DER GRÜNE AFFE (Le Singe vert) n° 11

LA RELIGION, MES BIEN CHERS FRERES, LA RELIGION... 11




Je m'élève au simple titre de l'étymologie contre le rapprochement abusif que l'on fait couramment entre les deux mots "relier" et "religion". C'est une fausse étymologie répandue hélas jusque dans les milieux les plus cultivés, parce que les ecclésiastiques ont eu tout intérêt à la répandre.

C'est au point que, l'ayant trouvée fort doctement rappelée en tête d'une série de cassettes vidéo consacrées à la religion, je me suis abstenu, justement, de me les procurer, fortement indisposé par ce manque de sérieux dans la documentation étymologique. En effet, s'il y a malgré tout quelque chance que le mot "religion" soit à rapprocher de "religare", "relier" - c'est ce que prétend Lucrèce, peu suspect cependant de collusion avec quelque clergé que ce soit - mais non moins enclin que ses contemporains à proposer des étymologies de pure fantaisie - il reste bien plus probable néanmoins qu'il faille le faire venir de la même racine "leg-" développée précisément par les mots "lire"et "élire" .

En ce cas, "religion", venu de "religio", "respect scrupuleux", serait beaucoup plus apparenté aux idées de "respect exact des rites", car les Romains y attachaient une importance extrême : si le taureau à sacrifier pour Jupiter n'était pas de couleur blanche, comme l'exigeait le rite, on le passait à la craie ! pauvre bête... La religion serait donc à l'origine un respect scrupuleux des rites, des gestes, des formules - lâchons le mot - magiques nécessaires à l'accomplissement d'un vœu, afin qu'une faveur demandée aux dieux fût accordée

C'est une étymologie peu glorieuse, rapprochant la démarche religieuse de la démarche magique (le contraire de "religio" est en effet "neg-legentia", négligence ou non observation des rites) - et dont les clergés de tout poil se gardent bien de faire état... C'est pourquoi tout débat philosophico-étymologique (or le discours philosophique porte bien souvent sur le sens premier des mots) invoquant ce faux rapprochement "religion / relier" devrait sinon être éliminé comme nul et non avenu, du moins clarifié par des remises en cause véritablement laïques...

Autre aspect du problème : la peur. Un excellent ouvrage écrit par Delumeau étudie la peur en Occident jusqu'au XVIIIe siècle, toute la religion catholique ayant crû et prospéré sous le règne de la peur. La quatrième de couverture précise que le catholicisme est bien la seule religion où les concepts de peur et de souffrance aient été à ce point exaltés, voire mis au centre de toute attitude mentale. Il exista en effet une véritable entreprise de terreur intellectuelle exercée par le clergé, qui prétendait mener les hommes à la vertu par peur du châtiment éternel, par peur de l'Enfer, châtiment je le rappelle purement corporel. Toutes les souffrances corporelles avaient été rassemblées sur le corps du Christ. Il fallait donc à son instar se charger de toutes les souffrances possibles en ce bas monde afin d'être racheté dans l'autre. Il est d'ailleurs permis de se demander, le

Christ étant lors de sa crucifixion chargé de tous les péchés du monde, s'il n'a pas été aussi le plus

coupable. Or le plus coupable est Satan, c'est donc Satan qui a été crucifié... Bon, si on ne peut plus

rigoler... Toujours est-il que le rachat par la souffrance se trouve au centre de toute réflexion chrétienne. Les Indiens d'Amazonie ne purent que très difficilement comprendre qu'on exigeât d'eux d'adorer un corps si horriblement supplicié. Certains rigolos sacrilèges prétendirent que l'emblème cruciforme de Notre-Seigneur eût été bien plus piquant si ce dernier eût été empalé, sans parler de la forme qu'eût pris alors le signe de croix.

Il est vrai que le sujet de certaines disputationes scholastiques portaient au XVe s. sur le sujet de savoir la manière dont le Christ eût été crucifié conformément aux Ecritures s'il eût été créé sous forme de citrouille, rien n'étant impossible à Dieu... Mais trêve de plaisanteries douteuses. Le fait est que le supplice du Christ, homme-Dieu, mène tout droit à la divinisation de la douleur.

Ce fut aussitôt et pour des siècles un déchaînement de passions basses. Lisez les Confessions de saint Augustin : ce ne sont que des lamentations sur les péchés commis, même par le tout petit enfant que fut Augustin ; un opprobre absolument démentiel jeté sur tout ce qui de près ou de loin peut évoquer la moindre activité sexuelle ; des excuses et des écrasements d'âme perpétuels...

Les curés d'Ecosse firent faire un grand bûcher de tous les violons et interdirent les bals. Celui de St Kilda, petite île perdue au large de la même Ecosse, interdisait de rire le dimanche. Pire encore, alors qu'on avait envoyé aux habitants de cette île déshéritée une infirmière pour enrayer le taux galopant de mortalité infantile due à une prophylaxie insuffisante, le curé conspira avec les vieilles de l'île pour que les accouchements se déroulassent dans les mêmes conditions que dans le passé, parce qu'il ne fallait pas s'opposer à la volonté de Dieu si cette dernière était que les enfants trépassassent...

Les indigènes de Sumatra se suicidèrent en masse parce qu'ils crurent qu'ils s'étaient trompés de religion depuis des millénaires et avaient offensé le véritable esprit qui est Dieu. Il serait opportun de retrouver le nom de ce révolutionnaire qui avait établi un nouveau calendrier, portant à chacune de ses dates un méfait sanglant occasionné par l'Eglise. Je ne puis m'empêcher de penser avec horreur à la fin de Cagliostro, aventurier peu recommandable assurément, mais enfermé par décision du tribunal ecclésiastique dans un cachot fort étroit sur une île méditerranéenne, avec interdiction de lire, d'écrire, d'entrer en communication avec qui que ce soit. Que croyez-vous qu'il arriva ? Il devint fou, à la lettre fou, adressant mille plaintes et cris vers le ciel, seule chose avec laquelle il lui fut permis de parler. J'ai frémi d'horreur en lisant cette sinistre fin, ce supplice infligé

pendant près de dix ans. Pourquoi Charles-Quint enferma-t-il sa mère Jeanne la Folle dans une cellule dont on obtura toutes les issues, de façon qu'elle ne pût jamais plus voir la lumière du jour ? Il n'y a là rien de religieux d'ailleurs. Je me livre à mes associations d'idées. La seule véritable prière est celle d'un rabbin : "Seigneur, si vous existez, sauvez mon âme, si j'en ai une." Et encore :

Kyrie eleison

Kyrie eleison

Kyrie eleison

Christe eleison

Christe eleison

Christe eleison

Kyrie eleison

Kyrie eleison

Kyrie eleison.

Et non pas "Seigneur prends pitié", qui fait chien battu. Sans le latin la messe nous emmerde. "Il vaut mieux prier en français que de répéter en latin sans comprendre." Crétin. La religion ne se comprend pas. La religion a besoin de mystère. D'une langue sacrée. Dieu ne se comprend pas. Rien n'empêchait les fidèles de se reporter à la colonne en français pour comprendre.

