NOX PERPETUA Matière Première B pp. 17-34

 

56 03 27


En Espagne, avec M. N., nous visitons en groupe une enfilade de pièces à l'étage, richement meublées. En attendant le guide, chacun parcourt tout : abondance de meuble magnifiques et d'instruments de musique. Je tente de jouer d'une espèce de pianoforte, mais il y a sous le couvercle des papiers raidis et entoilés, montrant que l'on n'a pas tellement envie que d'autres se mettent à jouer. Des courtepointes matelassées sont négligemment retroussées sur les

dessus de lit. Je dis à M. N. que l'appartement rue D. pourrait bien lui aussi se transformer en lieu de visite. Il en est tout à fait d'accord. Je découvre en revenant sur mes pas qu'une grande glace murale reflète celui qui s'y regarde sous forme d'un riche personnage en toque, avec collier de barbe, qui reproduit tout vos mouvements.

D'autres s'y mirent, à mon invitation. Pour les femmes, la barbe du reflet disparaît. Le guide en retard arrive en courant, avec un autre groupe, flanque son coude dans l'œil d'une touriste, qui se met, par consolation, à rouler une pelle à sa voisine. Je pense plaisamment qu'avec le coude dans l'œil, elle ne verrait que la moitié des choses et ne devrait payer que demi-tarif. Enfin la visite va commencer.

56 05 24

Terzieff joue de l'orgue en virtuose mais avec désinvolture. Il me parle en redescendant d'une espèce d'amphithéâtre, et croit voir dans mes yeux que je ne l'admire pas tant que cela, mais c'est faux. Il me considère en toute fraternité égalitaire.


56 05 25

Après m'être garé dans mon quartier, je ne parviens plus à retrouver ma voiture. Désolé, je pousse la porte d'une maison ; en contrebas d'une petite allée de ciment vit une famille sympathique. Elle m'accueille, je mange un peu à la cuisine, la jeune fille est une lycéenne, il y a aussi les parents, plus une ou deux autres personnes. Dans la rue, ils s'imaginent avoir retrouvé mon véhicule, sous prétexte que son métal a été forgé en Autriche. Avec la jeune fille, j'ai parlé, pendant l'absence des adultes en recherche. La maison est très intimement arrangée. Elle appartenait au mari, la femme n'est venue qu'ensuite. Lorsque donc les parents reviennent, le mari veut m'inviter à dîner, et à passer la nuit.

La femme préfèrerait que je propose moi-même de repartir. Alors, je traverse un carrefour en « Y », la rue coupant la base de l' « Y » et poursuivant tout droit. Je ne retrouve toujours pas la mémoire, angoissé par un possible « Alzheimer » : les atténuations rassurantes que la famille m'avait prodiguées ne me servent à rien. D'ailleurs le quartier, les maisons basses impersonnelles, cimentées et délabrées, ressemblent de moins en moins à Mérignac et de plus en plus à la banlieue de Saragosse...


56 06 06

Cauchemars

1) Nous sommes dans une auberge espagnole au service très mauvais. La patronne, chafouine, nous cherche des noises, demandant un prix excessif. Veut porter plainte parce que nous

aurions salopé toute la chambre. Elle propose de réduire la facture, je dis : « Si vous retirez la plainte. » Il n'en est pas question. Je pars sans dire au revoir, les autres m'ayant laissé en arrière pour me laisser payer. Elle pose une question perfide sur le fait que ma femme accepte de coucher avec moi alors que je sors des bras d'un homme. Son mari est là, menaçant. Je réponds : « Eso no importa ». Elle insiste : « ¡ No importa, les digo ! »

  • Je suis provoqué par leur petite fille de dix ans, qui me provoque à la pédophilie. Je la repousse : « Pas avec toi ! Pas avec toi ! » Elle veut me forcer à se battre avec elle, pour m'impliquer dans la violence à enfant. J'ai toutes les peines du monde à me débarrasser d'elle. Les dialogues se font tantôt en espagnol, tantôt en français. Il n'y a là qu'un vingtième de ces deux rêves. Je regardais aussi des contes projetés au mur indiquant les endroits où Untel avait cherché « quelque chose » : pointe sud-est de l'Autralie, région au nord de Buenos-Ayres avec une « réserve française » dont je n'avais jamais entendu parler, etc. Or, nous avons reçu Katy, de type nettement andalou.

56 06 15

A. C'est un grand collège où j'arrive les jambes nues. Je trouve une salle pour mes 17 élèves, Annie est avec moi. N'avais d'abord trouvé qu'une salle de dessin avec des tabourets, puis une autre avec des lits. Un élève fouille sous les housses en plastique pour en tirer de quoi manger. Je me trouve ensuite sur un banc de la cour, lisant un article à côté d'une fillette de sixième, le mot « vagin » s'inscrit en grand sur la page de gauche. Extrême confusion de mon souvenir...

B. Avec Annie à Port-Cros. Il n'y a presque pas de touristes. Je dois aller visiter l'île d'en face, très proche, sympa mais petite : il ne doit pas y avoir grand-chose à voir. Repérons sur le port un hôtel sans doute moins cher qu'au centre ville. Cette côte est très découpée, la mer agitée. Une balustrade fragile sépare ceux qui attendent le bateau de l'eau de la mer. Un gros se rattrape de justesse, ayant glissé, mais sans panique. J'accompagne Annie sur son lieu de travail par une espèce de métro, une Anglaise nous confirme que c'est bien à la station « Pascal » qu'il faut descendre. Là, correspondance. Mais en bus. Je croyais que ce serait par bateau. Grande confusion entre les moyens de transport.


56 06 16

Avec Annie et d'autres, nous pénétrons dans une maison vide (cf. Buffet froid). Je regarde partout, prends bien soin de tout remettre en place. Puis nous fuyons, non sans dégâts. Une jeune fille de style gitan est témoin, je l'ai fait coucher à côté de moi au lit, en tout bien tout honneur. Pour partir discrètement, c'est difficile. Tous les chemins nous ramènent à cette maison ; deux bébés se contemplent, en haut et en bas d'un perron, étonnamment ressemblants. Nous fuyons en nous dispersant, le pays est humide, avec des prairies (Maine-et-Loire), très habité. Je m'abrite derrière une porte fermée dans une espèce de réduit, mais Annie me découvre et m'apporte à manger, tente de me rassurer.

Je repars, des maisons partout, j'essaye d'escalader en me dissimulant un mur extérieur d'église en prenant appui sur les sculptures, mais me retrouve vite entravé par des surplombs...


56 06 25

Je raccompagne Tastet chez lui, dans la petite Corsa noire. « Tu tiens beaucoup de place, tu es trop gros ! » Il en convient plaisamment et monte chez lui. J'ai beaucoup de mal à refermer le hayon, je place un téléphone portable dans le coffre : c'est un petit enfant, face contre le sol du coffre, j'espère qu'il n'étouffera pas, ou qu'il disparaîtra, en tant qu'élément d'un rêve. Une troupe de jeunes garçons descend d'un autocar, encombre tout, et me retarde. Je repère l'immeuble de Tastet, son nom ne figure pas sur les sonnettes, mais je monte. Immense escalier luxueux de marbre ; sa porte, anonyme, est au dernier étage. Elle s'ouvre sur un invraisemblable jardin, clos d'un grillage, surmonté d'un vaste atelier-véranda. Un autre peintre y jardine, à poil, son sexe est ridiculement petit. Il m'indique un trou dans le grillage très épais, mais je ne trouve pas cette entrée. Je repars dans le bus, en conduisant tantôt ma Corsa tantôt le bus, qui à un moment donné, évidemment, court sur son erre, abandonné, puis dévie dans un terrain vague et se plante contre un mur, et prend feu : tout ce que je vais devoir payer! Alors je me dis très fort que c'est un rêve, et je me réveille.


56 07 26

  • Dans un grand appartement abandonné (Condé-sur-Aisne), on frappe ; je me réfugie dans les chiottes-salle d'eau ; des feuilles de salade gisent partout, à demi-séchées, même près de la porte quand je veux chercher du papier en revenant sur mes pas le plus silencieusement possible.

  • Dans l'atelier, je parle avec Domi. Tables, chaises, une assistance. Je lui raconte un film dans la dernière partie duquel jouait Beigbeder. Domi le singe : il répéterait sans cesse (paraît-il) « Alors je lui ai dit ». Nous prenons congé, l'assistance s'est transformée en atelier de repasseuses. Il me rappelle, je suis à peu près à poil, un auteur d'une soixantaine d'années est là, qu'il me présente. Ce dernier me bat froid malgré le serrage de mains ; Domi me dit que cet homme a les mêmes idées que moi, mais ajoute : « Tu verrais sa voiture... » (sous-entendu : « ...par rapport à la tienne... » Je les laisse parler, non sans avoir déclaré à Domi : « Ça ne te gêne pas d'être au milieu de toutes ces femmes ? Ça n'est pas trop dangereux ? » (humour).

Lui : « Non non... »


56 08 03

Un comité des fêtes nous confie une petite fille à trimballer en poussette dans la rue. Nous la poussons parmi les trottoirs encombrés (voitures en stationnement, revêtement plus ou moins défoncé, gens) – je chante ou j'imite la trompette (Michel Strogoff)(des enfants, de loin, reprennent la sonnerie), regrettant de ne pas avoir un nez rouge de clown. A un certain moment, je prends la petite fille dans les bras pour la calmer ; elle s'est plus ou moins transformée en gros chat blanc). Nous nous reposons dans un café-restaurant arabe. Nous sommes assis à une table au fond. Une

employée redescend des chambres en se rajustant un bonnet de soutien-gorge, elle dit qu'elle a bien nettoyé. La conversation se poursuit en arabe avec la patronne. Annie me demande la signification de « goy ». Je lui réponds que c'est de l'hébreu. Je m'aperçois alors que la petite a disparu, Annie a dû la confier à d'autres tandis que je batifolais pour attirer l'attention des gens.

Il est impossible de lui arracher des précisions, car elle sourit et parle tantôt d'une chose tantôt de l'autre : affirmant que Sonia, curieuse de moi, aurait lu de mes carnets personnels qui de mon propre aveu traînent partout. Je vais m'installer, exaspéré, seul à une table, déjà garnie de son couvert, mais il n'est que 4h 7 (47 !) Des vieilles servantes viennent me rejoindre ; je passe à l'une d'elles ma main entre les cuisses car elle s'avance pour se faire branler, je la défends envers les autres qui se moquent un peu d'elle. Une autre me fait du gringue, elle était à Soissons en même temps que moi quand je me trouvais en 6e, elle a connu le camp de Margival et habite en Dordogne. « Malheureusement, ajoute-t-elle, « à cause de mes déplacements professionnels ».

