MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE

COLLIGNON MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE
2061 01 10 CINQ HEURES 1



A cinq heures hier j'étais dans mon lit, après un laborieux trayage privé de jouissance, car il faut exercer sa prostate. Ce n'est qu'à neuf heures que j'ai émergé d'un lit fripé, les baveux en chetaille. Et puis très vite il a fallu vivre, faire lever mon indispensable compagne et la laisser retourner à la couche : mais la relever à onze heures, puis onze heures et demie, puis midi : le modèle pointant le bout de son nez à 14h 3. Alors ma foi j'ai tout haché pour elle, puisqu'il est décidé une fois pour toutes qu'elle me pèse, et que si j'en étais délivré je m'empresserais d'en retrouver une autre pour jouer le même éternel jeu. Bref, après débarrassage de l'étagère à pose, brossage du fauteuil Voltaire incrusté de poils de chat, sans oublier le coussin cale-fesses, nous nous sommes séparés, moi poussant de mon pied la voiture enrouée (la patinette à starter), Anne mettant la dernière main à ses installations.
Mon but si l'on peut dire (comment avoir ce but en effet) n'était que la rue et le "domaine" Clérambault, aux confins d'Eysines. J'y parvins non sans zigzags, et parcourus alors le plus neutre et terne assemblage de pavillons de banlieue. Des jardiniers déracinaient à grand bruit de vastes souches qu'ils déposaient dans le camion-benne avec une grue derrière une grille. Le "domaine" Clérambault, un peu plus loin, s'appelait désormais rue Magoui, prononcée "Magouille" par ses habitants. Dès le numéro 7, elle était barrée d'un petit mur. Dans ces parages logeait jadis un certain Joël, maigre et nerveux, avec sa femme champenoise et classée sotte automatique, pour avoir un jour proféré devant nous : "Dès que les enfants sont absents, j'en profite pour faire du repassage" – aussitôt cataloguée conne.
Nous n'avons plus revu ce couple, Joël me demanda par grâce de ne plus envoyer ma revue Singe Vert au siège de son travail, les collègues n'étant pas de taille à rigoler. Quod feci. Dans ce quartier se sont construits de hasardeux ensembles pavillonnaires dépourvus de tout attrait sauf par leurs proprios, qui hantent chacun leur Sam'Suffy. Peut-être la rue Maggesi se poursuivait-elle autre part, dans ce tronçon sans nom, au numéro 13, mais au quinze un charmant jeune homme depuis son sège jardinier a rappelé son chien ; si j'étais revenu sous mes pas, j'aurais eu l'air de draguer l'homme. Ces comédies constituent toute une vie. Voyez Sénèque : il retranche de l'existence tous les instants que nous en avons perdus – mais enlève à BB ses seins, son cul, sa bouche et sa coiffure, et que restera-t-il ?
Ces occupations vaines, cette baise, ces intrigues, ces carrières politiques et littéraires, sont la substance même de la vie. Vais-je renier les moments où je suis allé chier ? Ces nécessités, ces
comédies que l'on se joue, sont aussi bien parties constituantes de nos vies. "Il se la joue", disait mon philosophe de poche ; certes, Lazare, mais s'il y croit ? S'ils y croient tous ? Lazare ne put répondre que par un geste d'impuissance, il était parvenu, comme si souvent, au terme indépassable de son raisonnement... Ma prise de billet pour la lointaine Angoulême fit également partie de ma vie, où je me vois en grand voyageur, fuyant le quotidien la main sur le front pour méditer au sein des vastes métropoles du bout du monde (une heure de train !), et c'est cela ma vie. Je voulais dire aussi combien je feins de m'esclaffer en recevant un mot de refus des Editions Machintralalouère : mon "intérêt littéraire n'est pas suffisamment affirmé" : ô sublîmes crétins ! ne voyez-vous pas que Mes Enflures se contrefoutent de votre qualité "littéraire", quand il voit tant de médiocres à la Ferrari, à la Jérusalmy, hanter les grandes et petites collections ?
