
les nuits comptent plus que les jours, elles ont une épaisseur
révélatrice, elles vous révèlent incomparablement plus que les
jours ce que c’est que le Pays de Moose Jaw, de Poughkeepsie, de
tous ces lieux imaginaires auxquels il est formellement interdit de
donner des noms vrais : une épaisseur qui vous plombe aussitôt dans
un sommeil où l’on ne sait pas ce qui rampe entre vos jambes si
c’est une femme (une lourde cuisse grasse) ou ce qui reste
obstinément raidi sous le tissu sale et roide d’un pantalon
insensible et désastreusement immobile, lorsqu’il s’agit d’un
homme. Ce qui précède
en sv 107
XXX 63 07 03
1
b) 3 3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas
homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou
non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel
abandonné.
De
notre chambre à coucher fermée par des barrières à la salle du
petit-déjeuner, il n’y a qu’une échelle-de-meunier, ce genre
d’escalier qui provoque lamort de tant de bambins qu’on doit
clore le haut par une petite barrière dont seuls les adultes
possèdent la clé. Mais nous explorons les étages supérieurs.
C’est comme dans un rêve. Nous ne nous sommes pas déshabillés,
nous portons nos fusils cassés le long de notre hanche, nous montons
les yeux fixes dans le noir, où nous acquérons la vue puissante et
nyctalope des oiseaux que nous trouvons pas. Ce sont des chambres
vides, à l’infini, en hauteur, comme si en vérité le bâtiment
se rehaussait à mesure que nous le parcourions, comme s’il
s’érigeait, à mesure que nous découvrions les chambres
abandonnées, lavabos orphelins gouttant dans la nuit, draps roulés
et défaits, les matelas mêlants leurs rayures ; ampoules
mouchetées chiures, blafardes et grésillantes, bien plus propres à
effrayer qu’à éclairer, tandis que s’ébranlent dans notre dos,
plus effrayants que s’ils étaient là tout proches à nous
toucher, des lourds usufruitiers qui nous demandent ce que nous
pouvons bien foutre là-haut, à gaspiller de l’électricité, à
voir quoi, bon Dieu, à moins qu’ils ne nous pressent de les payer
enfin en travaux d’entretien auxquels nous ne condescendrons
jamais.
Nous
savons qu’ils entrent
avec nous, dans la chasse aux escaliers, cette créature qu’ils
relâchent la nuit et hante les bas-fonds de leur cave, non point
Ligéia ici
enterrée
vive, mais ce bossu par-devant, bossu par-derrière,
bitord, qu'ils
ont ramené
de banlieue
- cet
homme, Vercassis, exerce la profession de
modèle;
il
teint
son nez et
ses
pommettes en
vermillon. Il
se fait photographier dans les postures les
plus difformes. Puis il
est revendu
sous
forme de figurines. Se
faire poursuivre de nuit par lui dans les étages nous
flanque à tous les deux mon chasseur et moi, des terreurs atroces
;
et
quand
dans
notre épuisement
sur nos talons parfois son
nez passe la
spirale,
nous explosons
le pas et l'étage
s'ajoute
aux étages.
Que
va-t-il advenir de nous ? Mon
chasseur
et
moi ne savons planter un clou. C’est tout le bâtiment de bois
qui
s’ébranle ainsi au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la
mort de nos protecteurs ce
bâtiment
restera quelque temps plus
ou moins entretenu,
puis qu’il s’affaissera sur nous sous
ses poutres et nos sciures. Nous
reviendrons à Edmonton au
printemps.
Nous y
suivrons
des cours de charpente. Nous rétablirons le courant pour que les
lampes sans abat-jour cessent enfin de tressauter
comme
des
paupières.
c)
élargissement de l'espace, sorte
de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel
d'Issigeac à l'horizontale.
Cette
partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans
les paragraphes précédents, avec force détails.
2)
L'effondrement
1°
alors que je me balade, effondrement d'une aile,
2°
une illustration de la collection "tremblements de terre et
catastrophes naturelles"
3°
je
sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,
I,
2, a : une page
X
-
Deux chemins partent de la clairière où Jywes traîne incessamment sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; deux sentiers raides dévalent raidement de part et d’autre de la haute calvitie que couronne la tour. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on l'a gravie, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants vous agrippent au passage, vous protègent de la chute ; c’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Celui du Nord plus doux mène au Lac Travey ; il caresse d’abord l’épaule par de hautes fougères arborescentes. Il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique.