Nous voici au nord du Lot-et-Garonne (Villeréal, Lauzun ?). Je prétends avoir quitté la table de ma femme parce qu'elle tenait des « propos incohérents » (c'est ce que j'avais affirmé en la quittant). Je me retrouve entouré par trois ou quatre vieilles qui me draguent, et j'envisage un excellent avenir. Je reste là très longtemps, n'ai pas vu ressortir Annie, mais la vois de dos, de loin, portant une queue de cheval auburn. Dans la rue, allre-retour, impossible de retrouver la gamine, des arabes passent en discutant de banque, de ce qu'il est possible de faire en cette matière à un juif ou non.

56 08 09

Atmosphère d'ennui pesant. Tarche, Odile et Dépont viennent nous rendre visite en voiture dans notre immense HLM. Nous devons aller vers eux pour les guider. Très vite, ils sont déçus parce que je n'ai rien à dire et me montre indifférent. La seule chose qui réveille Dépont est la vision, à gauche, d'un gros rhinocéros noir à bosse torsadée. Chez nous, j'essaie d'expliquer, en les prenant par les épaules, que je me sens dépressif ainsi avec tout le monde. Ça les rassérène un peu. Ils n'avaient pas voulu voir notre ancien appartement sur l'autre versant de la vallée urbanisée. Ils auraient préféré (Dépont surtout) d'autres buts plus intéressants touristiquement. Ils doivent repartir bientôt mais il me faut achever un examen au milieu duquel je suis parti, afin de les rencontrer.

Sur un escabeau extérieur je manque oublier mon appareil photo qu'Annie, râleuse, me fait rentrer.

Puis il faut qu'elle me passe de quoi écrire : une plume à l'ancienne (« Mais enfin, on ne se sert plus de ça depuis longtemps ! « ), un stylo bille vert (« Tu me vois rédiger en vert ? »), enfin, un stylo convenable. Nous rentrons donc l'escabeau. Je pourrai peut-être achever l'examen (latin, français), mais peut-être pas me présenter à celui d'italien, parce que j'ai dû recevoir mes invités. Il s'est créé aux USA un Etat italien où l'on comprend cette langue, mais dont la langue est l'anglais (le « Saporta » ?) J'aimerais m'y rendre.


56 08 21

Dans une communauté aveyronnaise. Je suis accueilli à bras ouverts par une femme qui ressemble à la fois à Josette et à l'hôtesse de St-Bauzille-de-Putois. Des enfants partout, une liberté totale. Je monte au sommet de la maison, regarde les lits faits dans une chambre, avec des toiles d'araignée. Un type passe l'aspirateur et me dit en colère de ne plus monter ici, car une petite fille aurait pu tomber dans l'escalier (j'ai laissé un passage ouvert). Annie vient, il n'est plus question d'attendre huit jours, comme me l'avait dit un jeune homme américain ayant reçu mon chèque d'inscription de 60 euros - « il n'était pas au courant »). J'ai toujours quelque chose à faire. Le père d'Annie est venu effectuer des recherches généalogiques, Annie descendrait de Berbères.

Je m'enferme dans des chiottes à battants, Josette pousse les portes et se retire en disant « Pardon ». Il paraît qu'on la traitait de « briside » (?), ce qui est typiquement bordelais. Je me récrie là-dessus alors qu'en réalité je n'en sais rien. Ici tout le monde s'aime, les enfants veulent faire voir leur sexe, la fillette me prend par les épaules : le nouvel arrivant est roi.

56 08 30

Mes parents et moi habitons la maison des Varoqueaux à Chauny. Je dois aller prendre livraison d'une auto acquise par petites annonces, à midi. Ma mère se propose d'y aller, je refuse. J'intercepte mon père qui part à moto afin d'arriver là-bas à midi, sur le chemin de son travail. Je proteste, on veut m'ôter mon initiative. Je monte en passager de mon père. Nous nous retrouvons à gravir, à Vienne, une forte côté à virage et à grande circulation. Mon père s'arrête en plein tournant, je l'engueule, il veut s'orienter. Il y a beaucoup de danger, nous sommes dépassés par de grosses bagnoles. Le propriétaire habite au-delà d'un pont-levis sans trou dans le tablier, au-dessus d'un abîme.

Mon père le franchit à moto tandis que je suis resté seul en plein virage, frappant de mes mains le mur de soutènement et braillant qu'on attente à mon indépendance.


56 10 12

Une location chez des grincheux. Je dois dormir entre l'homme et la femme et fais passer la femme sous moi en m'arc-boutant pour qu'au moins elle soit à côté de son mari. Elle me dit : «Pas d'humidités, parce qu'il y en a eu un, une fois... » Je réponds que je ne suis pas une femme. Je me relève pour pisser car j'ai demandé pour cela l'itinéraire, c'est au sommet d'un talus dans un terrain (une cour) accidenté. Je rencontre des tas de garçons debout qui fuient eux aussi des lits surencombrés, et se retrouvent dans un club de lesbiennes. Elles sont très aimables, très accueillantes, ça parle, ça chante partout. On peut lire, mi-dehors, mi-dedans. Le bled s'appelle Saint-Jean-de-Comminges.

Un type imite, au sol, un cor de chasse (« taïaut taïaut ») et je le reprends à la tierce, on fait la moue gentille parce que j'ai essayé de le supplanter. Il y a des jeunes des deux sexes, partout, on se frôle mais sans ambiguïté directe, on lit, on feuillette, puis tout s'apaise, chacun rentre dans sa location pourrie, les couples de femmes se forment discrètement. Pour venir je passe sous des réseaux de sandows au ras du sol, j'ai doucement heurté dans l'ombre un vieux chien gros et doux comme un mouton. Une fille a repéré mes Contes de Perrault trouvés par mon père, un gros livre rouge à couverture illustrée, puis le repose dans l'herbe en pensant que son propriétaire viendra bien le rechercher. Revenu dans mon lit étroit, je trouve tout le monde allongé à la lumière dans des postures diverses, mi-râlant mi-souriant, « Trop de bruit » (musiques médiévales), deux filles en chemises de nuit rouge, une atmosphère de douce liesse incroyable, des couleurs, des frôlements, chacun musiquant ou discourant à son tour, un grand esprit de fraternité..

56 10 28

Rêve de tentative de tripotage de Babette au sous-sol, après que nous avons beaucoup babillé en pleine nuit. Elle crie en réclamant de se rhabiller. Je m'empresse d'obéir. Une foule de membres de ma famille visite un vaste cimetière nocturne. Une porte donne sur un enclos sinistre, sans lumière. Je serre le mollet de l'oncle Martial dans l'escalier du cimetière, et tout flegmatique qu'il soir, il sursaute. Je suggère de faire cette farce impressionnante à d'autres. Recherche alors de la t ombe de Martial ; justement, il me demande d'aller voir des inscriptions, placardées, “plus claires qu'au fond d'un cœur ouvert”, mais je ne veux pas m'éloigner seul.


56 10 31

Parvenu avec des élèves et d'autres jeunes gens au sommet d'une colline herbeuse (nous faisons un rallye), nous recevons, apportés en voiture, trois sacs en plastique, garnis de carnets de mémoires. Je les distribue dans le désordre. C'est amusant, tout le monde lit (« j'ai le 75, mais c'est le 1980 »), puis je m'aperçois que ce sont les miens, en souhaitant que personne ne s'en rende compte. Des murmures commencent à s'élever : le secret perce. David se met à gueuler qu'on n'a pas le droit de fouiller dans sa culotte de cette façon.

Je raconte mon rêve à Jacques, resté à l'écart avec Accornero dont je veux vérifier qu'il n'a pas une phalange sectionnée. Il étale ses deux mains à plat pour me prouver le contraire. Les jeunes mangent à part, après nous, en consultant les notes sur la table.

56 11 01

Il ne me reste plus que deux ou trois jours avant ma retraite, on ne m'a pas confié de classes. Dans les couloirs, je gueule “Saloperies d'humains, charognes, crevez, pourritures”, etc. Les élèves s'écartent de moi respectueusement, comme s'ils me donnaient raison. Un collègue de physique, collier roux et front dégarni, cherche une salle avec sa classe. Il parle du droit du travail à un jeune homme qui s'assoit en haut d'un escalier en pleurant, et lui administre des bourrades au lieu de le consoler. Je manque tomber dans un espace étroit entre deux rampes d'escalier sous moi, et dis que je ne tiens pas à maigrir, afin de ne pas pouvoir y tomber. Personne ne fait plus attention à moi.

56 11 10

Je passe un examen de grec, avec Gourribon derrière moi. Le texte est indéchiffrable, mal imprimé, encombré de notes au crayon entre les lignes et à moitié effacées. On dirait que le grec ne m'est plus familier. L'examinatrice, une grande blonde de 55 ans, me le fait observer avec une hauteur sarcastique. Pendant ce temps se déroule une grande manifestation paysanne, à Cahors – qui ressemble plutôt à la ville d'Albi. Quelques dégâts et désordres, moins qu'on aurait pu craindre. Je repars de là en autocar, assez désolé. Je vire le chat Iris par la portière, et une paire de pantoufles. Plus tard, je récupère les pantoufles. Ma mère me demande de lui dire au revoir (j'avais oublié de le faire) tandis que je suis aux toilettes.

Je lui fais juste un signe de la main par-dessus la porte, elle s'en va satisfaite.

56 12 12

Appartement rue Quevedo, à Tanger. J'ai à la fois 18 ans et mon âge. Je fais une scène à mes parents, pleurant, hurlant que je m'ennuie ici, qu'on n'y rit jamais. Mon père est Nicolas Sarkozy. Il tente d'être aimable, pose sa grosse tête aux cheveux raides et sales sur mon ventre. Je me demande même s'il ne va pas me sucer, cela me répugne. Je pleure de rage en disant que je veux partir, même si Sarkozy me répète qu'on est bien, là, et que je dois rester. Mais je n'ai plus que très peu de temps, je ne sais ni où m'enfuir ni ce qu'il faut faire. Ma mère allongée dans la pièce d'à côté ne dit rien. Sarko ne m'a jamais autant débecté.