Qu'il nous suffirait largement de parader sur les estrades avec les autres médiocres et gonflés du bulbe, sous les projecteurs ? Que j'en suis viscéralement incapable, tant je les trouve odieux, ridicules, conviviaux et cooptés ? Les dédaignons-nous, le feignons-nous, ou feignons-nous de feindre ? À relire lentement. Cela ne servirait de rien de leur répondre. Mais si je trouve leur adresse électronique... "Je bouffe à tous les râteliers, y compris à celui que je me suis accroché au cul". Réponse de Françoise : "Soupir..." Ainsi passe la vie, de la scène aux coulisses, sans frontières nettes. Nous sommes des milliers à le dire, mais j'emmerde les milliers.
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"TELEVISION" 2061 01 29 3



Voilà. C'était la vie. Une femme américaine, une tenture bleue, un lit qu'on fait. J'aurais vécu ainsi avec la fille Verlaisne : en papa gâteau. Je vois une autre femme à son volant, des camions sur une route à l'aube, une femme encore et qui mange. Moi, c'est Roger. Et vous ? Êtes-vous mariée ? - Depuis 30 ans. Jamais pour moi je n'aurais vécu cela. Jamais abordé. Les femmes me paniquent. Des avances. Nos rapports auraient pu être si simples. Si je n'avais pas été aussi... aussi... A présent, des gens qui s'agitent, qui téléphonent en pleine nuit, qui prennent des initiatives. Les gens : ces humains si exceptionnels. "Aide-moi !" L'homme est amoureux d'une pute. C'est très cher. Elle revient.
J'aurais aimé que ça m'arrive. Avoir la confiance d'une pute. Et un gros chien. Il la dorlote. Il dorloterait un chen semblable. C'est émouvant de voir tant de femmes déchirantes, à qui toujours il arrive quelque chose, derrière les fenêtres, dans des couloirs, à l'extérieur californien et tiède. Qui sortent la nuit, en blanc, en chemise, dans un jardin. Si une caméra se posait sur moi, ma vie en serait exaltée, transformée en intrigue : Tu me brises le cœur. La femme se recouche ; moi aussi, j'ai une vie passionnante. Fim interdit aux moins de 10 ans. On dirait que tu es fâché contre moi. Calme-toi. Elle se rassoit. Chaussures jaunes et pieds en dedans. Quelle force, chez ce sexe, de ne pas se livrer à ses émotions. De tout rentrer. D'éprouver tout de même, mais de rentrer. Je suis là.
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2061 02 25 SIX HEURES



A six heures, la gaule et l'envie de pisser, c'est ainsi pour les mecs, sans compter le chat qui miaule : bouffe, ou pipi-caca ? Le ton est donné. Le ton est passé : si je me faisais ma séance de voyeurisme ? Sans qu'onb le sache. Aujourd'hui, je tape "gouines", site 2. Une fille sensationnelle, une autre rasée à cheveux rouges, lesbienne jusqu'au bout des ongles. Elle se font des tendresses, j'avance le curseur. Passons aux choses sérieuses : mais je détestes les grandes ou petites lèvres fixées par des piercings, les langues transpercée de piercings, comment peut-on jouir avec de telles entraves ? Elles se lèchent, alternent savamment la langue et la main, jamais très longtemps à chaque fois.
Les expressions de ravissement me ravissent, la brune exhibe une grande variété de contentements, surtout quand on la lui tapote du plat de la main, mais les culottes ne sont jamais enlevées, juste écartées de côté, cela bride. Et lorsqu'elles terminent, aucune d'entre elles n'est parvenue à la jouissance, car leurs mouvements sont toujours restés modérés. Rien de ces empoignades furieuses et saccadées dont j'ai pu jouir sur des vidéos de branlettes : il y a des femmes championnes de vitesse au poing. Je m'en repasse donc, retournant à mes anciennes amours, mais on frappe à ma vitre, car mon inévitable épouse m'invite à déjeuner. N'en parlons plus !