-
Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur gisait vivant tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée. C’était la pente sud ou femelle, et mes nombreux passages à pied dans ses broussailles rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et lointain ; la terre ondula sous mes pieds, des éboulements se distinguèrent au sein des fourrés. Remontant la pente avec essoufflement, parfois m'accrochant des deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien Canadien, qui se pensait à l’abri des séismes, subissait une secousse bien réelle.
Tout
le monde a déjà ressenti un séisme : sensation de nausée, perte
d’équilibre et de tout repère, angoissante question de sa propre
existence (un point, une poussière) : il y a dans cet abandon
une douceur infinie, des endormissements. Je voulus courir vers la
cabane, dont plusieurs tournants montants me séparaient au plus
épais des fourrés. Les arbres autour de moi craquaient sans
s'abattre ; ils fourniraient le bois de mon cercueil, car ils
m'enseveliraient dans leur chute imminente. Il existe ici de ces
espèces balsamiques remontant à des millénaires. Peut-être des
gisements de houille hantent-ils le sol où je me débats, mais qui
planterait des chevalets d’extraction parmi les bavures de lianes
argentées ? Je remontais péniblement la pente. Pourtant c’était
comme un jeu. Le creux de mes mains s'écorchait. Les branches basses
m’entraînaient dans une valse infernale et facétieuse.
Puis
le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de
conifères, bien rangées, bien sèches. Puis tout se remettait à
onduler comme la peau d’un serpent dans les parfums, de nouveaux
tournants se précisaient entre les buissons bas. Acte d'amour
terrifiant et merveilleux avec Nature, à la fois dangereux et
affectueux, car elle est capable de délicatesses. Je ne risquais
rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces
crevasses d’engloutissement, aussi facilement refermées
qu’ouvertes.
2°
une illustration de la collection "tremblements de terre et
catastrophes naturelles"
Une
page
Le
bâtiment, quand je le vis enfin, m’offrit l’image d’une
invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une
surface aussi réduite n’eût pas provoqué un effondrement « en
château de cartes » ? Les convulsions du chat ou de la tortue
(disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont
imprévisibles : une partie du bâtiment restait intacte ;
c’était la moitié sud-est. Les volants étagés du bois, en jupe
géante, restaient fixés l’un sur l’autre comme un grand pan
d'écailles. Et d'un coup, au-delà d’une flèche de bois que la
secousse avait propulsée à la verticale, toute l'habitation de Mont
Shaïle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska.
C’était comme un épine dorsale brisée, un long chevauchement de
chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un
léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme
si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années
avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots
m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait
par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules
demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et
répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de
forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne
dans ces professions déshéritées, loin de tout.
Un
journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage,
mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon
400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces
deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi
garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé
cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le
grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore,
à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était
merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni
ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens
jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles
jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les
arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement,
qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de
vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes
doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi
s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui
pour toujours entête les civilisation à venir.
Des
champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais
subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations.
Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas :
« Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la
destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans
toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées »,
ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse
‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais
l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât,
car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à
terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant,
25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.
Et
rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où
trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres,
l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule
peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de
cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses
dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.
3°
je
sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page
Alors
seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui
était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre
hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses
tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses
pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ?
Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était
vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout
entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et
palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ?
Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure
me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici
quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je
redeviendrais un homme.
En
même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es
pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes
le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se
préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires.
Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils
revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait
jamais appartenu...
Tout
est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort.
Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais
peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit
de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue
avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le
chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout
près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde
hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses
lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur
le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le
regard pendant les petits-déjeuners si copieux.
A
mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces
deux choses, là, juxaposées ? - je vois la boulette sortant par la
demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des
étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent
encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre
n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables
? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré
de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de
l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il
a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une
carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,
TEXTE
DU CHEMIN PARCOURU
COLLIGNON LE
CHEMIN PARCOURU
L'EFFONDREMENT
DE ROSSENBERG TEXTES
1)
Nuit à Rossenberg
a)
les lieux (trois
pages)
1)
le
bâtiment et ses entours
(une page)
2)
la
chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de
Chambord. (une page)
3)
ma compagne à côté (une page)
b)
les raisons pour lesquelles nous y sommes,
(trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons,
c)
élargissement de l'espace, sorte
de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'I. à
l'horizontale.
