Ces villes où je meurs
C
O L L I G N O N
C
E S V I L L E S O Ù
J E M E U R S
Thème
: un homme écrit sa lettre d'adieu. Il range ensuite soigneusement
ses affaires. Il prend l'autorail pour Eygurande.
Là-bas,
il s'installe et meurt.
Développement
:
Un
homme à sa table, la tête entre les mains. Il médite les termes
d'une lettre d'adieu. Puis il rassemble, donc, ses affaires. 50 –
70 ans. 1M80, ni grand ni petit. S'il tournait la tête (à présent
de trois quart arrière) on verrait son épaisse moustache –
Nietzsche, tout de même pas. Sympa et bourru, ils sont nombreux
comme ça. Ce qui fatigue le plus, la journée ou la vie ? On a sa
fierté ; un peu de dignité. De recul.
Un
nom à cet homme, quitte à l'oublier souvent. Quelque chose de pas
trop difficile : François, Grossetti, comme le général – mort de
dysenterie le 7 janvier 1918.
Une
lettre d'adieu, c'est délicat. On ne sait pas qui lira cela. Tout ce
qu'il comprend à sa situation immédiate, c'est qu'il s'agit d'une
histoire de femme, pas de quoi fouetter un chat. Il faut appeler un
chat un chat. Pas trop de souffrance, par rapport à son âge.
Peut-être y en a-t-il plus qu'on ne croit. Qui souffrent (même sans
avoir fait d'études ; c'est bête de croire des choses comme ça).
Pour
les femmes les choses se présentent différemment – il n'a pas
connu beaucoup de femmes ; la sienne, à peu près. Plus quelques
putes. Quelques autres aussi, naturellement, des vraies, dans la
faute, dans l'éphémère – pas envie de revivre. De vivre non
plus, sauf si ça le reprend, rien de moins certain. Lettre d'adieu
ou pas lettre d'adieu ? On peut se passer de tout. D'orgueil. L'homme
se lève dans l'appartement, retaille ses moustaches devant la glace
– une amorce de fanons, des rides "d'expression", des
tifs courts pas trop clairsemés – acceptable. Le frigo
contient du fromage et des confitures. Trois pots de yaourt nature.
Il en mange un. Aucune tristesse. Il ne peut plus vivre ici :
première idée claire. Elle est partie sans regret
Je
souffrirais trop
Si
tu revenais
"Je
n'ai fait aucun effort" – ses premiers mots – "Thalassa
tous les vendredis" elle disait "il y a autre chose que
Thalassa les vendredis soir et puis "tu pourrais maigrir"
– c'est comme je suis ou rien - "il faut que les croque-morts
sentent bien quel homme de poids j'étais" – drôle, sauf la
dixième fois.
La
queue ? ...va savoir ce qu'elles pensent. À lui de partir à présent
; l'agence lui mettra tout sur le
dos.
Pour l'état des lieux. "Ça ne pourra pas être pire que le
mien – humour." "En tout cas j'ai tout rangé" –
paquets, cartons le long des murs. Le garde-meubles a gardé le plus
gros - "ils n'auront qu'à tout revendre". Sans téléphone.
Juste une adresse. Et un portable dont il est seul à connaître le
numéro. La lettre d'adieu, il veut la rédiger sur les lieux. Sur
zone. "Où j'ai aimé, souffert, tout ça..." Des
morceaux de phrases à haute voix. Des pas dans les pièces vides.
Juste partir. Ça le soutenait. "Un tour des Indes, l'Islande à
moto" – des tas de gens font cela – le plein de vidéo et
après. Ils vont à Nouméa, ils te rappportent une photo de la poste
; mêmes frigos, mêmes commutateurs – ceux qui n'aiment pas
voyager, on devrait leur crever les yeux proverbe persan.
À
trente ans tu vois le bois de ta porte. À quarante ans toujours là.
Soixante. Tu te cognes dedans à 85 ans tu te cogneras le fauteuil.
"Hurler de désespoir", c'est l'expression. Comment
font-ils si c'est pour rester, vissé à fond de caisse – Ils
partent, ils rentrent – ils "reviennent de voyage", sans
rire, pour se rouler là, "fidélité, bonheur de vivre, port
d'attache" – mon voyage sera sans retour – "mais mon
pauvre vieux, le Massif Cenral ! à quatre heures de route ! "le
bout du monde"! Tu parles ! " - il répétait "le
bout du monde ! On ne vous y verra jamais - ...Qu'est-ce que tu veux
qu'on aille foutre au Massif Central ? - Ne pas me voir par exemple"
– ça les avait vexés. Ça les désarçonne toujours, les autres,
ça les chiffonne qu'on puisse ne pas penser à eux.