Quand je pense que le latin n'est même plus considéré comme obligatoire pour la formation des prêtres actuellement. Le latin était la langue des dieux, puis devenu la langue de Dieu, il n'est plus considéré à présent que comme une survivance fasciste - n'importe quoi.

Je ne vais plus à la messe. On m'y oblige à chanter des âneries, où "fidêêle" rime avec "chapêêle", aux lignes mélodiques nulles, aux voix éraillées ou/et chevrotantes. Je veux du Bach, Nom de Dieu, du Haendel, Duruflé ! Le fidèle doit participer : au Diable la participation ! "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" : mais il me fait chier, le prochain! autant que je me fèche moi-même justement !

Amour - l'Amour gluant de Dieu. Le salut qu'on s'échange à la messe - mais essayez voir de lier conversation à la sortie avec votre brave voisin : que dalle ! On reste sur son quant-à-soi. Toutes les églises sont envahies de petits panneaux de dessins niais recopiés sur les pires illustrations, de Dunkerque à Perpignan, avec des déclarations touchantes de puérilité. Tout ce qui est bon, gentil, gnangnan, c'est pour les enfants. Il est vrai que je ne suis jamais content, car à mon époque l'éducation religieuse consistait essentiellement à bien faire sentir aux enfants combien ils étaient coupables : "Celui qui n'aime pas sa mère, il peut sortir tout de suite !" Et moi je lorgnais vers la sortie pour me défiler sans être vu, mais l'abbé reprenait sa phrase d'un air terrible, en me lorgnant vicieusement : "Celui qui n'aime pas sa mère..." J'avais écrit toutes les "mauvaises pensées" qui me venaient, en particulier : qu'y a-t-il sous le linge qui couvre le corps du Christ ?

...Je ne savais pas encore qu'il n'y avait jamais eu de linge... Tout cela, je l'ai confessé à mon curé, par écrit, sur l'envers d'une jaquette de livre. Le curé m'a réprimandé : "Tu te rends compte? Si quelqu'un avait trouvé ça ?" Et à mes demandes d'explications, il m'a recommandé surtout de ne plus avoir de pensées "mal élevées". Pauvre curé, ce que j'aurai pu le ferche. Et puis j'ai vite compris les trois commandements de l'Eglise : pas de sexe, pas de sexe, pas de sexe. Une jeune femme m'a fait remarquer que ce n'était pas cela du tout, qu'il fallait savoir remettre le sexe à sa juste place. Evidemment, pour une jeune femme, la place du sexe, c'est l'abstinence. Elles sont vieilles, les femmes.

Faites passer. Sans oublier telle affiche vue dans une église (ces affiches sont inénarrables) - contre la prostitution. J'ai pris mon stylo le plus névrosé pour écrire : "Déjà qu'il n'y a pas moyen de baiser avec les femmes - ma parole vous voulez nous les couper ou quoi ?" Je suis très fier des conneries que j'écris dans les églises. Un autre brave ecclésiastique avait calligraphié : "Ne craignez rien. Vous n'êtes pas seuls. Où que vous soyez, Dieu est avec vous, Dieu vous voit." J'ai écrit : "Eh ben c'est gai." Sacripant, superficiel, vulgaire et tout, et même pas drôle. Je ressasse de vieux griefs mineurs, même pas de pédophilie, de petites choses. Simplement, trouvant un terrain de culpabilité bien cuit, la religion n'a su que m'y rouler comme un rat dans la farine, sans aucun rectificatif ; quand c'est niais, ça m'emmerde : la morale de Monsieur Tout le Monde n'a pas besoin du Christ pour fleurir et se faire respecter. Quand on refuse la niaiserie du catéchisme, quand on expose le côté terrible du christianisme, le côté vertigineux, style Pascal, je signe des deux mains

cette affirmation de Kierkegaard : Le christianisme est une doctrine terrible. La présente-t-on telle quelle à un enfant, il en devient, à la lettre, fou. Crédié on n'est jamais content. Puis la figure du Christ me déplaît. Outre le fait qu'il n'a sans doute jamais existé - je crains fort que les fameuses preuves historiques ne soient qu'un de ces faisceaux de présomptions qui s'appuient les unes sur les autres comme un château de carte ; voir les définitions du dictionnaire :"Vie : état des forces qui s'opposent à la mort ; mort : cessation de la vie... » - outre cela, dis-je, sa figure de pisse-froid éternel moralisateur n'ayant jamais baisé - même s'il pardonne à la femme adultère - m'emmerde.

« Jésus n'a jamais ri », comme on l'a répété. Le Christ est une pâtisserie de massepain couverte de guimauve, la figure la plus puérile et la plus gnangnan qu'il m'ait été donné de rencontrer - sauf dans La dernière tentation du Christ, qui est un chef-d'œuvre - je vais me faire plastiquer un de ces jours. J'en ai marre autrement de cette gueule d'emplâtre solennelle. Et de toutes ces chialades. Et vous vous rendez compte si tout ça c'était vrai ces histoires de Marie-Joseph mon Dieu quelle horreur quelle régression. Je me suis toujours demandé comment des gens intelligents, cultivés e tutti quanti pouvaient avaler ces histoires de Père Noël. « Le Bon Dieu, c'est comme le Père Noël, mais c'est pour les grands », déclarait une fillette à ses petites camarades ; le curé s'est illico présenté à ses parents, pour que surtout leur fille ne foute pas les pieds au catéchisme...

Messieurs les Ecclésiastiques s'estiment choqués, mettent parfois en branle les ressorts de la justice ou de l'indignation, menaçante cela va sans dire, pour faire ôter telle affiche estimée attentatoire au respect que l'on doit à la religion. Et juristes de s'exclamer doctement qu'en effet, on doit respecter les croyances profondes de chaque être. Et si je disais, moi, que toutes ces manifestations de carnaval appelées messes, cérémonies présidées par le Pape, célébrations de Padre Pio et autres miracles douteux, choquent également ma libre-pensée ? Au nom de quoi mon agnosticisme ne serait-il pas une position philosophique aussi respectable que la croyance en ces sottises mentionnées plus haut ?

Simplement moi je n'aime pas semer ma zone. Parce que tous les curaillons, pour l'instant, se contentent de faire une grimace pincée quand on voit un Christ un peu trop dénudé ou amoureux. Mais que sera-ce quand on leur accordera de nouveau, ce qu'à Dieu ne plaise, un tantinet

de pouvoir, ne fût-ce que consultatif ? Je reprends ici un hebdomadaire satirique : redonnez donc un

peu pour voir la puissance politique à tous ces gens d'Eglise : ils auront tôt fait de rallumer les bûchers. Même les religieuses si douces et si bonnes (honneur aux héroïques brancardières de 14/18). Même l'abbé Pierre l'aurait fait. Cela n'empêche pas bien sûr que tous mes arguments me semblent à moi-même désuets, je n'arrive à être ni convaincant ni ordurier. Dieu est une illumination qui me tombe dessus parfois. C'est comme l'amour, tu mets tout et n'importe quoi là-dessous. Je vois des jeunes illuminés par Dieu et le rock and roll. Ils sont tous venus bêler par centaines de milliers derrière le Pape.

