LE SINGE VERT N° 4/ 5 / 6

 

LE SINGE VERT – LES PARENTS D'ÉLÈVES 4 - 16

N° 4 Prix : zéro franc, zéro euro. Périodicité : épizobique


PARENTS D'ELEVES

Il y a en France, bien avant Monsieur le Ministre, 37000 000 de personnes, de parents d'élèves pour parler net, qui feraient tellement, mais tellement mieux le métier de prof que nous... Vous savez, le genre "S'ils bavardent, séparez-les" (ce qui fait, bande de naïfs, deux foyers d'agitation au lieu d'un), "Virez les éléments perturbateurs" (ce qui fait, bande de niais, que d'autres perturbateurs verront aussitôt le jour dans la classe), "Laissez parler jusqu'au bout les élèves" (ce qui provoque aussitôt, bande d'incompétents, l'inattention et l'agitation encore des trois-quarts de la classe qui ne comprennent pas ce que l'élève bafouille)... "Il faut, en bonne justice, que le prof qui note soit différent du prof qui enseigne" - bravo : vous avez transformé le prof qui ne fait qu'enseigner en guignol.

Sans oublier les marchandages : "Vous auriez mis combien, vous, Monsieur ? et pourquoi l'autre il ne m'a pas mis la même note?" Vous voyez d'ici l'ambiance de stress permanent. Et ça, tous les élèves me l'ont dit, avec unanimité : le prof qui ne noterait pas serait aussitôt privé de toute espèce d'autorité... En tout cas défiance d'emblée, envers ce pauvre con de prof même pas capable de noter autrement qu'à la tête du client. Que la note soit quelque chose de relatif, qu'il y a une grande différence entre le dix d'encouragement qui vaut huit, et le huit du grand flemmard qui pourrait se secouer un peu, cette chose-là, ça ne vous sera jamais venu à l'idée, chers parents d'élèves...

Que nous dialoguons avec les élèves, que nous leur expliquons la façon de réussir avec nous, non plus. Et pas du tout, ça vous ne le comprenez pas, que les observations comptent plus que la note, alors là, pas du tout, rien, que dalle, nada. Ah mais ! c'est qu'on sait faire le cours tellement mieux que les profs... Sans oublier les petits mariolles qui voudraient qu'on apprenne aux élèves l'actualité immédiate et l'art de remplir les chéquiers, vous savez, les trucs utiles, pas comme le latin ou les rois de France, "Il faut vivre avec son temps..." C'était quoi sous l'Occupation, Monsieur Papon, "vivre avec son temps"? Connards. Il faut dire et répéter aux braves stagiaires qui peinent sous leurs six malheureuses heures de travail hebdomadaire que l'ennemi numéro un, ce n'est pas l'élève, c'est le parent d'élève, qui donnera toujours, vous m'entendez bien, toujours raison à son rejeton contre le méchant prof.

Le prof, l'école, c'est de l'esclavage, air connu ! Si l'élève réussit, c'est grâce à lui-même : s'il échoue, c'est la faute du prof ! Qu'est-ce qu'ils voudraient, ces braves cons ? que l'on n'enseigne plus "comme autrefois" ? L'enseignement est une méthode ancestrale, comme la baise ou la marche à pied : va-t-il falloir baiser sous caoutchouc ou marcher à reculons pour "faire moderne" ? Depuis trente ans qu'on réforme sans cesse l'école, je n'ai jamais senti la moindre modification à la façon d'enseigner : un prof dialogue avec ses élèves, c'est tout. Et ce n'est pas rien. Toutes ces réformes évoquent irrésistiblement ce que serait la lutte contre le sida, si on se contentait de transformer l'administration des pharmacies ou de repeindre les vitrines ; les réformes passent, la science demeure... Ce n'est pas le prof qu'il faut respecter. C'est le Savoir. Maintenant si le gniard entend sans cesse des propos négatifs sur le compte de l'Education Nationale, il ne profitera pas des cours, et surtout empêchera les autres de le faire.

Si le morveux n'entend rien du tout sur l'Education Nationale, il travaillera. Comment voulez-vous qu'ait envie de bosser un morpion qui entend sans cesse ses vieux bramer contre l'école "qui ne marche pas", « c'est mis dans le journal ? » Nous en avons reçu un comme ça, qui mâchait son chewing-gum en disant que l'herbe de la cour n'avait même pas été tondue pendant les vacances, admirez le niveau. J'ai failli lui dire « Vas-y broute ». Vous me direz : "Ils ne sont pas tous comme ça" - je veux bien le croire, mais croyez-moi c'est celui-là qu'on ira chercher pour le micro-trottoir au Vingt Heures de la Une... "Il y a quelque chose, Monsieur, lui répliquai-je, qui marche encore moins bien que l'Education Nationale ; c'est la médecine : en effet, nous avons en France 500 000 décès par an ; que fait la police ? " Et tout le monde s'est marré, et Dugland l'a refermée sur son chewing-gum.

Sans oublier les petits futés pour qui le prof doit intéresser l'élève : si le morback fout le bordel d'emblée, ou insulte le prof, eh bien c'est encore la faute du prof, qui n'a pas su se faire respecter. Un jour une pionne est ressortie en larmes du bureau du proviseur parce qu'elle s'était fait insulter : « Mademoiselle, si vous aviez de l'autorité, vous ne vous feriez pas insulter ! » Moi je t'aurais traité le proviseur d'enculé, de pauvre tache et de gros connard, et je l'aurais dénoncé pour manque d'autorité. J'ai même un jour fait un cours particulier à deux (j'ai bien dit deux) élèves (des garçons, bien entendu). Dialogue : On veut une dictée. - D'accord, une dictée. - Ah non, pas de dictée.

  • Bon, recopiez-moi le texte de cet exercice, nous allons le faire ensuite. " Les deux gosses, en alternance, vautrés sur les feuilles, "ah non", "ça ne sert à rien", "j'ai pas envie", "je veux pas le faire". Je suis parti en claquant la porte : moi non plus, je n'avais pas envie de faire le cours ; et je me suis bien juré que je ce serait la dernière leçon particulière queje donnerais de toute ma vie – qu'est-ce que c'est que cette religion de l' "envie" à la Françoise Dolto mal digérée... La religion, par la Françoise... Est-ce que je fais "c'que j'ai envie", moi ? Qui que ce soit, d'ailleurs ? S'il sont déjà comme ça pour une leçon particulière (il faut le faire! des problèmes de discipline en leçon particulière !) eh bien ils doivent être joyeux en cours, ces deux-là ! Et le père qui me faisait les gros yeux et la grosse voix pour me dire que "c'était à moi de les intéresser", que "je ne savais pas faire mon boulot", ben voyons ! Je n'en ai jamais refait, de leçon particulière, pour ce que ça rapporte... Au lieu de faire chier le citoyen avec un "rendez-vous du citoyen" dont il n'aura que faire, je propose qu'on fasse passer tout le monde par l'enseignement de banlieue ; qu'on me foute donc tous ces futurs parents d'élèves en face des jeunes fauves, pour leur enseigner ce en quoi il est déjà le plus compétent, plomberie, menuiserie, grec ancien, qu'importe, pour qu'ils se rendent bien compte un peu de ce que c'est que d'avoir en face de soi des fils de tarés bien remontés à bloc contre l'esclavage de l'école qui ne sert à rien...

Qu'ils y aillent, qu'ils y aillent ! J'ai lu dans un courrier des lecteurs qu'il y aurait tellement de braves gens qui feraient tellement mieux le cours que les enseignants, mais courez-y donc, vous faire cracher dessus, traiter de putain ou d'enculé ! Quand je pense qu'on a trouvé des petits merdeux, dans le treizième arrondissement, qui sèchent les cours parce que les profs, eux, ils sont payés, alors que les élèves ne le sont pas ! Payer les gosses pour qu'ils aillent à l'école ! pourquoi iraient-ils en plus se fatiguer à y bosser, si on les paye ? Ce sont les mêmes qui réclameront plus tard, si ça se trouve, une allocation de simple existence ? Mais c'est que je te les foutrais au boulot, vite fait, en vrai, comme ils le souhaitent, d'ailleurs, version London XIXe siècle, à partir de dix ans ! tas d'esclaves...

