L'histoire d'amour p.1
BERNARD
COLLIGNON
L'HISTOIRE
D'AMOUR
Qu'est-ce
que l'amour, et qu'est-ce qu'une histoire ?
Elle
demande
un
jour
pourquoi
je
n'ai
jamais
su
écrire
une
belle
histoire
d'amour
;
mes
seules
allusions
:
sarcasmes,
burlesque
ou
péché
– à
vrai
dire,
l'amour
hors
sujet.
Déjà
tout
enfant
je
ne
puis
entendre
une
chanson
d'amour
sans
la
trouver
ridicule,
déplacée.
N'estimant
rien
de
plus
niais
que
les
amoureux,
“qui
s'bécotent
sur
les
bancs
publics,
bancs
publics,
bancs
publics”
-
cette
chanson-là,
je
l'adore.
Je
la
chante
volontiers
sans
bien
comprendre.
Aux
représentations
de
Sylvie
Nerval
j'objecte
qu'il
m'est
impossible
d'écrire
une
telle
histoire
d'amour.
C'est ma nature.
Dans
les
tableaux
qu'elle
peint,
le
spectateur
lambda
regrette
les
sujets
plaisants,
les
fleurs,
les
chats
et
les
enfants
;
il
voit
des
nus
chlorotiques,
hagards
et
(circonstance
aggravante)
masculins,
errant
de
nuit
parmi
les
ruines.
Sylvie
revient
à
la
charge
:
lire
sous
ma
plume
une
belle
histoire,
même
rebattue,
difficile
pour
cela
même,
et
qui
ne
soit
pas,
précise-t-elle,
entre
hommes
– je
ne
mentionne
pourtant
nulle
part,
que
je
sache,
de
passage
à
l'acte.
J'ai
soixante
ans
cette
année
;
ma
mère
jadis
faisait
observer
que
fêtant
son
20è
ou
40è
anniversaire
on
entrait
dans
sa
21è
ou
41è
année
-
mort dans sa 60è
année disaient
les
vieux
tombeaux
qui
ne
la
dépassaient
guère.
Pratiquer
moins
désormais
l'acte
d'amour
me
donne-t-il
le
droit
d'en
parler
?
...
sans
vouloir
toutefois
rivaliser
avec
Roland
Barthes
(Fragments d'un discours
amoureux) ou
Stendhal
(De
l'Amour),
ou
bien
Denis
de
Rougemont
(L'Amour et
l'Occident)
-
ce
dernier
surclassant
définitivement
tout
exégète
par
son
assimilation
de
la
mort
à
l'orgasme
suprême,
qui
est
jouissance
de
la
fusion
;
le
monde
lui
voue
une
admiration,
une
reconnaissance
universelles.
De la tiédeur
Curieusement
les
sentiments
que
nous
nous
portons
l'un
à
l'autre
Sylvie
Nerval
et
moi
en
cette
année
66
(de
Gaulle
regnante)
ne
se
manifestent
que
par
nos
défiances,
tant
nous
sommes
inadéquats
à
la
vie
commune,
le
mariage,
que
nous
venons
de
perpétrer
;
Sylvie
réclame
de
rester
seule
une
heure
avant
que
je
la
rejoigne
au
lit,
pour
jouir
à
l'aise
;
la
violence
de
ma
réaction
la
dissuade
;
mais
comme
elle
n'a
jamais
connu
d'autre
homme
avant
moi,
elle
obtient
que
je
la
confie
deux
défonceurs
asiatiques,
tandis
que
je
me
fais
plumer
(sans
passage
au
plumard)
par
deux
entraîneuses
suédoises.
Sylvie
Nerval
est
ensuite
revenue
me
rapporter,
au
petit
matin,
comment
cela
s'était
passé
:
mal.
Puis
nous
achevons
notre
séjour
nuptial
au-dessus
de
l'église
russe
de
Nice
;
hantons le Centre Hightower de
Cannes, fréquentons Michel, danseur à l'Opéra, mort en 93 sans
nous faire avertir. Michel accepte de se faire tirer le portrait, sur
un balcon dominant la mer. Il dit “Vous ne ressemblez pas aux
amoureux ; jamais un baiser dans le cou, jamais un mot gentil,
toujours des piques.” Je ne me rappelle plus comment nous vivions
cela. Crevant de malsaine honte mais épris sans doute - quarante
années passées en compagnie par pure névrose ? simplicité –
naïveté! - de la psychanalyse ! Force nous est d'appeler cela
“amour”, car nos parents sont morts, bien morts ; je revois cet
angle sombre du Jardin Public, ce banc sous l'arbre d'où l'intense
circulation du Cours de Verdun tout proche dissuade les flâneurs.
Paradigme
des scènes de ménage. De ce qui revient à elle, à moi. Je suis un
homme, c'est marqué sur ma fiche d'Etat-civil ; donc c'est à moi de
raison garder, de former ma femme, et de ne pas donner dans les
chiffons rouges - or il n'en est aucun où je ne me
point rué ; même devant
témoins. Mais pourquoi vouloir aussi, et de façon obstinée, me
traîner à l'encontre de ma volonté explicitement exprimée. Le
féminisme, sans doute : l'homme doit céder. Deuxième cause de
scène : se voir soudain repris, tout à trac, brutalement, comme
lait sur le feu, pour un mot décrété de travers, une
plaisanterie prétendue de trop d'un coup, telle attitude
parfaitement involontaire - ne pas lui avoir
laissé placer un mot de toute une soirée par exemple ; avoir
désobligé négligemment telle ou telle connaissance dont je me
contrefous – bref c'est toute une typologie de la scène de ménage
qui serait à établir. Est-il vraiment indispensable de préciser
que tout s'achève immanquablement par ma défaite. Je cède aux
criailleries : c'est ma foi bien vrai que je suis un homme. Pas
tapette,
non,
ni
lopette,
mais
lavette
(“homme
mou,
veule,
sans
énergie”).