Je veux bien qu'il y en ait des trimballés gratos d'Espagne ou d'ailleurs par Dieu sait quelles mystérieuses organisation, mais tout de même. Ils chantent, ils sont béats, ils se sentent "tous ensemble, tous ensemble, hhgngn ! hhgngn !" et ils ne baisent pas, surtout les filles. Moi aussi parfois je me suis senti niais, heureux, communiquant avec autrui, c'est inoubliable, c'est rarissime. Et cette abdication, mon Dieu, cette soumission veule... Parfois aussi ce sursaut de vie, cette confiance, ces envies de chanter, d'aimer, sans qu'on sache pourquoi, simple jeu d'hormones, vraiment ? Il paraît. Je préfère la dictature de mes humeurs médicales à un soupçon de directivité de la part de Dieu. Dieu a tellement aimé ses créatures qu'il les a voulues libres : peut-être, mais alors, il doit pardonner à toutes, absolument à toutes, à la fin - même Adolf ? je me gratte le crâne... Si les hommes n'étaient pas libres, et que Dieu se montrât, nous n'aurions en effet aucun mérite... Vous n'avez jamais pensé à tout cela entre douze et treize ans, vous ? "A chacun son expérience de Dieu". Ce qu'il y a de terrible avec la religion chrétienne - je ne connais pas les autres - c'est que posé le principe, le postulat que Dieu existe, alors tout s'éclaire. Ce qu'il y a, où le bât blesse, c'est qu'il faut faire le saut dans l'irrationnel ; imaginer ce truc complètement fou : Dieu existe. En tout cas, pour le Diable, je sens bien qu'il y a au ciel, en bas ou dans ma tête un vieux démon qui se frotte les mains et qui se fout bien de ma gueule.

Celui-là oui, je le sens bien, j'y crois bien. Arrive là-dessus le Jean-Paul Sartre (l'autre...) qui me dit que j'ai bien tout fait pour qu'il m'arrive des crosses et que je n'ai à m'en prendre qu'à moi-même... De toute façon on l'a dans le cul, par soi ou par le Diable, et vivement qu'on crève. Putain ce grand repos.


LE SINGE VERT N° 12 12 - 71

Les répliques auxquelles vous avez échappé




Il vous est souvent arrivé - la chose arrive à bon nombre d'entre vous - de ne pas savoir répliquer sur-le-champ à tel propos particulièrement vexant. Quand on vous a cassé. "Monsieur", disait un garçon de café à un client very insolent dans Victor-Victoria, "je trouverai une réplique cinglante pour le dessert". Ce qu'on appelle un impromptu à loisir. Assurément, nous ne devrions pas nous froisser pour si peu, car les propos mortifiants viennent souvent de personnes qui soyons francs ne nous arrivent pas à la cheville. Mais c'est précisément pour cette raison que ces personnes n'auraient jamais dû oser, du fond de leur petitesse, vous offenser de la sorte : c'est justement en raison inversement proportionnelle aux mérites de ces salopes (les personnes) que l'insulte subie accroît le caractère sanguinaire de votre rage.

Personnellement, ce sont les petits merdeux, qui m'atteignent le plus profondément ; qu'un adulte m'offense, m'humilie, peu importe à la rigueur - armes égales. Mais qu'un morveux, assuré d'avoir toujours raison, aveuglément soutenu par des parents qui n'ont rien vu ni entendu, parfaitement capables de hurler (l'enfant) que c'est vous au contraire l'offenseur, et d'être forcément crus, y compris dans les affaires de pédophilie ; qu'un de ces petits connards dont l'unique préoccupation devrait être de ramper à vos pieds pour leur avoir permis de naître, se pique de frapper juste, voilà ce que mon honneur d'adulte ne saurait en aucun cas tolérer. Comme je suis enseignant - tous des malades - j'ai souvent lutté contre des pulsions de meurtre.

Nous sommes bien loin des préceptes de sagesse distillés par les "sages cervelles", "Les chiens aboient (la caravane...)" ou "La bave du crapaud (n'atteint pas...)"(je ne résiste pas ici au plaisir de citer Proust, par la voix du Baron de Charlus : Qui vous dit que je sois offensé ? Croyez-vous Monsieur que la salive envenimée de vingt petits bonshommes de votre espèce juchés les uns sur les épaules des autres arriverait à baver jusqu'à mes augustes orteils ?... Bref, comment clouer leur bec à tous ces êtres inférieurs ? la réponse, vous le savez, se trouve dans l'escalier. "L'esprit de l'escalier" - trop tard : confer le film "Ridicule". Et cette réplique fulgurante vient à l'esprit parfois des années après.

C'est ainsi qu'à l'un de mes collègues appréciant peu mon esprit caca-prout, et déclarant devant tous : "Je t'inviterai chez moi quand il y aura les chiottes au milieu du salon", j'aurais dû répondre - hélas ! 10 ans de retard ! - : "Eh bien ! tu n'auras qu'à y faire ton entrée !" Et toc. Dix ans après. N'oubliez pas, chers lecteurs, que le but de la vie n'est pas d'aoiv raison (tout le monde a raison) mais d'avoir toujours le dernier mot, de fermer définitivement la gueule au moindre de vos contradicteurs, surtout au moindre. Le meilleur moyen pour cela consiste dans un premier temps à formuler vous-même l'objection que l'on ne manquera pas de vous faire, puis de décréter que vous jouez sur le deuxième et le premier degré à la fois, ce qui s'appelle le troisième degré (si vous croyez ce que vous dites, mais au fond de vous), au quatrième degré, si vous croyez, au fond de vous, au deuxième. A partir de là les cartes s'embrouillent - tout le monde ne peut pas être virtuose comme Gottlib - vous finissez par ne plus savoir très bien où se situe "le fond" de votre esprit, ce qui est une excellent préparation à la lâcheté, c'est-à-dire à la littérature : "Quand on a tout trahi, il ne reste plus que la littérature" (Genet).

De toute façon la sincérité n'aboutit jamais qu'à la cruauté d'une part, et le plus souvent à la plus plate platitude. J'aurais pu vous assommer de toutes les répliques sans réplique assenées successivement à mon éditeur qui n'a fait que me raconter des boniments pour me calmer. J'essaie désespérément de le ramener sur le terrain divin de l'inspiration, du monde à sauver, de la haute valeur de ma personne ; il me répond "rentabilité", "réseaux d'influence", "retours de libraires".

...Mon éditeur a raison.