Vous savez ce que j'ai lu dans le courrier des lecteurs de la semaine suivante ? qu'il fallait "respecter les élèves, leur parler doucement et ne pas se croire d'une catégorie supérieure parce qu'on était professeur" ! - attendez - pincez-moi, c'est le prof qui se fait insulter et tabasser, et c'est à lui qu'on demande de respecter les élèves ? Gardez donc vos drôles chez vous, faites-leur faire des cours par correspondance, mais ne l'envoyez jamais dans certains établissements. D'ailleurs ils ferment, des semaines durant, et tout le monde s'en fout. Sauf les parents d'élèves, bien sûr, qui gueulent que les profs, tout de même, exagèrent, et qu'ils n'ont qu'à se faire respecter. Que c'est leur faute si leurs enfants sont en situation d'échec scolaire.

Je t'en foutrais moi de l'échec scolaire... C'est juste des ronds de manches de pisse-bave qui vendent leurs baveux. Tout le monde peut réussir à l'école, à condition de fermer sa gueule et d'écouter, de dialoguer aussi, autrement qu'à coups d'insultes. De quelque classe sociale qu'il soit. Seulement dans certaines classes sociales, dès qu'un gosse est dans un livre, les blaireaux de parents lui gueulent dessus : "Qu'est-ce que t'es là à ne rien foutre ? " « Et c'est Yourcenar qui va tailler la haie ? » (les Deschiens...) (ça ne me fait pas rire) – après ça, demandez voir à un jeune de lire : il va vous flanquer le bouquin à la gueule, illico. "Il n'y a rien pour les jeunes, ici." Pour les jeunes analphabètes, non, en effet. Pour apprendre à un enfant à se plonger dans un livre, il n'y a pas trente-six solutions : il faut le conditionner, parfaitement, le conditionner ; dès quatre cinq ans, comme pour le piano – après, c'est trop tard – il aura toujours autour de lui quelqu'un pour lui dire que "lire ça ne sert à rien" et qu'on "n'est pas sur terre pour se prendre la tête" ; ce qui me rappelle tous ceux qui blâment les parents d'enfants prodiges, ou simplement désireux de les «forcer » à faire du violon : "On leur vole leur enfance !" ...J'ai entendu l'interview de trois jeunes choristes au festival de La Chaise-Dieu. A l'heure où les galopins de Haute-Loire sortaient se bagarrer dans les rues pour le fun, ils devaient s'habiller et se farder pour les répétitions. Et les petits normaux de La Chaise-Dieu de traiter leurs petits camarades de pédés. Ah, le peuple, le peuple ! Bénis au contraire, cent fois bénis soient les géniteurs qui épargnent à leur progéniture la racaille ordinaire, avec ses histoires de cul, ses vulgarités, les poings sur la gueule et les comparaisons de quéquettes aux pissotières ! La guerre des boutons, c'est rigolo vu de l'extérieur, par des adultes condescendants et démago ; mais vécu de l'intérieur, je vous le garantis, c'est horrible (surtout quand on a une petite quéquette, haha, très drôle). « Ils ne réussiront pas, ils ne seront pas "armés pour la vie".

Est-il vraiment indispensable de vautrer ses gosses dans le racisme et la saloperie des petits cons de l'épicier du coin pour les préparer à une vie "réussie" ? les autres garçons ne connaissaient qu'un seul jeu : se battre, se battre, se battre... Les jeunes musiciens bénéficient déjà au moins d'une appartenance à l'élite, parfaitement, n'ayons pas peur des mots, élite, et c'est bien ce qui nous est demandé à tous, nous autres humains : nous élever. Et je peux vous garantir que se faire sélectionner dans un concours de chant, c'est aussi une fameuse lutte pour la vie. Au lieu de nous tremper dans la merde pour nous faire les pieds. Ce que j'ai appris moi pendant mon enfance, c'est l'exclusion. "On joue pas avec toi tu es fou." Forcément, je me suis cru supérieur.

Ah ça mène loin, le thème des "parents d'élèves"! Il n'y a pas si longtemps encore que les paysans venaient reprendre leur enfant à l'école, "pour ce qu'il y fait avec vous de toute façon", pour les ramener au cul des vaches, "où au moins ils servent à quelque chose". Les parents n'ont guère évolué. Ils aimeraient bien les garder chez eux, leurs petits génies. Ils en sont encore au stade de la tribu. Ils apprendraient à leurs enfants qu'ils sont les plus beaux et les plus forts, au lieu de les confier à des flemmards pédophiles bien trop payés... Seulement voilà ! Ils ne sauraient pas leur apprendre autre chose que leurs histoires de famille ! et force est bien de les abandonner à des maîtres. Quelle horreur. En 1983 déjà une circulaire m'avait été envoyée pour que je dise : "Que pensez-vous qu'il faille étudier à l'école ? qu'il ne faille pas étudier ? " Voilà l'école dans la même position que ce pauvre Louis XVI avec ses "Cahiers de doléances" envoyés au fond de toutes les provinces françaises ; il s'est retrouvé avec la tête au fond... du panier de son... Moi aussi un jour j'ai demandé à mes élèves : "Allez mes chers petits, dites-moi ce qui ne va pas". Je me suis retrouvé au sein d'un innommable bordel ; impossibilité de faire cours, et tout le monde sur le dos : les parents (décidément) et l'administration donc, qui n'a rien eu de plus pressé que de me charger un maximum. C'est à moi de décider ; à personne d'autre. Que penseriez-vous d'un chirurgien qui demanderait "Et qu'est-ce que je vais vous faire, mon cher patient ? Une résection du ménisque ou une tubulation de la trachée ? " Je fuirais en courant.

Vous imaginez d'ici les réactions de la populace : "Faut-il conserver l'étude du latin ? ...du dessin ? ...de tout ce qui ne sert à rien ? " Parce qu'il ne faut pas se demander comment elles seront rédigées, les questions. Quand je pense que j'ai lu qu'il faudrait "former des petits débrouillards" à l'école ! Pousse-toi de là que j' m’y mette! c'est moi qui aurai le boulot et pas toi, na nère ! Dans la vie y a les baiseurs et y a les baisés ! Putain la belle idéologie Monsieur le Parent d'Elève ! avec la carte du RPR en pochette-surprise dans le diplôme de fin d'études ? Depuis le temps qu'on me bassine avec les "réformes" de l'éducation", je n'ai jamais vu la moindre chose se transformer : le prof est en face de ses élèves et fait son numéro, je répète.

Point à la ligne. Un prof ça doit être "comme ci" et "comme ça", ça doit dire "telles choses" et "telles autres" en classe, et avoir telle attitude. Tel uniforme. Comme au Québec, tenez, où un inspecteur contrôle tous les jours ce que le professeur a fait dans la journée : motivant, non ? Quiconque s'écarte de la norme doit être viré - quelle norme ? vos souvenirs de 1950? Ecoutez bien: ceux qui critiquent l'école sont ceux qui envoient indirectement les jeunes foutre le feu aux poubelles le soir du réveillon. Et je commence à en avoir marre que les responsables soient toujours les enseignants, alors que certains élèves ne veulent rien foutre, et qu'ils ne sont jamais, vous m'entendez, jamais, même montrés du doigt.

Il est entendu que l'élève est toujours ce brave gosse qui veut uniquement étudier, découragé par les notes du méchant prof. Qu'est-ce que vous faites, vous, les petits malins, de l'élève qui bavarde sans cesse d'un bout de l'année à l'autre et qui répond à son prof dès qu'il veut se mêler de le faire travailler ? De l'élève qui dort sur sa table en faisant exprès de ne même pas ouvrir son cartable ? On l'a découragé, peut-être? De celui qui n'a rien, mais rien foutu de l'année, et qui veut devenir pilote de ligne avec 4 de moyenne ? On l'a découragé peut-être celui-là ? On aurait peut-être dû lui coller des 18, pour avoir une prime "au mérite" ? parce qu'il est question de nous rétribuer "au mérite" ! Tout le monde 18, allez donc ! doublez ma paye ! Ma foi si qu'on se casse la tête à encourager nos élèves ! mais que va dire celui qui travaille et qui obtient les bonnes notes qu'il a méritées, s'il voit que le petit camarade qui-a-des-difficultés-familiales obtient 18 uniquement parce que son poivrot de père lui a tapé dessus la veille au soir ? Et pourquoi toujours les fils de bourgeois en tête, et les fils d'ouvriers en queue ? je vais vous le dire, moi : c'est que les familles modestes se comportent exactement comme la famille Deschiens : "Comment tu lisais Yourcenar au lieu de tondre la haie ? Et c'est Yourcenar, peut-être, qui va me la tondre, la haie ?" Moi je ne peux pas voir les Deschiens.