56 12 21

Invité chez une famille autrichienne, je suis engueulé du haut de l'escalier par un grand et gros barbu qui me dit que je n'ai plus rien à faire à l'étage familial. Je rassemble mes bagages dans ma chambre à grands rideaux. Un dernier repas de conciliation a lieu à l'extérieur, mais le père (le barbu) n'est pas là. D'autres échangent des plaisanteries sur un but de football, des vieilles dames se rapprochent de la table, pour ne plus voir l'arrière de mes mains. Atmosphère fausse. Je pense (ou je dis ) : « J'étais en asile, je repars pour l'asile ; entre deux dépressions je suis normal ». On me dit : « Vous reviendrez. » Je réponds : « Warum sollte ich ? » (« Pourquoi le devrais-je ? »)


56 12 29

Je titube dans une rue aux murs crépis ; c'est une vieille ville où j'ai vécu enfant (peut-être Laon). Des ouvriers qui réparent les murs me regardent. J'hésite entre remonter ou descendre la rue, puis trouve enfin une transversale où je m'échappe de plus en plus vite ; ma démarche est désormais assurée. Il s'agit d'un sentier herbeux, large, descendant par sections coudées successives. Une fille me suit sur ses talons plats, se débrouille malgré tout dans l'herbe. Nous parvenons à une bouche de chemin de fer ; sur les rails passe un train sans s'arrêter, nous nous mettons à courir, elle devant et moi derrière, dans un tunnel sinistre, et je suis devenu la jeune fille, tandis qu'elle est devenue moi-même.

Le quai n'est plus qu'un talus qui se rétrécit dans le noir. Au-dessus, dans l'épaisseur de la terre, quelqu'un se déplace pour nous accompagner, sans que nous le voyions. Il s'appelle Christophe. Nous espérons que ce talus entre deux voies va maintenant nous mener quelque part. Nous éprouvons seulement une vague inquiétude.


57 01 05

Dans un train, Sarkozy me demande si j'ai connu Roger : je réponds oui ; son fils aimait étudier l'évolution des partis conservateurs, ce qui suscitait les moqueries, et j'avais perturbé les cours de son père en y jetant du papier hygiénique. Sarko se montre tout attendri que j'aie connu le fils. Puis il envoie un gros pain à travers le compartiment, ce qui touche le cou d'une boulangère plaisamment offusquée. S'ensuit une bagarre jubilatoire à coups de gâteaux énormes envoyés et renvoyés de partout. Je scande : « Un baba ! Un baba ! » Nous parvenons à Nogaret, où son fils me conduit chez lui, fils dont la mère tient une espèce de bazar campagnard. Je vois aussi sa sœur de douze ans, très jolie.

Il m'offre un fascicule présenté comme neuf, or, une mention de ma main (« Livre du prof, littérature du XVIIIe s. ») prouve que je l'ai lue trois fois, cette brochure racornie, « fini un 10

juillet ». Il va me chercher quelque chose de mieux, mais préfère m'indiquer une galerie marchande où je trouverais «du grec moderne ». En chemin, je pianote sur un clavier détraqué, sous un plastique, fixé à un pilier extérieur. La galerie est belle, mais il n'y a pas de « grec moderne ». Pris de malaise, car il y fait très chaud, je me retiens de tomber grâce au mur courbe, orné de mosaïques moirées. Je reprends pied sous le regard inquiet (« Il ne va pas nous déranger au moins ? ») de chalands pressés.

Je passe devant un étal de papiers peints, juste avant la sortie. Le marchand me crie ironiquement, comme si je voulais me faire plaindre : « Vous n'allez pas vous imaginer que je vais vous donner du papier peint ? » Je dis que non, et dehors, sur un talus herbeux, je le traite in petto de connard...


57 01 23

Sur les marches de la médiathèque, une femme me sonde pour savoir les dix villes où j'aimerais habiter. Je cite New York (oublié la première ville), St Petersbourg (A. se récrie, comme la sondeuse), Lyon (la sondeuse est surprise), Lima, Caracas, Buenos-Ayres, Mexico... J'ai gagné un flacon de bonne eau de Cologne qu'un homme; à un stand voisin, me donne en souriant. Nous montons dans un immense autocar. Un employé m'indique une cabine individuelle, et des toilettes avec deux cuvettes (je pense « On peut chier deux fois »...) Espace très vaste, et clair. Quand j'ai fini et me suis torché, me retrouve sans cloison de séparation, en vue de tout le monde, l'employé lui-même à un bar.

Mais personne ne me fait de remarque : beaucoup de personnes âgées ; on me sourit. Revenu à ma place, je lis le journal, et je parcours le véhicule, très grand, qui se rend en Espagne du sud (Séville ? Jaén ?) Je crois alors petre revenu à ma place, veux emprunter un bloc-notes bleu, mais un Japonais à lunettes me dit : « Je me sers ! » Il montre à un autre Japonais, en face, qu'il a résolu un problème technique en resserrant une vis à tête cruciforme. Une prof me passe l'envers d'une en-tête de copie (3,5/20), c'est insuffisant. Une autre personne me refile un bout de papier écit d'un côté, tout chiffonné et troué.

M'étant mis en quête dans l'allée centrale (chacun dispose d'un espace considérable), je redécouvre enfin mon vrai fauteuil avec mon vrai grand bloc-notes à côté de ma femme. Je vais alors m'installer près du jeune conducteur, espagnol. Nous roulons actuellement vers Madrid, à l'intérieur d'une ville. Je confonds un infime ruisseau, presque à sec, au lit couvert d'herbes) avec l'Ebre ; nous arrivons à Saragosse. Le conducteur me donne le nom d'un autre cours d'eau. Le pare-brise panoramique permet un large point de vue. Le conducteur me dit en espagnol : ¡Parece la televisión ! Je demande en français si l'on a toujours l'intention de détourner l'Ebre pour irriguer les provinces du Sud.

Il me répond en français que le projet fut abandonné (sauf un canal pour la résidence du roi, à Aranjuez ?) - mais que ce dernier a demandé « une exploitation moderne avec des moyens anciens ». Le chauffeur trouve cette formulation ridicule, pas moi. Je rejoins ma femme sur son siège, regrette avec elle que nous n'ayons pas mentionné, parmi les dix villes, Bruxelles. Je le dis assez haut pour que l'entourage entende. Et comme cela semble lui indifférer, je dis « Le Belge il vous emmerde ». Puis j'écoute les nouvelles du Sud de l'Espagne, en précisant : « A Séville, 45° l'été, ce n'est pas un problème. » Cet autocar pouvait avoir la taille d'une cabine d'avion, et nous emmener après coup dans l'hémisphère sud...

57 02 09

Dans une annexe de l'église « la Madeleine » à Bergerac, où fut enterrée ma mère, je découvre à l'angle un grand escalier tournant menant au clocher ; mais j'explorerai tout cela plus tard : aujourd'hui on enterre mon père et je roule dans ma tête cerains fragments de phrases afin de prononcer un discours funèbre. Alors arrivent en vrac sur la place plusieurs véhicules, qui livrent le cercueil et plusieurs assistants, plus le curé. Il y a Tastet parmi les assistants. Un cercueil gris style Samsonite. Et qui est-ce qui descend d'un taxi, vieux mais en pleine forme ? Mon père lui-même. Je l'évite, repasse dans la nef où j'ai envie de défoncer le cercueil devenu inutile. Mon pote Everaerts de Velp connu à Tanger me dit qu'il n'a pas envie « faire partie de ma patristique » - je m'étonne, il me révèle que mon père, admiratif, lui a fait lire le projet d'un ouvrage sur lui : il n'a pas envie d'être le sujet d'un roman.

Je le rassure : ce projet m'avait échappé, je ne me souviens plus ou presque de lui, mon intention est de ne rien écrire à ce propos. Je suis dans une véritable rage, surtout que ma mère, en fantôme gris, se met à tourner aussi avec mon père, et pourtant je me souviens très bien les avoir enterrés déjà tous les deux. Everaerts me rappelle alors qu'un mois en maison de retraite coûte 2400

euros par personne, soit la totalité de ma retraite ; il n'y aura pas assez d'argent pour les deux. Je pourrais selon lui qui connaît des adresses discuter le prix, mais ce sera toujours excessif. Je fais chercher dans ma voiture des cartes ferroviaires et routières pour emmener mes parents dans une maison lointaine, meilleur marché, en pleine cambrousse. Je fous toutes sortes de papiers par terre.

S'apercevant de cela mon père et ma mère se vexent, remportent le cercueil Samsonite en le traînant par terre. Je suis dans une colère folle car les voici de nouveau en pleine forme, tout est à recommencer. Sans oublier que Katy se trouve là aussi, me rappelle que Denis était venu prendre un pot chez moi le jour des vraies funérailles de ma mère, avait fait la gueule, et s'était montré jaloux de n'être pas le centre d'intérêt de tout le monde – évidemment... Je revois la scène, alors qu'il buvait du café... Quand je me suis réveillé, j'étais dans une vraie rage.


57 03 06

Je dépose ma bicyclette contre un mur après avoir cherché une bibliothèque dans le XXe, ça monte. En retrait de la ligne de maisons, je demande mon chemin, alors que le propriétaire me surprend à remettre d'aplomb un autre beau vélo que j'ai bousculé. A l'intérieur, de vastes salles aménagées dans le roc rouge, un peu comme de la brique toulousaine, reconstituée à Paris. Un prêtre dit une messe pour des prisonniers. Un prof d'histoire m'accompagne, il n'a plus qu'une jambe et un bras et demi, mais toujours de bonne humeur. Il déteste les simagrées ecclésiastiques, se moque des signes de croix des forçats dans les fers, qui auraient entraîné leurs pieds symétriquement.

Il me fait un peu tout visiter. Quand je reviens dans la grotte à messe, où l'on a communié à l'eau dans des gobelets en plastique, j'en prends un à part et je bois dans un lavabo, pour ne pas tout mélanger. Je lui demande quelle époque il aime enseigner (je suis prof d'histoire aussi, comme je le lui ai répondu, et je cherchais, au début, de la documentation dans cette bibliothèque. ), il se renfrogne et disparaît dans une voiture hermétique de fabrication brésilienne, au ras du sol, de marque « Oriba » ou quelque chose d'approchant, je lis dessus « otage de l'Oriba ». Son fils de 10 ans me montre une splendide Ford remontée par son père, avec des chromes dorés rutilants.