Mais de temps en temps, l'irrationnel se remet en marche comme un ressort capricieux. Ça se déclenche. J'imagine alors toutes sortes de dialogues avec lui, où je lui cloue le bec. D'ailleurs je lui ai souvent cloué le bec, en vrai. Résultat ? cacahuètes, peanuts, des clous. Je le bats donc à plates coutures dans le domaine de la légende : la Gloire, la Qualité, le Sentiment du Moi. Il n'a rien à répondre ! L'Idéal, vainqueur sur toute la ligne ! hélas : impossible de passer le cap du deuxième roman, parce qu'il y faut tout une mécanique. Il faut se plier aux rouages, se constituer un réseau d'amitiés intéressées, libraires, critiques et journalistes de tout poil, réseaux de distribution et autres, pour lesquelles plusieurs années sont nécessaires.

Et comme je suis vieux (depuis trente ans) (je me suis toujours senti vieux, excellent bon truc pour ne rien faire), la mort me rattrapera bien avant que j'aie pu profiter de la mise en marche de cette mystérieuse mécanique à gloire. Adoncques, lorsque je sens monter en sauce la Divine Paranoïa, plutôt que de faire sentir à mon éditeur toute l'étendue de ma détresse, je l'évite. Je boude. Ce ne serait même pas avec lui que je discuterais, que je m'engueulerais, mais avec un méchant éditeur de ma pure composition. Quelque chose de névrotique et de compulsionnel (qui revient sans cesse). Au lieu de recommencer la même scène de ménage, où chacun connaît si bien par coeur les répliques de l'autre que la dispute pourrait aussi bien se disputer par numéros : "33 ! 47 ! - 125! - comme ces fameuses histoires drôles des gardiens de phares - fuyez ! - mes conseils partent en couilles, normal. Et là, Fitzgerald, c'est l'éditeur qui a le dernier mot. Mais brisons là : vous vous engueulez bien de temps en temps avec un automobiliste ? (je me rattrape comme je peux). Eh bien, s'il vous dit :

- Quand on ne sait pas conduire, on reste chez soi !

Répondez :

- Et quand on dit des conneries, on ferme sa gueule !

A condition de pouvoir redémarrer aussi sec en trombe.

Si l'automobiliste vous dit :

- Je t'encule !

Répondez :

- Je m'en fous, j'ai la diarrhée ! - très clâsse.

J'en avais plein des comme ça. Et c'est au moment de rédiger ma revue que tout m'échappe. Bien tombé vraiment. Je me suis égaré du côté de mon éditeur, symbole de mon échec, de ma capitrouduculation devant les lois du Marché qui je le répète sont régies par le hasard dans une proportion que nul n'a découverte sinon ce ne serait plus du hasard - bref tout m'a échappé.

Et c'est pourtant lui, l'éditeur, qui m'a suggéré le sous-titre : "Les répliques..."

A des zozos qui essaient de me faire avaler une visite de spécialistes en capricornes (vous savez, ces fringués de frais qui grimpent dans vos combles, en grattent un vieux morceau de bois qu'ils avaient dans leur poche et vous déclarent, funèbres: "Vous voyez ce que les capricornes font de votre charpente ?" - vous pouvez toujours répondre "Je m'en fous, je suis du Sagittaire". Oui. Bon. Aujourd'hui, surpris le matin en situation humiliante (avec ma balayette et ma petite pelle), je leur ai fait le coup du malade : "Non écoutez, je ne peux pas vous recevoir en ce moment, je ne me sens pas bien du tout, laissez votre documentation" - ouf, ils n'ont pas insisté.

Aux assureurs qui viennent pas deux, avouez sur le ton le plus gêné que vous êtes chômeur : "Ah, évidemment... Il faut une certaine mise de fonds... Alors excusez-nous..." A celui qui vous vend un extincteur : "Et si ça brûle ? " - Eh bien si ça brûle, ça brûlera !" Pas content le mec. On s'est engueulés à travers toute la rue quand il s'en est allé. A celui qui tient à toute force à vous faire recrépir votre mur : "Je n'ai pas envie de lire des tags du genre Nique ta mère sur mon beau mur tout blanc". Ça fera toujours quatre ans que je ne les revois plus. Le pire, ça a été les poseurs de vitres doubles. Ils sont restés une heure trois quarts. Quand ils sont revenus, j'ai éteint les lumières. Ça s'est vu de l'extérieur, mais tant pis. Il n'y a que la malpolitesse qui paye. Je suis tout de même parvenu à les guérir d'un horrible tic qui se répand dans la société des incultes : "Des fenêtres de 2m par 3" - non, de deux mètres sur trois. "Two by three", il faut bien faire dans l'américanisme, ça fait plus "pro" ; « trois par trois », ça veut dire qu'on fournit par paquets de trois. Ça ne veut pas dire trois mètres sur trois. Je suis désolé. Ils se sont tirés, les représentants. Mais pour nous emmerder, ils nous avaient récité une heure trois quarts de baratin.

Et celui qui voulait m'assurer à 300 f par mois "pour ma fille, quand [je] ne [serai] plus !" Mais j'en serais malade, de voir s'accumuler ainsi trois cents francs par mois sans pouvoir y toucher sauf si je meurs ! C'est ignoble comme sensation ! Je lui ai dit que quand je serai mort je n'en aurai rien à foutre que ma fille soit fauchée ou non. Que de toute façon nous avions déjà notre système d'assurance (des fonctionnaires, alors vous pensez.... Notez que le crédit aux fonctionnaires est plus cher que celui que m'accorde ma propre banque, encore une légende qui s'effondre). Et de toute façon il y aurait bien un réseau d'amitiés qui jouerait pour que ma fille ne soit pas réduite à la mendicité.

Le mec m'a traité de mauvais père au cœur de bois, mais il a pris la porte, et il l'a remise à sa place. Et celui qui voulait m'assurer en auto-stop ! Je me suis laissé trimballer en subissant son baratin, il s'était fait le pari me dit-il d'assurer quelqu'un le temps d'un trajet d'auto-stop. En redescendant, je lui file l'adresse d'un collègue en souliers vernis, que je ne pouvais pas blairer. Il y est allé, ce con ! et ne m'a pas reconnu, bien sûr ; il a bassiné l'autre pendant pendant plus d'une heure. Le collègue m'a nasillé que mes farces étaient supernulles. je m'en fous, je ne l'ai plus revu non plus celui-là. Et l'autre abruti qui voulait me vendre un gros livre incompréhensible sur le droit ?

Toute la justice en 700 pages, coco ! "Ça ne vous ferait pas plaisir, si un type vous cherche des noises et vous traîne en procès, de lui dire : "J'ai raison en vertu de tel article de loi, tac !" - et de mettre le doigt sur un article au hasard. Et moi du tac au tac : "Et si l'adversaire me prend le bouquin des mains et m'annonce qu'il a raison, lui, en vertu de tel autre article, toc ?" Il s'est tourné vers son assistante sur le divan : "Vous voyez, là, c'est le type de client avec lequel on ne peut pas discuter." Mais enfin bougre de con, à quoi ça sert alors toute la satanée nuée d'avocats si la loi peut se tirer d'un seul livre, même de 700 pages ? Quand j'ai voulu expulser un locataire mauvais payeur, l'avocat m'a laissé engager l'affaire, il a accepté mon argent. Puis il m'a envoyé un mot même pas signé disant que de toute façon j'avais perdu attendu l'âge de mon client. Tu ne pouvais pas me le dire plus tôt, avant de prendre mon blé, connard ? depuis Molière en vérité mes frères, rien de nouveau sous le soleil noir de la justice.