Ce n'est pas que je manque d'humour, c'est parce qu'ils me serrent la gorge. Parce que le peuple, il est comme ça, tu vois. Très exactement comme ça. Vis-cé-rale-ment anticulturel. Dans le fond il s'en fout que ses enfants ne réussissent pas. C'est comme les plaisanteries racistes : une fois, trois fois, ça va ; à la sixième fois, le juif ou l'arabe explosent ; eh bien moi, les plaisanteries anti-intello, ça me fait le même effet. Bien sûr que les parents d'élèves ne sont pas tous comme ceux que j'attaque ici bille en tête. Quelques crétins qui jettent le discrédit sur l'ensemble ; mais qu'est-ce que j'en aurai connu, des hargneux, qu'est-ce que j'en aurai connu Et des venimeux. Allez, fini pour aujourd'hui. La prochaine fois je vous parlerai des jeunes de banlieue. Ça va planer...


"DER GRÜNE AFFE - LE SINGE VERT"

4 avenue Victoria

MERIGNAC

La revue du gros radin

Paraissant sur papier de photocopieuse

parce que le rédacteur n'a pas de femme

à faire bosser à sa place

ni de parents pour fournir le fric en râlant

mais en le fournissant quand même

ni le talent d'aller faire le beau devant son banquier

ou devant une administration dite culturelle.

On en reparlera.

COLLIGNON Singe Vert n° 5 LES JEUNES DE BANLIEUE 5 – 22

n° 5 paru sous le titre « Le sexe des banlieues » aux éditions Parallèles,

21 rue du Crinchon, 62000 ARRAS



Qu'est-ce que je pourrais bien dire de définitif sur ? Qu'il faudrait attaquer les cités avec des bataillons de mille CRS, coffrer les dealers et fauteurs de troubles, disperser toute cette racaille dans les petites communes de 550 habitants ( un par commune) - et puis on leur donnerait des livres et une fourche, et tu verrais s'ils ne se calmeraient pas un peu... Ça me tente vachement ce plan. Maintenant je ne veux personne de là-bas chez moi. Ni de jeune fille bien élevée de Neuilly-sur-Seine. Pour l'excellente raison que je n'aime personne de toute façon, alors... Moi j'aime bien ce qu'il dit, le Gros Porc. J'appliquerais bien son programme. Mais pas avec lui. Avec Chevènement par exemple : "Il est né le divin enfant - Chantons tous son Chevènement." Non je plaisante.

Et puis si tu arrêtes un dealer, c'est le frère ou le cousin qui va s'y mettre, et tu ne résous rien. ...Quelque chose de bien fort, là, de bien haineux : "Sales petits cons qui traînent dans les cages d'escalier, toujours le mollard à la bouche" - où ai-je vu ça ? nulle part. Franchement nulle part. Moi j'étais dans une banlieue bien tranquille, prof très inquiet. "J'entendais dire" que... Au Val Fourré de Mantes, les récrés avaient été interdites parce qu'il y avait des détenteurs de spray au gaz lacrymogène, et les filles allaient par quatre aux chiottes pour ne pas se faire violer. Si les femmes cédaient un peu plus souvent, il n'y aurait plus de viols. Quoique... Je me suis fait insulter, il faut dire que je suis un prof spécial, vachement provo.

Et si je leur parlais en pote, ils m'aimaient bien. Mais il faut les nerfs, c'est certain. Je me suis fait traiter de gros pédé ; j'ai gueulé : "Je ne suis pas gros!" - ça faisait rire tout le monde. A leur niveau, quoi. Et quand une jeune fille bien élevée m'a sorti "Je vous emmerde", et que j'ai répondu "Torchez-vous mon amie, torchez-vous" ? tout le monde s'est foutu de sa gueule, à elle. Beau renversement, n'est-il pas ? Ô cruel souvenir de ma gloire passée... Je me sens mou sur le sujet. Je n'ai pas la forme - pas la haine, quoi... C'est vrai, quoi, ces jeunes-là, tu leur donnes un bouquin ils te le balancent à la gueule. Ils ne veulent rien savoir, ils savent déjà tout, ce sont déjà des petits vieux. Tu sais ce qu'ils disent tous, les analphabètes : "Ouais ah que j'ai pas besoin de bouquins pour savoir..." On vient de brûler une bibliothèque – je l'avais bien dit – eu...

Bon ! Ducon mou du cervelet, qu'est-ce que tu proposes pour les banlieues ? Du concret, du qui marche ? Moi je n'y crois pas, à ce qui marche. Tu leur donnes des centres de loisir, ils te le saccagent et ils te le crament. Parce que ça va les intégrer, n'est-ce pas, ils vont perdre leurs repères culturels (le "tchac-boum", tu sais ?) Je vais te raconter une histoire drôle : lors de la première attaque du Paris-Mantes (parfaitement, à coups de pierres), les journalistes ont fait poser le Maire de Chanteloup au milieu d'une bande de jeunes sympas, sympas ! et souriants; tout sourire ! Eh bien tout le monde savait parfaitement qui avait lancé quelle pierre sur le conducteur, et ils étaient tous là, avec leur bouche en cœur autour du Maire...

Et ça ne vous est jamais venu à l'idée que les lycéens qui défilent depuis leur Seine-Saint-Denis pour réclamer des profs et des moyens sont les mêmes qui insultent le prof en classe et empêchent, à la lettre, le cours d'avoir lieu ? Comme les Corses qui défilent pour rompre la loi du silence, et qui se taisent rentrés chez eux... Bizarre, non ? Et l'attaque du Collège de Machin, plusieurs centaines d'élèves à coups de pierres et de vociférations contre les grilles? On n'en a pas parlé dans les journaux télévisés, faut pas exciter la haine du brave citoyen. Maintenant il paraît que c'est faux, d'après "Marianne". N'empêche, on ne m'ôtera pas de l'idée : ceux qui manifestent pour donner plus d'argent à leur collège s'imaginent sûrement quelque part que ce fric atterrira dans leurs poches pour se renouveler les Naïkes... Et là je reprends un éditorial du Figaro, vous croyez que je suis fier de moi de reprendre un éditorial du Figaro ? Vous faites quoi comme métier, les journalistes ? Agitateurs de cons ? Fossoyeurs de quoi, au juste ?

Je ne crois pas aux trucs "qui marchent". Je ne crois pas à l'efficacité, parce que je ne crois pas à la responsabilité, ni même à la relation de cause à effet. Je crois au changement de discours, car l'homme est une drôle de petite bébête bien faible et bien attendrissante, à moins qu'on n'aille jusqu'au mépris. "Y a qu'à" cesser de dire du mal des valeurs du travail, de la culture et de la littérature. Moi je n'irai plus leur dire... Mais il y a des mecs sincères qui y vont. Et qui transforment les cours en discussions libres. On appelle ça des éducateurs, ils prennent les choses là où elles en sont, ils font faire de la boxe, du basket, du théâtre, et ça marche, et on n'en parle jamais, surtout pas dans le Figaro, mais ce n'est pas encore Hugo ni Vivaldi. Nous ne marchons, nous autres les humains, qu'à la représentation.

Tout se passe au niveau du tout petit, tout petit - pendant les Grandes Invasions et les calamités du Moyen Age, sous l'Occupation, il y avait toujours une infinité fourmillante de braves gens qui donnaient du pain aux pauvres, qui soignaient des malades et qui sauvaient des Juifs - mais ça n'a pas empêché les Grandes Invasions, la Grande Peste ou la Shoah, et c'et cela qui reste dans les livres d'histoire, dans les mémoires. Le dévouement efficace des petites fourmis bûcheuses, ça ne permet malheureusement pas la littérature, ça ne facilite pas les grandes envolées lyriques et haineuses, la bave aux dents, bonjour Jean-Marie. C'est bête, non ? Moi je voulais me défouler, clamer ma grosse détestation, et puis je me suis rendu compte avant de commencer que j'allais apporter de l'eau au moulin, de la merde au moulin de qui vous savez.