Mais hier, aux contrées lointaines de la veille, que faisais-je ? C'était un mardi, tout s'estompe. Je suis allé chez Knesset, avec ma petite bagnole de Mickey. J'espérais de fortes privautés, capotes en poche ; mais le légitime était là, dormant à l'étage supérieur. "Tu veux le voir ?" Dieu m'en garde. Cet homme m'intimide de respect. Il était DRH, Directeur des Ressources Humaines. Je le sais très chic, très complet, très sensible. Mais il ne serait pas question de l'inviter ici chez moi. Ce serait commettre une grossière faute de mélange des genres. Il refuserait d'ailleurs, voire vertement. Alors, Knesset et moi, nous nous sommes justes embrassés, par-dessus la grippe. Enfin une de ces affections hivernales qu'on ne sait comment appeler. Sur la table un bataillon rangé de petits flacons verticaux serrés les uns contre les autres comme des gratte-ciel miniatures. Une odeur de malade confiné. Un double vrai café, et mon bavardage commence. Tout y repasse, sans cessre, comme sur un manège : nos relations, mon ménage, les saloperies du premier époux qui flanque la vérole à sa femme alors qu'elle vient d'avorter. "Il s'est pris une abaillée" du médecin : une aboyade je suppose, en charentais. C'est lui qui ne voulait pas de gosses. Il me fait croire que c'est elle. Je m'en fous. J'accueille les confidences avec trente-sept ans de retard, ainsiqu'avec indifférence – il suffit d'afficher un grand intérêt, et la partenaire en rajoute, flattée. Puis à force de se concentrer, ou de s'y consacrer, les confidences les plus rebattues deviennent un réconfort, car ma nature – et la vôtre ? - est de détruire en pleurant et rageant tout ce qui passe à ma portée, comme un bébé de vingt mois. Sans un combat permanent, j'y retomberais à devenir fou. J'entends vraiment fou, avec des neuroleptiques et des portes fermées. Nous montons donc elle et moi dans son bureau qui fait chambre, afin que je transfère sur son disque dur mes cours de philosophie de Michel Onfray, enregistrés en public en ville de Caen je suppose.
En 57 paraissait un ouvrage démolissant Freud, taxé absurdement d'antisémitisme. En 52, année de ses "cours populaires", Onfray n'avait pas encore été gâté, au sens où l'on dit "dent gâtée". Mais il avait déjà zappé Platon ; ce qui me plaisait au-delà de toute espérance...
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2061 06 21 SEPT HEURES 6



Sikonomè, plinomè, dynomè : je me réveille, je me lave, je m'habile – voilà le Mané, Thécel, Pharès de mes journées. Tout y est déjà emballé, pesé, divisé. C'était un vendredi, de temps beau et lourd. Et plus rien n'en reste. Il a fallu se justifier de vivre, comme je fais chaque matin. Flairer les gants de toilette pour témoigner de leur propreté. Supporter les longs réveils marécageux de ma moitié, que j'aime plus que je ne crois. Et jusqu'à seize heures, travailler à des choses qui ne seront plus. Enfin seize heures vinrent, et je dus m'enfourner dans un bus. 25 minutes planté au soleil à lire, après avoir passé de mortelles minutes à peindre un grand volet en bleu grec.
Belle chose que les trajets en bus. Je ne cède pas ma place aux femmes, estimant suffisant qu'elles aient de la beauté : l'une d'elle acusait ses plus de soixante ans, avec une peau dorée comme une croûte à pain. Blonde platinée, grande bouche et poitrine discrète. Près d'elle sa fille assurément, noire de cheveux, noire de lunettes, avec une grande resseblance de bouche. Des liens afectueux les rassemblait, malgré leurs coquetteries respectives. On se parlait beaucoup dans ce bus-là : une sexagénaire à dents proéminentes expliquait à deux Noires qui n'en pouvaient mais ses goûts culinaires et la répercussion qu'ils avaient sur ses digestions, comme si c'eût été la chose la plus intéressante du monde.
Et le chemin roulant se prolongea, cahin-caha, non sans l'appel de ma douce et tendre, qui s'informait de l'état de ma progression. Mon grand plaisir dans ce cas est de jargonner un mélange de auvais boche et de mauvais hébreu, comme si c'était la chose la plus intéressente au monde. En descendant, la mère blonde et la fille brune échangèrent une phrase ou deux en mauvais espagnol, pour bien montrer qu'elle aussi, ma foi, valaient le détour d'originalité. Pendant ce temps je lisais. Je lisais si bien Les gens heureux lisent et boivent du café que je manquai ma correspondance et descendis "Bourse du travail" : correspondance pour la ligne 4 ? je l'ai cherchée sous le cagnard, en aval, en amont, en vain, en trente.