Le plus beau, ç'a été les témoins de Jéhovah. Dialogue:

- Si Dieu m'appelle, je ne pourrai pas Lui résister, n'est-ce pas ?

- Mon frère, on ne résiste pas à l'appel de Dieu.

- S'Il ne m'a pas encore appelé, c'est qu'Il ne le désire pas encore, n'est-ce pas ?

- En effet mon frère.

- Eh bien vous reviendrez quand Il m'aura manifesté ainsi sa volonté."

Dans le cul, les Jéhovah.

Quand je les revoyais dans le quartier, ils changeaient de trottoir.

...A un élève qui répond :

- Je t'emmerde.

Sortez un rouleau de papier-cul : "Torchez-vous, mon ami, torchez-vous !" Rigolade assurée, l'emmerdeur est raillé cruellement.

- M'sieu, quelle est la différence entre un pédé et vous?

- Tourne-toi que je t'explique.

Authentique - hmm, Danone...

Ne jamais laisser le dernier mot à l'adversaire - à l'interlocuteur : tout est là.

Méfiez-vous, pêle-même :

De celui (ou celle !) qui prétend vous apprendre ce que vous êtes, qui vous dit :"Je te connais mieux que toi-même, tu n'es pas si méchant - ou pas si bon - que ça " - attention : on cherche à vous changer votre personnalité. Tenez bon. En dépit de ce que brament les sartriens, et les psy qui emboîtent le pas, vous vous connaissez forcément mieux que les autres.

Les autres certes vous informent sur des choses auxquelles vous n'auriez pensé. Mais sur l'essentiel, vous vous connaissez. Ne souhaitez jamais vous voir par les yeux des autres : comme dit Cioran, il y aurait de quoi se cacher sous un drap et ne plus en bouger. Il a dit aussi que si l'on se considérait, inutiles et nuisibles comme nous sommes dans l'univers, nous baisserions les bras et nous attendrions de crever. Ce qui ne l'a pas empêché de publier surabondamment et de bien surveiller la bonne sortie de ses livres et d'empocher les droits d'auteur. Ben voyons.Méfiez-vous, méfiez-vous de tous les donneurs de leçon, sale engeance (allez, y compris moi, fausse fenêtre pour la symétrie)... . Ceux qui s'empressent de venir vous dire tout ce qu'il aurait fallu faire, et qui font exactement le contraire, et qui si vous le leur faites remarquer s'exclament scandalisés :

- Ah oui mais pour moi ce n'est pas la même chôôôse !

J'ai raison parce que c'est moi, dernière phrase de "Vipère au poing" de Bazin.

Vous devez vous dire : "Mon vieux çui-là, ya pas moyen de l'avoir." Non. C'est justement parce que je me suis fait mettre un nombre incalculable de fois que j'ai élaboré ces petites remarques à sa mémère. C'est l'escalier hélas, le plus souvent, qui a frappé. Seulement, j'ai étalé ici quelques-uns de mes petits triomphes, mesquins, mais qui font tellement plaisir.

...Et la fois où j'ai dit à un mec "Tu vas me le payer mon pare-chocs" "Vous plaisantez mon cher ? Pour deux ou trois éraflures ? "

...Et la fois où j'ai dit à un autre, qui reluquait ironiquement ma grosse : "Tu veux dire quelque chose à ma femme" ?

« Hmmm ? (mouvement du menton) (mon épouse a perdu, depuis, 56 kilos...)

Je ne peux résister - qui résisterait ? - à vous rapporter la cinglante réplique d'une jeune femme qu'un attentat avait réduit à porter une prothèse. A un copain de son cavalier de danse qui lançait : "Ça ne te fait rien de danser avec une gonzesse à la jambe de bois ? - Ma jambe c'est un accident, mais ta connerie à toi, c'est de naissance.

Quand vous dansez, que vous vous frottez quelque peu, une tumescence peut naître au croisement de vos jambes. Maintenant, ce n'est pas non plus absolument obligatoire. Un jour, ma cavalière a informé à haute et intelligible voix toute l'assistance que j'étais impuissant. Sympa, non ? C'est seulement depuis quelques semaines qu'une amie à moi m'a suggéré la réplique sans réplique, soit 36 ans trop tard : "Si t'étais moins moche, aussi..."

La fille s'appelait Colette Brosset, de Mussidan. Faites passer. Ah merde, pour une fois que je dis un nom ! (Le mien, c'est le Singe Vert ; vous pouvez m'écrire).

...Et cet élève du conservatoire engueulé par son professeur : "Monsieur, si Molière vous entend jouer, il doit se retourner dans sa tombe !" Réponse : "Comme vous l'avez joué avant moi, ça le remettra en place !"

Viré le mec. Mais ce pied.

Bon j'arrête. Mais n'oubliez pas : toujours le dernier mot.

Exemple : "Tu te crois malin mais on fait tous ça, Dugland ; qu'est-ce qu'on en avait à foutre de ta revue à la con?"

Réponse :

- Ta gueule.




DER GRÜNE AFFE (Le Singe Vert) 13 - 78

LA LANGUE, OUSTE !





Désolé. Ces Messieurs du "Larousse 2000" font fausse route. On ne dit pas "Eûûûdipe", ni "eûêûeûsophage", ni "eûeûeûnologue", mais édipe, ésophage, énologue, écuménisme. D'ailleurs, on continue à dire "cœlacanthe - sélacante", et "œstrogène - estrogène". L'usage... Je t'en foutrais de l'usage - quand il suffit désormais que trois présentateurs ignares et suffisants (Jean-Claude Narcy : des-noms, des-noms !) se mettent à estropier la langue française pour qu'une armée de couillons leur emboîtent le pas. Je les entends d'ici, les braves médecins qui m'annoncent que j'ai un "eûeûeûdème" :

« Mais enfin, Monsieur, c'est moi qui m'y connais en médecine, pas vous !

Certes, certes ; mais en langue française, c'est moi qui m'y connais. Prof de français, ça vous a un petit air facho, non? est-ce que vous auriez par hasard la prétention de tout savoir aussi tant que vous y êtes sur le moteur des ambulance? Le petit air dédaigneux avec la tête en arrière, ça n'a jamais été un argument. Même chose avec les eûeûeûnologues... "Ca fait vingt ans que je fais le métier, vous n'allez tout de même pas m'apprendre comment il se prononce ?"

Si.

Je sais qu'un jour j'ai tourné le bouton de France-Culture parce qu'une jeune pétasse surdiplômée y tenait une conférence sur "Heûeûdipe", et que c'en était tellement insupportable de prétention ridicule que je lui ai coupé le sifflet. J'ai même écrit à je ne sais plus quel metteur en scène qui a fait représenter la tragédie de Sophocle à ( et non pas en) Avignon ("en", c'est pour le territoire papal, qui n'existe plus, "à", c'est pour la ville) - en lui disant combien j'espérais qu'un homme sérieux comme lui, disposant sans doute de grands moyens d'information, n'avait pas défiguré un texte antique et quasiment sacré en le plombant par cette prononciation à la con.