Je te jure, quand je suis allé enseigner dans un lycée bien calmos, j'ai eu l'impression d'avoir déserté. Pour me justifier je me dis que j'ai assez donné, et "place aux jeunes, qu'ils aillent se casser les dents à leur tour." - j'étais utile aussi là où j'étais, mais vous vous en foutez - bon alors, cette banlieue ? "Tu crois que t'es en sécurité, quand tu croises ces bandes de bronzés ?" - ce n'est pas leur bronzage qui me gêne, c'est leur jeunesse. Déjà, je regardais bien s'il y avait une gonzesse parmi eux. Si oui, je pouvais continuer droit devant. Sinon, ben merde je préférais changer de trottoir. C'est du racisme anti-jeunes, anti-mecs. Pas clair, non ? Tu veux que je raconte comment on s'est promenés à Lodève (Hérault), ma femme et moi ? tous les ivrognes qui sortaient des couloirs de maisons pour se répandre dans la rue, en parlant fort, en rotant, en crachant à ton niveau mais de l'autre côté ? Tous de la même ethnie, tu vois ce que je veux dire ? Putain on serrait les fesses bobonne et moi, on marchait bien droit les yeux devant sans se parler, on a regagné l'hôtel dare-dare... Plus tard nous apprîmes que la bande de Lodève s'était cognée avec la bande de je ne sais plus où en Camargue, d'une ethnie différente tu vois ce que... - un mort au nuntchaku ? Qu'est-ce que tu as lu dans "Marianne", là, que tu le répètes, perroquet de mes deux ? que si tu "leur" dis bonjour ils t'insultent parce que tu n'es pas du même milieu, et que si tu ne "leur" dis rien, ils t'insultent parce que tu les bêches ? Alors tu dis quoi, là ? que ta fille ne sortait pas entre les immeubles passé une certaine heure, parce qu'elle se faisait emmerder même avec son bébé qu'on prenait pour son petit frère ? ...que j'ai dû ouvrir une fenêtre pour dégager une fille de 18 ans qui se faisait suivre par six morpions, elle appelait au hasard "Maman!" tournée vers les rangées de fenêtres, et que les morveux se sont enfuis en me voyant ? Qu'est-ce que je veux démontrer, là ?

Pourquoi est-ce que je ne dis pas la honte qui m'a étreint de marchandise, quand j'ai vu trente marins poursuivre une fille rue Ste-Catherine en réclamant un baiser, pour la charrier ? des marins bien blancs, bien Français de souche... C'est sympa, les marins ! mais je ne me suis pas levé de ma chaise de terrasse... « Les autres non plus. - Elève un peu le débat, veux-tu ? - N'empêche que dans certains quartiers... - tu vois, là, j'ai vachement envie, mes souvenirs renaissants, de remettre sur le tapis les agressions, subies ou "entendu parler", je les accumulerais et ça me ferait remonter le bouillon, seulement la vérité dans tout ça ? Parce que moi j'ai souvent entendu parler, mais jamais je n'ai eu peur dans le métro à minuit et demie.

Pourtant celui qui me sondait par téléphone, au nom de l'UDF, il insistait bien lourdement : "Mais enfin, vous ne vous sentez pas inquiet ? ...vous ne trouvez pas que la délinquance augmente ? - ...Non. Je ne vois pas, non, franchement... » Il écumait, le brave UDF de Mantes ou de Conflans... Tiens, tous ceux qui rigolaient (en France, tout le monde rigole) - à propos de la loi interdisant la présence dehors de jeunes mineurs après minuit... Je me souviens d'un dessin que l'auteur devait trouver vachement drôle, un landau de bébé cerné par les flics avec armes au poing : « Rendez-vous ! » - c'est des gosses en poussette, peut-être, qui traînent la nuit ? Alors voilà qu'on redéterre l'article 277 sur les peines de prison à infliger à tous ceux qui abandonnent leurs enfants moralement, les mettant en danger de mal tourner ? *

Mes parents me disaient bien que si je faisais l'imbécile, ce seraient eux qui iraient en prison. Et moi, je les avais crus... Ma foi oui que je te leur collerais des amendes, aux parents ! pauvres ou non ! Attends, je te raconte : une famille de cinq enfants - quelle idée... mais enfin... - qui élève le cinquième comme les autre autres, sévèrement et justement et tout, et qui voit le petit dernier côtoyer la délinquance, et en danger, avec besoin d'une surveillance ? Les Barbares sont là mon pauvre Monsieur, parmi nous, non pas venus de l'extérieur mais surgissant comme Alien... C'est carrément Jean Raspail dans Sept cavaliers ou dans Sire - je l'ai reçu dans mon collège, il paraîtrait qu'il s'est tiré de France à la fin de la guerre, même tout jeune, parce qu'il avait bien aimé la Milice... C'est chiant qu'il écrive bien, ce type... Pas si bien que Céline, même loin derrière, mais enfin...

Qu'est-ce que je disais... "J'ai peur, j'ai peur..." Ecoutez arrêtez de faire des gosses, merde, on est au siècle du clonage, en plus ça élimine les mecs toujours ça de gagné, vive la parthénogénèse, de toute façon les meufs elles sauront toujours mieux se faire reluire et jouir entre elles ou toutes seules qu'avec un mec qui pue de la bite et qu'a tout de suite fini, bientôt on fera les hommes dans des bocaux perfectionnés comme dans "Le Meilleur des mondes", on ne va pas se faire chier à être enceintes. Ne faites plus de gosses ! Je m'en fous que tout le monde devienne vieux, moi, on nous renouvellera organe après organe, les progrès sur la maladie d'Alzheimer sont foudroyants, la dégénérescence des cellules du cerveau sera enrayée, on nous greffera la tête sur un corps de femme, ce pied ! ou de brebis pour les amateurs d'expériences fortes, nous serons éternellement jeunes et intelligents, ça ne me fait pas peur, mais pourquoi s'acharner à se reproduire avec des procédés vachement archaïques, pour les petits cons que ça risque de donner ? Parce que j'ai peur du risque, moi, parfaitement. « Tu ne risques plus rien Pépé, t'es déjà con. » Oui c'est facile. "Les jeunes de banlieue". Déjà ce collectif ça ne vaut rien.

Et puis il faut enlever les filles. A 9,5 sur 10. Elles sont bien élevées, elles, pas pour les mecs de la téci. Ceux-là ils cherchent des femmes bien soumises comme leurs mères, qui font la vaisselle et tout. Malheureusement ils en trouvent toujours. Y en a en pagaille des femmes esclaves et fières de l'être, parce que ça fait plus féminin, et qui te méprisent si tu ne sais pas les remettre à leur place (je les cite, là ; c'étaient des Européennes, dans les années 60...) Tu les vois : ils sont tous ensemble à se faire chier. Moi aussi dans le temps j'étais tout seul à me faire chier. Eh bien je lisais. Je ne peux pas comprendre, vous voyez bien. Retenez bien ça : rien ne naît de grand sans la polémique et la mauvaise foi.

Je fais de mon mieux poil au vieux. Mais qu'on ne vienne pas me dire que les jeunes des técis c'est l'avenir de l'humanité. En fait je vais vous dire : je n'en ai rien à foutre moi de la Cour des Miracles, tant que je n'en vois plus devant moi ; et ils n'en ont rien à foutre de moi ; moi je n'ai rien à dire sur eux ; il y en a eu depuis que le monde est monde, ils servent d'épouvantails aux fascistes, et je ne serai pas le premier ni le dernier à n'avoir rien à dire mais à le délayer. Ca fait cinquante ans qu'on me dit que tout va craquer, "la jeunesse elle est brimée elle peut plus supporter" - et qu'est-ce qu'ils sont donc devenus, les fameux sales jeunes qui foutaient leur zone dans les années 80 ? Comment se fait-il qu'ils ne soient pas tous devenus des gibiers de potence et des malfrats ? Ils doivent avoir dans les 40, 45 ans : c'est curieux, ils ont tout l'air de s'être rangés des voitures, peut-être même qu'ils sont devenus comme tout le monde - putain c'est bizarre, non ?