DIX
PAGES (EN FAIT, SIX SEULEMENT)
2)
L'effondrement
a)
alors que je me balade, effondrement d'une aile, je
sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une
illustration de la collection "tremblements de terre et
catastrophes naturelles"
b)
les
hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre,
masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage
de la vaisselle,
aidé par des fillettes, puits à chadouf, bien préciser à ce
moment la situation d'humiliation et d'infériorisation dont je suis
l'objet dans ce groupe de merde.
c)
Evocation effectivement
d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en
marche.
Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir
(digeridoo, Uruguay)
3)
Mes
lectures, destinées à bien montrer combien je suis supérieur
(Musset
aux chiotttes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est
un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi
vaseux".
a)
mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce
que je m'en promets
b)
un commentaire là-dessus
c)
ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille,
cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"
4)
Ma soûlographie
en mémoire de l'ermite
a)
le menu pantagruélique "Aux chasseurs", "A l'auberge
basque" à Sarlat, les sauveteurs se restaurent, O.K.
b)
Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres
de vin avec L.
c)
Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de monter.
5)
Le voyage du retour
a)
Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne
savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière
de G., pélerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.
b)
le peintre Manolo, les adieux à tous.
c)
engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous
deux est le père.
6)
Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère
a)
l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.
b)
accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras,
écoeurant.
c)
elle nous annonce qu'elle va la larguer chez une autre copine
7)
Achat de bouffe cours Dr Lambert
a)
je médite ma vengeance en achetant des produits avariés
b)
je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de
mon compagnon et de moi
c)
le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon
d'York
8)
Toujours la soirée studieuse
a)
Je reviens sur Musset
b)
je fais le tour de tous mes bouquins
c)
je fais effondrer à mon tour toute ma cabane
9)
Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.
a)
je me sortirai de là, j'irai à St-Flour
b)
je ne pourrai jamais, jamais vivre seul
c)
j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les
recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.
Pendant
ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.
XXX61
04 23XXX
rossenberg 3
I)
Nuit à ROSSENBERG
a)
lieux
1)
le
bâtiment et ses entours
(une page)
2)
la
chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de
Chambord. (une page)
3)
ma compagne à côté, et l'impression étrange des volets
hermétiquement clos. (une page)
I,
1, a (une page)
Il
est au sommet d'une montagne un lieu
étrange et pénétrant, nommé
la Calvie de Vénus, où se dresse un des plus étranges chalets.
C'est au centre d'une clairière une haute maison de bois, correspond
pourtant aux normes architecturales de ces contrées : trois étages
dont le dernier jette juste un coup d'oeil par-dessus les cimes, et
semble un fenil aménagé. Comparable en tous points à ces hautes
maisons de fermiers, dans l'Ouest canadien (près de Calgary, ou de
Mouse Jaw) - là où s'étendent de si vastes arpents de blé de
printemps.
Pourtant
il ne règne au rez-de-chaussée qu'un rond de prairie, comme une
calvitie de verge (d'où le nom "Calvi[ti]e de Vénus"),
sans aucune culture ni trace d'aucune sorte de jardinage. Le
propriétaire du lieu, Stoffer Jywes, passe de plus en plus loin sa
tondeuse à gazon, sur laquelle il s'asseoit, et pousse entre les
arbres des débroussaillages de plus en plus lointains, si bien que
les sous-bois du sommet du Mont Chauve se trouvent parfaitement
dégagés, bien propres à décourager les incendies.
Sec
et décharné sur sa tondeuse, il semble en vérité quelque cavalier
dégénéré de l'Apocalypse de Dürer, motorisé, utilitaire et
monotone. Il la remise sous un appentis, en lisière des hauts
feuillus qui délimitent sa clairière. Sa femme est tout le
contraire : une joyeuse boule de graisse, dont le sourire efface la
disgrâce, et qui accueille le mieux possible les visiteurs, à
l'endroit où parvient la route tortueuse et sans issue menant à cet
ermitage conjugal.