Vous pensez bien que je n'ai pas obtenu de réponse. Monsieur le Grand Metteur en Scène a tout de même autre chose à foutre que de répondre à un pékin sans le sou et sans influence. Cette prononciation fautive ne remonte pourtant qu'à une vingtaine d'année. Il en est de même des "o" prononcés "eau" : "accent local" paraît-il - pas du tout ! Depuis quand prononce-t-on "Anderneausse", "Pisseausse", "Biscareausse" ? Bande de Parisiens ! Un eausse, au lieu d'un os ! Tas de nazes, ça se prononce comme une "brosse" !

Le dernier qui m'a parlé d'un "eausse", je lui ai répondu : "Alors comme ça, tu vas à l'ékeaule avec ta petite careaute dans la culeaute" ? Je ne l'ai plus revu le type. Soyons juste, je savais que je ne le reverrais plus. C'est loin le Loir-et-Cher, quand on habite la Gironde et qu'on est

fauché chronique ("L'homme est un roseau pensant, la femme un roseau dépensant", c'est de Guitry je crois).

Que les gens du Midi soient incapables de distinguer "la Beauce" de "la bosse", "les Causses" de "l'Ecosse", "l'ébauche" et "les Boches", eh bien soit ! il serait culturellement criminel de réformer l'assang. Mais je ne peux supporter le tic inverse qui consiste à fermer tous les "o". j'ai entendu parler du département de l' "Yeaunne", et de "neautre envoyé spécial à Reaume".

Tous ces phénomènes sont très récents, une vingtaine d'années tout au plus. J'ai vu un péplum où les plus âgés prononçaient correctement le nom des îles grecques, "Samos", "Lesbos", comme "la force", alors que le jeune héros s'obstinait connement à prononcer "Séripheausse", "Lemneausse". Que dire de ce grand comédien qui répétait "Don Juan" de Molière - sans cesse la même phrase, en soignant l'intonation, bien sûr.

Eh bien, son maître le laissait prononcer "Don Gueusman" à l'anglaise, alors qu'on doit prononcer "Gousmann" si l'on se réfère au contexte espagnol, ou "Güsmann" à la française, mais pourquoi diable prononcer à l'anglaise ? Comment voulez-vous que je prenne au sérieux le travail de ce professeur de théâtre, ou le jeu de cet acteur ?

Que dire de ce traité de prononciation et de travail sur la voix destiné aux comédiens qui passe tout un premier chapitre, illustré d'un beau croquis en coupe montrant le point d'appui de la langue par rapport au palais, qui se fonde sur l'exemple de "Paul" opposé à "pôle" ? Mais pauvres plâtras que vous êtes, ça se prononce exactement de la même façon ! Quand vous voulez railler l'accent du Midi (lequel, d'ailleurs ? Marmande, Carcassonne ?) en parlant de ses opinions "de gôche", vous vous fourrez le doigt dans l'oeil ; l'accent circonflexe rétablit justement la "bonne" prononciation, la parisienne voyons... Des épaules, un rôle, la gauche, o fermé ; un vote, un code, la goche cong (si vous y tenez) - o ouvert. Malgré cela le nombre d'indigents qui procèdent au "veaute", et qui consultent le "queaude" ! - pour rapprocher le français de l'anglais, eurêka !

Un jour je me suis promené à Séville, et alors que je venais d'acheter mon billet pour visiter la Giralda (j'écorche l'espagnol, mais on me comprend), quel ne fut pas mon frisson horrifié lorsque j'entendis haut et clair, avec la visible satisfaction de la gonzesse à la page, une voix perçante et snobinardement féminine converser au guichet en anglais avec l'accent français !- Je suis à la pâââge, coco, je speak english, moâ ! » Putain j'avais l'impression d'avaler une grand giclée de ketchup dans ma paëlla... L'hor-reur ! Quand on va en Espagne, on pourrait se fatiguer à apprendre quelques mots d'espagnol, non ? Ca écorche la gueule, peut-être ? Rien ne m'avait plus vexé, en Italie et en Espagne, de me faire adresser la parole en anglais parce que mes connaissances en italien et en espagnol étaient imparfaites...

C'est inimaginable : ma cousine, en vacances en Allemagne pour se perfectionner en allemand, parlant en anglais avec sa correspondante, en accord avec elle, "parce que c'était plus facile" ! Oui je sais, je m'indigne de peu de choses, et ce qui m'a indigné au Kosovo, c'est d'entendre Kouchner mâchouiller un anglais de pacotille pour s'adresser aux populations. C'était pourtant l'occasion rêvée, quitte à utiliser un interprète, de parler le français ! On va me traiter d'impérialiste- et l'anglais, il n'est pas impérialiste, peut-être? Il ne manque certainement pas de Serbes et d'Albanais qui ont des notions de français pour être venus travailler en France ! Mais l'anglais, ah mon pote ! ça fait tout de suite plus sérieux, c'est à ça qu'on voit un homme politique de stature internationale !

...Quoique Kouchner...

Je sais bien, chers imbéciles, qu'il y a vraiment d'autres sujets d'indignation au Kosovo... Il faut tout vous dire à vous autres... Déjà, toute notre chanson a failli basculer du côté de l'anglais. Le français, ça fait ringard, ça fait fasciste. Heureusement que la loi - c'est fasciste, la loi - et Toubon a l'air con, mais s'il a fait une chose de bonne pendant son mandat, on ne va tout de même pas le lui enlever - imposer un quota de chansons françaises ! Il faut faire très attention : si l'on abandonne un domaine à l'anglais, il s'en saisit, et il ne lâche plus jamais prise.

C'est comme Gibraltar. Au nom de quoi nous inflige-t-on sur Euronews (ce titre !) les bandes-annonces en anglais ? "On reçoit les émissions comme ça". Et vous n'avez pas un budget, ne fût-il qu'ultraminime, à consacrer à des panneaux en français ? Quand je lis la température qui règne dans les différentes villes d'Europe et du bassin méditerranéen, pourquoi "Prague"' est-il en français, et "Cairo" en anglais ?

Pourquoi la chaîne de la mire, la numéro 8, m'inflige-t-elle le matin les informations en américain à jet continu ? Pourquoi les publicités sur Eurosport sont-elles en majorité en anglais ? Jamais en grec ? la Grèce ne fait pas partie de l'Europe ? Pourquoi - c'est infiniment plus grave - les films américains aux Pays-Bas ne sont-ils plus sous-titrés ?

Alors comme ça, en Hollande, quand on veut aller au cinéma, il faut savoir l'Anglais ? et les Néerlandais ne protestent pas ? Vous croyez vraiment que les Flamands, de l'autre côté de la frontière, supporteraient ça ? Et c'est ainsi que petit à petit, sournoisement, des études scientifiques supérieures à la chanson en passant par la pub et le cinéma, nous nous faisons coloniser, changez trois consonnes, et vous saurez ce que je pense.