Est-ce qu'on ne nous bourrerait pas le mou une fois de plus, par hasard ?


Qu'est-ce que je pourrais bien dire de définitif ? « Attaquez les cités flics en tête, coffrez les dealers et fouteurs de merde, dispersez la caillera dans les petites communes de 550 habitants ( un par bled) - et puis on leur donnera des livres et une fourche, et tu verras s'ils ne se calment pas un peu... » Ça me tente vachement ce plan. Maintenant je n'en veux pas un chez moi de ces lascars. Finalement j'aime bien ce qu'il dit, le Gros Porc. J'appliquerais bien son programme. Mais pas avec lui. Avec Jospin, par exemple. Ou Chevènement. "Il est né le divin enfant - Chantons tous son Chevènement." Non je plaisante. Qu'est-ce que je pourrais bien dire de bien fort, là, de bien haineux - "sales petits cons qui traînent dans les cages d'escalier, toujours le mollard à la bouche" - où j'ai vu ça ? ben nulle part.

Moi j'habitais une banlieue pénarde. "J'entendais dire"... Au Val Fourré les récrés interdites because les sprays lacrymogènes, les filles qui allaient par paquets de quatre aux chiottes pour ne pas se faire violer – disons tripoter, allez... Je me suis fait insulter, il faut dire que je suis spécial comme prof, trivial, provoc et tout. Ils m'aimaient bien. Mais faut les nerfs, c'est clair : je me suis fait traiter de gros pédé ; j'ai gueulé : "Je ne suis pas gros!" - le genre, tu vois, tout le monde rigole. Leur niveau, quoi. Et la fille bien élevée qui m'a sorti "Je vous emmerde", je lui ai répondu "Torchez-vous mon amie, torchez-vous". Tout le monde s'est foutu de sa gueule. Ô souvenir glorieux de ma gloire passée ! Ce matin, pas la forme - pas la haine.

Tu leur donnes un bouquin ils te le balancent à la chetron. Veulent rien savoir, savent déjà tout, ces petits vieux. « Ah que j'ai pas besoin de bouquins pour savoir..." Bon ! Ducon, qu'est-ce que tu proposes pour les banlieues ? Du concret, du qui marche ? Des centres de loisirs ? ils te les crament. Parce que ça va les intégrer, n'est-ce pas, ils perdent leurs repères. Je te raconte une histoire drôle : lors de la première attaque du Paris-Mantes (parfaitement, à coups de pierres), les journalistes ont fait poser le maire de Chanteloup au milieu d'une bande de jeunes sympa, sympa ! et souriants ; tout sourire ! Eh bien tout le monde savait parfaitement qui avait lancé quelle pierre, et ils étaient tous là, avec la bouche en cœur autour de Monsieur le Maire... qu'ils sont donc devenus, les fameux sales jeunes qui foutaient leur zone dans les années 80 ? Ça ne vous est jamais venu à l'idée que les lycéens qui défilent depuis leur neuf-trois ou leur six-neuf pour réclamer des profs sont les mêmes qui insultent les profs, et qui empêchent carrément, à la lettre, le cours d'avoir lieu ? Et l'attaque du Collège Machin, plusieurs centaines d'élèves à coups de pierres et de vociférations contre les grilles? On n'en a pas jacté dans le poste, faut pas exciter la haine du brave citoyen. Maintenant il paraît que c'est faux, d'après "Marianne" ? tu es raiment sûr que les bagnoles qui brûlaient, on les photographiait automatiquement en gros plan, contre-plongée ? Vous faites quoi comme métier, les journalistes ? ...fossoyeurs de quoi, au juste ? ...Je ne crois pas aux trucs "qui marchent". Je ne crois pas à l'efficacité, parce que je ne crois pas à la responsabilité, ni même à la relation de cause à effet. Je crois au changement de discours, car l'homme est une drôle de petite bébête bien faible et bien attendrissante - jusqu'au mépris, parfois... Ma Solution à Moi qu'elle est superbonne : Y a qu'à cesser de dire du mal du travail, de la culture et de la littérature.

Et il y a plein d'hommes et de femmes qui s'y donnent quand même, en cours, et qui en font une discussion libre. On appelle ça des éducateurs, boxe, basket, théâtre, et ça marche, et on n'en parle jamais, tantôt Marivaux, tantôt Vivaldi putain on dirait mon portable ! Eh non c'est ton portable qui reprend Vivaldi, deumer... Partir de ce qu'ils sont De leur niveau. Pendant les Grandes Invasions, les Huns, tout ça, les Grande Calamités du Moyen Age, sous l'occupation turque en Grèce - toujours on a passé la bougie, c'est la culture, faites passer. Toujours eu des braves curés des laïcs pour donner du pain, soigner les malades, planquer des juifs - ça n'empêche pas les invasions, la peste noire ou la Shoah, c'est ça qui reste dans les mémoires sinon dans l'histoire.

Et parfois donc le dévouement des petites fourmis suffit. Moi je voulais seulement me défouler, clamer ma grosse détestation, et puis oui mais finalement non. Maintenant j'enseigne dans un lycée calmos, j'ai déserté. Je dis comme ça que j'ai assez donné, je dis "place aux débutants, qu'ils aillent se faire casser c'est leur tour." Comme ça, ils deviendront ces vieux profs bien durs à cuire en face des classes difficiles ; autrement, ils ne le deviendraient jamais. Là où je suis, je reste utile aussi. Les bandes de bronzés" : ce n'est pas leur bronzage qui me gêne, c'est leur jeunesse. Déjà aux Mureaux je regardais bien s'il y avait une gonzesse dans le groupe. Si oui je passais droit devant. Sinon ben merde je changeais de trottoir. C'est du racisme anti-jeunes, anti-mecs. Tu veux peut-être que je te raconte comment on s'est promenés à Lodève (Hérault), mon honorable épouse et moi ? tous ces ivrognes qui sortaient des couloirs de maisons pour se répandre dans la rue, en parlant fort, en rotant, en crachant à ton niveau mais de l'autre côté ? tous norvégiens ? On serrait les fesses bobonne et moi, on marchait bien droit les yeux devant sans se parler, on a regagné l'hôtel dare-dare... Plus tard nous apprîmes (apprenâmes ?) que la bande de Lodève s'était cogné une autre bande en Camargue, contre les Suédois, un mort au nunchaku.

C'est vrai qu'en banlieue si tu "leur" dis bonjour ils t'insultent parce que tu n'es pas du même milieu, si tu ne "leur" dis rien, ils t'insultent aussi parce que tu les bêches ? C'est vrai qu'il ne faut plus sortir le soir ? que ma fille ne se promenait pas entre les immeubles passé une certaine heure, se faisant draguer même avec son bébé qu'on prenait pour son petit frère ? ...que j'ai dû ouvrir une fenêtre pour dégager une fille de 18 ans suivie par six merdeux, elle appelait au hasard "Maman !" tournée vers les rangées de fenêtres, et que les petits cons se sont enfuis en me voyant ? J''invente, peut-être ? Alors qu'en pleines années 70 paraît-il si sympa si flower power en plein centre ville d'étudiants poil aux dents j'ai vu trente marins poursuivre une fille rue Ste-Catherine en réclamant un baiser, pour la charrier ? des marins bien blancs bien Français de souche mais personne ne s'est levé – JE ne me suis pas soulevé de mon tabouret de bar tu crois que j'ai honte ?

Tu crois que de me rappeler de m'inventer de me coller toutes les agressions, les avanies subies par ouï-dire ça me ferait remonter le bouilli, tous les échecs sur le dos de Rachid ? mais moi je lui disais au sondeur qui me sondait par téléphone Jamais eu peur dans le métro à minuit trente jamais il insistait bien lourdement "pas même inquiet, la délinquance, la recrudescence » -  non je ne vois pas, franchement, il écumait au bout du fil le brave encarté de Mantes ou de Conflans... A contrario question la loi coffrant les jeunes mineurs dehors après minuit, vous vous souvenez de ce dessin vachement drôle dis donc un landau cerné par les flics  Rendez-vous !  - c'est des gosses en poussette peut-être qui traînent la nuit ?

