LEGITIME DEFENSE

 


POP MUSIC 2118 07 17

C'est un petit vieux – Meenhart, Meijnaer, un nom flamand imprononçable; à 19h quarante précises il entre au Café Chtroumpovits, avec des grâces de papillon de nuit s'assoit au guéridon, à peine posé là un Hercule de serveur s'incline Qu'est-ce qu'il voulait le monsieur ? Meenhart jette les yeux sur un sous-bock et murmure en vitesse un nom de bière ou d'apéro. Son guéridon coincé entre le juke-box et la vitrine externe. Il soufle un peu. Le garçon tout en blanc lui colle sous le nez son verre et sa petite note. Meenhart attend huit heures, ils arrivent : des bottés, des casqués, des barbus des chevelus.

C'était l'époque des cheveux longs.

Complets pistache et pantalons à fleurs ou rouge et jaune. Les filles ouvrent leurs maxijupes en écartant les cuisses. Tout le monde s'assoit en riant très fort en traînant les chaises, ils fument des Gauloises et les filles crapotent. Le vieux se sent gêné avec ses Stuyvesant dans leur étui gaîné. Les pièces tombent : Pink Floyd (snort) et Joe Cocker Big Cockle vieux aime bien le pop. Il tape des pieds en mesure ils sont chouette vos disque -


-
Ouais…

De minute en minute la porte vitrée s’ouvre en trombe dans un grand bruit de rue. On entend péter les 500cm3. Claques dans le dos, les filles baisent sur les joues. Le vieux se demande s’il ne doit pas se laisser pousser les cheveux.

Les jeunes partent tous au cinéma.

Le petit vieux n’aime pas le cinéma.

Pour ne plus voir sa cuisine et son réchaud taché le petit vieux reste là.

Il a cessé de faire du genre.Il n’a plus porté de pat’d’eph sur ses godasses de vieux. Il s’est mis à lire « La Dépêche ». Les mots croisés sont bons. Il calcule sur des bouts de papier la date de sa mort. On n’entend plus qu’un bruit : le rire des téléphages dans la grand-salle.

À minuit les pops reviennent.

Ils sont beaux, ils sont fauves, ils sont cons.

Ils ont commenté le film :

« T’as vu ce pain dans la gueule ? »

Moi j’ai dû travailler tout de suite.

Pense Meenhardt.

POP MUSIC 2118 07 17





Je ne pourrai jamais baiser ça.

Toujours cru que j’aurais bien le temps.

Quinze ? Vingt ans ? qu’est-ce qu’il me reste ? »

Il est tombé mort sur la table. La veille caissière soupire

Il était bien sympathiques

Le juke-box joue tout tout a continué yeah yeah

COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS

LES FAIBLES




Grand cocktail du prix G. Fumée des cigarettes, atmosphère onctueuse. Henri de Sannes savoure son triomphe. À une extrémité du bar, quelques femmes se sont rassemblées autour du brillant Louis d'Eyraud, parfaitement ivre. Il repose entièrement sur sa jambe droite. Sa voix est forte, ses yeux courent d'un visage à l'autre. Toutes le contemplent.

À l'autre bout dubar un remous se produit, les hommes trébuchant protègent leur verre, les regards fusillent Michel Magnet qui tente de percer la foule en direction du beau d'Eyraud.

Louis s'aperçut qu'on ne l'écoutait plus. Il reconnut Michel et planta là ses admiratrices.

"Ta femme !

- Nicolettina ?

- Elle part.

- Avec Jakubovitch ?"

Les deux hommes sortent précipitamment.

"Ils sont devant chez toi. Ils surveillent le déménagement.

- Bordel de merde !

- Non, c'est moi qui conduis."

La Ferrari dévale l'avenue Hersch.

Michel donne de nouveaux détails.

Quand ils sont arrivée en tromhe devant le pavillon, Jakubovitch et Nicolettina fuyaient précisément sur la route d'Amiens.

"Remontez-moi tous ces meubles ! Je suis le mari !

Les ouvriers haussent les épaules et remontent les meubles.

"Ce sont eux, dit Jakubovitch.

- Mon Dieu !"

Nicolettina se serra contre son ravisseur. Les poursuiveurs, à leurs trousses, dérapèrent. Louis d'Eyraud jura. Il engueula son camarade, puis se reprocha de ne pas avoir surveillé son épouse. Michel se laissa insulter, accéléra :

"Je prends un raccourci “

COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS

LES FAIBLES




La Ferrari cahote et débouche juste en travers, à cent mètres des fugitifs. Les deux véhicules s'évitèrent en hurlant.

"Jacques, ne frappe pas.

- Ta gueule.

- Tu ne l'aimes pas ! h urle d'Eyraud.

Il pense : Si je ne casse pas la gueule à cet homme, elle me méprisera.