Ce
n'est
que
ces
jours-ci
que
je
me
suis
avisé
de
la
jouissance
que
j'éprouvais
à
céder
:
volupté
de
l'apaisement
;
d'avoir
fait
le
bonheur
de
l'autre,
de
m'être
sacrifié
fût-ce
au
prix
de
mes
propres
moelles
et
de
ma
dignité.
En dépit de notre constant
état de gêne matérielle, je savais cependant que là, juste
au-dessus de ma belle-mère, se vivaient nos plus belles années,
d'amour, de rêve et d'inefficacité – connaissance confuse
toutefois, plombée par d'obsédantes interrogations : savoir si je
n'étais-je pas plutôt en train de tout gâcher. Ce n'est que trente
ans plus tard que je puis parler d'un certain accomplissement ;
prétendre (à juste titre ? je ne le saurai jamais) n'avoir jamais
été autant maître du monde, aussi bien qu'au faîte exact de la
plus totale impuissance... Mes déplorations, mes doutes et mes
angoisses, ne peuvent pas, ne pourront jamais se flanquer à la
poubelle, comme ça, hop, par la grâce et le hasard divins d'une
tardive et tarabiscotée prise de conscience.
Il est étrange qu'on puisse
ainsi s'accomplir tout en se prenant pour une merde onze années
durant. Je me souviens très bien, moi, qu'il n'y avait-il
strictement aucun moyen d'obtenir la moindre concession de la part de
Sylvie Nerval, qui décidait de tout, de rigoureusement tout. Facile
de se moquer à celui qui n'est pas dans la merde jusqu'au cou.
L'autorité sur sa femme était pour moi le comble de la déchéance
machiste, le dernier degré de ce que l'on peut imaginer de plus
méprisable. Je fonctionnais, nous fonctionnions ainsi. J'ai bousillé
mon couple et mon propre respect au nom d'une idéologie qui a mené
à cette ignoble guerre des sexes à présent déchaînée, où la
moindre érection non désirée sera bientôt passible des tribunaux.
Pour
ne
parler
que
du
point
de
vue
financier,
je
me
souviens
parfaitement
du
départ
de
cette
étroite
dépendance
;
il
s'agissait
(et
j'en
fus
désolé,
pressentant
que
la
toute
première
défection
préfigurant
toutes
les
d'autres)
(j'escomptais
donc
une
totale
absence
de
scènes
pour
notre
vie
conjugale)
– d'une
statuette
de
cornaline
rouge
représentant
Çiva
sur
un
pied,
inscrit
dans
la
circonférence
des
mondes
:
quatre-vingts
huit
francs,
une
somme
en
1966.
Je
dus
capituler
:
“Mon
père
nous
dépannera”.
Imparable.
Je m'étais pourtant
bien marié, que je susse, pour affirmer notre indépendance ; non
pour passer d'une famille à l'autre.
Encore eût-il fallu que mon
épouse, pour cette indépendance, se mît au travail, j'entends le
vrai travail, celui qui fait chier, mais qui permet de manger.
Quarante ans plus tard, nous payons encore cette pétition de
principe d'un autre âge (“une femme ne doit point
travailler”)(“[elle]affirme qu'elle n'est pas du tout féministe,
elle dit qu'elle veut des enfants, un mari qui puisse
lui permettre de ne
pas travailler”) (Filles
de mai, Le
Bord
de
l'Eau
2004)
- voilà
qui
à
la
lettre
me
répugne.
De
ma
femme
et
de
moi
j'étais
bien
en
effet
le
plus
féministe.
Mon
médecin
de
beau-père,
lui,
avait
interdit
à
sa
femme
de
chercher
du
travail
:
“De
quoi
aurais-je
l'air
?”
D'un
pauvre,
Docteur,
d'un
pauvre...
Ma retraite à présent
suffit tout juste à vivre dans la gêne - “comment”,
s'emporte-t-on; “avec tout ce
que vous gagnez ?”
- l'argent est un sujet tabou en France, non pas tant en raison
de l'envie qu'on se porte les uns aux autres en ce charmant pays,
mais de cette propension des Français a toujours se croire autorisé
aux commentaires, les plus méprisants possible. mortifiants ; que
dis-je, il se fera un devoir de vous expliquer ce que vous devriez
faire.
Les Français sont
imbattables en effet pour gérer le budget des autres. Surtout
quand
l'autre
est
un
fonctionnaire.
Je
ne
suis
pas
un
démerdard,
moi.
J'ai-eu-ma-paye-à-la-fin-du-mois.
Je
n'ai
jamais
su
comment
gagner
le
moindre
centime
de
plus
que
ma
paye.
Partant
j'eusse
eu
bien
besoin
d'une
épouse
qui
travaillât,
parfaitement.
“L'amour
s'éteint”
dit
à
peu
près
Balzac
“dans
le
livre
de
compte
du
ménage.”
Il
dit
aussi
“La
vie
des
gens
sans
moyens
n'est
qu'un
long
refus
dans
un
long
délire”.
Nous
ne
pouvons
donc
envisager
d'acheter ni la moitié
de cette statuette, ni même le modèle au-dessous. “Mon père
payera”.