Et comment que je te leur collerais des amendes, aux parents article tant sur l'abandon moral, il me le disait couramment le vieux que si je faisais le con ce serait lui qui se ferait gauler moi je le croyais. De l'autre côté qu'est-ce que je fais de la famille qui élève le petit cinquième comme les autres, sévèrement et tout, et qui le voit comme ils disent sombrer dans la délinquance ? les barbares parmi nous, non pas venus de l'extérieur mais surgissant direct du ventre comme Alien ? j'ai peur j'ai peur putain le sujet m'échappe arrêtez de faire des gosses merde, au siècle du clonage rien qu'entre filles toujours ça de gagné, bientôt on se fabriquera dans des bocaux perfectionnés comme dans le Meilleur des mondes plus de grossesses plus de gosses ! Je m'en fous que tout le monde devienne vieux on nous renouvellera tout, carrément Houellebecque, la dégénérescence du cerveau enrayée, ma tête sur un corps de femme ou de brebis pour les expériences fortes, tous jeunes et intelligents, au lieu de se reproduire n'importe comment sous forme de petits crétins - parce que je crains le risque moi parfaitement - devenir con par exemple - « tu risques plus rien Pépé, t'es déjà con » - "Les jeunes de banlieue" : déjà le pluriel

ça ne vaut rien sans compter les filles déjà y en a pas. Ou presque. Elles étudient, elles sont comme tout le monde, bien élevées pas pour les mecs de la téci. Ceux-là ils cherchent des connasses qui font la vaisselle et tout. Y en a une chiée de femmes esclaves et fières de l'être et qui te méprisent si tu ne sais pas les « remettre à leur place » (je cite, là : des Européennes années 60...) Tu les vois là tous ensemble à se faire chier les djeunnz. Moi aussi dans le temps j'étais tout seul à me faire chier. Y avait une conne à table qui me disait « Qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent d'autre que de taper sur les flics ? » je voyais pas le rapport, moi quand je m'emmerdais je lisais.

Je ne peux pas comprendre qu'on ne lise pas, je ne peux pas comprendre du tout - qu'on ne vienne pas me dire que les jeunes des cités c'est l'avenir de l'humanité je n'en ai rien à foutre moi de la Cour des Miracles, il y en a eu des comme ça depuis que le monde est monde, ils servent d'épouvantails aux fachos et et je ne serai ni le premier ni le dernier à n'avoir rien à dire mais à le dire. Ça fait cinquante ans qu'on me bassine que tout va craquer, "la jeunesse elle est brimée elle peut plus supporter" - et qu'est-ce qu'ils sont donc devenus, les fameux sales jeunes qui foutaient leur zone dans les années 80 ? comment, pas tous gibiers de potence et malfrats ? Ils doivent avoir dans les trente-cinq, quarante ans, ils ont dû se ranger des voitures, peut-être même qu'ils sont devenus comme tout le monde - est-ce qu'on ne nous bourrerait pas le mou une fois de plus, par hasard ?

LE SINGE VERT - LE LATIN – DISCOURS SUR L' HOMME 6 -


Le latin est une langue vieille. Donc il faut s'en débarrasser à tout prix, vivre avec son temps O.K. ? Je propose qu'on commence tous par se couper les pieds, qui sont des instruments très vieux, pour les remplacer par des planches à roulettes, ça créera de l'emploi. Ceux qui abandonnent le latin participent en toute innocence au saccage d'une mémoire et d'une culture de plus de vingt siècles. Hardi les mecs, soyez modernes, dans cent ans vous démolirez les cathédrales. Conseil de classe de fin d'année, où la plupart de mes élèves abandonnent l'option latin à la fin de la seconde, au moment même où le monde latin, après trois années de dur apprentissage, leur ouvre enfin ses portes.

A deux pas du sommet, ce qu'aucun alpiniste ne fait. Il paraît que je dis n'importe quoi, et que je suis toujours aussi con. Contradicteurs, vos gros arguments ne tiennent pas la route. Un haussement d'épaules, un ricanement, ça ne fait pas le poids, désolé, j'insiste : une pub d'enfer faite à l'effort sportif - alpinisme, football, tennis, d'accord, d'accord, le corps fut méprisé pendant trop de siècles. Mais ce que vous admettez pour le sport, pourquoi restez-vous si réfractaires à l'admettre pour « l'esprit » ?- je sais, je sais, où a-t-on vu qu'un parfait imbécile parvenait aux sommets des championnats – ben si, justement – pourtant personne ne devient champion de tennis en jouant au badmington avec sa petite raquette et sa petite sœur, ou buteur en shootant dans des boîtes à conserve.

De même, on ne parvient à l'épanouissement dit intellectuel qu'en transpirant sur des livres, ce qui n'est pas moderne du tout. Pas fun. Comme le disait devant moi l'autre jour un petit merdeux qui commençait, contre son gré, à étudier l'espagnol - j'aimerais d'ailleurs qu'on me cite quoi que ce soit qu'un gosse étudierait de son plein gré : : "Je ne vais tout de même pas me faire ch... à apprendre une deuxième langue vivante", sous-entendu "l'anglais suffit". Il disait aussi, ce charmant crétin : "Je connais une fille qui n'arrête pas de lire. Elle est nulle. Ce n'est pas en restant enfermée dans ses bouquins qu'elle va s'ouvrir sur l'avenir, et qu'elle saura se servir d'un ordinateur pour préparer le futur". Mots d'enfants, mots maudits.

Trois choses : une, tous les domaines de la culture se valent, et défendre le latin c'est aussi bien défendre l'espagnol, les sports, l'anglais. Les profs de maths et de physique auraient d'autres arguments à apporter, que mon incompétence m'empêchent de faire valoir. Deuxièmement, porte ouverte mais j'enfonce, le concept d'utilité n'est pas de mise à l'école, du moins dans une perspective à court terme – voir Jeannot et Colin de Voltaire : toutes les matières sont passées à la trappe de l'utilitaire ; devrons-nous bientôt limiter nos connaissances géographiques à l'Europe sous prétexte que nous n'en sortirons pas (c'est vrai, on n'en sort pas) - ou historiques au XXe siècle, comme cela a failli se passer tout ça, c'est du passé ? Troisièmement, les jeunes cons et connes de moins de dix-huit ans ne sont pas déclarés majeurs non pas dans une perspective esclavagiste de domination de l'enfance, comme ont voulu nous le faire croire les prétendus disciples de Françoise Dolto, mais tout simplement parce qu'ils ne sont pas encore foutus de juger de ce qui est bon pour leur éducation et de ce qui ne l'est pas.

Et voilà pourquoi le choix des options doit être fait par les parents d'élèves, pour une fois qu'ils seraient bons à quelque chose, et non par les enfants. Jamais, vous m'entendez, jamais un morpion ne choisira le latin par lui-même, sans y avoir été fortement incité, voire, parfaitement, forcé. Puis-je même préciser qu'une éducation de type libéral me semble très exactement contradictoire avec le choix du latin en option, du goût de la lecture, du goût de quelque difficulté que ce soit d'ailleurs. On abandonne le latin dès la fin de la cinquième, parce que "ça ne sert à rien" gnagnagna. Ce n'est pas à votre enfant de décider, il ne sait pas ce qui « sert » et ce qui ne « sert » pas.

C'est à vous, parents, de décider à sa place, de lui forcer la main, exactement, comme vous surveillez ses sorties le soir et, mais oui, ses fréquentations, car contrairement à une autre idée reçue, tout le monde il est pas beau, tout le monde il est pas gentil. Et si votre gamin vous fait une crise de nerfs, c'est tout votre système éducatif qui est à revoir. S'il se roule par terre, il est évident qu'il n'y a rien à faire pour le choix du latin, il n'y a d'ailleurs vraisemblablement plus rien à faire pour quoi que ce soit. Et pour parler tant qu'on y est du caractère spontané à préserver à tout prix n'est-ce pas de l'enfant, il faut bien savoir que c'est un être faible, qui n'a pas à être encensé, qui laisé « libre » se dirigera toujours de lui-même vers ce qui demande le moins d'effort et promet les récompenses les plus immédiates.