L'extérieur
du bâtiment consiste en un savant assemblage, tout simple en
réalité, commun encore en ces régions, de lattes goudronnées se
recouvrant l'une l'autre, mieux ajustées encore vers le Nord-Ouest.
Le tout, recouvert de divers enduits, présente l'aspect d'un gâteau
de bois indigeste et revêche, aux rares ouvertures disposées sous
les auvents, toutes munies de raides escaliers externes imposés par
la législation anti-incendies.
L'intérieur
retrace l'histoire d'une lutte contre la verticalité : ce ne sont
qu'échelles de meunier, trappes périlleuses et rampes vernies, où
règnent cependant des teintes blond clair, presque miel : il fait
toujours bien chaud passé le premier étage. xxx61
05 04 XXX
rossenberg 4
I,
a, 2
la
chambre blanche et son décor (le petit lit de fer, le portrait de
Henri V comte de Chambord). (cf. aussi l'affiche de Saratov)
Les
deux êtres décrits plus hauts détestent autant qu'il se peut les
visites, qu'ils appellent "intrusions". Ma femme Jeanne et
moi bénéficions seuls de leur hospitalité ; ils nous logent alors
dans une chambre du rez-de-chaussée, à gauche, donnant de
plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, à moins que
nous n'y transportions un de ces chauffages d'appoint, aux
résistances rougeoyantes, à l'odeur entêtante : rien qui s'épuise
plus vite que ces minuscules bouteilles de gaz compact, riches sans
doute en émanations de Co².
Nous
dormons dans un petit lit de fer protestant, qui grince allègrement
lorsque nous y sautons, pour nous abriter sous l'épais édredon. Les
deux panneaux du lit présentent des ferronneries courantes à la
fois et remarquablement exécutées, il n'y manque pas une volute, ce
mot rappelle "volupté", ce que nous nous efforçons
d'atteindre, souvent avec succès : le centre du matelas forme une
étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire sans que
je ne l'associe à d'intenses courbatures dues à l'emmêlement
obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.
Mais
nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le faux puritanisme et ses
ferreuses douilletteries conjugales. Ce n'est cependant pas un
crucifix qui le domine, mais un portrait de Napoléon, Neumeier,
Nicolas Ier ou II, le Maréchal Ney... en rapport avec une
commémoration). Je crois qu'il s'agit fort banalement d'un portrait
de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut d'imaginer de
plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé dans la
graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru, "gros
jaune", et les écaillures déjà lézardant l'esquisse. Rien
d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait
équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon devientdrait
obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi, par
son poids justement.
Nos
nuits sont encombrées de lourdeurs impériales, de jaunes d'oeufs
mal digérés, propices aux infarctus. Le matin, lorsque sont
enlevées les lourdes barres de fer qui closent le volet, nos regards
se posent sur une affiche décharnée, occupant le verso de la porte
: un horrible Christ aux Souffrances, le visage chantourné par la
douleur, ce qui veut dire creusé de l'intérieur. Sur sa peau
friable coulent de voluptueuses larmes de sang, comem autant de rubis
malsains. Les couleurs sont donc : jaune impérial, rouge christique,
gris poreux d'une chair d'agonie, et nous.
Puis
la clairière, qui se dégage à un mètre sous nos fenêtres mêmes,
qu'il nous suffirait d'enjamber pour fouler toutes ces herbes des
Rocheuses du Nord... Les volets de bois lourd résonnent en se
rabattant sur les bardeaux superposés comme autant de volants d'une
lourde, noire, goudronnée, improbable gitane, qui danserait sur
place, dans une verticalité aussi figée que celle de la femme de
Loth : une statue de bitume.
L'odeur
est là. La maison est un effroyable bateau fiché poupe en terre,
comme un bloc de goudron fissuré. XXX61 05 04XXX
1
a 3 Ma compagne
Cette
femme qui est dans mon lit est un homme. Je le vois comme un mâle
maigre, affublé d'une moustache qu'il ne veut jamais couper ni
tailler. Il est beaucoup plus facile de se faire enculer. On se sent
utile, on sait où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à
concevoir ce que c'est qu'une femme ? Elle a des besoins tellement
plus énormes que moi en sommeil que je puis aussi bien me promener
dans les sentiers alentour une heure,batifolant dans la rosée, avant
qu'elle ait ouvert l'oeil. La femme qui est dans mon lit est une
femme. Je ne parviens pas à me décider. Elle ne dort jamais. Au
sein du plus profond sommeil et quelle que soit la question que je
pose, elle sera capable d'émettre une opinion ou un soupir, tout
cela très pertinent. Nous nous connaissons depuis si longtemps
qu'elle change de sexe à volonté de mes fantasmes. Je ne sens plus
son odeur. Nous emmêlons nos membres au petit matin, au début de
notr eliaison je m'étouffais sous le pids de ses jambes, puis j'en
ai redemandé, ce jour-là j'ai compris à quel point nous formions
un vieux couple de vieux chevaux. De retour.