L'homme trompé frappe son maître sans entrain. L'autre riposte, d'Eyraud d'arrête de taper. Il traite son adversaire de lâche :

"Tu n'as aucun mérite à me cogner ! Nicole, je t'aime !"

Nicole est rentrée se jeter sur les coussins et s'est mise à pleurer.

...Michel Magnet hésite.

Enfin, les deux couples se séparent. Suivons Jakubovitch et Nicolettina, que nous appelleront, pour plus de commodité, Jacques et Nicole.

Jacques se laisse absorber par la volupté de la conduite automobile. Nicole reconstitue les premiers mois de son mariage : elle avait toujours raison. Louis d'Eyraud ne cessait d'abdiquer, en s'excusant. Elle se rendait à d'innombrables réunions de dames. Ces dernières parlaient de leur mari et les félicitaient en leur absence. Parfois Louis d'Eyraud avait fait les frais , financièrement parlant, de leurs réussite.

Nicole applaudissait à ces revers de fortune. Elle les apprenait avant que son mari ne l'en eût informée. Tous et toutes le volaient. Louis d'Eyraud, se laissait emprunter sans réclamer. Gémissait. Se lassait de sa Femme et du Monde. À 28 ans après 4 ans de mariage il s'est bourré la gueule. Et ainsi de suite cocktails dîners réceptions, champagne californien par jet, brillant causeur ! Nicole est dégoûtée, Nicole s'en va. Elle le trompe, ou plutôt ne le trompe pas, renvoie sa nouvelle queue. Puis les affaires s'effondrent. Nicole ? un bibelot. Elle le raye, le reraye, se fait remplacer. Dans la voiture en route vers le bonheur, Jack, homme numéro 2, dit à Nicole :

"Pourquoi fais-tu la gueule ? Parce que je t'ai larguée ?

- Ta gueule.

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LES FAIBLES




Le vert du tableau de bord éclaire sinistre, menton pas rasé du deuxième homme, feux follets sur les branches de lunettes. Visage énergique et brutal (nez droit,, grosses lèvres et fossette) – grosse pomme d'Adam (tous les bons signes) costume sur mesures et cravate à raies noires.

Sur le volant reluit la chevalière en or.

Voiture en sens inverse. Attendons-nous au pire. Les phares dessinent sur son visage ses yeux froids, sa bouche entrouverte sur des dents, devinez, immaculées, plus ! ...des cheveux courts dorés, "comme un champ d'éteules au soleil levant". Et tout replonge dans l'obscurité. Nicole se sent

toute petite et merveilleusement protégée.

Dans l'autre véhicule, c'est Louis d'Eyraud, avec son ami Chel (c'est exprès), le ton monte entre les deux potes : "Tu m'avais prévenu" dit Louis, 1m95 recroquevillé. Chel s'arrête, ouvre la portière, soutient son ami jusqu'au deuxième étage, parce que l'ami a bu : "Tu es chez moi", et la femme de Chel reconnaît Louis. D'Eyraud est une espèce de loque aux yeux vides et congelés. Il ne pense plus. Il s'est vidé tout le crâne. De temps en temps il serre les poings, des canons (Pachelbel, Albinoni) passent dans son crâne, et des chœurs de Haendel mi-anglais mi-germains. Il se fait servir un cognac, se redresse en criant salaud, le cognac roule sous le guéridon. Il passe la nuit chez son ami Chel, personne n'a dormi.


Au petit matin, "une pluie fine se tend comme un voile devant le soleil tiède"et Louis retourne chez Louis. Dès qu'il a poussé la porte ses gros ennuis lui tombent dessus comme un seau en équilibre. Tout est à demi déménagé, des pas maculent le carrelage, des meubles sont replacés de travers, des caisses montent jusqu'à hauteur d'homme. Le bureau de Louis reste épargné. Louis s'est assis, les jambes à l'abandon. Allah, bandons ! Ses yeux ont couru sur les dossiers : tagada, tagada. Il a déplacé un presse-papier. Son carnet de rendez-vous est comble. Je n'irai pas. Disa-t-il. Il se sent dans un ascenseur. Autour de lui sur quatre côtés les parois du puits qui descendent, qui descendent.

Donc il monte, Ducon.


* * * * * * * * * * * * *


Nicole vit avec Môssieur Jacques Monery.

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LES FAIBLES





La v'là sur le divan la mine longue.

"Pourquoi fais-tu cette tronche, embrasse-moi.

Je me suis fait chier. Dit-elle.

T'as tout ç'qu'il faut. Il répond.

Je ne peux pas mettre le nez dehors.

- La ville d'Amiens-sur-Somme se fout de ce que nous sommes.

- Je veux partir.

- Ouais bonne idée, à Reims, c'est plus riant, nobody knows us.

Pendant ce temps bourré comme pas deux le Louis d'Eyraud demande à son ami en pleine rue d'intervenir, de "faire bouger les choses". La scène est ridicule. Michel promet tout pour éviter le scandale. Trop tard...