Je passe ensuite dans une pièce où se trouvent une quinquagénaire et sa fille, qui ont connu, à Bordeaux, un médecin, le Professeur Moreau (je crois me souvenir de lui). Il y a partout des images et des renfoncements dans le roc. Ce Professeur Moreau ensorcelait sa clientèle au nom d'un socialisme dévoyé. Sur le buffet encombré d'images, la photo découpée d'une femme, peut-être celle qui me reçoit, peut-être l'épouse décédée, et révérée, du propriétaire (celui-là ne s'est jamais fait voir). Je me balance sur un siège que j'ai renversé, au risque de le briser. J'ai auparavant mordu dans une grosse miche dorée que me tendait avec deux autres, toutes chaudes, un boulanger, membre de toute cette communauté finalement qui occupe ces lieux.

J'achète la grosse miche. Anne en mange aussi, tant pis pour le prix. Atmosphère générale étrange et familière à la fois, on se sent libre. L'ensemble est spéculaire et complexe : nous sommes en plein Paris comme si c'était Toulouse ou Albi.


57 04 02

Avec Anne dans la rue. Nous sautons sur un toi et un capot de 4x4, nous laissant glisser. Nous pénétrons chez le propriétaire et nous vautrons sur un gros édredon. Le proprio survient, grand, sec, sévère. Il se demande ce que nous faisons sur sa voiture. Il demande et obtient mon nom. Il paraît que je suis fiché au grand banditisme et que Sarkozy me tient à l'œil. Je suis relâché. Arrivés chez M. Nogaret, nous voyons ce propriétaire et un ami qui lui ressemble. Il nous refait la morale, exhibe un type qui porte mon nom, misérable, petit, bouffi, presque pas d'yeux, l'air inintelligent et féroce au possible, à qui je veux parler mais ne désirant que me casser la gueule. Je commence à rédiger à la machine une protestation, Sonia me rassure car il n'a pas vu mes papiers, n'en ayant pas le droit. A 2h ½ je dois être chez un psy mais j'ignore son adresse. Je la trouve dans le gros carnet d'Annie, son nom commence par un E (« Estrosi » ?) mais il est trop tard, j'irai une autre fois.

Mon entourage m'a soutenu. Je n'ai pas volé, ni commis de dépradations.


57 05 28

Christophe, Sonia, ma femme et moi, et des enfants, habitons très unis dans un pavillon de bois en hauteur avec balcon. Il existe entre nous et la plage à 1 km des bunkers, certains sans fenêtres, où vivent des immigrés arabes ou gitans. Sur le chemin de la plage je revois ue jeune fille naine, difforme, œil unique et saillant, sein unique et pendant. Elle me fait des propositions et je ne dis pas non, plus tard. Elle dit que j'ai (ou qu'elle a) « de jolis yeux ».

De retour, j'entends des bruits de bombardements. La ville à 3km est l'objet d'un furieux pilonnage, des avions s'acharnent, des murs tombent, des flammes rouges immenses montent jusqu'au ciel. Autour de moi personne ne semble effrayé ni ne veut s'enfuir. A la télé, pas de nouvelles, ni à France-Info, ni nulle part sur la bande FM de la radio de bord. Christophe continue à se vautrer dans le sable avec les enfants et un chien. Je m'affole complètement, car je suis le seul à voir cela, à en mesurer l'extrême gravité. Les bombardements terribles se rapprochent, la maison voisine est touchée. Le lendemain matin, qui arrive aussitôt, un flic nous dit en souriant d'un air blasé qu'il s'agissait d'un feu d'artifice, la maison atteinte était abandonnée.

Il nous demande de changer les pneus blancs d'un tricycle, complètement lacérés, inutilisable. Je me rends compte que s'il y a une catastrophe, je serai le seul à m'en apercevoir, et qu'il faudra que je meure sous les bombes à cause de l'inertie des autres. Dans le même rêve, préparatifs de l'enterrement du père Bedu dans une église en processus d'effondrement, je ne veus pas suivre un compagnon nord-africain mais un catholique. Je pleure, et j'associe ce deuil à celui de l'abbé Pierre.


57 06 14

Dans une maison aveyronnaise aux planchers défoncés, mais très ensoleillée, mes parents préparent une réception. Je transporte deix cocottes l'une après l'autre, du bouillon, un poulet aux légumes, et trébuche, tout est flanqué par terre. Plus rien à manger ! Mais ça ne fait rien, tout le monde continue d'être de bonne humeur. J'apprends que mes parents avaient acheté cette baraque, et que Sonia pourrait en profiter plus tard. Du coup, je me mets à fouiner partout pour voir comment elle pourrait aménager tout ça, jusqu'à ce qu'ils réfrènent mon enthousiasme : rien ne it qu'elle voudra y résider. Je ressors, cette maison s'achève par des contreforts romains et débouche sur un amphithéâtre qu'on est en train de dégager, où se pressent déjà les premiers touristes. Le nom du patelin est en deux parties me dit-on, avec un trait d'union, mais personne ne s'en souvient (Pont-de-Rhodes ? Roda ?)



57 07 04

  • Je chante des sourates sur mes citations, l'une après l'autre. Ce sont des séquences sonores très brèves et gutturales. J'ai beaucoup de peine à passer d'un paragraphe à l'autre, les numéros stagnent au lieu d'augmenter. Des gens m'écoutent avec grand intérêt. Je sens qu'il aurait fallu suivre cette voie, mes vocalises sont d'une grande subtilité voire sophistication, mais j'aurais dû découvrir cette vocation plus tôt, et travailler considérablement. Mon intérêt en effet se porte plus sur le son et la syllabe, et non sur le sens d'un texte. Je poursuis de belles vocalises sous le regard distrait de « pgde fec », « sacris », dédaigneux.

  • En route vers la gare avec des passagers, bloqués par un embouteillage dû à une déviation pour travaux. Nous parvenons place Pey-Berland. Je m'aperçois alors que l'immeuble faisant l'angle avec la rue des Remparts est quasi démoli, pour se faire remplacer par du moderne. Je hurle mon exaspération par la fenêtre entrouverte : « Assassins ! Architectes de mes couilles ! Salauds ! », etc.

Toujours ce sommeil quand j'écris... Amiel ! Amiel !

57 07 11

Une maison en forêt au pied d'une pente de sable. Je suis en compagnie de je ne sais qui. Nous montons. Au sommet, deuxième maison dont les rochers occupent tout le terrain. Haute porte de métal. Je parviens à voir l'intérieur par une fente : tout paraît très ordonné, ceux qui m'accompagnent sont mes parents, jeunes, enthousiastes. Je leur crie : « C'est abandonné seulement depuis les années 60 ! » Tête pleine de projets. Une Allemande avec ses deux enfants francophones utilise le même chemin pour descendre que nous pour monter. Elle dit à son garçon : « Toi aussi tu penses que l'hystérie est constitutive du tempérament des filles ? » Le garçon, blond et suffisant, acquiesce. « Eh bien ta sœur n'est pas d'accord du tout, bien qu'elle soit turbulente. » Et ils discutant des mérites d'un certain psychiatre allemand dont je m'étonne qu'un si jeune garçon puisse connaître l'œuvre ; quant à moi, du talon, j'efface les marches de sable en glissant, me souciant peu des difficultés que cela engendrera pour remonter - j'ai toujours des projets en abondance, cette maison s'appellera de l'ancien nom du lieu-dit où elle fut bâtie.

57 08 22

Je suis remplaçant en 1e à Brioude. Mes cours sont préparés avec des 6e à une table de bistrot. Ils me considèrent avec un amusement quelque peu condescendant. L'un d'eux me demande si je ne m'appelle pas Collignon par hasard. Je dis que non. Je dis à d'autres, venus à ma table : “Elle ne s'appelle pas Brioude, au moins, cette ville ? parce que c'est d'un con, ce nom...” Silence gêné. Je finis pas projeter un cours, ligne à ligne, mais je ne crois pas qu'on ait suivi beaucoup.

Me voici logé dans un hôtel, en bas d'un escalier. “C'est pratique si on rentre bourré”. Un employé débordé, “qui n'est là que depuis quinze jours”, me fait compléter une fiche sur papier glacé. Les chiottes sont très salles. Je demande à chier derrière une cloison coulissante, au niveau de jeunes gens qui sont en train de manger.

L'un d'entre eux : “Ah non ! pitié !” Aux autres : “Vous ne vous rendez pas compte ! C'est insupportable !” Je trouve à chier rue David-Johnston, chez Coco : il y a donc là ma belle-mère, Françoise et M. Terrasson, qui ne veut pas être appelé ainsi, dit-il avec agacement, comme si le nom n'appartenait qu'à sa fille dont il serait, lui, le mari. Un lit m'est préparé dans le grenier de Condé-sur-Aisne, mais le plafond s'effondre comme chez Mme Marqueton, et il est difficile de trouver un emplacement solide pour le lit, où je ne devrai pas trop remuer.












57 09 01

Expulsion d'un membre de VVS pour dissidence envers le Parti Communiste. Ambiance électrique. La plupart soutiennent le dissident, dont moi. Le rassemblement se fait d'abord en plein air. Les conversations sont houleuses. De vieux pontes qu'on n'avait jamais vus viennent se joindre au groupe. Ils sont sans doute délégués par des instances supérieures. Je revois même Marcel More, ancien ami d'enfance, mais je l'accueille raidement, tant qu'il ne se sera pas décidé pour l'un ou l'autre parti. On grave ou gribouille des “K barrés” sur les poteaux téléphoniques. Tous ont un verre à la main. Nous nous dirigeons vers une salle où sont disposés des buffets apéritifs. Nous chantons l'Internationale, mais les paroles que j'emploie sont grossières et rebelles.

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On me demande de chanter seul : “Camarade, quelles sont tes paroles de l'Internationale? - Je suis trop patriote pour chanter l'Internationale. Parfaitement. Pas fasciste, mais patriote.” En temps ordinaire, on ne m'aurait pas laissé m'exprimer ainsi. Nul ne sait ce qu'il adviendra du vote, vu le nombre d'éléments extérieurs importés. Quant au type en question, le dissident, je ne l'ai jamais vu.