Nous ne pouvons pas davantage
habiter “à demi” hors de la maison héréditaire : “Et le
loyer ?”. Imparable, bis. Ma femme ne peut tout de même s'abaisser
à travailler pour payer un loyer, alors que le gîte nous est
offert. Quel bourreau je serais. La femme est victime, alors même
qu'elle vous victimise, justement par la raison même qu'elle vous
victimise : souvenons-nous, toutes proportions gardées, de ces
braves SS traumatisés par l'éprouvant métier d'expédier une balle
dans la nuque des juifs. A la limite de la dépression nerveuse. Le
pire en effet, quand je me fais anéantir, c'est que je proteste.
Au lieu de sourire. Et c'est
parce que je râle comme un putois que je suis agressif. Bien sûr il
y a eu des rémissions, du bonheur : jeunesse, amour, exaltation.
Illusion que les choses finiraient bien par s'arranger” . Il ne
s'agit pas ici de “se plaindre”, comme disent les je-sais-tout,
les psychologues de salon, ceux qui viennent insolemment vous corner
sous le nez leurs avis et commentaires sans que vous leur ayez
surtout rien demandé (et j'en connais ! mon Dieu ce que j'en connais
!) - mais d'expliquer – pas même : d'exposer. De raconter. De
faire mon petit numéro. Mon petit intéressant. C'est tout.
X
Evelyne, à dix ans, fut mon
premier amour. Blonde et pâle. Comme nous discutions à petit bruit
sur le perron, à trois ou quatre, elle s'est tournée vers moi pour
me tendre un coquillage de la taille d'un ongle : “Tiens, je ne
t'ai encore jamais rien donné. Je répondis que si ; qu'elle m'avait
déjà beaucoup donné. Ce fut la seule fois que j'eus de l'à
propos avec une fille. Nous nous sommes promenés main dans la main
derrière l'immeuble. Je me souviens – cela n'est-il pas étrange –
d'avoir convenu avec elle, en cas de mariage, que je commanderais les
jours pairs, et elle les jours impairs. “Tu auras l'avantage, grâce
aux mois de 31 jours.” Cela nous faisait rire.
Cela se passait chez mon
oncle, qui m'hébergeait pour les vacances. Il écrivit sur-le-champ
à mes parents que “c'[était] une honte”, qu' “à dix ans
[leur] fils a[vait] déjà une poule” .
Il m'inventait des exercices d'algèbre – voilà bien pour
aimer les maths ! - afin de m'empêcher de rejoindre Evelyne, et je
répétais à mi-voix en pissant dans la cuvette de H.L.M. (un luxe à
l'époque) : “Je t'aime, et rien ne pourra nous séparer”, juste
pour m'en souvenir plus tard. Retors, non ?
Et je m'en souviens encore.
Tonton m'a dit : “Elle est cloche, ton Evelyne ; attends que Marion
revienne de colonie, tu verras !” Une petite brune en effet,
piquante, jamais à court de répartie, qui se savait déjà admirée,
et qui commençait à se foutre de ma gueule ; je suis retourné
auprès de ma blonde. Je n'ai plus revu personne, vous pensez.
Curieux tout de même. Qui va commander
dans le ménage. Que ç'ait
été là ma première préoccupation. Ce
qui
fait
surtout
enrager,
d'après
Roland
Barthes,
c'est
quand
l'être
aimé
prétend
devoir
obéir
à
d'autres,
alors
qu'il
ne
vous
obéit
pas
à
vous,
qu'il
ne
tient
pas
compte
de
votre
souffrance
à
vous,
qui
valez
donc
moins
que
l'autre.
J'ai
vérifié
à
maintes
reprises
en
effet
que
la
façon
la
plus
efficace,
la
plus
cloue-le-bec,
de
se
soumettre
un
partenaire
récalcitrant
est
de
se
prétendre
soi-même
ligoté,
garrotté,
par
un
engagement,
de
préférence
professionnel,
une
promesse
antérieure,
auprès
d'une
autre
personne,
qu'il
importe
bien
plus
de
ne
pas
vexer
que
vous
-
est-ce ainsi vraiment
que l'on aime ?
auprès d'une belle-mère par exemple, bien efficace ; je la hais
à mort ; puis lorsqu'elle est morte, la pauvre -
rien
n'est
arrangé.
Dix
ans
de
perdus.
Et
toujours
la
faute
des
autres.
La
personne
aimée
se
réclamera
toujours
de
sa
propre
soumission,
de
“l'impossibilité
de
faire
autrement”,
pour
vous
soumettre
à
ce
que
vous
détestez
le
plus.
Je
connais
un
couple
de
cons,
dont
l'épouse
a
su
convaincre
le
mari
de
fréquenter
sa
sœur
(à
elle)
(il
faut
suivre).
Depuis
plus
de
quarante
ans
(c'est
irrémédiable
désormais)
le
Mari
Con
(en
espagnol
:
maricón ) se
trouve
contraint
de
fréquenter
la
belle-sœur,
chef-d'œuvre
de
ternitude
dépourvue
de
toute
conversation
dépassant
les
liens
de
famille,
et
le
beauf,
boursouflé
de
machisme,
de
racisme
et
d'homophobie
-
antichômeurs,
antifonctionnaires,
rien
ne
manque
à
la
panoplie.
...Quarante
ans
à
se
cogner
ces
spécimens
d'humanité
de
remplissage
et
leur
tribu,
à
tâcher
de
ne
pas
entendre
les
conversations
de
réveillon
(quarante
réveillons
!)
sur
la
flemme
respective
des
Viets
et
des
Bédouins
-
je
n'invente
rien.
Déménager
?