Il est trop tard, mon amour,

J'ai tout perdu, et sans retour

* * * * * * * * * * * *


Nicole qui fait semblant de lire.

Derrière son bureau Monsieur Monery travaille ou fait semblant.

Les deux ont les fesses en blanc. Il se demande à quoi elle pense. La femme. Il se demande à quoi il pense. Il constate ceci (intérieur, sombre) :

"Quand je rentre le soir elle ne répond pas

Elle est là vissée sur sa chaise à bras

Elle lit"

elle compte les plis du rideau qu'est-ce que t'as ?

"Je cherche un logement à Reims;

- Tu ne préfères pas Rome ? Paris ? Zanzibar ?

Il pense que les absents n'ont jamais tort. Il pense à rompre (déjà ?), à répudier – on ne ME fait pas marcher, les femmes c'est du sport, je suis tout sauf vulgaire.

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LES FAIBLES



"J'ai un travail fou" lui dit-il.

Replace le presse-papier avec irritation.

Nicole qui sursaute (elle sourit dans le vague) – Monery qui répond. Il se sent de plus en plus stupide.


* * * * * * * * * * * * * *


Nicole prend le train pour Le Tréport. Elle arrive la première dans le restaurant où Louis d'Eyraud (débourré) a envie de la revoir. Elle se débarrasse de son manteau ce qui est passionnant. Son mari se trouve devant elle en costume clair très jeune. Il lui serre la main. Il est aussi con que l'autre. Le silence aussi, ici. Le maître d'hôtel prend commande du champagne et repart, Louis aiguille la conversation sur le vin de Champagne quoi-t-est-ce que tu préfères Pommery ou Geoffroy hors-d'œuvre ils se servent en silence elle évite son regard il lui prend la main tu permets que je mange ? alors Louis d'Eyraud ironise

on dirait un premier rendez-vous

Ils échangent leurs verres. Un rire et Louis : son travail, ses projets, le vin qui revient, les renvois, les vins vinrent c'est mauvais. Les cœurs se pincent, au perdreau on se donne la main aufromage on se touche dans les yeux, le soir le Louis l'a reprise dans le lit de couple on passe au matin à neuf heures Nicole toute seule. Pas un bruit la tête qui tourne elle s'assoit dans le lit tourmenté pour bâiller le p'tit papier sur le réchaud ah chiotte le "déjeuner d'affaires" avec un humérus de téléphone. Elle passe une heure dans la salle de bain. Ben c'est chiant. Ses crèmes et ses parfums. Elle attire du haut de l'armoire un sac de voyage. On ne peut pas plus chiant. S'il rentre soûl,je pars. Elle remet en ordre la chambre et la salle à manger mal agencée. Pourvu qu'il revienne bourré. Elle mange peu.

L'après-midi commence, lourde et débilitante. On voit des éclairs de chaleur par la fenêtre, à l'ouest ou au nord, je m'en fous. Louis revient plus tôt que prévu, avec une ruche niveau Saskatchewan. Nicole Aucul se presse dans la salle de bain, coléreuse et satisfaite. Elle prend le sac de voyage et disparaît par l'escalier de service. Et puis Jacques, enfin Machin, ne l'a plus revue non plus. La veille, en tournant la clef dans la serrure, il s'est ébroué en raccrochant sa gabardine au porte-manteaux chérie j'ai fait une


COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS

LES FAIBLES




bonne affaire aujourd'hui ! Pas de réponse, on s'emmerde, il rentre dans le salon y a degun toutes les pièces il les inspecte, eul téléphone il le décroche l'écouteur sent le fion mais Louis n'est pas là-bas alors il a eu peur le monsieur, il s'est senti tout nu, il ne pouvait plus redevenir, déjà il ne savait pas devenir.

Il a senti des picotements des yeux y compris celui d'en bas. Les mains qui tremblent et le front qui l'entraîne en avant, les musques y répondent plus.

Il lui sembla qu'un temple s'effondrait.

Ça épuise. Il s'est réveillé neuf heures plus tard à cause de sa vessie. Il a pissé, s'est lavé, rasé, dans l'ordre. Je suis fort et séduisant ; à midi elle sera là. Il est sorti transfiguré et impassible. Une agence immobilièrelui a fourni clé en mains le genre d'appartement que l'amour aime, avec le bouquet sur le guéridon d'entrée.

Quand à Louis d'Eyraud il a trouvé ce qu'il veut : il s'est tapé la grosse Maryse qui l'empêche de boire. Tout le monde va bien les affaires reprennent, allez, au lit.


COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

LÉGITIME DÉFENSE 2010




La rue s'allonge droit comme un couloir entre deux rangées de poteaux électriques. De là- haut tombe tous les trente mètres un cône de lumière. Il est minuit.