57 10 07

Thiébaut et Tarche, jeune, attendent que je parte pour se livrer à une conversation importante. Je lâche tout à trac que je déteste la logique : “Les maths sont la seule science où la somme de deux carrés soit inférieure à un seul de ses carrés” [sic], et il en est ainsi de toutes les sciences dites “exactes” - en réalité je défie toute rationalité, toute morale, tout raisonnement. Ils se regardent, stupéfaits. Je pense à part moi que si j'avais été un homme célèbre, tout m'aurait été permis, et ce que j'aurais dit admirable : il faut, paraît-il, suivre sa voie sans se soucier des règles, condition de la découverte géniale ? Mais moi, je suis toujours rabattu par les autres sur le principe de réalité, de vérité...

Alors commence une réunion professionnelle de type syndical. Annie fortement dépressive se trouve avec moi. Je dis assez fort que sa place est dans un établissement (psychiatrique) et non pas ici. Les voisins, assis, entendent. Impossible que je me retienne : je réitère mes piques. Un assistant se penche en arrière sur sa chaise et me dit que je suis un salaud.

Pendant ce temps, le président (Tarche ?) affirme qu'il n'y aura rien à manquer cette fois en raison de tracasseries administratives radines, qui, “dès qu'on racle une feuille de chou”, soulève des difficultés et compte les centimes. Je me suis un peu beaucoup servi au buffet. La réunion, plus courte que prévue, s'achève. Un compte rendu exact en est distribué à tous : le texte est très exactement semblable, mot pour mot, à ce que le président a peut-être lu ; il n'a rien proposé de nouveau. Annie et moi partons à pied dans les rues populeuses, l'un à côté de l'autre et marchant très vite ; elle fait la gueule et fonce, nous faisons même une queue de poisson à un couple de vieux, et comme je le reproche à ma femme, elle manque m'incendier, alors nous poursuivons.

Nous devions prendre le tramway, mais je me retrouve seul en voiture, essayant de me garer

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rue David-Johnston. Impossible de rester parallèle au trottoir, je multiplie les manœuvres comme pour un créneau alors qu'il n'y a personne, enchaînant les marches arrière rapides et sans visibilité. Cela se passe contre des grilles de parc où courent des chevaux de petite taille. Beaucoup de monde sur mon trottoir. Un homme expliquent pourquoi ils courent : ils sont très heureux de la grande dimension du parc. Une jument a mis bas, mais en regardant bien, il s'agit d'un tout petit lion, déjà pourvu de sa crinière, et qui plus tard deviendra féroce.

Me serais-je trompé d'animal ? La jument le lèche et s'occupe de lui. Ma voiture enfin garée, assez loin (des travaux barrent la rue, juste devant ma porte. Il y a un trou dans la chaussée, des engins énormes et jaunes (fuite de gaz ?). Je sors de mon véhicule un carton ramolli, une partie de son contenu, des victuailles, tombe dans la tranchée. Je jure très grossièrement, en français, en arabe, et récupère une partie de la bouffe. Un type descend et récupère d'autres choses plus ou moins mangeables de part et d'autre de la buse au fond de la tranchée. Beaucoup sont témoins. Je remercie à peine, et retrouve ma femme dans l'appartement que nous occupions pions pions pions (Noël-Noël ?) Anne m'engueule et me jette des trucs à la tête, je tâche de parer en m'efforçant de pleurer : j'y réussis mais ça ne dure pas.

Elle m'accuse de la renfoncer sans cesse et devient de plus en plus névrotique. Ce rêve, dû à l'absence de Sertraline, m'effraye assez, car il représente mon inconscient, juste sous la surface. Si c'est vrai, que de haine en moi. Et si je vais au fond de moi, deviendrai-je sage ou fou ? Plutôt : pourrai-je supporter ma vérité ? Or je ne veux plus souffrir. Garder ma médiocrité, renoncer à la

gloire et à toute action. Dès que je revois X., mes résolutions s'envolent, pourtant elle n'arrive pas à égaler ma femme en estime portée... Il va falloir affronter cela sans faire de mal.


57 10 25

Je dois passer un examen d'orthographe et de rédaction, la salle est comble, les candidats confiants. Mais en relisant ma dictée, je m'aperçois de grossières inexactitudes, avec insertion de jurons et expressions populaires... en norvégien ! Mon voisin, c'est un élève d'Andernos qui s'étonnait que l'on pût être considéré comme pédé à 16 ans. Il rappelle aussi Verhak et Daknenberger (d'origines

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flamande et norvégienne). Mon voisin a commis des insolences similaires dans sa copie, j'inscris mes appréciations sur son devoir et convoque la surveillante, “pour voir si je ne suis pas en infraction”.

Elle examine une chemise que j'ai laissée à mes pieds, en extrait des documents dont mon annuaire téléphonique, c'est un peu gênant mais ne constitue pas une tentative de fraude. Elle me raconte (grande blonde quinquagénaire bien enveloppée) qu'elle a dû soustraire non sans mal sa fille aux avances d'une autre femme, en a des larmes aux yeux. Je repars chez moi, allée des Tulipes, où ma femme m'a préparé de la purée pour le repas et entend bien me la faire manger sans me presser, alors que je lui répète, de fort mauvaise humeur, que je n'ai pas le droit de m'absenter ainsi en cours d'épreuve. Survient une femme qui défend mon point de vue, mais Annie le prend de très haut : “Imaginez que j'aie un cancer” - sous entendu, j'ai le droit de retenir mon mari pour le repas.

Je parviens à quitter mon appartement, les laissant s'expliquer. Rêve imprégné d'un climat de haine universelle et de détestation de soi et de toute sa vie, qui survit à mon réveil, ce qui est extrêmement pénible. Il est survenu à la suite d'une émission tardive, “Ces Messieurs-Dames”, où des personnes plutôt âgées se déguisent en femmes, tout en restant la plupart du temps hétérosexuels : des “transgenres”...


57 11 18

Des gars pénètrent dans un magasin avec un revolver. Je ferme la porte de la cave. J'ai fait les courses ailleurs, en jetant des ordures sur le dessus du sac. Ils m'entraînent chez moi en frappant violemment à la porte, bouffent tout ; l'un d'eux croit que les légumes rendent impuissant. Je me verse une bière et dis : “Non, c'est ça qui rend impuissant.” Ils se livrent à une représentation théâtrale dans une enfilade de greniers avec installations gymnastiques, puis se retirent. Ma grand-mère est scandalisée par les dégâts causés (une serviette dans la chasse d'eau !) et c'est elle qui a interrompu la “fête” en forçant une porte intérieure, elle découvre un bison mécanique... et deux “relevés” de skate-board. Deux jumelles de 20 ans dansent pour finir dans les décors de théâtre ruinés.

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57 12 06

Annie me demande de rédiger une sollicitation de vente à une agente immobilière, naine, aux membres immenses, féminine, fardée, irrésistible. Alors je m'aperçois que cette vente s'est effectuée sans moi, sous prétexte que le terrain au Cap Ferret n'appartenait qu'à Annie. Un gros Russe style Lonsdale est dans le coup aussi. Je gueule qu'on se fout de moi, je ne suis pas consulté, je change de place lors d'un entretien, isolant le Russe. Je refuse de voir qui que ce soit. Annie m'appelle pour manger, se justifie de loin en s'enfonçant dans l'appartement, de sorte que je n'entends qu'un vaste gloubiboulga auditif. Je trouve qu'on s'est mal comporté avec moi, ludion, guignol. Moi aussi je vais vendre des choses qui ne m'appartiennent pas, pourquoi pas la tombe de la grand-mère.

Je me réveille dans un état de haine indescriptible, attendant qu'Annie se réveille pour l'engueuler. Il faut que je reprenne de la Sertraline ! Dans le rêve, Annie m'a dit que le psychiatre lui avait demandé pourquoi elle me haïssait autant...


57 12 11

Le médecin de la rue Turenne examine mes organes génitaux devant K., tout le monde affectant un grand détachement. Il prend un double décimètre, ayant trop de talon, puis un petit, et déclare : 12 cm”. Je dis “Un de moins”. Il ne comprend pas. Laissés seuls, et tandis que K. poursuit son babillage, nous nous retrouvons sur le parking du Carrefour de Flins. Pendant ce temps j'ai pensé ne pas pouvoir donner de plaisir aux femmes, recourir à des procédés “enlarge your penis”. K. me parle d'un de ses collègues : “Il s'ennuie avec sa mère, il ennuie sa mère...” - à ce moment malgré moi mes larmes montent, je m'enroule autour d'un grand réverbère en tremblant dans mes larmes et en répétant : “Excuse-moi... excuse-moi...” (de pleurer...)


57 12 21

Vente de guitares. Je m'exhibe face à un élève qui trouve cela sans gravité. Mais rien n'a été acheté. J'ai offert une revue à un petit Noir qui n'en veut pas, un autre se l'approprie. Nous allons à un repas “rue Napoléon”. Vieille bâtisse introuvable. Plein de gosses dehors. Annie surveille avec une autre,

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prof revêche. La prof soulève une petite dans ses bras et la couvre de baisers : “Je te croyais méchante mais tu es une gentille petite fille.” Laquelle hurle désagréablement, tandis que les autres huent la vieille prof. Nous redescendons, je déconne un peu, après avoir affirmé à la patronne que nous reviendrions ma femme et moi (elle nous demandait si nous voulions des médicaments). Je me repose à un café. Des jeunes sèment partout des pétards à retardement. J'attends que ça se passe. Il y a en terrasse des pontes bien habillés. Je me dégage en tombant de ma chaise doucement, la braguette ouverte, en short. Il s'agit du Conseiller Général. Des élèves qui m'ont suivi disent qu'en allemand (nous sommes halb in Österreich halb in Meulan), il a l'accent d'Allemagne. Je monte une pente en voiture à contre-jour, afin de regagner la Cité du Paradis. La pente devient de plus en plus raide et bien que ma voiture prenne son élan elle ne peut sortir d'un puits devenu vertical, baleinier, vaginal. Or une autre auto, piégée elle aussi, apparaît loin dessous. Pas moyen de rester là-haut, sauf à remettre le moteur à plein régime, sinon je la pulvérise en retombant.