Rompre
?
avec
des
gens
si
sots
que
le
refus
de
l'un
entraînerait
nécessairement
l'éloignement
offusqué
de
l'autre
?
et
que
ferait-il,
ce
fameux
mari,
d'une
épouse
dépressive,
qui
l'agoniserait
de
reproches
muets
à
longueur
de
semaines,
jusqu'à
sombrer
dans
une
de
ces
dépressions
que
l'on
se
fait
à
soi-même,
et
qui
trouve
toujours
une
brochette
d'éminents
psychiatres
pour
la
confirmer
?
Autant
gagner
quelques
années
de
soins
intensifs,
et
accepter,
de
guerre
lasse,
que
dis-je,
avant
même
la
déclaration
d'une
de
ces
guerre
où
le
plus
malade
est
immanquablement
vainqueur
du
couple,
d'habiter
désormais
à
1500
mètres
de
distance
du
couple
honni
– qui
n'est
pas
si
mal,
voyons
!
voyons
!
à
la
longue
!
C'était bien la peine
d'en faire toute une
histoire ! - les
invitations
se
sont
raréfiées,
le
mari
y
a
mis
le
holà.
Mais
le
drame,
voyez-vous,
c'est
que
notre
héros
a
fini
par
se
sentir
à
l'aise
en
compagnie
de
son
ennemi,
en
vertu
du
proverbe
“à
force
de
se
faire
enculer,
on
y
prend
goût”,
mais
pis
encore,
par
des
affinités
secrètes.
C'est
pourquoi,
ayant
toujours
devant
les
yeux
cet
exemple
édifiant,
notre
homme
a
toujours
à
cœur,
bec
et
ongle,
de
ne
jamais
reprocher
à
quiconque
sa
faiblesse
de
caractère
;
on
est
mou,
comme
noir,
juif,
asiatique.
Si
ma
femme
est
attaquée
la
nuit,
que
je
me
sente
tout
soudain
(à
supposer)
tout
paralysé,
sans
aucune
possibilité
physique
de
casser
la
gueule
à
l'agresseur
-
quel
tribunal,
je
vous
le
demande,
osera
me
condamner
pour
non-assistance
à
personne
en
danger
?
(réponse
hélas
:
tous.)
Je
souhaite
par
conséquent
ne
jamais
être
dans
une
situation
où
je
devrais
faire
preuve
de
sang-froid,
de
virilité,
voire
de
simple
esprit
de
décision.
J'éprouve
toujours
la
plus
véhémente
rancœur
à
l'égard
de
ces
juges
qui
du
haut
de
leur
bite
en
barre
condamnent
timorés
et
trouillards
-
et
qu'auraient
donc
fait,
ces
lâches
?
“Il
faut
prendre
sur
soi”.
Connards
-
commencez
donc
par
cesser
de
fumer.Ce
que
j'ai
fait.
Et
de
boire.
Never explain, never
complain. Ne
pas
se
plaindre,
ne
pas
se
justifier
-
belle
devise
!
Mais
si
moi,
moi
j'ai
toujours
fait
l'un
et
l'autre,
avec
passion.
avec
conviction
?
Je
suis
un
con,
c'est
cela
?
Sans
rémission
?
Les autres, les maudits
autres, qui me disaient
: “Tu mets l'accessoire
avant l'essentiel.” “Il
ne
faut
pas
tenir
compte
des
autres”
pontifient
les
sages
autoproclamés,
individualistes
comme
tous
les
fameux
Tout-le-Monde
et
gros
pleins
de
couilles,
ceux
qui
vont
répétant
tout
ce
qui
traîne
dans
les
livres
de
morale
– soit
!
soit
!
mais
s'il
se
trouve
qu'ils
vous
cherchent,
les
autres
?
...qu'ils
viennent
d'eux-mêmes
vous
glapir
dans
le
nez
– sans
que
vous
leur
ayez
demandé
quoi
que
ce
soit
-
que
non,
vraiment,
vous
ne
faites
pas
ce
qu'il
faut
pour
leur
plaire,
et
ceci,
et
cela,
et
que
vous
êtes
un
véritable
scandale
public
?
tous
ces
petits
Zorro
de
quartier,
ces
Salomon
de
chef-lieu
de
canton
!
...faudra-t-il
vraiment
les
envoyer
chier
sans
relâche,
vivre
en
permanence
dans
la
polémique
et
l'engueulade
?
Les Autres. Les encensés
Autres. Les sacrosaints Autres. “Comment se faire des amis” :
rendez-vous compte, il y a même des ouvrages pour cela ! Dire que
le rapport au conjoint représente une application particulière du
rapport avec l'autre ! Hélas ! Céder pour être aimé !
...Qu'est-il d'ailleurs besoin d'être aimé. Incommensurable
faiblesse, ignoble défaite, révoltante prédestination - en être
réduit à réclamer des amis, des amours, comme un chien qui lèche
sa gamelle vide, qui pourlèche la main qui le bat ? J'ai cédé sur
tout. J'ai fréquenté des blaireaux, et j'y ai pris goût (quarante
ans de batailles tout de même) ; crêché d'avril 68 à juillet 78
au-dessus de chez ma belle-mère précisément parce que je n'offrais
pas, pour Sylvie, ou de quelque nom qu'il vous plaira de la nommer,
les garanties suffisantes de l'amour. Je prenais donc les autres à
témoin. J'ai toujours pris les autres à témoin. C'est pour cela
qu'ils venaient toujours me baver leur avis en pleine gueule.
Seulement
voilà
:
tes
malheurs
conjugaux...
tout
le
monde
s'en
fout.