Je reviens à pied du cinéma.

La rue est déserte.

Dernier poteau d'ici cent mètres.

Puis le noir : quartier neuf.

Avant-dernier poteau. Je regarde dans mon dos la longue enfilade des petits points brillants, qui s'enfoncent, qui s'enfoncent. Le dernier luit au ras de l'horizon.

Un autre point mouvant, vers moi. C'est une bicyclette. Mon ombre se déplace d'arrière en avant, la bicyclette s'éloigne, voici le dernier poteau dont l'ampoule tremblote – comme si l'électricité en bout de ligne s'était essoufflée, à courir si loin.

Voici le noir.

Le lent dégradé de la lumière sur l'asphalte.

Je ne dois ni ralentir, ni courir.

La route tourne. Lune nouvelle. Plus d'autre lueur que les étoiles.

Tu bouges t'es mort.

J'ai sursauté. Il croit que je veux l'attaquer. Je mords sa main, il m'empoigne, je frappe, je frappe, sa mâchoire sonne, il tombe, j'ai frappé, il perd connaissance, je cogne des mains, des genoux, des pieds, le sang coule à mes mains.

J'ai ramassé son revolver et envoyé dans le noir une balle, deux balles, trois, des volets claquent, les fenêres envoient leurs lumières, du sang coule vers mes pieds.

Je me suis mis à courir, parce que personne ne m'aurait cru, je suis allé dans la prairie obscure afin d'y jeter l'arme. J'entendais :

" Il est mort ?

- Un médecin !

- Il est parti par-là !

J'ai parcouru un large demi-cercle dans la prairie, je suis rentré chez moi pour me barricader.

Je suis resté assis.. Mes mains et le haut de mon corps sont agités de tremblements.

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

LÉGITIME DÉFENSE 2010




J'ai bu. Je me suis passé de l'eau sur le visage, et je crois bien que j'ai pleuré. J'entendais tout un remue-ménage. À soixante mètres de chez moi. Personne ne m'a vu. Toutes lumières éteintes en parfaite sécurité. J'ai revu la scène et ses détails. Je me suis aperçu de ma volupté : des coups d'abord instinctifs, puis une violence, une lucidité de plus en plus fortes, puis j'avais tiré au hasard sur ce corps déjà mort, le revolver se cabrait dans ma main. Premier coup sur la temps déjà mortel.

Qui était-ce ?

Une sombre envie à présent qui me ronge. Mais je ne pourrai pas me renier. Je bois.

Je ne peux pas m'endormir.

Je n'aurais pas dû fuir. Si je n'en avais pas dit plus qu'il ne fallait, j'aurais été acquité. Il s'esst jeté sur moi, etc. Un fou que j'avais tué. On m'aurait remercié. Ivresse du boxeur qui assomme.

Je m'endormis très tard sur ces pensées.

Le lendemain j'ai repris la bicyclette, couteau dans la poche. J'ai préféré le couteau au revolver, parce qu'il est silencieux, mais aussi parce qu'il ne permet plus au corps de se déchaîner. J'aurais même préféré les poings – mais le couteau permet des raffinements. Le soir, toujours pas de lune, le temps est beau, dix heures ont sonné. Je me suis mis dans un fossé, le vélo caché sous les herbes, à douze kilomètres de chez moi. Derrière moi se dressent les ruines inquiétantes d'un lotissement en construction.

J'ai déjà crevé les ampoules à coups de pierre. L'endroit est bien choisi : bientôt, c'est la sortie du cinéma. Un groupe qui rit et parle fort :

"Ah ah ! qu'il lui dit comme ça...

- Tiens, il fait noir.

- ...et l'autre y répondait...

- Alors il me met la main sur...

- ...la mise en scène !...

- ...je lui dis : ne vous gênez pas !..."


COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

LÉGITIME DÉFENSE 2010




Le groupe s'éloigne et le bruit de leurs pas. Une ombre attardée suit à vingt mètres. Mon cœur bat, l'homme graillonne, se fouille les poches, je serre mon couteau, vais-je faiblir au dernier instant, je suis un lâche – non, si ?

Ma gorge est sèche. La sueur pique mes poignets. Il m'a dépassé, je me sens mou comme une chiffe, je sanglote presque, je suis soulagé, comme si j'avais laissé un homme se noyer.

J'ai envie de pisser.

Le lendemain soir j'y suis retourné, après avoir bu un demi-litre de vin. Je me suis tapi dans le fossé, les ampoules n'ont pas encore été remplacées. Le vin diffuse en moi. Bandé à bloc et sur le point de me briser d'un coup.

Et je vis, comme la veille, une ombre qui marchait, d'un pas hésitant. Le :même homme que la veille. Je l'ai frappé la première fois sur la tempe gauche, et j'ai retourné le couteau dans la plaie, pour sortir les esquilles. Puis desserrant les lèvres avec la lame, je l'ai enfoncée dans la gorge, la main dans la bave. J'ai retiré la lame. D'un coup circulaire, j'ai arraché un œil, puis l'autre, que j'ai mis dans ma poche.