J'ai failli m'engueuler avec un metteur en scène parce qu'il proposait chaudement, à l'instar de notre ineffable Allègre, que l'anglais soit enseigné dès l'école primaire à nos chers enfants, qui ne savent déjà pas le français. "Comme au Québec", disait-il - et le nombre de ceux qui seraient prêts en France à cette forfaiture est incroyablement élevé. Mais mon pauvre, au Québec, les gens sont tout bonnement obligés de parler l'anglais ! Ils seraient autrement complètement perdus ! Il y a autour d'eux et parmi eux toute une population parfaitement anglophone, et qui a parfaitement le droit de parler sa langue ! Mais en France, où est-ce que tu va la trouver, cette population anglophone ? - en Dordogne, diront les mauvaises langues...

Quant à l'argument économique ne tient pas : les Etats-Unis (les States) sont la première puissance économique mondiale - et alors ? Si dans trente ans c'est la Turquie ou la Chine - vous connaissez l'avenir, vous ? - il ne suffit pas de renverser la tête en arrière pour connaître l'avenir - faudra-t-il mettre tous les enfants de France au chinois ou au turc ? langues aussi respectables l'une que l'autre d'ailleurs.

L'unité de langue n'a jamais garanti contre la guerre sous prétexte que "les gens se comprendraient mieux". Le nombre incroyable de guerres civiles depuis que le monde est monde est là pour l'attester. En tout cas le jour où la loi du bilinguisme passe, je descends dans la rue avec mon flingue (en fait je n'ai que ma gueule), ou je le fais prendre aux autres. La France n'est pas le Canada, n'a pas eu l'histoire du Québec, la nation française, la façon d'être française est un réalité, l'amour de son pays et de sa langue n'est pas du fascisme, et je suis à fond pour l'enseignement des langues régionales. Mais ne modifions pas l'article de la Constitution concernant la langue officielle unique de la France, sinon l'anglais va s'engouffrer là-dedans comme une déferlante.

J'en suis même venu à me demander si ces campagnes en faveur du breton, de l'alsacien, du corse, de l'occitan, excusez-moi si j'en oublie, n'aurait pas été financée en sous-main par les Etats-Unis. Ils n'auront pas l'Alsace et la Lorraine, et nous n'aurons pas le maïs transgénique. Tiens pour une fois on a gagné. Cependant j'ai lu une petite annonce à L'ANPE : "Recherchons hôtesse avec l'accent anglais ou suédois". Putain vive Stockholm. Et je ne suis pas du Front National nom de Dieu. Le premier qui vient me dire "Mieux vaut l'anglais que l'arabe" reçoit ma main sur la tronche. Et le danger ne vient pas que de l'anglais, en tout cas sûrement pas de l'arabe : il vient des Français eux-mêmes, qui considèrent la rectification du langage de leurs ancêtres comme une atteinte à la liberté de la langue. Il faut voir le déferlement de hargne qui saisit une classe dès qu'on veut lui faire prendre conscience d'un défaut de prononciation...

Sans oublier ces profs de faculté qui ont transformé l'enseignement du français en véritable casse-tête à la Diafoirus. Bedos dixit en effet (gloire à lui), qu'il y avait maintenant "autant de rapport entre l'enseignement du français et le désir de la belle littérature qu'entre l'amour et la gynécologie". Bravo Guitou. Mais la prochaine fois que tu parles du "feûeûeûtus" sur la scène, je me lève de mon siège à 150 balles et je hurle dans mes mains en porte-voix : "Fétus ! respecte ta langue, banane !" Je risque de me faire ramasser, car tu as le sens de la répartie. Mais j'espère bien être applaudi avant.

Une jeune fille de quinze ans à qui l'on apprenait la juste prononciation du mont "encens" ("ansan") : "Ah moi, j'ai toujours prononcé "encenss" ! - Toujours, Mademoiselle ? à quinze ans ? surtout que le mot doit vachement faire partie de votre vocabulaire courant tiens. Ca me rappelle Labarrère maire de Pau qui côtoyait sur un plateau de télévision une Haïtienne versée dans le vaudou. Elle prononçait "Du ensan". Le maire a rectifié, outragé : "Vous voulez dire de l'encenss" ? - ce que c'est tout de même d'être cultivé... J'adore les anecdotes. Une de mes costagiaires s'était évertué à lire tout un texte devant ses élèves, sur les usines "Citro-Un". Le tuteur lui fit remarquer fort justement qu'on prononçait "Citro-hène". La gonzesse était furax.

"Dans ma famille Monsieur, on a toujours prononcé "Citro-Un". Tout juste si le tuteur ne lui a pas dit qu'on n'en avait rien à foutre de sa famille : "A quoi sert le trémas alors?" C'est vrai, dès qu'on touche à la prononciation des gens, on a l'impression qu'on touche à leur braguette. Et on en rajoute même dans la lâcheté. Pour ne pas leur donner l'impression qu'ils ont fait une faute, on la reprend. Je me souviens d'une émission avec Bernard Pivot où un certain Monsieur Umberto Eco, puissant linguiste, avait été invité. Il parlait du "Capitaine Achab", en écorchant "Ashab". "A-kab !"

criait-on devant l'écran ; "A-kab ! " - eh bien pas du tout, Pivot-le-Courtisan (pléonasme) lui a resservi du "Ashab" comme sur un plateau. Vous savez, le coup du rince-doigts qu'on avale...Et cet autre bouzilleur d'art, du genre à exposer une salle de bains en petits morceaux, qui prononçait "l'embaument" des momies ? Le présentateur lui a aussitôt lèche-culement renvoyé de l' "embaument", pour qu'il ne soit pas dit que Monsieur le Bouzilleur avait commis une erreur grossière. Alors vous allez me dire : "Mais du moment qu'on se comprend !"

Certes, certes. J'ai bien corrigé une copie de bac où un crétin de section scientifique (faut pas demander) m'avait fait tout un développement sur l'inutilité de l'enseignement de la langue française, vu que ça s'apprenait par mimétisme, et qu'il n'y avait pas besoin de cours pour ça, pas plus d'ailleurs que de tous ces textes littéraires "qui ne veulent rien dire et qui ne servent à rien".

J'ai mis deux sur vingt, avec l'appréciation "Inculture agressive hautement revendiquée". C'est dommage vraiment qu'on n'ait pas le droit d'écrire "connard" sur les copies de bac. Un connard m'avait bien dit en quatrième que ce n'était pas la peine d'apprendre à lire puisqu'il y avait des bandes dessinées... De toute façon, je connais quelqu'un qui se contente de regarder les images, et qui parle de "livres" à propos de revues (pas foutu de faire la différence).

Et ce n'est pas sur les scientifiques qu'il faut compter pour redresser la situation. Premièrement, les ouvrages scientifiques de haut niveau sont rédigés en anglais. Démerdez-vous. On ne va tout de même pas dépenser de l'argent pour traduire. On en arrive à la situation qui est celle des étudiants au Maroc : études secondaires en arabe, supérieures en français.