Je
me suis plaint d'elle, car c'est mon principal sujet de conversation
: dire du mal de sa femme est la preuve même de son amour, de même
que le blasphème est preuve de l'existence de Dieu. Il n'y a pas de
crucifix dans la chambre, mais mon Dieu il faut toujours que tout un
rite soit respecté, de petits baisers sur la bouche et les yeux, de
frôlements de joue, de soupirs tendres, et c'est malgré la
misogynie la sortie du four même du sommeil de je ne sais quelle
pâtisserie moëlleuse, ma barbe ne gratte pas trop car mon rasage
date de la veille au soir.
Cette
chambre en vérité est un étouffoir, nous n'y avons jamais froid
malgré les moins trente du dehors, il y règne toujours au moment
une tranpiration, une buée moite sur la lèvre supérieure de ma
compagne délicieusement semblable à un loir, par le grassouillet de
son corps, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé à mes
jambes les raides bâtons squelettiques d'un mâle moustachu,
rassurant mais sec, sec, sec. Qu'est-ce qui fait qu'une femme puisse
supporter le corps d'un homme ? Combien nous sommes désagréables,
taillés comme des charpentiers, bâtis en barre à mine, avec des
érections défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la
seule que je connaisse et qui les a remplacées toutes, "Vous
êtes attendrissants", "nous pouvons vous porter dans notre
ventre", mon Dieu se peut-il qu'une d'entre elles ait osé
proférer qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas
avoir un sexe mâle dans le ventre, mon Dieu once more n'importe
quoi.
Puis
nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence
: les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air
abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud. XXX
62 02 02 SV 92 XXX
b)
les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois
pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et
1)
invariablement les connards qui nous hébergent,
2)nous
leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes
là, tous les ans depuis des années,
3)je
n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel,
nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le
mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.
I,
b, 1) invariablement les connards qui nous hébergent.
Soixante-dix,
quatre-vingts fois que s ais-je, nous avons débouché dans cette
salle sentant la cendre hiver comme été, frissonnant sous nos
longues robes de chambre et invariablement trouvant les toasts juste
saisis à point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos
habits de vie, car nous couchons nus et ne noue réajustons que pour
des besoins de décence. L'été, la porte s'entr'ouvre, et déjà,
quelle que soit l'heure, nos hôtes sont là, invariablement
souriants et humains, et comme nous sortons de notre tendresse
personnelle, ce petit-déjeuner agit invariablement comme un viol :
comment d'autres êtres que nous peuvent-ils s'aimer et avoir croupi
au lit, le leur, comme nous, avec d'autres choses à se dire ou à ne
se point dire ?
Le
grand maigre, taciturne,
ouvre et ferme ses longues mâchoires de crocodile, non si bien
endentées cependant. Il mange salement,
avec des claquements, je guette invariablement les pluvians
nilotiques
picoreurs
de
canines.
Je hais ces gens et leur suis attaché si viscéralement que je ne
sais plus que penser : ainsi
de l'homme,
ou de
la
femme, qui partage ma couche. La boulette
de graisse qui sert de femme à
notre hôte tourbillonne
autour de nous en imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire
non pas ce doux ululement du hibou,mais cette criaillerie de l’oiseau
nocturne dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi,
il n’est croissant si chaud ni moelleux
qui ne rappelle un
goût de
rongeur mort.
Parfois
lui et moi partons dans ces bois, à la tombée de la nuit, nos
fusils cassés à la main, malgré l'interdiction formelle des
autorités du Saskatchewan : tout est si isolé ici. Nous feignons de
pousser les cris du hibou, il nous est répondu par nichées entières
alignées sous le long ciel arctique. En vérité nous sommes
surpris, même rageurs, de ne point voir sur la branche à peine
distincte ne fût-ce qu’une ombre tutélaire de rapace. Nous
rentrons seuls, une mort délicieuse dans l’âme, et dès la haute
tour hantée par le vieux couple, comme une porte refermée, nous
refermons d’un seul déclic nos deux fusils.