Tout
juste
si
tu
rencontres,
une
fois
tous
les
dix
ans,
une
femelle
compatissante
qui
t'arracherait,
ô
combien
volontiers
!
à
cet
enfer
de
servitude
conjugale
-
à
condition
que
tu
passes,
bien
entendu,
sous
sa
domination
à
elle.
La
chose
est
évidente,
elle
va
de
soi
!
tout est de la
faute d'Eve.
Je
soupçonne
même
les
premiers
rédacteurs
de
la
Genèse
de
n'avoir
inventé
la
femme
que
pour
enfin
rejeter
sur
elle
toutes
ces
funestes
responsabilités
qui
nous
tuent
depuis
le
fond
des
âges.
Et
les
Autres
de
répéter
:
“Tu
confonds
l'accessoire
avec
l'essentiel”
-
c'était
déjà
beaucoup,
qu'ils
me
fournissent
cette
indication
;
puisqu'ils
s'en
foutaient
-
fallait-il
mon
Dieu
que
je
les
bassinasse...
Sylvie
Nerval
m'a
dit
récemment
:
“Tu me reproches
d'avoir façonné ta vie
– mais c'est que tu
ne m'as jamais rien
proposé d'autre.”
Rien
de
plus
exact.
Ce
qu'a
prédit
Jean-Flin
s'est
révélé
faux
:
je
ne
suis
pas
devenu
pédé
;
mais
par
une
absolue
dépréciation
de
ma
personne,
sans
imaginer
un
seul
instant
qu'une
imagination
de
moi
pût
avoir
la
moindre
valeur
ou
légitimité,
je
me
suis
mis,
de
mon
propre
chef,
sous
la
coupe,
sous
le
joug
bien-aimé
d'une
femme,
la
mienne.
Assurément,
ce
que
je
proposais,
dans
un
premier
temps,
n'était
rien
:
déménager
sans
trêve,
voyager,
changer
de
femme,
traîner
les
putes
après
la
sodomie,
et
boire.
Vous
voyez
bien
que
j'en
avais
un,
de
programme.
C'est
mon
cousin
qui
l'a
rempli
:
gaspillage de ses deux pensions à pinter, fumer, régaler
des clodos finalement trop soûls pour assister à son enterrement à
57 ans : cancer de l'œsophage. Mon grief
essentiel
?
l'immobilisme.
Un
immobilisme
féroce.
A
ne
jamais
avoir
coupé
le
cordon
ombilical.
Se
retrouver
dans
la
même
ville,
dans
les
mêmes
rues
qu'à
dix-neuf
ans.
A
se
demander
vraiment
à
quoi
ça
sert
d'avoir
vécu.
Puis
qu'on
est
toujours
là.
Puisqu'on
en
est
toujours
là.
Ma
mère
donnait
toujours
le
signal
du
départ
:
“Je
ne
veux
pas
rester
dans
une
maison
où
je
mourrai”.
Sylvie
Nerval
a
toujours
eu
beau
jeu
de
prétexter
que
je
voulais
imiter
ma
mère,
ce
qui
prouvait
mon
manque
de
maturité.
Je
lui
rétorquais
“Tu
nous
forces
à
demeurer
juste au-dessus
de
ta
mère
à
toi.”
Une
fois
par
jour
;
en
dix
ans,
3560
fois.
Ping,
pong.
Ping,
pong.
Renvoi
d'arguments,
d'ascenseurs.
Efficacité
néant.
Douze
ans
de
banlieue,
même
barre,
même
appartement.
Dix
à
Mérignac,
banlieue,
cette
fois
bordelaise.
En
attendant
plus.
Rien
n'y
a
fait
de
représenter
l'horrible,
la
funèbre,
la
gluante
et
engloutissante
chose
que
ce
sera
de
se
sentir
vieillir
et
décrépir
dans
ces
mêmes
espaces
étroits
où
déjà
nous
nous
heurtons
:
rien
ne
nous
décollera
plus.
Il
faut
vivre
comme
tu
penses,
mon
fils,
ou
tu
finiras
par
penser
comme
tu
vis.
Rien
qui
se
vérifie
plus
épouvantablement
que
cet
aphorisme
rebattu
(Rudyard
Kipling
?
Francis
Jammes?).
Je
me
suis
trois
fois
trahi.
Ces
bassesses
où
je
me
suis
vautré
constituaient
d'ailleurs,
jadis
!
-
les
aliments
indispensables
de
mon
énergie
à
tromper
ma
femme.
“Après
tout
ce
qu'elle
m'a
fait
?”
pensais-je,
et
j'enfonçais
ma
queue.
...Si j'avais tout accepté tout de suite ? Si je
n'avais pas lutté ? (puisque c'était pour rien...) (je m'évadais
par l'excellence de mon œuvre, sans rire !) - si j'avais cédé sur
tout - n'en aurais-je pas tiré malgré tout quelque bénéfice ?
Tout m'eût-il été accordé, et plus encore ? ...en compensation à
ma soumission, à mon amour extrême ?
J'en doute - à voir ce qui
se passe lorsqu'on renonce – partout - toujours... mais ...
alors... c'est que j'ai bien agi. Protestant, ergotant, souffrant
sans cesse. Fût-ce puérilement. Sinon je n'eusse été que l'ombre
de la reine ! ce sont plutôt les femmes, paraît-il, qui souffrent
de cela... Il m'a fallu bagarrer ferme afin d'arracher quelques
bribes de libertés, au pluriel. Jour après jour, minute après
minute de mon emploi du temps... Domicile imposé... Profession
toujours considérée avec la plus totale indifférence...