58 02 18

A l'écart sur le sol battu d'une pièce abandonnée, j'aperçois une planche mal dégrossie comportant des courroies pour les pieds. Je l'enfile et à ma grande surprise,si je le désire, je peux quitter le sol. Je m'exerce et m'aperçois que j'augmente mon altitude et modifie ma direction. D'abord je m'exerce dans la pièce, pusi passe dehors par la porte ouverte. Je parviens même à monter très haut, sans peur ni vertige, car je reste étonnamment stable. En redescendant, je trouve quelques témoins. Il y a même un médecin qui examine les planches et n'y découvre aucune propriété surnaturelle. Or je suis monté au-dessus des arbres, et peut-être même à 100 m. Je sais qhe l'individu que je représente a été arrêté pour fraude, ainsi qu'une femme, seulement, je ne me vois pas en fraudeur du tout. Aucune sentiment mystique ou religieux non plus. On arrête une jeune femme simplette qui avait profité d'un don analogue pour aller donner de ses vêtements, laids et bariolés, à une association caritative de semi-débiles mentaux. On la rabroue, ouf, je serai donc le seul à pouvoir ainsi profiter de ces pouvoirs.



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58 02 19

Dans une ouverture de galerie de métro à même le sol, je rencontre un petit Arabe tête baissée, à vélo. Je pense qu'il s'appelle Samir. On le hèle : “Samir !” Je me réjouis de cette oïncidence. Des enfants sautent de très haut sur la terrasse étroite d'un restaurant. Je me suis énervé contre un enfant qui raisonnait comme un petit vieux technocrate ; c'est François Hollande qui dirige une réunion sur le marketing. Ils parlent d'abstractions sans aucune marque de spiritualité. Je m'emporte pour cause d'insensibilité totale. Je pars dans des baskets sans empeigne à gauche, en plastique, sans parvenir à les nouer. Annie m'assiste maternellement dans mes pleurs et admet que je veuille partir.

En me promenant, je retrouve ce groupe dans une maison communautaire ouverte à tous vents, ne salue que peu de monde, ils font des projections murales, je ne reconnais rien. François me demande comment je choisis mes trains en fonction du prix, puis il se tait, car j'ai pris mes distances. Je lui répondrais que je prends le train, comme ça, en fonction de mes envies, que ce soit cher ou non. Il y a là des Allemands qui célèbrent une noce ; les femmes montrent leurs jambes en posant le pied sur une chaise, les hommes sautent, tout est ritualisé, la Blechmusik joue très fort. Dehors, la population assiste à tout cela. Un jeune gars, tout nu, s'exhibe. J'en fais la remarque à un autre qui le prend mal puis rigole.

Des enfants m'entraînent, filles et garçons. L'un d'eux emploie des mots de leur argot à eux. Je me mets sur le canapé. On m'a montré des petites boîtes contenant (“Il y a de l'argent dedans ? - Oui !”) de l'argent de poche. Ils m'accueillent tous avec confiance. Je dis : “Dans l'histoire que je vis, je suis juif. D'ailleurs, en vrai, je suis juif. - T'as l'air d'un flic.” Mais ils me croient, ils m'apportent à lire des livres pour enfants.

J'aimerais être débarrassé de tout souci adulte et redevenir un enfant.

GOSPODA POMILOUYI




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58 05 22

Suis allongé dans une vaste salle avec des candidates, nous attendons que l'examinateur nous appelle pour l'oral. À l'écrit, j'ai produit un poème censé en expliquer un autre, mais je me demande s'il ne faudrait pas le commenter, tout de même. La fille de l'examinateur, sur le lit de derrière, me laisse entendre finalement que cela vaudrait mieux. Ce dernier passe et choisit ses candidats, je me signale car c'est mon auteur... Je rejette mon drap et apparais, comme les autres, en pyjama. Mais il m'ignore. Je me confie à l'une de ces grandes filles dont j'étais si dévotement amoureux à Tanger. Un nommé Serfaty, que j'ai bien connu, me téléphone, et me prodigue aussi des conseils. Atmosphère d'extrême confiance, d'extrême tension, de danger. "Danger à Tanger".


58 05 29

Je voyage en voiture, de Béziers vers le Massif Central, et m'arrête assez tôt (une vingtaine de km). Comme j'écris assis à une table de bistrot, une jeune fille me confie ses manuscrits, que je me mets à lire. Ce sont des cahiers d'écoliers, assez dépenaillés. Elle attend mon verdict. Ça m'empêche de composer, sa prose n'est pas mal, mais sans plus. D'autres nous rejoignent, de 18 à 40 ans, un chauve ahane contre une table à ma gauche comme s'il la tronchait et je dis : “Il baise la table ?” Rires, gêne. Une autre jeune fille lit mes écrits sur les rapports avec les femmes. “On voit bien dès le premier abord que vous avez des problèmes avec les femmes. - Oui, j'ai une tête de con.

C'est cela.” Nous rigolons en camarades. Deux ou trois jeunes filles se donnent rendez-vous au cimetière pour se tripoter entre elles. “Tiens, dis-je, le rendez-vous au cimetière, je n'y avais jamais pensé, il faudra que je l'utilise dans mes écrits.” Cependant je sais que je n'en toucherai pas une, comme d'habitude. Nous montons sur un plateau puis en redescendons à pied, comme si j'étais du coin, et du groupe. En montant je chantais admirablement de l'opéra en faux italien, puis en mode tyrolien ; en redescendant, j'empêche les demoiselles de trébucher, commence “Travadja la moukère”, chanson reprise par un trentenaire qui avec moi tente de mettre le groupe au pas, mais ça reste pagaillique.

Le groupe en bas de pente bute sur deux chevaux à belle crinière blonde, et nous disons : “C'est la cavalerie”. J'aimerais bien quitter ce bourg où nous sommes revenus, même sympathique :

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Je remonte vers Nant, Rodez” - on ne me croit pas. Le groupe me conseille d'aller voir les ermites, des fous qui vivent tout nus en plein hiver sur les montagnes au-dessus d'Alzon. Il me rattrape alors que je remonte la pente vers ma voiture garée là-haut ; chemin faisant je passe sans m'arrêter (c'était bien tentant) devant une bouquinerie qui vient d'ouvrir et que je n'avais pas vue à l'aller. Cette cité me semble de plus en plus riche intellectuellement, et intéressante, les autres m'entourent et discutent entre eux mais sans m'exclure, me sera-t-il possible de reprendre ma “route solitaire” et de parcourir une étape suffisamment longue avant la nuit ?

Car je vois bien que tout le monde a l'air bien parti pour une bonne bouffe amicale et une soirée plutôt arrosée, puis prolongée...


58 06 15

Deux énormes panthères, mâle et femelle, passent d'un canapé à l'autre pour dormir. S'ils se réveillaient, ceux qui viennent me consulter dans mon étroit cabinet et moi-même risquerions gros. L'équipe du film “Pourquoi tu pleures” - des juifs donc – vient me voir. Grande séance de vidéos. Je me mets en pleine lumière, les yeux fermés. Je ne suis pas admis à leur cantine, dans l'autre pièce, sévère, nourriture cachère. L'un d'eux m'a pris en sympathie, me remmène pour retrouver ma voiture. Je dis : “Elle est derrière toutes ces étendues d'eau.” C'est un lac urbain, mais eux pensaient à la Mer du Nord; d'où leur hilarité. Mon accompagnateur m'abandonne pour aller chercher sa voiture à lui. Un type en double un autre à l'entrée d'un pont et me broie presque la jambe. Je ne suis pas arrivé à franchir ce pont, rien n'étant prévu pour les piétons. Quelle idée aussi de descendre les escaliers...

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58 07 13

Je conduis un autocar de Bordelais depuis le Médoc, tantôt au volant avec GPS, tantôt de l'extérieur, en cliquant sur un symbole avec un pointeur. Je ne me démerde pas mal en campagne, puis cela se complique à l'arrivée en ville, par le nord. Le véhicule devient peu visible sur l'écran. J'arrive encore à l'arrêter aux feux rouges, mais deux fausses manœuvres se succèdent, provoquant un puis deux attroupements, symbolisés sur l'écran (la voix du GPS me le précise, puis l'on voit des petits points humains). J'espère que les Bordelais regagneront leur domicile par leurs propres moyens...

Redescendu de mon volant, je me fais engueuler par un sous-patron basané à l'accent espagnol incompréhensible, qui me dit, méprisant : “Et que je ne vous revoie plus lundi. Avec votre petit col glacé de merde...” (une chemisette en satin...) Aux chiottes, je médite sur un dialogue que j'aurais pu avoir avec un accusateur : “Il faut bien que je me trompe une fois”.

...Or, je n'avais pas droit à la moindre erreur. Ce rêve a fini en cauchemar.



58 08 08

Je retrouve Brigitte Giraud dans une vieille chambre d'étudiant à l'ancienne. Annie est déjà là en arrière-plan et ne cesse de grommeler discrètement. Nous n'avons pas très envie de partager la même chambre Brigitte et moi pour cette rentrée. J'encombre sa table pour chercher un hameau sur la carte. Elle fait brailler sa radio, style variétoche Sylvie Vartan. Elle a retrouvé sa jeunesse et sa beauté, blonde éclatante, toute en rouge. Elle prétend ne pas avoir besoin d'aide mais déclare, en alternant raideurs et tendresse, qu'elle va m'aider, elle. Pour moi, je me trouve égalemen coincé en voiture à flanc de falaise au-dessus de la Méditerranée en plein cagnard, et je dois détacher du roc la scupture en haut relief d'un sanctuaire, mais le burin est émoussé.

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Or je dois atteindre au sommet une église orthodoxe à trois bulbes magnifiques, faisant l'inventaire des sanctuaires du cru. Et je cherche aussi le hameau sur la table que je partage avec Brigitte Giraud. Sur le palier (on entend tout) parlent très fort des hommes que j'imagine en costumes sombres et chapeaux. Je pense aller leur demander moins de bruit, mais Brigitte et moi nous en retenons, car ce sont “de riches bourgeois”, nos propriétaires sans doute, qui nous attireraient des ennuis, nous expulseraient peut-être. Brigitte et moi sortons dans la rue, moi en longue chemise bleue sans rien dessous, pour chier de conserve dans des WC publics. Nous nous jetons un coup d'œil satisfait dans un haut miroir extérieur.

Annie est restée à râler toute seule dans la vieille chambre. Je n'ai identifié Brigitte qu'au réveil...