S'ensuivit une marche bien rude vers le cours d'Albret, soleil, poids du paquet, arrêt, attente encore, des gens, des gens. Cela prit encore du temps. Parvenu à l'arrêt Lewis Brown à 17h 43 (départ à 16h), j'imaginai d'utiliser ce petit laps à sa mémère pour poster mes atroces Singes Verts, plus un mnuscrit aux éditions de l'Olivier, qui ne publient absolument pas de recueils de rubriques radiophoniques : mais il faut bien faire marcher le commerce ! Et l'émisison commença, sans retour de casque, avec maints cafouillages : disques annoncés qui ne partent pas, titres remplacés par d'autres. La décision de rester un enfant se paye par une éternelle inefficacité, une éternelle incompétence : "Tu n'as toujours rien appris en plus de vingt ans de radio ?" Rien, mon ami : m'y connaître "en technique" me semblerait de la plus parfaite platitude, de nature à ternir mon bel esprit d'enfant tout neuf. Comment y remédier ? En habillant mes défaillances de bouffonneries verbales, ainsi que j'ai toujours fait. Didier Mailleu, disque 6, ne marchait pas : tant mieux ! Indochine s'était pourvu d'un remixage poétique pour Trois nuits par semaine, un merveilleux mélange de Philip Glas et de Manset : quelle excellente surprise ! Et j'ai lu tout mon baratin sur Lourdes, de Zola, en articulant bien, en variant les tons mais sans trop, en diminuant la place de mes propres élucubrations, celles que je signe de mon nom dans Le singe vert.
Le retour s'effectua mieux, comme s'ils 'agissait etc. Deux sœurs affectueuses ou gouines se battaient à coups d'avant-bras sensuels, effleurant leurs seins et leurs hanches : égarées par le désir, exhibitionnistes, comme si c'eût été. Je lisais. Changement à Gambetta. Je lis toujours. Et puis, rue Judaïque, autre sonnerie de téléphone : David me demande de descendre immédiatement, il vient me chercher avec ma propre voiture qu'il a enfin et pour la nième fois réparée. Cela prolongera mon supplice voyageatif. Mais quel plaisir n'aura-t-il pas de me démontrer que mécaniquement, cette fois, tout va bien...
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2061 08 07 HUIT HEURES 8



A huit heures, nous sommes levés depuis longtemps : il arrive que ce soit avant six heures. On enterre mon beau-père aujurd'hui : c'est pourquoi ma femme Arielle n'a pu se rendormir comme elle le fait au petit matin. Nous n'éprouvons pas extérieurement de grande tristesse : cet homme nous a laissés tomber 22 ans durant, malgré nos tentatives de réconciliation. Il répétait "Non... Non..." à l'arrière du téléphone quand nous contactions sa nouvelle épouse. Je suis allé ler voir avec fes fleurs pour son 89e anniversaire. Comme j'appelais ma femme au téléphone pour qu'elle me rejoigne, il vint me trouver sur le balcon pour m'enjoindre de ne pas le faire, car il n'était "pas encore prêt".
J'ai donc pris le repas avec sa nouvelle épouse et leur fils de 32 ans. Arielle m'en a voulu pour cela. Mais il ne sert à rien de rappeler cela : nous le mettons en terre aujourd'hui. Le fils a rejoint le père décéde depuis très longtemps. Nous sommes allés chercher Java notre amie, qui s'était mise en demi-deuil, car elle ne l'avait vu qu'un petit nombre de fois, et la dernière, de façon quelque peu mouvementée. Ces circonstances passées doivent entrer en ligne de compte quand l'assistance entend sans broncher le curé, à voix trop forte, proclamer sans bien s'y connaître que nous devons penser aux bonnes actions qu'il a pu accomplir : en tant que médecin, assurément. Mais en son privé, on cherche encore.