Décidément,
mon compagnon de nuit est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de
la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas. Nous couchons
casqués et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu
beaucoup de viols, réussis ou tentés, entre hommes, devant Verdun
ou sur le front de Somme. Ici, contemplant devant nous nos virilités
sur le râtelier de bois, nous appesantissons nos paupières, et
sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin. J’ouvre alors le
volet qui bat sur le mur, je sens monter les effluves de chicorée
amère, déjà la chouette humaine nous informe que tout est près,
ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors
éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant nos
pantalons sans nous laver pour descendre décents, de sourdes scènes
entre nos dents rentrées.
2)nous
leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes
là, tous les ans depuis des années,
(une
page)
Nous
venons d’Edmonton, au sud. C’est sans originalité. Nous ne
devrions pas appeler réellement cette ville « Edmonton », qui
existe réellement. La nôtre se perd au milieu d’un désert froid,
touffe de gratte-ciel où personne n'aurait la moindre idée de
précipiter un avion. Les silos qui la cernent atteignent en
perspective une hauteur extrême, l'ensemble fermentant sous le
regard obtus des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les
automnes, tous les hivers aussi (les déneigeuses du cru démontrent
leur efficacité) (il n’y a qu’au printemps que la boue empêche
tout) - nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse.
Nous
nous y sentons obligés. Nous sommes leurs obligés. C'est pour nous
qu'ils ont acheté cette haute maison, qu’ils appellent entre eux
« la Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait.
Mais
comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre «
la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes
de ce somptueux cadeau injustifié, ne sachant ni l'un ni l'autre
bricoler quoi que ce fût ni passer une couche de lasure ou de
fongicide, ils se sont sentis obligés d’occuper la masure, de
l’entretenir, d’y passer couche de brosse sur couche de brosse,
goudron sur goudron, de clouer bardeau sur bardeau, volant sur
volant. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de
pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au Lac des Esclaves,
la température descendait - mais ici, c’étaient eux qui
entretenaient la Masure qu’ils nous avaient offerte.
Est-ce
qu’il ne s’était pas agi, à un moment donné, de Dieu sait
quel billet de loto gagnant que nous aurions partagé, est-ce que
nous n’avions pas jadis échangé nos femmes ou nos maris, n’y
avait-il pas entre nous de ces secrets de sectes et de communautés
toutes antérieures à janvier 73, Canadiennes ou pas... Seuls les
survivants de ces temps confus peuvent se figurer correctement le
caractère indissoluble de tels liens – ainsi, sentir se glisser en
vous une queue subreptice – d'où l’inconcevable éventualité
de toute rupture ; le silence qui tombe sur vous pendant les
années de l'après-vie ; les folies qui vous font soudain
chuinter comme une chouette ou boubouler comme un hibou ;
culpabilités molles, traînasseries, désespoirs jouissifs qui
s'immiscent à l'heure où le vent faufilé dans les cimes
redescend heurter les volets.
Ce
sont les nuits qui comptent ici, d'une épaisseur bien plus
révélatrice que ce jour court, au pays de Moose Jaw et de
Poughkeepsie, de tous ces lieux sans véritables noms. Une densité
morne qui vous plombe d'un coup dans un sommeil où l’on ignore
qui rampe entre vos jambes : si c’est un homme une obstination
raide sous le tissu sale d’un falze désastreusement immobile.
De
notre chambre à la salle à manger d'en bas, il n’y a qu’une
échelle-de-meunier, trompe-la-mort pour chiards, barrée d'une
sécurité dont seuls les prétendus adultes possèdent la clé.