Le
Massif Cenral, pensez – on ne les y verrait jamaisn à condition
d'éviter la Chaîne des Puys (Disneyland), la Lozère (CECI EST UN
ARBRE, espèce, date de plantation, ROCHER PITTORESQUE, un tourniquer
de cartes postales derrière chaque buisson avec débit de boisson,
chaussures de marche et musique de rock '"circuit pédestre",
"randonnées à cheval" et autres kayakeries – éviter
l'Ardèche, surtout, à tout prix). La ville même de Q. (ne plus
préciser de lileu, les cons (les gens...) ayant tellement perdu
contact avec le livre qu'ils te foutent des procès sur la gueule
pour "délit de réalité") – cette ville se voyait
défigurée par d'immenses panneaux : "Les Cathares auraient pu
s'y réfugier" ; donc, ils s'y étaient réfugiés.
Il
ne faut pas dépasser une zone très restreinte, non sans solutions
de continuité : Ussel, Eygurande, sud de Clermont, Cantal nord et
est, St-Flour (15km plus bas c'est déjà Touristland et ses
restaurants typiques). On remonte par la Margeride, le Livradois,
Brioude et La Chaise-Dieu ; éviter Machin et son nid de camions,
passer par Yssingeaux sans tomber dans le gouffre lyonnais –
attention aux colonies de vacances pour petits cons – et N.,
pourrie de banlieue et de faune-de-banlieue depuis la fameuse
"autoroute de désenclavement". Plus au sud c'est très
vite le Midi
putaing-cong
qui tartine sa vulgarité sur tout ce qui traîne : la sueur, les
chortes, quand on sera mort tout sera touristo-compatible, il faudra
bientôt regarder Maubeuge entre ses pieds pour voir quelque chose de
vivable.
"Je
romps – disait-il, parce que je vomis les matins de morgue où je
me trimabelle de pièce en pièce, seul levé dans l'apparte. La vie
sans avenir qu'une longue dégradation des facultés corporelles et
sanitaires – quitte à crever à petit feu autant que ce soit tout
seul et pas le nez sur la décrépitude de l'autre. Je bouge. La
mort m'attend là-bas, à Samarcande. Plutôt claper en route
qu'en garde malade."
Entre
chaque chapitre, un § de la rupture – mais la chose a tourné
autrement.
Du
désir de train pour être bien contraint
L'automobile
triche.
L'avion
: négation du voyage.
Aux
Antilles. A Ceylan (Sri Lanka, I know). Bouthan,
Yunnan. Comme si c'était banlieue.
Ces
gens-là ne se rendent même pas compte qu'ils voyagent.
La
vraie route c'est à pied.
C'est
bien connu, c'est bien connu.
J'ai
choisi le train. Comme ils
disent. Les pieds gelés, la crasse, l'effort physique – surtout
l'effort physique, que je méprise – jamais – le Grand
Dépaysement, pareil : "Je ne sais pas, moi !" (votre
interlocuteur, votre Messie, ne "sait" jamais) ; "si
tu t'exiles, fais les choses en grand ! les Andes, par exemple !"
- je ne vois pas comment je pourrais m'exalter, découvrir en moi des
horizons, des vertiges inédits et tout ce qui s'en suit, en chiant
ma tourista avec 39 de fièvre à 4000m. D'altitude...
Chacun
se fabrique sa petite retraite pépère. Celui qui veut se geler
trois couilles au Groenland, pas de problème – pour moi ce sera la
formule Pas de risque (et je vous emmerde). Plus un rond àl'autre
bout de la planète. Risque de se faire sucer par les punaise,
dévaliser par des Philippins, sodomiser, égorger par des porcs
islamistes. Pas de risque. Celui d'être libre par exemple. Le pire
de tous. En train tu n'es pas libre par exemple. Ton hôtel est
retenu : pas d'échappatoire. Dans le train tu n'es plus le maître.
Plus responsable.
Ouf . Toute ta vie tu l'as
bâtie là-dessus : "Pas responsable, pas ma faute".
Deuxième
vœu
: se fondre avec les Gens du Cru. Ceux qui sont nés
quelque part. Indécelable.
Invisible. Impossible disent les sages – mais les sages pullules et
tu les encules. Une fois sur place tu t'installes. Ta petite
parcelle. Ton confinement. Ta
feuille de chou sur ton siège de car local. Tu as toujours été là.