Le curé, après son sermon en langue de bois ecclésiastique, ôta la petite lumière à la tête diu cercueil pour aller la poser aux pieds de la Vierge. Le plus pénible de toute la cérémonie furent les cantiques dont le refrain devait se reprendre en chœur par l'assistance, comme nous y invitait une vieille chrétienne sincère et desséchée de sa voix haut perchée. Nous l'avons fait, par solidarité. Lorsque le cercueil fut remporté, tout se passa gymnastiquement : ce sont des gestes répétés, par des professionnels sans affects, pour ne pas devenir fous. L'un d'eux reçoit les cent kilos sur le bassin, puis deux se glissent vivement par-dessous tandis qu'il grimace, et le poids se trouve enfin réparti sur les quatre épaules.
A l'aller, nos croquemorts exécutaient un ballet circulaire en chaloupant du cul, ce qui est peut-être nécessaire pour éviter tout déséquilibre. Françoise était une petite chose dévastée. Elle allait de groupe en groupe, et je n'ai pu l'embrasser personnellement que plus tard, ce dont elle m'a bien remercié, j'ai senti ses larmes sur mes lèvres. Ses deux fils, alternativement, la tenaient aux épaules. Nous sommes partis en voiture, vers le cimetière du Bouscat (et non de Bruges) : c'est Jacques et Muriel, venus spécialement de Sore, qui sont passés devant nous pour nous guider. Ils se sont levés à 5h pour nous rejoindre depuis Sore, dans les Landes. Leur retour en grâce est depuis longtemps engagé, car ce sont les seuls à nous être demeurés fidèles en dépit des comportements bizarres de votre serviteur. Et puis nous avons marché dans l'allée sous un soleil de plomb, qui est aussi un vrai temps d'enterrement. Les deux fossoyeurs ouvraient à la bêche et au fossoir, qui est une fourche à larges dents, utilisée aussi pour fouir entre les rangs de vigne. Le cercueil fut enfourné tête vers nous, ce qui m'étonna : je pensais que les morts nous regardaient, or, leurs têtes sont à l'envers par rapport au visiteur.
Ma réflexion fut jugée déplacée par Christophe, mais il est très énervée en ce moment : soucis pneumologiques et sevrage de tabac. Il nous taraude avec son souci de la famille, bien nouveau puisqu'il ne voit ma femme qu'une fois par an. Il insista auprès d'elle pour que nous fussions invités par Stéfan, fils du défunt, mais celui-ci fit répondre que c'était une "réunion de famille", entendez celle de la mère. Christophe pestait encore en repartant, parce que nous n'avions pas "le sens de la famille". Pourtant, il est bien la preuve, lui-même, qu'il n'y a pas pire sac de nœuds que cette institution, que nous avons toujours traitée avec éloignement, et même des pincettes : le mot même fut pourvu de guillemets sur notre livret de "famille".
Nous n'avons pas consulté le livre des signataires, que les assisants avaient signé sur le seuil de l'église. Françoise a dit "Au revoir mon Nanou", tout doucement, et encore "Au revoir" en quittant la tombe : alors ses fils l'ont doucement raisonnée, puis elle est repartie avec eux, chétive et noire. Après cela, nous avons raccompagné Java qui nous a offert du café et de la citronnade, andis que nous taquinions le chaton. Et j'ai proposé mes services de 69 ans et demi afin d'aider le pauvre Max qui s'est fait vider de son appartement, mais pour en retrouver un plus grand. De retour ici, repos, repas, diverses occupations dites "littéraires", et petite expédition vers Cultura : notre occasion de dépense.
Arielle a reposé un Carpeaux, malgré la beauté de l'album ("Philoctète"), mais s'est fendue d'illustrés, Charlemagne, Aliénor d'Aquitaine tome II. Nous ne savons pas comment nous finirons le mois. Mais je pense que la suspension de parution sur papier du Singe Vert va dégager le budget. Le soir, Françoise, désormais veuve, a longuement téléphoné à mon épouse, car elle était seule chez elle, et se sentait atrocement désemparée. À noter que David n'a pu venir, car il ne s'agissait administrativement, n'est-ce pas, que de son arrière-grand-père...