J'ai enfin frappé la poitrine, ouvrant le corsage maculé pour voir à quoi ressemblait un sein de vieille femme. Et j'ai plongé ma lame dans ce sein. J'eus envie d'ouvrir le ventre, mais l'odeur m'aurait incommodé. Je me contentai, à grandes secousses, de lui ouvrir les bras dans le sens de la longueur, et pour finir, j'ai pris le corps exsangue à bout de bras au-dessus de ma tête, pour le projeter sur un tas de parpaings.

J'étais ivre de vin et de sang. Je ruisselais de sueur, et de sang. Dans ma bouche stagnait un goût (de sang). J'ai enfourché mon vélo, j'ai filé.

L'air me fouetta, me grisa. La dynamo ronronnait sur le pneumatique. Je supportais une fatigue légère. Je vis une forme blanche, sur le bas-côté. J'ai frappé la jeune femme à la volée, dans le dos. J'ai ressenti à l'avance, dans le bras, la secousse du coup.

Je freine. Qu'elle est belle. Ses lèvres sont entrouvertes. Je descends l'allonger sur l'herbe. Le sang poisse mes doigts. La lumière des étoiles dessine son nez finemant arqué, ses joues creuses. Je pose ma main sur sa poitrine, son cœur bat.

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

LÉGITIME DÉFENSE 2010




Je l'ai prise à bras le corps, j'ai serré très fort, je l'ai embrassée longuement. La police m'a retrouvé au matin, profondément endormi.

Je suis en prison. J'aime cette femme, qui n'a pas compris. Personne n'a compris. Les psychiatres m'estiment pleinement responsable au moment des faits. Tous croient que je suis un monstre :j'étais simplement en légitime défense.

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LE PEDIGREE 2118 08 02





Maman achète moi un petit chien !

un petit chien pour faire joujou

un petit chien pour le promener

au bord de l’autoroute derrière la rambarde je ferai bien attention

Un petit chien qui trotte la queue en l’air, qui marche dans les assiettes et qui fouille les poubelles.

Oh ça va tu vois pas que je fais la lessive ?

Maman un tout petit chien, tout noir, avec des papattes mouillées une queue en trompette qui fait diling diling je lui attacherai une clochette

Et puis je lui apprendrai à jouer de l’accordéon.


Soit. On l’a acheté, le chien. Minuscule. Anthracite.

Le chien ! il a filé dans le couloir, coincé la queue dans la porte, il dégringole tout l’escalier qui m’a poussé ? oh, ces pattes flasques !

Le chien ! sur la cheminée, sur le haut de l’armoire

« Dans le lustre ? Nicolas, ce n’est pas toi qui l’a accroché dans le lustre, par hasard ? - et les traces de pipi sur le rideau ? »


Nicolas est heureux. Il s’amuse avec son chien. Il essaye de le gonfler à la pompe à vélo, il le fait tourner dans la machine à laver, il le traîne attaché derrière sa bicyclette.

Vrai, il n’aurait jamais pensé qu’on pouvait autant s’amuser avec un simple petit chien.


Mais voilà :

chaque porte qu’on pousse laisse une trace brune sur le parquet ciré

les bibelots se raréfient

la table arbore une triomphale et gigantesque tache d’encre noire, très géographiquement découpée – et ces pattes qui cèdent mollement sous la semelle – si au moins cette bête se laissait écraser en silence ! où peut-on donc poser ses pieds, ses larges pieds de père Nom de Dieu ! dans cette baraque ?

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LE PEDIGREE 2118 08 02




Et un jour : les vacances !

Le ciel verse toute sa chaleur par les fenêtres ouvertes. L’air valse dans les poumons. On va voir les cousins de Nantes !

Et le chien ?

« Maman, je le prends dans les bras !

- ...Pour qu’il s’échappe ! et la fois où il voulait lécher papa au volant, qu’on a failli renverser une petite fille ! ...Tu n’aimes pas les petites filles ?

Nicolas, boudeur :

« J’pré-fère-le-chien... »


- Dans un panier, maman !

- Non ! il ne va pas arrêter de piailler. Il faut que papa entende bien quand on le double. Il étouffera, dans ton panier ! Le chien, pas ton père, imbécile…


- Et dans le coffre, maman, dans le coffre ?

- C’est toi qui va le nettoyer, le coffre ?


Alors, le petit chien, on va le perdre en forêt.

On n’en veut plus, c’est décidé.

« D’ailleurs, pour la façon dont tu t’amuses avec...

Et puis, à la rentrée, on achètera un petit chat.

- Ouais, mais faudra le faire tailler, grogne le père. Et le petit garçon s’imagine déjà avec son chat.