Ce qui ne veut pas dire qu'il faille élever l'enfant selon des structures répressives dignes des familles d'officier de cavalerie de naguère. Voilà pourquoi je m'adresse de préférence à un public adulte et responsable, et non pas à des jeunes qui malgré leurs indéniables qualités préféreront toujours étudier le VTT et le karaoké parce que c'est plus marrant. Ce qui me rappelle une fameuse directive inspectorale recommandant aux professeurs de laisser les enfants découvrir eux-mêmes la poésie, cette mal-aimée ; désormais, les textes de récitation devaient être librement choisis ; jusqu'au jour où je me suis aperçu que mes petits salopiauds allaient tout simplement piocher dans les textes qu'ils avaient déjà appris dans les classes antérieures, non pas vous le pensez bien dans un souci de découverte, mais dans une préoccupation de rendement immédiat - où a-t-on vu que les enfants aimaient "spontanément" la poésie ? Et quitte à me répéter, je félicite one more time tous ceux qui paraît-il « privent leurs enfants de leur enfance » en les contraignant à étudier le violon ou le piano : ils leur offrent le plus beau cadeau qu'on puisse faire à un être humain, celui de le séparer de la masse. Je ne vois pas en quoi il est formateur de s'affronter à la connerie humaine. Je vous rappelle ces petits chanteurs du festival de la Chaise-Dieu, et qui se faisaient traiter de pédés par les petits bouseux « normaux ».

Alors qu'est-ce qui vaut mieux pour former un enfant je vous le demande, d'apprendre tous les préjugés de la stupidité humaine dès leur plus jeune âge, parce qu'après tout c'est bien à ces gens-là qu'il va falloir avoir affaire et s'adapter, ou bien de fréquenter Bach et Palestrina ? Pour moi mon choix est fait, et j'estime qu'il n'est pas nécessaire de se frotter à toutes les catégories de connards pour faire son chemin dans la vie. Le latin, la musique, la danse, tout ce qui est du domaine de l'éducation, appartient au domaine de l'élite, j'en suis navré pour tous ceux qui confondent la démocratie avec l'amour des bas-fonds. C'est justement au nom du respect et de l'amour de nos élèves que je parle.

Le principe du réalisme et de l'utilitarisme sert de prétexte à un ignoble désir de rétrécissement des esprits. Le vil concept d’"utilité" se voit hélas prôner jusque dans les plus hautes sphères gouvernementales. Il n'y a pas des "matières utiles" et des "matières inutiles". Si l'on enseignait le chinois, la mécanique ou le théâtre, l'esprit des élèves serait aussi formé que par le biais des matières dites traditionnelles. Et voilà où le bât blesse les défenseurs du latin : ils prétendent que sa connaissance permet de mieux connaître la langue française. Ils affichent des arguments, à leur tour, utilitaires : c'est fausse route ; car on pourra toujours leur opposer quelque chose qui soit encore plus directement utilitaire que le latin, comme l'art de réparer une machine à laver, qui n'est évidemment pas plus ridicule qu'autre chose.

Et même en admettant que le latin soit "utile", on les rembarrera par un sourire dédaigneux ou des exclamations sans suite avec la tête en arrière - très important, la tête en arrière : qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. Est inexact également l'argument selon lequel d'acquérir une logique et une rigueur de l'esprit - c'est archifaux : j'ai toujours traduit au pifomètre, à l'instinct si vous préférez, ce qui me permettait d'être tantôt excellent tantôt archinul, ce qui m'a donné juste la

moyenne nécessaire au décrochage du certificat de latin. Je dirai même qu'il me suffisait de respecter les conseils d'investigation méticuleusement grammaticale pour infailliblement me planter - même chose en littérature, où l'intuition m'a toujours tenu lieu d'analyse - je les enseigne cependant à mes élèves, ces « procédés logiques », puisqu'il paraît qu'on trouve des tempéraments pour lesquels "ça fonctionne" ; il s'agit d'ailleurs comme par hasard de ces tempéraments qui n'ont aucun sens de la littérature, qui s'imaginent qu'il suffit de compter des pieds pour faire de la poésie, de ceux-là qui à l'oral du bac, m'ayant savamment disséqué le système des rimes d'un Baudelaire, ne comprennent même pas ma question indignée sur la musique du texte - "Comment ça, "la musique de Baudelaire ?" - visiblement, ça n'était pas "au programme". Il faut bien que cela soit dit, et je l'ai fait inscrire en exergue aux classeurs : le latin, c'est comme la musique, les fleurs et les moustiques, ça ne sert rigoureusement à rien ; c'est comme le parti communiste sous Brejnev, ou comme ta femme : c'est là, et il faut qu'on l'aime.


A partir de là, et une fois évacués les petits ados stakhanovistes de l'utilitaire - car ce n'est pas non plus parce que vous faites abandonner le latin à vos enfants que vous les garantissez contre le chômage - on peut enfin parler du plaisir. Non pas du plaisir immédiat, cette éjaculation précoce qui ne fait même pas jouir, mais du plaisir de lire un texte, de le remâcher, de relire pour la dixième fois L' Enéide ou L' Iliade, d'en comprendre vaguement le sens, de se reporter aux notes en bas de page, d'escalader sa bibliothèque pour vérifier une référence, de lire à haute voix pour faire sonner les syllabes, latines ou grecques, avec prononciation érasmienne ou démotique, bref, rien que de l'emmerdant.

Du plaisir de vieux. Du plaisir d'intello. Parfaitement. De l'exercice austère, nostalgique, poignant. L'impression que la grosse voix de Lucrèce, le petit filet canaille de Catulle, vous parlent à travers deux mille ans de brouillard ; de tendre la main à son tour à la chaîne infinie de chercheurs qui à travers les siècles, d'Ernout à Willamowitz-Moellendorf, de Scaliger, de Servet (brûlé par Calvin à Genève) à Servius, se sont passé le relai du flambeau romain - et c'est cela, cette fraternité sacrée, d'âge en âge, que vous voulez éteindre, tas d'épiciers ? Brel, toi qui as comparé les jeunes latinistes à des cœurs enfouis sous la laine parce qu'ils ont déjà froid, grand Jacques, avec tout le respect que je te dois, tu as raté ce jour-là une bonne occasion de te taire, tu n'es jamais tombé dans les langues anciennes comme dans la potion magique quand tu étais petit. Je comprends très bien les limites de l'emploi du temps, de la résistance physique. Mais il y a les traditions, leur bien-aimée pesanteur, qui forment l'Occident, parfaitement, ce qui ne veut pas dire le fascisme. Je m'adresse à une assistance acquise d'avance, et ne prétends pas faire acte d'originalité. Je veux tout reprendre en un faisceau, alles zusammenfassen, en allemand, j'aggrave mon cas, pour la croisade (c'est irrémédiable) notre tâche à tous. Le fait que l'école justement s'occupe d'inactuel, de problèmes froids (civilisation latine, littérature japonaise, scandaleusement négligée, lois de la physique – pourtant d'utilité immédiate, quoique !) le fait que l'école traite avec recul est justement garant d'impartialité, de grandeur.

...Les épiciers claironnent que l'école est coupée de la société, de la vie ; qu'elle devrait préparer au monde où nous vivons : des cours sur le Congo, sur le Crédit Lyonnais, le rap, la réforme de la Sécu, les pédophiles et le code de la route - certes ! certes ! Trouvez-moi seulement du personnel qui consente à se pencher là-dessus avec les enfants, les adolescents, avec la plus totale impartialité. Je me vois mal faire un cours, moi, sur la Yougoslavie et sur sa situation politique : je n'y connais rien. Or il est malheureusement très facile de trouver des tas de gens qui s'y connaissent en tout, et qui ne manqueront pas d'enseigner à nos enfants leurs idées toutes faites et leurs sectarismes.

Je vois mal un débat sur le PACS ou sur l'avortement, ou sur l'Irak, ou sur toute autre question d'actualité, à l'école : d'une part des adolescents forcément ignorants, d'autre part des adultes qui s'imagineront trop volontiers qu'il suffit s'avoir une opinion et de s'y tenir pour s'y connaître. En toute bonne foi d'ailleurs. Ces lieux communs pour vous ne le sont pas pour tous, et comme disait je ne sais plus qui, les portes ouvertes ont toujours de solides chambranles, non, ce n'est pas une obscénité. Comme quoi des cours d'huisserie et de menuiserie seraient aussi bien utiles, et qu'il n'y a pas de limites au savoir humain. Je parle toujours du latin. Les orientations, nous ne cessons tous de le clamer, sont prématurées, n'en déplaise aux chefs d'entreprise pour ne pas dire aux patrons...