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61 10 08 (07) NEUF HEURES 10



C'est à peu près l'heure où je me suis levé hier. Sikonomè, plinomè, dynomè. Le temps de lire vingt minutes d'Oracle, de Peyrefitte, je me mets en route pour rejoindre Hlène, que j'appellerai Léa. Elle est devenue très laide. De caractère, mais très laide. Une photo de ses cinquante ans la montre, bouche fendue en V excessivement fardée, l'air d'une vieille sorcière vénitienne à qui ne manque qu'une dent de moins sur le devant. J'aime bien parler avec elle. Je l'ai croisée dans les petites rues, cherchant une place pour le parking. Elle m'en indique une, elle paye mon stationnement, nous gagnons le café des Arts. En nos embrassant, je vise la bouche qu'elle détourne. Plus tard, elle me parlera de "l'amitié entre une femme et un homme". Décidément, elles sont toutes sur le même modèle. Djanem m'a déjà fait le coup. Elles voudraient supprimer l'érection. Mais quand elles se font fourrer sur une moquette, elles ont les genoux au niveau des oreilles et en redemandent. Les femmes sont connes. Les hommes aussi. Moi aussi. Je parle, je parle, c'est tout ce que je sais dire. Nous passons d'un sujet à l'autre, multipliant les incises et construisant une conversation vaille que vaille, cahin-caha, sans compter Abel. Il est question de bites automatiques, terme officiel de ces plots qui se redressent sous les voitures et les esquintent : mille euros de réparation, mieux vaut, pour ces fameux autres qui ont toujours par quel miracle des sous de côté, en mettre 3 ou 4 000 pour s'en payer une neuve.
Les sujets de conversations s'entrelacent, mais pas nous. C'est ce que l'on appelle "les joies du contact", social, s'entend. Nous nous marrons, autour de nos deux Pepsi. Hier au soir, Léa s'est bourrée, la voilà un peu rétablie. Le vent est un peu frais en plein air. Elle tire alors un appareil photo sans bruit de déclic, et me fait le portrait, ma fois très réussi. "Pourquoi es-tu triste ?" C'est que je ne sais plus quoi dire. C'est, lui dis-je, que finalement j'ai envie de pisser. Prenons congé. Je monte les marches en bois, une jambe raide, marche à marche, et pisse dans cette petite cabine d'urinoir visitée par des milliers de clients depuis avant-guerre. Et redescends de même. Parcours un Sud Ouest où figurent les entrées et sorties de l'Hermione, qui viendra nous visiter avant de partir pour l'Amérique, fac simile du vaisseau de Lafayette.
Le retour s'accompagne du traditionnel coup de téléphone d'Arielle, qui "veut savoir où j'en suis" : entre St-Ferdinand et la rue Ulysse Gaillon. Le feu rouge y est très long. Une fois arrivé, j'apprends ici une nouvelle excellente : un chèque de 98€ et des poussières payé sans barguigner par Muriel Guillot, qui reconnaît sa responsabilité dans la chute d'Arielle à son cabinet le 27 août. Ce petit mot accompagnateur consttue un aveu, si nous étions procéduriers en produisant ce texte devant un tribunal ou même auprès de notre assurance. Mais nous ne sommes pas de ces eaux-là et préférons toujours un bon arrangement à tous les mauvais procès. Arielle remerciera la dermatologue sitôt le café pris ; cette dernière, en consultation, se montre brève et allusive. Le chèque n'en sera pas moins posté le soir-même dans la boîte aux lettres de la Société Générale. Et j'aurai acheté 12 timbres verts équivalents aux rouges désormais. La journée vite passée me laisse le temps d'écrire mon texte sur L'Oracle, échange de répliques marivaudées entre une jeune Anglaise, Miss Anny Teacher, et Jean Guimard, tous deux férus de culture grecque et reensant les sources de Béotie.
Comme ils se sont déjà baisés, dans la fougue, il ne s'agit plus que de continuer à se plaire et à s'estimer. Chacun fait assaut d'érudition, assommerait le lecteur s'il n'était pas hellénophile et friand de ces multiples anecdotes mythologiques. Nous apprenons l'existence d'un Apollon des Mites, avec un i, et d'une nymphe dont il écrasa la source sous je ne sais quelles ruines ; d'une fontaine où Narcisse se mira, troublée par un importun troupeau de chèvres. D'une multitude de lieux divins, plusieurs par kilomètres : j'avais vu de l'autocar les ruines de Tiryhthe, où naquit Hercule ; mais je m'étais bien garde de les signaler au passagers de l'autocar, tous plus mufles et ignares les uns que les autres.