Nous explorons aussi les étages supérieurs. C’est comme dans un
rêve. Nous ne sommes pas déshabillés. Nous portons nos flingues
cassés le long de la hanche, nous montons les yeux fixes dans le
noir, où nous avons acquis le regard nyctalope des rapaces que nous
échouons à trouver. Ce sont des chambres vides deux par deux
superposées, comme si en vérité le bâtiment se haussait à
mesure, s’érigeait tandis que nous découvrions les pièces
délaissées, les lavabos gouttant dans la nuit, les draps roulés là
ou défaits, les matelas entoilés croisant leurs rayures, les
ampoules salies de chiures que nous allumons, blafardes et
grésillantes, bien plus propres à effrayer qu’à éclairer,
tandis que s’ébranlent dans nos dos, loin au dessous de nous mais
d’autant plus effrayants je le répète en vérité que s’ils
étaient là tout proches à nous toucher, des lourds usufruitiers
qui nous demandent ce que nous pouvons bien foutre là-haut, à
gaspiller de l’électricité, à voir quoi, bon Dieu, puisqu’il y
a longtemps qu’il n’y a rien à voir depuis le temps que ce foutu
hôtel est abandonné, à moins qu’ils ne nous demandent de les
payer enfin pour tous les travaux d’entretien qu’iils voudraient
que nous fissions, auxquels nous autres chasseurs nous ne
condescendrons jamais, jamais.
Nous
savons qu’ils entraîent avec nous, dans la chasse aux escaliers,
cette créature qu’ils relâchent la nuit et hante les bas-fonds
deleur cave, non point l’exquise Ligéia enterrée vive, mais ce
bossu par-devant, bossu par-derrière, bitord en termes techniques,
ramené de leur infecte banlieue proprette... Cet homme, Vercassis,
exerce en banlieue la profession suivante : modèle pour nain de
jardin. Il teint son nez, son visage, de vermillon. Iil prend lesp
ostures lesp lus difformes et se fait ainsi photographier. Puis les
plasticiens prennent modèle sur lui, reconstituent son image par
ordinateur (« D.A.O. ») et le revendent sous forme de figurines.
Se
voir poursuivi dans l’escalier de nuit par un tel monstre nous
flanque à touts les deux, mon chasseur et moi, des terreurs
indicibles : car parfois, dans notre essoufflement, nous voyons son
nez de grotesque polichinelle passer le tournant du colimaçon, et
nous accélérons, et les étages s’élèvent toujours. Que va-t-il
advenir de nous ? Ni mon Chasseur ni moi ne savons planter un clou.
Jywes et son épouse suivent à grand bruit trois étages plus bas.
C’est tout le bâtiment de style norvégien qui s’ébranle ainsi
au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la mort de nosp
rotecteurs, le bâtiment restera quelque temps à peu près bien
entretenu, puis qu’il s’affaissera sur nous, peu à peu avec les
années, puis tous, hommes de chair et bâtiments de bois, rentreront
sous forme de sciure dans le vaste cycle de la nature.
Nous
reviendrons à Edmonton (Saskatchewan) pour le printemps. Nous
prendrons des cours de bricolage et de charpente. Nous rétablirons
le courant électrique de façon satisfaisante, pour que les lampes
sans abat-jour cessent enfin de trembloter comme autant de paupières.
c)
élargissement de l'espace, sorte
de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel
d'Issigeac à l'horizontale.
Cette
partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans
les paragraphes précédents, avec force détails.
2)
L'effondrement
1°
alors que je me balade, effondrement d'une aile,
2°
une illustration de la collection "tremblements de terre et
catastrophes naturelles"
3°
je
sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,
I,
2, a : une page
D
·0 eux
chemins s’échappent de la clairière où Juwes incessamment
promène sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; les deux chemins
descendent raidement, de part et d’autre à peu près de la haute
calvitie que surmonte la bâtisse. Il faut avec entêtement lutter
contre la descente avec autant d’obstination qu’on en mettrait à
gravir, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants en
général vous retiennent au passage, vous protègent de la chute,
ainsi qu’une mère abusive, agrippante. C’est le chemin du sud
qui vous retient le plus. Au Nord, la pente plus douce menant au
Grand Lac des Esclaves caresse d’abord l’épaule à travers le
tissu, au point qu’on souhaiterait être nu, par de hautes fougères
arborescentes ; il se dégage alors de ces petits champignons
éclatants (qui éclatent lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant
de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique : la voix
mâle, opposée à la voie femelle ?
·1 Et
je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace
offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur
reposait tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme
entre nos corps placée comme à l’épée qui sépare Tristan
d’Yseut dans la légende du Morrois. C’était la pente sud ou «
femelle », et mes nombreux passages rendaient chaque fois moins
piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement
sourd et proche à la fois et lointain ; la terre ondulait sous mes
pieds, des éboulements se distinguaient dans les impénétrables
fourrés qui m’enclosaient.