58 08 12

Partons Anne et moi de chez mes parents pour passer quelques heures à l'hôtel afin de revivifier nos ardeurs amoureuses. Nous sommes logés dans une alcôve donnant sur une brasserie, tout le monde sait ce que nous allons faire là-dedans. Cette alcôve a des rideaux ("Nous ne restons que l'après-midi !") qui ferment mal et se déchirent, parce qu'ils glissent sur des barbelés. Je serais assez disposé, mais il s'agit, d'un seul coup, de Sonia, qui nous fait ressortir, traverse une étendue d'eau où l'on a pied la plupart du temps. Elle m'éclabousse, montre beaucoup de joie, de jeunesse et d'énergie. Elle veut que je lui vole une poupée à l'étalage (il suffirait de faire coulisser une vitrine arrondie en plastique), se fait chiper une boîte d'allumettes par un Japonais qui demandait du feu mais la récupère un peu plus tard en la lui resubtilisant avec le sourire.

Et moi je déplore de ne plus être jeune, de n'avoir jamais été audacieux.


58 08 13

Dans un CDI en restructuration, une vieille documentaliste. Je dois monter un volume dans des étagères au-dessus de lits superposés. Je l'embrasse. Lippa aussi, il n'y a pas coïncidence des deux désirs. Je suis déjà venu dans cet endroit, avec Sonia transformée en vélo dans une impasse et David en automobile : village en fête, prenons congé d'une famille d'accueil chez qui nous nous sommes introduits. Ecoutons un vieil ivrogne pris d'eau-de-vie. Un phénomène survient dans le ciel. Démontage d'immenses chevaux de bois. Ce rêve, retranscrit à contrecœur, me semble très dangereux.


58 10 08

Salle des profs un jour de rentrée. Une jeune femme me dit : “Je sais que tu es à moitié sépharade à moitié askenaze, mais comment fais-tu pour être dans la (ici un mot hébreu (“téchouva”?) que je ne comprends pas)” .Je réponds évasivement après avoir dit que je serais net... COLLIGNON

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Repas, un jeune homme me dit : “C'est comme si je disais que je n'étais pas pédalo”, or il l'est. Sourires réciproques. Lui raconte “la différence entre un juif et un pédé ? ils partent dans la même fumée.” Nous sommes aux environs d'Athènes, dans une ville côtière. Je monte sur une échelle double en métal rouillé, menant à une rue de village pensais-je, mais qui redescend dans une immense propriété privée. Seule Sonia m'a suivi, alors que des voix voulaient m'en empêcher en criant “Malheur !... Malheur !...” Il se déroule un immense repas d'anniversaire. Après avoir parlé au jeune homme qui me draguait, je sors pour trouver des toilettes.

Des chiens me suivent en parallèles. Des écriteaux que je vois ne portent pas le mot “toilettes”.


59 01 08

En famille, y compris la grand-mère Fernande. Annie ne va pas bien. Me dit que plus je suis forte, plus elle est forte ; plus je suis faible, plus elle est faible. Je lis, au fond du jardin de Guignicourt. La grand-mère soigne des ruches menaçantes ; le bourdonnement s'intensifie parfois de façon inquiétante. Les abeilles sont noires comme des mûres. Pendant que je lisais, Annie s'est heurtée à toute la famille. Sonia et ma mère viennent m'avertir que lundi, ma femme sera internée, car elle devient incohérente. J'arrive à maîtriser mon exaspération après avoir confondu deux citations à recopier dans mon carnet. J'avais tout rayé, puis colorié par sections de différentes couleurs. Je cherchais aussi une rue sur un plan, en sortie de ville, après des montées.

Je suis revenu en protestant à la maison : pas question qu'Anne soit internée, ou je la fais ressortir dès le premier jour de notre retour. Je suis très déterminé.


59 01 13

Au collège de Meulan. Mes cours de français (deux heures) n'ont pas été préparés. J'escalade une échelle, clenche la porte : c'est fermé. Mme Martin n'a pas fait le nécessaire. Vers ma classe au 1er je me bricole un cours sur l'intervention de l'OTAN à Sarajevo. D'autres portes sont également fermées, cependant des élèves me rejoignent. Par les baies du couloirs, ces derniers (1es ou

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Terminales) me désignent : “...Des gens comme ça...” ; mais ils parlent aussi d'autobus bondés, entourés de CRS en noir. Ceux-ci devraient nous protéger mais il n'en est rien. Une voix m'explique:”Ce sont de jeunes domestiques venant attaquer le lycée, rosser les élèves.” Tous ceux qui n'ont pu réussir leurs études et qui mangent de la vache enragée dans des emplois sous-payés.

Ils débordent littéralement des bus. De telles attaques se sont déjà produites ailleurs en France. Je veux dire qu'il s'agit là du résultat de la politique sarkoziste, qui dresse les catégories sociales l'une contre l'autre. Les élèves ont l'air de dire “cause toujours” et m'entraînent dans leur fuite. J'espère qu'ils ont refermé derrière eux car les ratés vont trouver la faille et nous tuer. “Exactement comme lorsqu'on rend la bague perdue à une jeune fille et qu'on la viole”. Ils acquiescent et tout le monde se bouscule vers les étages supérieurs abandonnés. Je sens bien que les élèves, dans le fond, sont d'accord avec les attaquants. Ils me persuadent de laisser là mon portefeuille, puis réflexion faite je me le fais rendre : je veux mourir sous mon identité.

Je veux prendre un escalier montant, souhaitant que l'on ne me suive pas, car on me livrerait. Je me réfugierais derrière les portes en bois des chiottes palières et on m'abattrait en tirant dedans. L'escalier est délabré. Le danger extrême. Certains me suivent, j'espère qu'ils se répartiront dans les vastes étages à l'abandon. Tout est si grand que je trouverai bien à me planquer au 2e. Tant pis pour les massacrés...


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Annie a voulu que nous partions à Berlin, où malgré mon âge on m'a donné un poste au Lycée français. D'abord nous logeons dans un hôtel très cher à l'écart, style quartier de la Défense. Nous allons au Lycée par le bus, de nombreux monuments intacts s'offrent à nous. Je déclare qu'à Vienne comme à Berlin tout vient avec dix ans de retard. Pas content du tout de reprendre du service, ensuite de se faire virer. Essaierai de n'être d'aucune faction. Annie se rend en classe à ma place, je le dis aux collègues assis contre le mur qui rient sympathiquement. Un élève débile et très fort terrorise tout le monde. Il me prend par les genoux et veut flirter. Des profs embrassent des travelos barbus, et le débile, déguisé en dromadaire.

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Je me sens exilé, incapable. Annie est ravie. J'appréhende de retrouver des Rossi-Calori, ma pire élève. On m'a logé salle 101, il ne restait rien d'autre, je devais me loger en fonction de mes possibilités financières. Je suis désolé d'avoir dû rompre avec mes amis et mes habitudes de Bordeaux. Nous nous sommes acheté des sandwiches, et une sono diffusait des Ave Maria... de fantaisie. Je retrouve deux femmes avec lesquelles je flirtais à Bordeaux, pas la peine d'avoir voulu les éviter !


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Descendant la rue d'un village trop connu, je repère sur le mur délabré d'un lavoir une affiche de Bresdin ou apparenté ayant emprunté un dessin d'Annie. Je me rappelle lui avoir dit qu'elle devait se sentir flattée mais elle a fait observé que ce n'était pas signé. En bas de la pente s'ouvre un diverticule remontant. Il est possible aussi de regagner le haut du village par un immense arbre. Mais je manque de souffle pour l'escalader. La pente est trop raide aussi ; je longe un petit mur cimenté où s'ouvrent, à hauteur de mon visage, des orifices dégageant de petites explosions de fumée, dissuasives. Comme cela pourrait s'accentuer et que je suis déjà fatigué, je redescends.


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Dans notre chambre, au lit, gît un malade, grand, assez âgé, cheveux gris. Il a laissé à fond un transistor avec des infos en arabe. Je baisse le son. C'est un ancien directeur des postes. Le bureau nous a laissé un diagnostic de cancer aggravé au diagnostic redoutable. Des adolescents de 15 ans se pressent dans la chambre à n'y pouvoir remuer. L'un d'eux me dépasse déjà de je ne sais combien. Il m'est demandé si ça ne me fait pas drôle d'être dans un corps si grand et gros. J'explique que non, que pour un homme de mon âge, 55 ans (j'en ai 67), ce n'est pas trop gros. Accueil dubitatif de ma phrase. Je dis à un autre, qui ne trouve pour s'assoir que le rebord de la fenêtre, qu'il vaut lieux quelque chose de dur sous les fesses que dans les fesses.

Cécile est venue en stop de Pessac avec un conducteur très jeune. Elle est toute rose avec des bouclettes, mais trouve que je ne remarque pas assez son changement de coiffure. Nous retournons COLLIGNON

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dans la chambre, le vieux malade s'y trouve encore. Il ne respire plus. Annie retourne les draps et l'entraîne en même temps, il retombe en chiffe en libérant de longs cheveux blancs de poupée (Annie l'avait auparavant tâté, ne l'avait presque plus trouvé chaud, et s'était retirée avec répugnance) : je propose alors d'appeler un médecin. Annie pense qu'il vaudrait mieux que ce médecin soit une femme. Mais l'homme n'est toujours pas mort ! Nous ne pouvons pas coucher en même temps que lui !

M. Lebourg de Meulan ne veut pas de médecin, c'est lui le gérant de l'hôtel, il va bientôt prendre sa retraite. Rien n'est décidé. Nous espérons que le vieil homme va du moins se remettre à respirer normalement.


59 06 13

Je passe un oral d'agrèg, ayant été dispensé d'écrit. L'examinateur me remet un très vieux livre mal relié, de Thucydide. Je voudrais bien en acheter un semblable. L'examinateur reste de marbre. Il m'indique d'un mot grommelé le début de mon texte : Ἴαρτας. Or mes connaissances ne me permettent pas de retrouver ce nom. Je feuillette les vieilles pages sans succès. Il me dit : "C'est dans les écrits de jeunesse". Alors j'erre dans le bâtiment, immense, aux salons luxueusement parquetés. Des fauteuils rouges ou pourpres sont en carré, avec des numéros semblant correspondre à des notes : 0,5 – 5,5 – 8,5. Des lecteurs vont de ci de là. Quand je reviens, une candidate m'a remplacé, d'autres attendent, parmi lesquelles une demoiselle "Mélenchon". Je ramasse mon cartable, l'examinateur ne me salue pas, je n'ai pas proféré une parole. Je redescends les étages, passant d'une salle à l'autre, immenses, toutes boisées.