Zeus me préserve d'accomplir jamais un voyage de plus avec un groupe de connards, lyonnais ou caennais ou ce que l'on voudra. La guide si vantée n'avait-elle pas évoqué des "cochonneries" à propos de l'histoire sacrée d'Eééééédipe ? Quelle culture ! S'embrouiller dans les nombres latins, même remarque ! Enfin, qu'elle soit payée, c'est le principal. Je ne retournerai plus en Grèce. Je ne toucherai plus le tablier en tôle de l'Aurige de Delphes, car Peyrefitte parle de sa découverte : il était nu. Et l'on venait se frotter sur lui. Les hommes, bien entendu. Préparer une émission vous plonge pour la journée dans l'œuvre à commenter. M'étant levé tard de surcroît, je parviens à 17 et 18h sans avoir vraiment vécu, Léa m'ayant bouffé toute la fin de la matinée.
Le plus extraordinaire m'arrive pourtant à la fin de la journée : le film télévisé ne m'a pas plus, Blanche-Neige et le chasseur. Alors je me jette dedans, y participe de toute ma colère. J'applique ce que j'écrivais à Te-Ana, LA MORT EST MON ENNEMIE PERSONNELLE. Je me rends compte qu'enfin je suis parvenu à l'âge de septante, celui où mouraient la plupart des personnages célèbres que je récoltais dans le petit Larousse de mon enfance. "Chez moi, on meurt à 50 ans", disait Turgot, qui en fit 54. A présent je suis tout près, tout près de la mort. Ja la regarderai comme Blanche-Neige fixa le troll. Mais le troll, lui, a reculé. 62 05 27 XXX
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Hier à dix heures, qui étais-je, que faisais-je ? Voilà bien de l'insolence. Arielle était au lit, comme il advient en permanence. Et je travaillais à Dieu sait quelle sottise, cette Nox perpetua dont quinze lignes se perdirent, et que je dus recomposer, mais de façon très froide, toute différente de ma première version, et peut-être mieux. Il y était question d'un Noir, supérieur hiérarchique, entraînant mon épouse dans un tango acrobatique de haute volée. Je ne sais plus ce qu'il advint ensuite, et j'en déduis que les publications par blogs et par FaceBook enregistrèrent mon changement d'humeur : figurez-vous que chez mes deux amis, la peintre et le philosophe farouche, il me fut conseillé de reprendre de l hauteur dans mes commentaires.
Ma fois je me suis marrédu mieux que j'ai pu, au lieu de tonner en vain contre les abominables exactions du Moyen Orient, auxquelles je ne peux rien depuis mes pantoufles et mon bon bureau. Ensuite ce fur l'aller-retour à Pessac, afin de ramener ma fille et son fils ; le sieur Christophe, compagnon de la première et père du second, me reçut sur son canapé, d'où il échangea quelques considérations sur les djihadistes, mais où il distingua la séparation de la bande de Gaza effectuée par l'Egypte de celle effectuée par Israël. Cette distinction me semble spécieuse, mais qu'importe à ceux qui sont là-bas. Ici, ce qui importe, c'est ce lever de mon gendre donc, et ce raccompagnement à sa porte au moment de partir, ce qui est signe de considération pour moi, dont je suis bien aise : peut-être reviendra-t-il sur sa décision de ne plus nous recevoir à Noël, ma femme et moi, sous prétexte qu'elle fume et que lui, Christophe, souffre de trop de ponctions d'impôts.
Et voilà mon épouse bien embarrassée pour savoir en quelle compagnie nous passerions le réveillon de la Nativité, prête (et je l'en dissuade) à mendier de famille en famille l'honneur de nosu recevoir à sa table, alors que notre seule famille, qui nous refusarait, c'est notre fille, notre petit-fils et notre gendre par la main gauche. Ces réunions obligatoires me ravagent, et notre ami Max le philosophe et graphiste se fâche tout rouge à les évoquer seulement : il hait, avec raison, toutes ces simagrées noëllaires, et les fuit de toutes ses forces. Nous avons bien du mal avec notre vie sociale, du moins pour ce qui est de ma petite personne : même les visites dominicales de nos enfant et petit-enfant m'engendrent du malaise, tant je suis empêtré de vouloir à la fois faire plaisir et préserver mon autonomie.