Cent ans que tu lis sur le même siège. Toutes les lundis sans faire
attention. Souvenir de ce con sur la Riviera quand on me
dit les beaux paysages ! faut
pas déconner je
bosse, moi, pas que ça à foutre
- connard je dis connard
La Baie de Nice ça
se respecte La Baie des Anges tu ne la mérites pas tu la mérites
moins que ma main sur la gueule - être né là. Y avoir toujours
vécu.
Ailleurs.
Puis crever. Changer de
pneus. Cantal, neige au-dessus de 500m. Les
vaches, les barbelés, l'antenne-râteau avec Poivre d'Arvor dedans
tous les soirs au Vingt Heures – on coupe le téléphone pendant la
Messe juste le répondeur - "pas là pour le moment" – je
me souviens mal du trajet LIMOGES-BÉNÉDICTINS
TERMINUS les toits vert bleu
les toits vert-de-gris. Ils ont brûlé, genre château de Hautefort
(Dordogne) : des inconscients ont fumé dans le foin, fini le toit !
Seule attraction dans Limoges : le Moi. La valise, verte. Plein de
mystérieux compartiments. Tu ne sais jamais ce que tu y as fourré
exactement. Tu passes au-dessus des voies, juste à côté des taxis,
tu demandes le centre ville un
clochard te sourit c'est par là il
ne savait pas non plus le premier jour tu descends sans rien lui
donner l'escalier sur main gauche valise à la main.
C'est
une rue sans caractère sous un mur de soutènement, des boutiques
ruinées rechignées, le jeu consiste à se voir en habitant
constant, ici depuis l'enfance en
bordure d'asphalte qu'est-ce que ce serait si j'y vivais
encore. On trouve même des
habitants qui pleurent quand on effondre leur immeuble HLM
et par un coude à droite tu
te retrouves Place Jourdan "Hôtel du Commerce". À droite
au fond précisément la gare des Bénédictins que tu viens de
quitter, au bout de l'avenue que tu viens de quitter rectiligne trop
droite justement, tu voulais l'éviter – un peu d'aventure que
diable.
À
l'acueil l'hôtesse est revêche, le jeu consiste encore à
s'imaginer coucher avec elle car toute femme est digne de coucherie
je la transperce du regard
j'ai quatre jours devant moi, pas plus. Pas de risque. Changer de vie
mais s'apercevoir que c'est déjà fait, de femme même sans s'en
apercevoir, ne pas se
plaindre ou ronronner aux pieds d'une conne derrière son comptoir
(mais oui, moi aussi, mais oui...).
La
chambre est neutre et pour cela enthousiasmante avec douche, vingt
minutes allongé sans contraintes et puis lire, personne n'attend, le
long de ma porte au dehors un corridor en tapis rouge avec au loin la
lingère du lieu pas belle et rassurante, changeant du linge dans sa
lingerie son sourire au loin 60/65 ans. Je lui réclame un autre
oreiller bien épais – les hôtels croient toujours qu'un client
dort à plat, comment les guérir ? il faut sous notre tête oreiller
mou sur oreiller mou, le traversin plié en deux, dormir plié c'est
mauvais pour le cœur
on en crevait dans les siècles passés mais je crois savoir ce qu'il
en est des femmes, donc je lis.
C'est
une sombre histoire d'Afrique (l'aventure !) - à Limoges le Libéria,
L'assommoir sombre et
vignolant au sein de Lisbonne en 2000 et les faux chants hébreux en
plein Cartagène d'Espagne – ici
Ahmadou Kourouma "manches courtes ou manches longues" ?
...bras coupés au dessous ou en dessous du coude ? Allah
n'est pas obligé d'aimer la
maman cul-de-jatte ou les enfants-soldats
Kourouma hou akbar est
le plus grand. "Votre langue abâtardie" qu'il dit. Nous
autres Français, massacreurs du français. Je me couche. Du sommeil
à rattraper. Le vrai, le profond, celui qui régénère les
cellules.