Eventualité d'un emploi pour elle repoussée avec la plus extrême
indignation, d'année en année - toujours un obstacle, toujours une
incompatibilité, toujours une impossibilité sur-le-champ exploitée
– c'est trop dur !
disait-elle – ben
et nous, alors ?
protestèrent
un
jour
mes
collègues
féminines.
...Celui
qui travaille, c'est l'homme. Difficile pour moi, aujourd'hui encore,
de prendre mes distances envers cette question, si simple à résoudre
pour autrui, qui me hantera jusqu'au bout. Mes griefs sont intacts. A
ce moment même où j'écris mon Histoire d'amour.
Combien
de
fois,
excédé
par
mes
geignardises,
les
autres
tous
en
chœur
ne
m'ont-ils
pas
crié
de
rompre
!
...Moi
j'ai cédé. A quoi
bon traîner après soi une femme récalcitrante, à quoi cela
sert-il d'être unis, si c'est pour vivre dans un perpétuel climat
de revendications, de récriminations, d'hostilité, pour la simple
raison qu'il convient de se conformer à “ce que doit être un
couple”, chapitre tant, paragraphe tant... Mon histoire d'amour
est la seule à traiter. Peut-être que j'ai honte d'avoir été
heureux de cette façon. Ou malheureux. Pourriez-vous
répéter la question. Rien
obtenu.
Adapté.
La
faculté
d'adaptation
est-elle
une
liberté
?
...”le
comble
de
la
liberté”
-
pardon
:
de
l'intelligence,
d'après
les
zoologues...
Il
m'est
donc
tout
à
fait
loisible
d'imaginer
que
c'est
en
raison
de
mon
exceptionnelle
intelligence
que
je
me
suis
le
mieux
adapté
en
milieu
défavorable...
Si
ça
peut
me
faire
plaisir...
J'ignore
si
nous
nous
aimons.
Si
nous
aurions
été
à
la
hauteur
de
nos
vies
rêvées.
Sylvie Nerval m'a fasciné.
Ma mythologie portait qu'il fallait se prosterner devant la Femme ;
ce n'est pas, semble-t-il, ce qu'elles attendent. Je pensais, moi,
qu'il fallait conquérir une femme. Comme une forteresse. C'était
dans les livres. Ça devait marcher. Au lieu de me faire valoir, de
frimer, je les suppliais. Ce qu'il ne faut jamais faire
(« supplie-t-on des montagnes ? »). Finalement on ne sait
rien du tout, de ce qu'il faut faire.
Je tombe amoureux sans
bouger, sans procédé, sur simple photo. L'une d'elle représente
deux jumelles l'une près de l'autre les yeux baissés, ineffable
communion récusant d'emblée toute connotation sexuelle. Sans nul
besoin de se toucher pour jouir ensemble, d'être. La deuxième
photographie renvoie au masculin : cinq jeunes gens très élégamment
mis, mannequins professionnels dont l'homosexualité se déduit
aisément ; mouvements suspendus, comme d'une conjuration, regards
francs, trop clairs ou par-dessous. Offre et dérobade, attirance et
réserve.
Les tiendrais-tu, les
battrais-tu, qu'ils ne révèleraient pas leur secret, dont ils sont
inconscients. Ou dépourvus. Le troisième cliché montre un Noir
vêtu d'un complet gris classique, d'un chic où je ne saurais
prétendre ; sa braguette entrouverte laisse passer un sexe au repos
d'un satiné prolongeant, incarnant charnellement la douceur du tissu
dont il est issu, organiquement désirable - à condition expresse
que ces trois photos désignées ne se meuvent pas, ne parlent pas.
Que tout demeure figé dans la bouche de l'œil , en éternité qui
ne fond pas.
C'est de photos, de
représentations, que je tombe amoureux, petitement,
imperceptiblement, par suspension de l'œil et du souffle, à portée
de mes mains et hors de ma vie (grain chaud, glacé, de la
pellicule). Mais rares sont les plus belles filles du monde qui sitôt
qu'elles ouvrent la bouche ne profèrent immédiatement quelque
irrémédiable rebuffade ; que l'image s'anime, s'épaississe de
mots, de sueurs, de gestes, elle sort à jamais de nos bras . Je
trouve aussi très doux de fixer dans le rétroviseur les traits des
conductrices qui me suivent, s'arrêtent au feu juste dans mon
sillage, se parlant à elles seules pâles et glabres comme un cul
sans se croire observées malgré nos convergences de regards au fond
de mon miroir.
Je
leur
dis
je
vous
aime
sans
tourner
si
peu
que
ce
soit
la
tête,
afin
que
mon
âge
ou
mes
adorations
ne
révèlent
rien
de
mon
ridicule.
Je
peux
enfin
fixer
la
première
qui
passe
et
pour
éviter
le
si
automatique
qu'est-ce qu'y m'veut
c'connard de
la
femme
moderne
- mon
procédé
consiste
à
ravaler,
à
l'intérieur
de
ma
paupière
sur
fond
de
muqueuse
ardente
(capote
interne
des
où
se
projettent
les
persistances
rétiniennes)
trois
secondes
de
vision
si
je
maintiens
les
yeux
fermés,
éphémère
image
d'amour
entraperçu.
Je
m'arrête
alors
prenant
garde
de
n'être
point
heurté,
murmure
à
ma
vision
des
mots
tendres,
lui
proposant
des
pratiques
précises,
juste
avant
qu'elle
s'efface.
¨Plaisir
de
puceau,
je
sais.