Auparavant, un de mes amis avait voulu demander une chambre d'amour pour son copain et lui, sans connaître la procédure d'obtention ; l'autre, en pleine dépression, était désespéré. Il m'avait été impossible de m'empêcher de pouffer : "Quoi ! Tu veux demander une chambre devant un film télévisé, et tu ignores la démarche administrative ?" Les lits sont rouges, larges, ronds, fréquemment utilisés.


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En voyage avec Annie, qui se réveille tard et veut s'arrêter presque tout de suite pour le COLLIGNON

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déjeuner. Elle s'engage à pied dans une impasse au bout de laquelle se tient un supermarché. Je l'attends au volant en grognant, des voitures me frôlent pour sortir de l'impasse car je suis mal garé. Très vite nous nous retrouvons dans un restaurant, à une table ronde où discute déjà tout un groupe. Ce sont des comédiens locaux déjà bien connus dans le quart Nord-Est. Ils parlent d'un gros bourg dont les habitants, par alternance, pratiquent une mise en avant, puis un retrait. Je dis que cela me rappelle les Amazoniens de Johann Strauss, puis je me reprends, non sans me récrier bruyamment sur ma sottise retentissante ! je voulais dire Lévy-Strauss...

Ils n'y croient pas tellement, car ils ne connaissent pas Lévy-Strauss. Au bout de la table le costumier présente des oripeaux verts ; un autre homme vient d'une table voisine vêtu d'oripeaux comparables, mais pour la pièce suivante, qu'ils projettent. En repartant, j'avise les petits-beurres sur une table, et j'annonce à un client que je ne les prends pas, que je n'ai plus faim. Nous partons à pied avec une jeune comédienne charmante ; Anne discute avec elle. Cependant je cours dans les feuilles mortes sur le bas-côté d'une route très fréquentée, sous des surplombs de rochers semblables à la Grotte de Lourdes. Un homme nu (sauf le slip en nylon) déambule au centre de la circulation routière très dense.

Je distance Anne et la comédienne, qui s'est fait inviter pour la prochaine Fête des livres, car elle est vraiment plus jeune que nous. Nous n'avons pas pensé à lui demander la route la plus courte pour gagner Marseille. Nous l'avons perdue derrière nous, j'ai pris les devants. Nous arrivons dans les faubourgs d'une grande ville, Le Puy... mais qui ressemble à Bayonne. Nous rencontrons deux jeunes hommes très grands, en qui je reconnais deux visages de mon enfance, mais sans pouvoir les identifier. Le premier, lui, m'a parfaitement reconnu, refuse de dire son nom et se retire pour m'éviter. Je demande au second s'ils n'étaient pas l'un et l'autre mes persécuteurs, jadis. Il le semble en effet, il m'évite à son tour.

Annie me dit que s'ils sont assez mufles pour nous traiter ainsi, cela ne vaut pas le coup d'essayer de leur reparler. Nous entrons donc dans Le Puy en Velay, ville très animée.


59 07 12

Je rentre de voyage par Nîmes. Cherchant à glisser mes manuscrits dans les boîtes aux lettres. Pénétrant dans les cités sans trouver. Même dans les classes, où je discute avec deux garçons de 6e qui m'avertissent que mon pantalon est coincé dans ma chaussette, et que je suis mal habillé : COLLIGNON

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"J'en conviens : je marche dans les buissons", etc. L'instituteur arrive et interrompt ma conversation. Pour ressortir je devrais appuyer sur un bouton vert. Le caddie que je continue à pousser devant moi entrave la manœuvre, mais je finis par passer la porte. Un gros métis m'aide. " Pourquoi est-ce si étroit ici ? - Parce que c'est le bâtiment E 3." Je me fous de lui et il se rend compte du contenu de sa réponse...

Puis dans une autre cour, un étal de gants et de portefeuilles se fait couvrir de merde par u n chien. Le propriétaire s'exclame qu'il est foutu et lâche son chien à lui sur le coupable, tenu en laisse par une quinquagénaire bon chic bon genre : "Je sais" dit-elle. Cependant le maroquinier a disparu dans un immeuble. J'y pénètre pour le retrouver, une femme en se retournant m'indique le 11e étage (je voulais assurer à cet homme que j'avais tout vu et me proposais d'en témoigner). Impossible de trouver l'ascenseur. J'y renonce, repasse par la cour, très pittoresque par sa répartition architecturale des pleins et des vides. Un bâtiment est occupé par une association caritative catholique. En remontant, je fais le tour d'une place ronde en automobile, rate une rue, refais le tour en pensée en souhaitant que cela suffise.

Un éléphant erre sur les terre-pleins sablonneux. Il poursuit mollement certaines personnes, puis son propriétaire vient le chercher sous les applaudissements. L'animal entraîne un grand drap. Il nous poursuit à notre tour, je dis par plaisanterie que nous aurions dû porter un panneau "non-chasseurs". Je me retrouve coincé dans une rangée d'arbres noueux qui dominent un boulevard en contrebas. Des gens y sont suspendus, c'est leur promenade du dimanche. Il ne faut pas tomber. Quoique non habitué je parviens plus ou moins à reprendre l'équilibre en m'aidant des branches (d'abord c'est difficile, en raison de mon âge). Comme on est en période électorale, les gens me prennent pour un candidat qu'ils viennent d'entendre dans une réunion, et me plaisantent sur la capacité de mon parti ou du parti adverse de se rétablir.

Un professeur de philo me donne 4 ou 5 livres alors que je suis déjà surchargé, les ouvrages que je distribue ne me soulageant pas assez vite. Je refuse l'auteur "Lejeune" et tente de me raccrocher aux branches. Le philosophe me tire de là et nous discutons sur la terrasse à côté des urinoirs. Il me demande ce que je fais en voyage et m'incite à rentrer chez moi. Je sors alors mon couplet sur les vingt ans à Bordeaux, toujours la même poussière, les mêmes lieux, les mêmes gens. "Aimez-vous les immigrés ?" Je réponds que non. "Pourquoi ?" J'évoque leur cruauté, alors que des personnes, dans les arbres, auraient pu essayer de me percer une couille avec une épingle. Il me COLLIGNON

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demande où je vois les exactions des intégristes (couper un doigt de pied...), force m'est de constater qu'il ne s'agit que de craintes. Je me dirige vers la pissotière où ma corpulence m'empêche d'entrer, et je pisse en disant : "Vous voyez, s'il y avait eu un Arabe, là, il serait venu me tâter les fesses".


59 07 17

A Andernos, au lycée. Je m'occupe de quatre garçons de 6e, dispersés dans la classe. La leçon porte sur un texte à mon avis intéressant ; je leur fais écouter le premier morceau d'un disque, et le début du deuxième (groupe "Simply Red"). Je finis par les regrouper près de moi. L'un d'eux, interrogé, s'en fout visiblement. D'autres se sont installés en terrasse, les plus proches nous écoutent, se pressent à nos côtés. Je dis : "Ce que vous avez entendu" (je marque sur la table un rythme très rudimentaire) "c'est de la mu-sique ; et si vous ne répondez pas mieux que ça, vous n'allez pas remonter votre moyenne". Moqueries et menaces bonhommes... A côté, foule ; queue pour un téléphone à pièces, un fil serpente au sol et fait des boucles autour des pieds, je parle d'une "chasse à l'homme".

Il est 1h 25. Le parking (et au-delà) est encombré de stands extrêmement serrés. La foule y circule difficilement. Il me faut à manger, les fruits d'étalage sont énormes. Passant et repassant devant un restaurant sous tente à 15€, je me décide à commander une pomme. Une femme rougeaude m'apporte une tasse sale et ébréchée où clapote une sauce brunâtre : "15 €". Je refuse de payer. Elle remporte la tasse, revient m'expliquer qu'on ne peut me rendre l'argent (d'ailleurs je n'ai pas payé...), parce que ça m'incitera à revenir, comme si je devais me faire couper un bout d'intestins à Andernos ou par un chirurgien local. Les propos de la grosse rougeaude mal fringuée me deviennent de plus en plus confus, ainsi que ceux d'uun couple âgé qui se mêle de la conversation et semblent donner raison au restaurateur (ce dernier ne peut ou ne veut se déplacer).

Je dis que j'en ai marre, que je recommence à travailler dans 1/2h ; j'ai même craint que mon heure de cours ne soit déjà commencée). Tout le monde semble de bonne foi, et je continue à réclamer 15€ - payés d'avance, je m'en souviens à présent. Je prolonge mon rêve dans l'espoir qu'on me les rende...


59 07 24

Gare de Rome. Avec Guy Simonin, attendons Marie-Laure, du train de Paris. Elle n'y est COLLIGNON

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pas. Je parcours les deux côtés du train. Des larmes me gagnent. Guy est sorti pour discuter avec d'autres : je fais signe en ce sens à une autre passagère, qui s'en montre rassurée. Ma recherche est interminable. Avant d'être une gare, ce bâtiment était l'atelier rue David-Johnston, qui se transformait progressivement lorsqu'un train y pénétrait. Puis me voici dans un grand Opéra où se creuse, au milieu du parterre, un gouffre. À chaque problème grave, le gouvernement y descend sur un plateau soutenu par un palan. Cette fois-ci, c'est très impressionnant. Se trouvent sur le plateau Sarkozy, Jospin, et un troisième de cette importance. Tous admirent le courage de ces hommes, et par curiosité je dirige ma lampe de poche dans le puits au-dessous d'eux. Or, arrive en bas, le Président est acclamé par une trentaine de personnes qui l'attendaient. Quand nous ressortons, nosu nous trouvons sur l'Acropole.

La circulation est intense, contrairement à la réalité. Je cherche à téléphoner à mes parents ; pour cela il me faut un coin tranquille, et les grands hôtels gardent leur porte fermée. Découverte d'une poutrelle de ciment qui dépasse. Une infirme est guidée par ses proches pour ne pas tomber. Le Parthénon est retenu par du ciment encore frais, à sa base. Le vacarme des camions devient insoutenable dans ce creux qui concentre tous les échos discordants. Et quand je vais former le numéro, la terre se met à trembler, je risque l'engloutissement, je panique et me réveille. Les camions, c'étaient des ronflements.

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