Je
viens pour les rues, les rues en soi-même en elles-mêmes, celles
qu'on voit en songe avec des murs sombres, où le vent me rabat vers
l'hôtel, du vent froid, sans répit, biscuits-fromages-banane pour
tenir chaud : pluie neigeuse, vite la cage d'escalier "du
Commerce" son escalier le tapis rouge et sur le couvre-lit mes
miettes. Fatigué d'avoir
mangé vite et marché. Nous écrivons à la main cul nu sur la
chaise de paille la main sous le cul contre la paille, le stop à
vingt-deux heures pile avec la fesse gaufrée. Tous les matins quand
vient la chambrière j'époussète le couvre-pied puis je sors. Le
jeu consiste à trouver le cimetière, à pied : la nécropole, dans
une ville, est la première chose, la plus vivante, que je recherche,
à Limoges comme ailleurs. Dormir, lire, mourir – avec l'église –
de ce qui définit avan tout la
ville : Ceux qui m'aiment prendront le train – "le
plus grand cimetière d'Europe"
: c'est inexact.
En
Limousin, les décès (les disparitions) surpassent nettement les
naissances. Enfant je me recueillais tous les deux jours de mes
vacances sur la tombe de grand-père, ma mère et ma grand-mère
arrachaient l'herbe et garde-à-vous devant Gaston sous terre "mort
accidentellement le (tant)" pour la revue de casernement du
chagrin, de quoi guérir, immuniser à tout jamais contre les tombes
mais au contraire. Le caveau des deux autres grands-parents à
l'autre bout sous le sapin qui verdissait la dalle, je
scrutais les inscriptions, calculais mentalement l'âge des morts,
date de naissance date de décès et je soulèverau le monde, frustré
parfois par la mention "mort en sa (tantième) année"
comme autrefois (hommage parisien à Victor H. "entrant en sa
quatre-vingtième année" le 2 – 2 – 81 – ma mère ne
manquait jamais d'ajouter que j'entrais dans ma (quinzième) ou
(vingtième) année, très tôt peur de vieillir.
Sur
une table plage le navrant portrait sépia de Laura Dizzighelli parmi
sa famille, jeune,vulgaire et bouclée dans son cadre ovale et
souriant de toutes ses dents ; puis les sœurs
Tripier qui se tripotaient avant de mourir et la famille Taillefumier
– j'aimais déambuler, je déambule encore dans
les cimetières - "stage
de formation en entreprise" : ça fait rire les enfants, parce
qu'ils supposent que je mourrai avant eux. À Limoges le cimetière
est loin du centre ville ; à Bordeaux, il s'étale, en pleine
agglomération – "C'est par-là ! répond une alerte
sexagénaire, mais c'est loin vous savez !" - repoussant de la
main sa propre mort en de formidables lointains.
J'ai
marché trois quarts d'heure à l'atteindre, en montée, sous le même
vent, cherchant à telle
minute un abri, un bistrot, pour boire à mi-chemin un chocolat.
Ce
que j'appelle ma vie, ce sont mes heures : de pisser, de boire, de
lire. Au bar deux trois clients. Le patron me torche une table.
Méthode d'hébreu comme
prévu, car où que j'aille je pratique assidûment l'apprentissage
des langues, aussi peu loin que j'aille, de toutes les langues :
"méthodes", "initiation", juste les premiers
mots sur le chemin (aujourd'hui) du cimetière. Au-dessus de moi la
télévision que suivent les hommes, arrivée de la Huitième à
Maisons-Laffitte sur Équidia,
"il n'y a pas" se
dit en hébreu eïn, personne
ne s'en aperçoit mais je ne m'en suis pas dissimulé.
Parfois
même je lis Langages de l'humanité : 600
mots de 400 langues. Cent quarante francs. C'est ma façon de voir.
Les vedettes voyagent incognito, mais se mettent des lunettes noires.
Monsieur Cinéma, mon
surnom à 18 ans. Vexant. Profondément mortifiant. Je les ai
plusieurs fois, les 18 ans, et je m'y suis maintenu, pas un pouce
d'évolution je crois, j'espère ! - sur la montée au cimetière,
bien réchauffé, instruit, gravissant la pente sous les murailles :
or dans un trou horizontal, profond et cylindrique, j'ai flashé à
bout portant une canette de Pepsi (dans la montée de la Merveille
j'ai cliqué, de même, sur trois boîtes à conserve à travers une
meurtrière).
Et
je fis mon entrée au Cimetière de Limoges. Non pas certes "le
plus vaste d'Europe" (le Père-Lachaise, gorgé de sépultures
jusqu'à l'horizon (la première fois j'ai demandé au pas de course
la sortie ! au premier
gardien rencontré) – cependant : les étagements de la Nécropole
de Limoges rappellent à Lisbonne le Haut de Saint Jean (Cemiterio
do Alto de São João),
donnant là-bas vers le nord sur
d'immenses et pouilleuses boîtes à peuple ou logements sociaux ;
juste en face de la Secçãn
Militare de la Grande Guerre, de
l'autre côté des terrains vagues : la Picheleira, l'Alto
di Pina.