Dans
ces
fugitives
fixations
subsiste
ainsi
que
sur
photo
l'en
deçà
de
l'émoi,
premier
pincement
de
cœur
éternel.
X
Ce mois dernier soixantième
année de mon âge enfin s'est découverte à moi - révoltante
particularité (désespérante caractéristique) de ces apocalypses
de la vieillesse, d'intervenir toujours aux temps précis où ils
deviennent inopérants – la clef de l'obsédante compulsion dont je
suis victime : il faut nécessairement qu'une femme prétendant
m'attirer (elle n'en peut mais) souffre, soit en difficulté,
mélancolique, languissante – dolente – au plus éloigné
possible de ces copines actives, musclées, halées, “battantes”,
que je ne puis admirer ni aimer en aucune façon.
Il
me
faut
chez
elles
des
virtualités
d'attendrissements,d'apitoiements
sur
elle
et
sur
moi
-
jusqu'au
beaux
désespoirs,
aux
larmes
à
l'aspect
du
néant
– juste
effleurés.
Que
me
font
à
moi
ces
beautés
rayonnantes
?
qu'importe
en
effet
à
ces
femmes
que
je
les
aime
ou
non
?
si
c'est
elle
qui
m'aime,
sans
que
j'y
réponde
(à
supposer),
n'aura-t-elle
pas
tout
loisir
de
se
consoler
?
Qui
plaindra
ces
femmes
éclatantes
?
Nous
n'avons
pas
appris
encore
à
aimer
une
femme
semblable,
un copain avec des
nichons comme
dit
le
comique.
Il
m'en
faut
une
à
compléter,
qui
me
complète.
Construite
comme
moi
autour
d'une
faille.
A
consoler,
à
protéger
-
protéger : voilà
le
grand
mot
lâché,
fécond
en
sarcasmes
:
“Nous
n'avons
pas
besoin
d'être
protégées
!”
ou
“Retourne
chez
ta
mère
!”
-
mais
une
femme
que
je
caresse
et
que
je
berce.
Compatissants
tous
deux,
aux
premiers
et
seconds
degrés,
même
si
tout
paraît
frelaté,
sans
que
nul
autre
le
sache.
Que
nous
retrouvions
joie
et
santé
l'un
par
l'autre.
Il
est
assez
désarçonnant
de
constater
que
nous
avons
Sylvie
Nerval
et
moi
suivi
ces
excellents
préceptes
de
la
façon
la
plus
involontairement
perverse
qui
soit,
puisque
jadis
(nous
comptons
désormais
par
dizaines
d'années)
pour
peu
que
l'un
d'entre
nous
fût
triste,
l'autre
brillait,
et
réciproquement
:
jamais
nous
n'étions
d'humeur
égale
;
Sylvie
Nerval
étant
joyeuse
et
près
d'agir,
je
ne
manquais
jamais
de
lui
représenter
tous
les
obstacles
jusqu'à
ce
qu'elle
se
fût
assombrie,
pour
offrir
à
nouveau
ma
culpabilité.
Dilapider
ainsi
dans
ces
manèges
tant
d'années
communes,
gâcher
si
sottement,
si
vainement,
nos
énergies
– ainsi
soustraites
à
la
véritable
action
de
la
vie
véritable
extérieure
– quelle
énigme
!
...nous
aurions
donc
préféré
parcourir,
piétiner
en
rond
ce
vieux
manège
?
Je
devrais
bien
désespérer
de
cette
prise
de
conscience
si
tardive.
C'est
donc
cela
qu'on
appelle
“sagesse”.
Apprendre
enfin
ce
qu'il
eût
fallu
faire
(pour
dominer
[c'est
un
exemple]
sans
l'être
?
car
la
douleur
de
l'autre
te
domine.
Autre
découverte
de
ce
dernier
mois
:
ne
jamais
désirer
la
femme
désirée.
La
regarder
simplement
dans
les
yeux.
Avec
la
plus
totale
indifférence
(et
ce
que
l'on
feint
devient
si
vite
ce
que
l'on
est).
Comme
si
tu
n'avais
pas
de
femme
devant
toi,
que
non,
décidément,
la
différence
sexuelle,
tu
ne
la
voyais
pas
-
une
femme
!
qu'est-ce
donc
?
-
rien
ne
délecte
plus
la
femme
de
n'être
considérée
que
pour
leurs
charmes
d'esprit
– pas
même
:
une
fois
dévêtues
de
leurs
caractéristiques
sexuelles
;
une
bonne
fois
évacué
le
sexe.
Cette chiennerie, dit
la
fille
Gaudu
dans
le
Bonheur des Dames. La
bonne
camaraderie.
Soutiens
sans
faillir
le
regard
franc
de
la
vierge
:
tu
vois,
là,
c'est
l'amitié
qui
s'installe.
Pour moi c'en restait là.
Quant à pouvoir un jour montrer son désir, dévoiler sa
vulnérabilité, sans courbettes de chien savant, ou battu – quelle
paire de manches ! ...il paraît que cela se peut. Je l'ai lu dans
les livres. Vu au cinéma. Le peu que je sais, c'est que les femmes
apprécient beaucoup le naturel en effet – tant qu'il ne s'agit pas
de sexe. Telle est mon expérience. (Et comme le double jeu des
femmes n'a jamais manifesté le moindre signe d'essoufflement, il est
non moins évident que la moindre lueur d'hésitation ou de doute au
fond de votre œil vous vaudra les sarcasmes les plus vils –
passons) - je ne puis en vérité me résoudre à ces nouveaux
usages égalitaires, de regarder d'abord une femme dans les yeux
“comme un pote”.