- Cet après-midi, ton père ira le perdre dans les bois.

- Ouais, dit le père.

Le petit chien reçoit un coup de pied dans le derrière, il tourne de grands yeux étonnés.


- Bonjour, monsieur Pouldu.

- Je suis venu vous rendre le cric… Alors, on part en vacances ?

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

LE PEDIGREE 2118 08 02




- En Bretagne !

- ...Et votre chien ?

- On ne le prend pas, il se démerdera !

- Mais je peux vous le garder, moi ! Je ne prends pas de congés cette année.

- Ma foi vous pouvez même le garder définitivement !

Nicolas est content. Il pense à son petit chat, à la rentrée :

« Je lui apprendrai à sauter dans une cuvette.

Monsieur Pouldu rentre chez lui avec sa nouvelle acquisition. On ne peut pas dire que madame Pouldu soit enchantée mais enfin. Elle lui prépare une petite caisse capîtonnée.

Soudain, des coups de sonnette. C’est Nicolas, hors d’haleine.

- Qu’est-ce qu’il y a, Nicolas ? tu viens reprendre ton petit chien ?

- C’est pas pour ça… C’est mon papa… Il dit comme ça que le chien, il avait un pied-degré… et alors, qu’il valait mille euros.

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

POMPÉE ET LA BROUETTE




Pompée, le Grand Pompée, Sextus Imperator, est mort.

Interiit, apéthané

Que les nations se le redisent, chacune en son langage.

Rome, lion vautré sur les sables de Lybie, urus au sein des selves germaniques. Et déjà en son flanc le poison des empires.

Mais toi la brute, le butor, t’en contrefous. Crâne pelé, rasé, bossu où ondulent les vaguelettes roses, grassouillettes et répugnantes, comme autant d’asticots obscènes – qu’est-ce que tu fabriques, Bête Brute ?

- Justement je fabrique. J’effectue. Je con-fec-tionne : une brouette, en éclats d’allumettes.

Ses doigts boudinés triturent avec dextérité.

« Je vois le sang sous la lame. J’entends le choc sourd, le souffle court du sicaire. Sur les bords de l’esquif sa tête enfin penchée… indignement sciée… Le tronc ballant a chu dans la flaque saumâtre qui toujours gît au creux ds chaloupes. La sentine.

«  À chaque roulis le cou dégorge son sang.

« Jean-Thomas, à lui-même :

«  Avec un peu de colle… ça va s’arranger. Regarde : je découpe le poussoir de biais » (crissement du canif) Ce qui est difficile, c’est le fendillement, la dérobade. Je biseaute, je colle » - préciosité de ses mains rouges : « Par-dessus, un autre demi-tiroir taillé de même – et caetera – c’est la roue. Avec des aubes de moulin à eau. Mais ça roule. Dès que ça sèche ».

Il prend du recul, bridant de plaisir ses petits yeux de langouste.

« On donne à ce héros la mer pour sépulture

et le tronc sous les flots roule dorénavant

Au gré de la fortune, et de l’onde et du vent ».

Corneille

- Regarde, au fond j’ai découpé le tablier, en forme de trapèze. Pour les mancherons d’abord j’avais collé deux allumettes par-dessous pour épaissir. Pour que les points de colle ne se superposent pas, j’ai coupé une allumette en deux : une et demie, une, une et demie.


COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

POMPÉE ET LA BROUETTE




- Cornélie son épouse a tout bu des yeux, hurlant : Pompée ! Puis elle est tombée ; « sans connaissance, ou morte.

«  La perte irréparable que j’ai faite…

- Je colle, je glisse, j’instille la colle en longs filets de miel ;

Scintillements dorés. L’Aîné, debout, porte à bout de bras, ébloui, la tête de Pompée.

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS





Puis vient l’indifférence

Le Sentir-Bien

Le temps qui passe

Sur les carcasses

Coulées

Ensablées

Aux fonds de Loire…


Loire

C’est sur tes bords que j’ai coulé

J’avais vingt ans

et je prévoyais bien qu’un jour je les larmoierais


Souviens-toi, souviens-toi des douces et lentes soirées

Avec mes anges, mes Jean multipliés,

Sur la langue de Loire étirée

Grand Fleuve aux ombres immobiles

Qui aux lueurs du feu

De bois

Chantaient scoutement, paroissialement,

L’Internationale

- pleurez, doux alcyons,

et rigolez aussi quoi merde,

Faut bien vivre.