Parents, vous choisissez les options de vos enfants en fonction de leur future activité professionnelle, alors que la plupart de leurs futurs métiers n'existent pas encore aujourd'hui, et que nul ne peut prévoir à quoi exactement "ils serviront". Ce principe d'utilité a fini par gangrener tout le rapport de la population à son école, voire au savoir : "Nos parents croient qu'on étudie pour apprendre un métier plus tard, alors que nous étudions pour apprendre à penser". Intéresser les élèves au monde extérieur - mais c'est le journal, c'est la télé, c'est la discussion en famille qui accomplit cela. Un brave parent d'élèves me disait récemment : "Les journaux, ils ne les lisent pas".

Croyez-vous qu'ils écouteront davantage les cours, sous prétexte que ces derniers traiteront de l'actualité ? Un prof un jour nous demanda de choisir notre programme. Ce fut Albert Camus. A peine le grand Albert était-il sujet de nos cours que nous nous en désintéressâmes aussitôt, par le seul fait que cela devenait une matière enseignée, et requérant un effort. Je prendrais encore l'exemple de ces cours de techno en terminales, bac option techno.

En quel cours, selon vous, les élèves chahutent-ils et refusent-ils d'écouter quoi que ce soit ? vous avez gagné, en techno... C'est l'école, c'est le cours en soi, qui sont en cause. C'est le rapport entre un groupe d'adolescents ou d'enfants et un professeur seul qui importe, et non pas des réformes sur le contenu de l'enseignement. Ce qui a tout foutu en l'air, outre le principe répugnant d' « utilité », c'est le dénigrement systématique de l'école, de la culture, au profit de je ne sais quelle nature, celle des camps paramilitaires sans doute. L'homme n'est pas naturel, combien de fois faudra-t-il donc vous le répéter, l'homme est un produit culturel, Dieu a créé l'homme, si vous y tenez, soit, mais ensuite, l'homme s'est créé lui-même, et de mille façons, avec mille langues, mille cultures.

C'est le rapport humain qui importe, et ce rapport est aussi éternel que la marche à pied que j'évoquais en ouverture. L'époque est moderne, mais l'homme, le rapport humain, le rapport pédagogique, sont éternels, et loin de moi l'idée de vouloir brûler internet comme un publicité haineuse veut le faire croire aux masses. Mais ce que nous voulons dire, c'est qu'internet, sans l'application de notre bon vieux cerveau, ne vaut rien. Je suis d'ailleurs persuadé, tant est grande ma confiance dans l'humanité, que nous parviendrons à en faire bon usage, de même qu'il existe un excellent usage des livres, de la radio, de la télévision, du portable, et du latin. Et les réformes successives de l'éducation n'ont pas empêché qu'à la fin, il y a toujours eu la classe, face au prof, et cela n'est pas qu'une technique, car au-delà de la technique, jouent le sentiment, la tendresse, le feeling, et cela, cet instinct humain-là, ou ce don si vous y tenez, ne s'apprend dans aucun, vous entendez, dans aucun IUFM, "Institut universitaire de formation des maîtres".

Et la cause de l'échec scolaire provient non pas de ce que l'école serait en je ne sais quel décalage avec je ne sais quelle actualité, mais de ce qu'on ose répéter depuis plus de trente ans sur le caractère néfaste de l'école, prétendument contraire à la liberté. Cette propagande n'est pas moderne,

elle est criminelle. Elle n'est pas moderne, parce que de tout temps, comme disent les grimauds philosophes, l'enfant a été rebelle à l'étude, à l'effort, s'il ne sent pas l'autorité affectueuse des parents, et des maîtres, derrière lui. Autorité, mais affectueuse. Affectueuse, mais autoritaire. Cette propagande est criminelle, parce que cette liberté que l'on propose est celle où l'enfant sera mêlé directement à la société adulte, et certes, il souhaite de toutes ses forces être mêlé à la société adulte, être comme les grands, devenir grand. Mais trop tôt. Il y serait broyé, il serait inexorablement exploité, dans un monde du travail, dans un monde du sexe trop dur pour lui, esclave, comme tant de petits Pakistanais, ou même tant de jeunes Anglais paraît-il.

« L'école contre la liberté », c'est une idée criminelle, car il y a certains pays où l'école est interdite aux filles, comme en Afghanistan, et pourquoi pas un jour aux garçons, aux adultes, à tout le monde. C'est pourquoi il est vain de juger le latin, ou quelque matière que ce soit, à la courte aune de l'utilitarisme. Le latin ne demande un effort, comme toute matière, qu'en vue de l'acquisition d'une liberté supplémentaire, de même que les efforts de l'entraînement sont récompensés par la conquête d'un sommet, la traversée de la piscine à la nage, ou la première place à l'étape cycliste, bonjour Virenque. Et de même que ce n'est pas pour le dopage de certains qu'il faut condamner l'activité sportive, de même ce n'est pas parce que l'université a formé de vieux crétins et il y en a ! plein ! qu'il faut condamner toute activité intellectuelle.

Défendre le latin, c'est défendre la liberté, car plus l'homme en sait, plus il est libre. Laissez dire les sots : le savoir a son prix, disait La Fontaine, autre ringard. Voilà le crime : faire croire aux jeunes que ce qui est vieux est démodé, alors que c'est éternel. Voilà le crime : supprimer l'éternité, évacuer l'âme des enfants de leur éternité. Vis un siècle, étudie un siècle, dit le proverbe russe – y avoirrr toujourrrs prrroverbe rrrusse. C'est pourquoi priver ses enfants du latin, comme on l'a déjà privé du grec - les cours de l'un et les cours de l'autre se déroulant en général et fort intelligemment exactement aux mêmes heures - est une aberration comme disait l'autre. On abandonne-t-on le latin parce que le latin est mal défendu.

L'argument selon lequel le latin permet d'avoir des points au bac est minable. Le bac est devenu pratiquement automatique, sur trois ans, tant son niveau en matières littéraires est devenu faible. L'argument selon lequel le latin permet de mieux connaître la langue française est insuffisant, car l'étude de l'anglais ou de la rectitude mathématique permet aussi de la perfectionner. La seule façon de s'améliorer en français est de lire, de lire, de lire, ce qui améliore non seulement la note de français, mais aussi la qualité de celui qui lit, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait que la lecture pour devenir un homme, je n'ai jamais dit cela. Mais la lecture est un aussi bon moyen que le ski ou le yoga, disciplines difficiles et demandant un effort, un investissement. Le latin, répétons-le, ne forme donc pas plus l'esprit que les autres matières. Il ne rend pas les gens ordonnés dans la tête, ni maniaques, ni vieux chnoques. Il contribue à rendre libre, à former l'homme. Je reprends à présent le contenu d'une interview du metteur en scène et acteur Daniel Mesguich : naguère, quand on ne comprenait pas, on faisait un effort pour comprendre.

De nos jours, du moment qu'on ne comprend pas la chose d'en face, c'est la chose d'en face qui est con. Et c'est ainsi qu'on cède aux opinions, qu'on se laisse aller à vau-l'eau, et qu'on finit par casser les cabines téléphoniques voire à brûler les bibliothèques parce qu'on ne comprend plus rien. J'espère - "j'ai fait un rêve" - d'une part bien sûr ne pas finir comme Martin Luther King, d'autre part ne pas rester seul dans cette croisade contre l'obscurantisme, contre la propagande insensée, menée comme par hasard dans les couches défavorisées, contre le savoir, seul rempart éternel contre la barbarie. C'est à nous, enseignants et hommes de bonne volonté, à prendre le flambeau et à le multiplier, car ne l'oubliez pas, jamais les journalistes ne viendront vous chercher pour vous demander ce que vous en pensez.

Et nous ne sommes pas assez grands pontes pour que le Monde nous ouvre ses colonnes ah çà non. En vérité, je vous le dis, ils ne viendront que si nous sommes de plus en plus nombreux - debout, debout tous, au nom du latin, au nom des hommes.





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