Ce marchepied d'égalité
n'est pas moins ardu à franchir en définitive que les codes
ancestraux de pudeur, d'atermoiements, voire de bigoterie. Que celle
que j'aime puisse me retenir sur la pente des petits abîmes.
Femme-nounours, petite fille, juste le petit chagrin, gonflable et
dégonflable à volonté. Sylvie
m'est
tombée
dans
les
bras
pleurant
sur
elle-même,
et
j'ai
fait
de
même.
Victoire
!
Défaite
!
Consolation
mutuelle.
Persuasion
de
la
femme
désirée
(dont
on
désire
l'amour)
sur
la
base
malsaine
de
sa
faiblesse.
Pitié
réciproque
dont
on
dit
tant
de
mal,
qui
paraît-il
rabaisse
qui
l'éprouve
et
qui
la
reçoit.
Puis
jouer
le
consolateur
afin
de
récolter
le
fruit.
Faire
à
son
tour
la
victime,
profondément
lésée
par
une
protection
si
coûteuse.
De
ce
double
système
de
bascule
entre
protecteur
et
obligé
déduire
un
double
système
de
culpabilités
mutuelles.
Indissoluble
et
sans
recours.
Une
femme
plaintive
et
consolatrice
à
qui
j'aie
pu
me
plaindre,
tels
furent
notre
pain
béni
et
nos
abandons
(rouler
dans
la
boue,
jouir
de
la
boue).
Malsainement
hululer
de
concert,
s'engloutir
dans
nos
trous
;
ainsi
jouissent
les
enfants
insuffisamment
consolés.
Dont
la
mère
fut
la
plus
à
plaindre
de
toutes
soit
chez
sa
propre
mère
la
plus
grande
obscénité.
Alternons
par
conséquent
l'admiration,
la
protection,
la
soumission
-
l'attendrissement
sur
les
sots
gâchis,
le
plaisir
des
doubles
faiblesses
et
des
éternels
inaccomplissements.
Or
nous
avons
bien
lu,
distinctement,
chez
Goncourt,
que
la
conscience
de
sa
supériorité
jointe
à
l'attendrissement
que
l'on
éprouve
face
à
l'injustice
ouvre
une
voie
royale
à
la
folie.
S'ensuivent
en
effet
de
lancinantes
lamentations,
renforcées
car
mutuelles,
sur
soi,
sur
l'autre,
la
première
injustice
ou
folie
consistant
bien
sûr
en
cette
liaison
que
nous
avons
eue
avec
celle,
ou
celui,
qui
ne
saurait
s'approcher
de
la
perfection.
D'où
tentation
pérenne
de
désigner
l'autre
ou
soi-même
à
l'accusation
de
bouc
émissaire.
La
promiscuité,
le
fusionnisme,
aiguisant
chaque
trait.
X
Corollaire
Une
telle
disposition
du
couple
s'apparente
à
l'adoration
de
la
femme-enfant ou
plus
précisément
du
double-enfant. Rien
de
plus
exaspérant
– d'autant
plus
attachant,
d'autant
plus
ligotant
-
que
ces
agaceries,
sautes
d'humeurs,
fantasqueries,
rien
de
plus
fascinant
que
ces
narcissismes
croisés,
ces
échos
toujours
malvenus.
X
Fascination, suite
. Une
blonde
n'ayant
pour
couvrir
son
intimité
sur
la
plage
d'étang
qu'un
tissu
effilé
sans
relief
sur
un
sexe
pressenti
lisse
et
glabre
générant
sur
moi
qui
lui
fais
face
une
fascination
bridée
par
ce
trop
plein
d'humains,
sa
vulve
à
trois
largeurs
de
mains
de
moi,
le
mari
à
deux
pas
lisant
sur
le
sable
et
l'enfant
gambadant
par
où
diable
passé,
sans
qu'il
fût
un
instant
possible
qu'elle
ne
m'eût
point
vu
-
absolue
suspension
du
souffle
et
du
sentiment,
la
pétrification
devant
le
vide
– sachant
que
s'étend
sous
ce
mince
pont
de
coton
blanc
un
sexe
véritable
exactement
configuré.
J'avais
retrouvé
ce
vertige
et
ce jeu de dupes
– autre
exemple
?
Ce
con
à
feuille
d'or
si
volontiers
conçu
plaqué
magnétisant
le
regard
de
cet
autre
assis
près
de
moi
(le
même)
qui
perdit
si
souvent
contenance
s'il
la
regardait
;
sous
tant
d'afféteries,
d'innocence
et
raffinement
mêlés,
la
vitalité
même
de
l'homme
se
dissolvant,
naufrageant
sous
les
yeux
de
cette
autre
femme
qui
l'accompagne
muette
égarée
réprobatrice
au
sein
d' ivrognes et d'aveugles, avec la volupté cuisante du
réprouvé.
Mon ami fusillé du regard et
d'une moue, indécelable à nul autre que lui - certaines figurines
féminines
ainsi,
sous
leur
feuille
d'or,
trouveraient-elles
matière
à
jouir
sans
y
toucher
de
tant
de
sang
et
de
semence
puisés
dans
la
candeur
grossière
de
l'homme
;
l'amour
que
j'ai
voué
à
Sylvie
Nerval
se
justifierait
alors,
dans
sa
forme
la
plus
archaïque,
par
cette
adoration
courtoise
de
la
femme
que
cette
dernière
à
présent
feindrait
de
rejeter
comme
fardeau,
paralysie,
ligotage,
aliénation
– sachant
ce
que
recèle
une
telle
malsaine
adoration).
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