Ce sont des calculs de minutes, et une méfiance totale de l'abandon au naturel, car ce dernier mènerait à brouille, du moins aux fâcheries. David me montre des vidéos de la dernière connerie, dont je ne comprends qu'il puisse encore s'enticher passé seize ans comme il l'a fait depuis neuf COLLIGNON MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE
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autres. Il me montre aussi la photo sur écran de sa nouvelle "petite amie", Anaïs, toute différente de l'ancienne, même si c'est sa cousine, et qui ne me plaît pas plus physiquement que la précédente, ce qui ne manquera pas de lui plaire s'il lit un jour ces lignes. Il n'a jamais eu la moindre rivalité à craindre de ma part !... Et puis nous avons parlé, partagé l'abondant goûter bourré de biscuits et de cacahuètes pralinées (à pleines poignées), ils sont repartis avec de beaux sacs-poubelles gonflés de vêtements du grand-père et arrière-grand-père mort, je suis revenu dans la nuit naissante, la radio de bord à fond.
Heureusement tout se tient et retombe sur ses pieds dans toutes les journées, même très chargées : l'on est encore vivant, l'on se remet de ses fatigues (bien-aimées), on lit encore, on télécharge Google Earth qui permettra d'errer plus ou moins, en images, à la surface de la terre, on parcourt des articles sur le marquis de Sade ou quelques paragraphes de préface (Résurrection de Tolstoï). On se recroqueville devant ses radiateurs, on écoute les informations dans mon petit bureau de bois (nous étant figuré que la télévision tombait en panne), puis la télé se rafistole (il suffit de tout débrancher, puis de tout rebrancher, ce qui contredit toutes les lois de la physique). Puis après une ultime rasade d'informations et de dance floor, le sujer pensant rejoint sa femme sous les couvertures, caresse le chat en le maintenant bien, le laisse s'éhapper vers où il veut. La nuit passe. Il est plus de huit heures du matin avant qu'on se réveille. Il ne faudra pas traîner, se laver sans beaucoup de savon devant le chauffage d'appoint prêté pour trois mois, supporter sa femme au petit-déjeuner. Alors éclate une crise : il faudrait, n'est-ce pas, que je demande au médecin, qui est une médecine, l'ordonnance d'un médicament, à renouveler, pour ma dite épouse. C'en est trop.
Je flanque une ridicule raclée à notre mobilier de jardin, celui de plastique, et qui ne fait pas trop de mal quand on le rosse. Voilà plusieurs fois que la vie conjugale me jette dans des rages folles. Faut-il que je me sois contraint pour éclater ainsi, contr les islamistes ou contre ma femme ? À qui je montrais encore hier soir des Indiens des Andes soufflant dans leurs flûtes de Pan ? C'est le mariage qui ne me convient pas, la vie commune, l'absence de voyages. Bientôt je respirerai seul dans les rues de La Rochelle. Pourquoi faut-il toujours que cette femme-ci me demande un service, même minime, sans cesse ajouté à un autre service ?
Sont-elles toutes comme cela ? Assurément non. Mais je suis arrivé à pied chez la doctoresse (dont le suffixe, Mesdames, n'a jamais été péjoratif) dans un état de vive agitation, au point de COLLIGNON MA VIE QUI N'INTERESSE PERSONNE
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n'avoir pu lire dans la salle d'attente, occupé plutôt à bien régler mon souffle afin de ne pas "venir faire l'orang-outang" dans le cabinet médical. D'abord, renouveler la Sertraline, qui m'atténue mon moi-même, peut-être, mais qui du moins me permet de rester buvable, même à mes propres yeux. Puis refaire une radio thyroïdienne, merci Tchernobyl, et consulter le Dr Noguès, qui m'ordonnera (ou non) une fibroscopie stomacale. Je connais mon médecin depuis plus de trente ans, ce qui est épouvantable si l'on y pense trop. Je l'ai vue se déssécher comme elle m'a vu m'envieillarder. Puis me voici revenu, je dis à mon épouse qu'elle doit consulter en personne pour obtenir une ordonnance, et je me replis sur le fameux bureau en rondins, où je lis ou bien relis quelques Lettres à Sophie Volland, dont j'aimerais tant avoir le style...

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