Tours, Tours, ma grand-ville

ô gué

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS






Île Simon,

Paradis d’enfant

Cathédrale, énorme et sombre, la nuit en revenant des images mouvantes,

lorsque s’éteint la lumière, la nuit des pierres fondues dans le noir…

Jardins de Préfecture

Massifs découpés, décembre et brouillard

et crépuscule

il fait toujours décembre

et nuit tombée

sur les Jardins de Préfecture


Chinon, tours de lumière, matin de bruine,

et toi mon Jean, et ce banal bistrot

les points de suspension se joignent et s’additionnent

comme les grains d’ivraie des souvenirs

d’ivrogne


Jean ce n’est plus toi

Je reviens à toi

et te lèche et te lape avec complaisance

loup attardé


La lance d’Achille guérit ses blessures

Tout s’apaise


Mon Jean mes anges

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS




« La première fois que je te vis tu passais j’ai pensé

« Jamais je ne le reverrai »

Il est de ces visions qui passent et qui s’en vont

Ô neige de ton cou, plumetis du col roulé,

La glace de tes yeux céruléens

Mais voilà que je ronsardise

voilà que je pétrarquise

Et je garde tout

précieusement

précieusement

reciselé sans fin

mon souvenir qui se déroule au ralenti dans cette rue qui descendait

vers moi

où je ne suis pas repassé

qui n’était pas de mes itinéraires

de ceux qu’à ma propre quête je traçais

à Tours dans la neige


Savez-vous – la première fois que je vis Tours -

les toits plaquaient des lueurs de plomb

dans les yeux des passants

Tours la froide, Tours enfin Liberté

quand je je peux pressentir entre les paupières

quand je peux toucher du pied

le quai succédané de Saint-Pierre-des-Corps

- du train de Paris je descends, je respire, un pru,

quand je vois les gens de la navette

aussi indifférents que d’autres, mais qui voient Tours -

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

PROLOGUE À  JEHAN DE TOURS 2123




entre mes cils, de ma pupille distendue dans l’aube de juin

je questionne l’horizon

juste derrière Saint-Pierre-des-Corps se trouve Tours

qu’es-tu devenue depuis que la main me maintient

à Bordeaux la noire – nocive encore

ici lentement s’infiltre

et m’ensevelit de suie

à grande vitesse des longs cargos

par la bouche les oreilles

Tours… ! Tours… !

COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

LA PREMIÈRE FOIS QUE JE VIS LA CATHÉDRALE DE CHARTRES 2119 01 26




Auto-stop sur le Pont de Saint-Cloud

Une heure de bruit de pétrole

À Chartres ? Montez !

Dès le tunnel Je ne prends que les beaux dit l’homme et comme vous semblez sympathique

J’étais de son avis.

L’homme ressemble à Francis Blanche (casquette, lippe et bajoues).

- ...et c’est votre femme qui vous décolore ?

Il conduit d’une seule main.

Quel est donc ce crustacé gras qui rampe sur le siège à deux doigts de ma cuisse – escalade – mon pantalon – je croise les jambes – le crabe se replace sur le volant.

Me voilà frais.

Le temps aussi.

- Tiens, une goutte !

- Sale temps.

- D’habitude il fait chaud en juin.

- Il peut plus que demain.

La main est sur le volant, à côté de l’autre tout aussi grasse, rose.

Nous doublons un poids lourd. Avec remorque. En haut d’une côte en troisième position. Quand je rouvre les yeux le camion est doublé, la main est revenue.

Un cahot sans doute.

Si je suis étudiant.

Oui.

Si ça me plaît. Si j’en ai encore pour longtemps. Comment je gagne mon argent. Si j’ai une bourse. Ce qui se passerait si j’échouais une fois, deux fois, à l’oral seulement, ce que je veux devenir.

Je réponds que mes études me plaisent, qu’elles me prendront cinq ans si papa continue à cracher, mais que je dois réussir tous les ans, que je déteste le steak et les Tartares et que de toute façon je préfère la purée

- Je dois faire de l’essence.

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LA PREMIÈRE FOIS QUE JE VIS LA CATHÉDRALE DE CHARTRES 2119 01 26




Et il fait chier par la même occasion.

Devant le pompiste il se contient. À peine reparti tout reprend.

La main rampe, s’immisce, mes jambes se chevauchent, la main reprend son chemin, je croise et recroise les cuisses sans trêve, j’ai des fourmis, le cafard, la nausée – la main ne s’est pas reposée sur le volant – ni sur mon siège – non, elle s’égarerait plutôt, voyez-vous, vers le point d’intersection d’une verticale x-y menée d’un plan P, le volant, vers un plan Q, situé nettement plus bas.

Mais je m’aperçois, cher lecteur, que je ne vous ai toujours pas parlé du paysage ! Très important, le paysage. C’est fou ce que je peux m’y intéresser:les prés,les coquelicots, les petits moutons, bêêêê !

Quant à lui, je ne veux pas savoir ce qu’il fait. Sainte Agnès, vierge et martyre, çà non, je ne veux surtout pas le savoir.

Soudain, à l’horizon, une brume se condense au-dessus des blés – il y pousse des tours, des flèches – Notre-Dame de Chartres ! C’est la première fois que je vois la Cathédrale de Chartres ! ô mânes de Péguy !