À
Limoges mêmes terrassements, ou dans les rizières de Sumatra. Dans
l'allée supérieure, où fut tournée une séquence avec Trintignant
(il tient le rôle de jumeaux antagonistes,
rien pigé) tout est bien net sous l'alignement des arbres : sentiers
spacieux, gravillonnés de frais, du solennel, du solide, du
provincial. Puis j'ai descendu la pente par de larges degrés
entaillés de perrons. Je n'ai rien vu de pittoresque, répétant à
haute voix (surtout ne pas se faire entendre...) ("l'homme qui
parle dans les cimetières" !...) - les noms de famille, de
fratries, d'individus, acordant foi aux antiques croyances
égyptiennes : toute personne prononçant le nom du défunt le
rappelle en surface... Je parle aux morts épiciers, employés,
jeunes mères, anciens conscrits, livré en pleine conscience aux
rites de déploration.
Mais
toujours bien jeter l'œil
par-dessus mon épaule, car on sort plus vite d'un cimetière que
d'une cellule de dingue. Aussi les morts m'entendent avec
reconnaissance; le
plus poignant que j'aie vu au Cimetière de Limoges ne fut pas la
tombe d'une jeune fille
Pourquoi à vingt ans ?
lu à Chantonnay sur une plaque blanche mais celle d'un dessinateur
au trait, ligne claire, portant cette épitaphe éplorée : À
MON MARI – À
SON ŒUVRE.
Sur la tombe figurait un autoportrait acceptable
mention AB [douze sur
vingt] –
tandis que sur trois ou quatre caveaux voisins se
montraient deux ou trois
portraits d'amis, du même, rassemblés dans un même funèbre
périmètre, n'ayant pu refuser ni de mourir dans l'année –
un bon mouvement !
disait
la Veuve aux yeux rougis
muette sous sa cape – ni de tolérer sur sa dalle et son corps les
témoignages désespérés d'une indissoluble
camaraderie.
Telle
était désormais l'étendue de sa gloire : 20m² autour d'un
tombeau. Et c'est cela que j'avais trouvé poignant, qui m'avait
point,
au vu de ce théâtre anticipé que je jouerais aussi, déplorable
mélo, dans le vrai jusqu'aux larmes. Que gravera d'autre ma fille en
effet ou ma veuve que ce pathétique HOMME DE LETTRES, objet de mes
railleries dans
le petite cimetière de Q. (Cantal) ? et dont à présent, plus
vieux, plus mort, je ne ricanais plus. Car on ne pourrait même plus
montrer un portrait de ma plume, ou deux pages que j'eusse écrites.
Et remontant vers l'allée supérieure, épuisé, résolu cette fois
à prendre le bus, j'aperçus au sol – juste avant la sortie -
coincé
entre deux tombes – un rouleau de biscuits fourrés pour enfants,
car nous ne nourrissons plus nos morts. En vérité c'étaient les
morts eux-mêmes qui me tendaient ce cylindre garni à demi-clos, à
peine souillé, que les chiens n'auraient pu compisser sans
d'improbables et grotesques contorsions. Je me suis empiffré de ce
quatre heures tombé d'un gosse gavé de macchabes. Le bus me ramena
du Terminus au Centre-ville, où je remarquai au pied d'un banc de
pierre un sac à dos délaissé garni d'un second paquet de biscuits
: quelle aventure !
Limoges
nourricière !
Je
me suis gratté les couilles mais il n'y avait pas de troisième
paquet de biscuits.
X
J'ai donc lu, sur mon lit, jambes ouvertes. Je suis reparti je suis
revenu. Ces choses si banales. Si empreintes, dans les moindres
secondes de leur déroulement, de cette dimension de liberté que
seuls les prisonniers de fraîche date, peut-être, doivent éprouver.
Je n'étais plus obligé de rien. Imaginez cela : ne
plus jamais devoir prouver à quiconque, père ou mère ou con, que
je suis une vedette, que mon génie me place au-dessus de l'humanité,
du moins la leur. Je suis ici chez moi, plus que chez moi, plus
qu'avec mon épouse – rester au lit, ne plus faire le ménage,
bouffer tout nu avec une serviette de toilette sur les genoux pour
éviter les miettes aux endroits susdits, m'endormir toujours nu à
même la chaise dont le paillage me quadrille les fesses – voilà
ce que je fais, moi l'homme libre.
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