Remontant
alors avec essoufflement, parfois les deux mains à terre, je
pressentis que le Bouclier Hercynien, qui se croyait à l’abri des
séismes, subissait une secousse improbable et réelle. Tout le
monde a déjà ressenti cela : sensations de nausée, êrte
d’équilibre, perte de tout repère, l’angoissante question
métaphysique de sa propre existence (« Je ne suis qu’un point,,
une poussière près de l’engloutissement ») - il y a dans cet
abandon à l’infini une douceur elle aussi infinie, comme celle qui
vous prend lors des endormissements. Je voulais courir vers la
cabane, dont plusieurs tournants me séparaient au plus épais des
fourrés.
Les
arbres craquaient, ils ne s’abattaient pas. Ils fourniraient le
bois de mon cercueil, je serais enseveli parmi eux. Il existe au
Canada de ces espèces balsamiques, remontant à des siècles, et de
génération en génération, à des millénaires. Peut-être des
gisements de houille hantent-ils ces sous-sols, mais qui planterait
des chevalets d’extraction au milieu de ces arbres millénaires,
tout chenus de bavures de lianes argentées ? Je regrimpais
péniblement la pente. C’était comme un jeu. Les forsythias de
là-bas m’écorchaient le creux des mains. Les branches basses se
dérobaient à mon étreinte, semblaient voulori m’entraîner dans
une valse infernale et facétieuse.
Puis
le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de pins
ou d’épicéas, bien rangées et bien sèches. Puis tout réondulait
comme la peau d’un serpent, le perfum était pénétrant, un
nouveau tournant se précisait entre les buissons bas. C’était un
amour merveilleux avec la nature, quelque chose de dangereux et
d’affectueux, comme d’uen mère éléphant avec un chaton. Mais
ces gros animaux sont capables de délicatetsses inimaginables. Je ne
risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces
crevasses d’engloutissement, aussi vite refermées qu’ouvertes.
2°
une illustration de la collection "tremblements de terre et
catastrophes naturelles"
Une
page
Le
bâtiment, quand je le vis, m’offrit l’image d’une
invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une
surface aussi réduite au sol n’eût pas provoqué un effondrement
« en château de cartes » ? Les mouvemets du chat, ou de
l’éléphant, ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels
nous vivons, vermine humaine, sont rigoureusement imprévisible. Une
partie du bâtiment restait vigoureusement intacte. C’était la
moitié sud-est. Les étagements de bois, les volants de jupe
ligneuse restaient fix »s l’un sur l’autre comme autant
d’écailles intactes. D’un coup, au-delà d’une flèche de bois
plus capricisues, que la secousse avait amené à la verticale, toute
la maison du sommet de Mount Shyle s’était affalée au nord-ouest,
en direction de l’Alaska. C’était comme un épine dorsale
brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon
mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore
par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était
produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les
morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la
terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur
était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux
mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de
bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que
soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions
déshéritées, loin de tout.
Un
journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage,
mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon
400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces
deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi
garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé
cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le
grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore,
à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était
merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni
ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens
jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles
jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les
arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement,
qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de
vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes
doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi
s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui
pour toujours entête les civilisation à venir.
Des
champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais
subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations.
Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas :
« Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la
destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans
toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées »,
ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse
‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais
l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât,
car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à
terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant,
25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.
Et
rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où
trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres,
l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule
peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de
cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses
dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.
3°
je
sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page
Alors
seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui
était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre
hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses
tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses
pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ?
Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était
vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout
entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et
palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ?
Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure
me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici
quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je
redeviendrais un homme.
En
même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es
pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes
le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se
préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires.
Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils
revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait
jamais appartenu...
Tout
est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort.
Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais
peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit
de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue
avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le
chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout
près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde
hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses
lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur
le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le
regard pendant les petits-déjeuners si copieux.
A
mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces
deux choses, là, juxtaposées ? - je vois la boulette sortant par la
demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des
étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent
encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre
n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables
? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré
de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de
l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il
a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une
carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,
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