Mais je dois bifurquer vers Vendôme.

« Vous aimeriez visiter la cathédrale ? susurre-t-il, onctueux.

- C’est-à-dire…

- C’est que j‘aurais des facilités, voyez-vous » - et ôtant sa casquette, il découvre une large tonsure :

« C’est moi l’évêque…


26 01 2119 n.s.

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CONTES I - « FRANCINE » 27




J’avais treize ans.

Francine était la fille des fermiers : un caractère, de l’acné, des amoureux – je n’étais pas du nombre : à deux ans de plus, c’était une demoiselle.

Moi ce que j’aimais, c’était les balades, sur les sentiers qui montent et qui descendent entre deux talus d’herbe sèche, sous les feuillages. Ce jour-là, je me promenais avec le frère de Francine : Jean-Claude. Nous avions pris par le Chemin d’Haut, par-dessus la ferme. Il faisait chaud, ça montait, nous nous dépêchions d’arriver au plateau, pour avoir du vent.

« Tu as vu ? la roue de vélo qui dépasse ?

- Tiens oui. Bizarre.

Sur la pente du talus la roue se tenait toute droite, maintenue par le guidon.

- Tu entends ?

On chuchote, on se bouscule dans le buisson. Rigolant d’avance, nous grimpons, des pieds et des mains.Je m’arrête alors, si brusquement que Jean-Claude manque se heurter la figure à mes semelles. Je viens d’apercevoir Francine, allongée dans l’herbe avec un type que je ne connais pas. Elle me fais signe : Va-t’en – Fous le camp !

Le type ne s’est pas retourné. Ils continuent à rire tous les deux. J’aperçois des dessous de fille.

Sale putois !

Je me laisse reglisser précipitamment.

- C’est Francine ? demande Jean-Claude, qui a tout vu aussi bien que moi.

Je dis qu’on ne va pas les déranger.

Jean-Claude approuve mais le cœur n’y est pas.

- On continue ?

Il secoue la tête en regardant ses souliers. Après tout ça ne me regarde pas. Je suis déjà redescendu au milieu du sentier, ma promenade n’est pas finie. À cinquante mètres je me retourne, Jean-Claude n’a pas bougé.*

Quand je suis rentré deux heures plus tard, il y avait une sacrée danse à la ferme. Je revois encore Francine, pourchassée par sa mère à grands coups de balai comme une volaille au quatre coins de la


COLLIGNON LÉGITIME DÉFENSE

CONTES I - « FRANCINE » 28




cour : « Jure-moi qu’tu r’commenceras plus ! Jure-moi qu’y a rien eu ! sur la tête de qui tu le jures, hein ? Sur la tête de qui? »

Et le balai s’abattait, et Francine hurlait qu’elle n’avait rien fait de mal, qu’il ne s’était « rien passé ». Cependant le père revenait de la rue en gueulant qu’ « il lui avait mis une bonne trempe, au gars », et « qu’il ne risquait pas de se ramener ».

Je suis reparti chez moi bouleversé. Jean-Claude n’y était pas non plus. J’ai appris qu’il avait subtilisé le vélo et qu’il l’avait ramené dans la cour de la ferme, pour obliger le type à venir le rechercher. Il n’y avait plus eu qu’à attendre.

J’admirais beaucoup Jean-Claude. C’était un homme déjà, et un rusé.

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CONTES I « JARDIN PUBLIC » 29




...Et me revoilà dans ce foutu jardin, à pousser le landau. Le sable chuinte sous les roues, mes pieds traînent, la fille se soulève et retombe sur ses fesses en gloussant.

Première à droite, une pleine allée de vieux assis, de mère, de filles, sans oublier le dingue avec son béret, qui se dandine sur ses pieds plats en souriant à sa connerie.

Le sable humide. Les feuilles mortes, les petits oiseaux, les gros canards. Cui-cui coin-coin. J’aime ça, moi. Parfaitement. Ça ne vous dérange pas j’espère. Il a bien fallu.

« Tu verras ça et rien d’autre ».

J’ai fait Foum Tataouine moi Monsieur.

Je longe des massifs en gâteaux de semoule ; par-dessus, les fleurs reproduisent tous les degrés de la décomposition, asticots inclus. Et ces cupressus en grecques qui se mordent par la queue autour des massifs – c’est pas symbolique tout ça ?

Rien ne manque à la méditation : le bassin à poissons sans poissons, le bassin à bateaux avec ces culs de mioches en équilibre… Les mémés, les tricots – ça a sa poésie, mon vieux. Ça repose. Une allée à l’endroit, une allée à l’envers – tiens, je ne l’ai pas prise depuis trois jours au moins, celle-là…. en avant Sisyphe pousse ta guinde.

Moi, j’ai tout vu : Brésil, Arizona, Sierra Madre...















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