Je ne vous explique pas le niveau... Deuxièmement, voilà bien longtemps que ces Messieurs de la Science de mes fesses se font des conférences entre Français en langue anglaise,même s'il n'y a pas un seul anglophone dans la salle. Que fait d'ailleurs un scientifique anglophone en visite dans une université française ? Il cherche quelqu'un qui parle anglais.

S'il n'en trouve pas, il va de l'un à l'autre jusqu'à ce qu'il en ait trouvé un, comme une guenon qui passe de singe en singe jusqu'à l'obtention de l'orgasme... Mais qu'on ne lui demande pas (au scientifique anglophone, bien sûr...) d'apprendre le français, cette langue de sauvage. Ca me rappelle ce grand film sur le grand nord, "Agaguk" : les esquimaux parlent en anglais ! Explication : "On n'allait tout de même pas se mettre à parrendre leur langue !" Et le doublage, et le sous-titrage, tas d'incultes, tas de radins, tas d'assassins ?

Il en est de même avec les publications ("Troisièmement') : dans un ouvrage sur le recherche scientifique, j'ai lu que l'on tenait compte de la langue dans laquelle paraissaient des travaux : "Il faut savoir, disait l'auteur, si cette communication se fait en anglais, en français ou en javanais." Les Javanais apprécieront le voisinage. Moi pas. Et de s'écrier tous en chœur et la tête renversée (n'oubliez pas la tête renversée : argument suprêmement scientifique) : "La langue française est de toute façon condamnée". Et alors ? Toi aussi tu es condamné mon pote, est-ce pour cela que tu demandes à être achevé ? Scientifique, on vous dit. J'assistais dernièrement à une conférence sur l'enseignement du latin (qui ne sert à rien, tout comme les maths). J'ai failli me livrer à une petite plaisanterie cruelle: reprocher à ces braves profs qui n'avaient qu'une hantise, celle d'être ringards, de ne pas tenir leur conférence en anglais. J'y ai renoncé, comprenant avec la plus grande honte que ces gens-là auraient pris la chose au sérieux, s'entreregardant avec consternation et se disant : "Il a raison. Let's speak english together and quickly !"

A propos, saluons la parution désormais en français du National Geographic : bravo ! de temps en temps, on nous lâche un os. Mais celui-là, il est beau. Poursuivons. Sur les panneaux qui mènent à la plage, les indications en anglais sont correctes. Mais s'il y a des fautes grossières à faire, alors c'est en allemand. Une différente par panneau. La langue du Boche, vous pensez bien qu'on ne va pas la rater... C'est ça l'Europe nouvelle coco - n'est-ce pas M. Sérillon, qui prononce "Weissensee" "Vaïssenzi"! Même pas foutu à 50 ans, qualifié de "grand journaliste", de s'être renseigné sur la façon dont on prononce un nom aussi biscornu ! Sans oublier "Migouel Indurain".

Mais les bistrots en front de mer portent tous des noms anglo-saxons. Nous exprimerons aussi notre indignation navrée lorsque nous entendons les haut-parleurs de la SNCF débiter leurs messages en anglais sur la ligne Bordeaux-Biarritz, alors qu'il n'y a pas un anglophone dans tout le train. Surtout, rien en espagnol, sans parler du basque - terroriste ! ...mais l'anglais, aoh, yes. Ridicule. Je ne savais pas que le ridicule faisait partie de la campagne de promotion de la SNCF. Quoique, là encore...

Et cet autre abruti (c'est lassant, n'est-ce pas, ce ton d'invective continuel - ta gueule) - il est grossier le Monsieur - à qui je demandais comment me procurer un clavier en caractères grecs : "Comment, ils ne sont pas en anglais ? ce serait tout de même plus commode !" - et ta connerie, qui supprime d'un trait la langue grecque, la plus sacrée de toutes, parlée encore, parfaitement, quel scandale, à Athènes et dans toute la Grèce, une langue que les petits Grecs se relevaient la nuit pour apprendre clandestinement sous la domination ottomane, ta connerie est celle du peuple...

La langue de communication en Europe est l'anglais, les Français se sont fait renvoyer sèchement, parfaitement, sèchement, quand ils ont trouvé des erreurs de traduction dans les textes fondateurs ; on leur a dit que l'anglais faisait référence. Faisait force de loi. Evidemment, tout traduire du danois au portugais pose des problèmes. Ce n'est pas une raison pour nous faire tous rouler dans la Worcestershire sauce (essayez de la prononcer celle-là, tiens).

Je vais dans une entreprise, on me demande d'y participer activement, de ne pas être un "sleeping partner". Je dis quoi ? "Partenaire dormant" - Ah ça fait drôle ! qu'il ironisait le mec. C'est ta langue qui te semble drôle, ignare ? Et le silent-block de ma bagnole ? Je combats avec l'académie française, même si ce sont de vieux ringards, qui feraient mieux d'aligner "je faisais" sur "je ferai", avec un "e", au lieu de concocter des tolérances orthographiques du style de "flûte" sans accent...

Allez repos, rompez, le français ne sera bientôt plus parlé qu'en Afrique et au Canada, ça vous apprendra. Je ne sais pas faire de conclusion, je ne suis qu'un Singe Vert bien flemmard. A la prochaine, mais ça m'étonnerait.




DER GRÜNE AFFE Le Singe vert LE BIDON DE L'EDITION 14 - 86




A bas l'édition. Ça commence bien. Vous allez dire (mais qu'est-ce que j'en sais) - "Nous avons déjà lu cent fois ce genre de hargneries ("vieux ; "hargneries d'auteur", J-J. Rousseau") sur l'édition qui ne m'édite pas parce que je ne fais pas partie des copains", etc. Oui, bien sûr, j'ai commencé comme ça. Je revois encore Clavel tournant et retournant mon bouquin "avec sa serre", d'un air écœuré : "C'est votre ami que vous éditez ?" disait-il à mon ami. Réponse : "Oui" - et vous, Monsieur Clavel, comment fîtes-vous pour publier sitôt monté à Paris, de votre Jura natal ?" - il est archi-clair, sauf pour une légion de puceaux, qu'on ne se fait éditer que par un ami. J'ai assez payé pour le comprendre.

Je lis dans Télérama (on se signe) qu'un pauvre petit pohouête se plaint de ce que son manuscrit se fait refuser depuis un an - un an? Mais pauvre tapé du cul moi ça fait vingt ans que j'essaie. Toute mon enfance, toute mon Hâdolescence, tout mon âge adulte passé à entendre autour de moi que je suis original, qu'on ne peut pas m'oublier - je n'invente rien - puisqu'il paraît, n'est-ce pas Monsieur Sartre - on se signe - que ce sont les Aûûûûtres qui vous définissent, eh bien j'ai eu la faiblesse de les croire, quand ils me disaient que j'étais un être sortant de l'ordinaire - et les éditeurs seraient les seuls à me trouver plat de chez raplapla ? Pourquoi donc croyez-vous que je publie à mes frais cette feuille de chou que vous lisez en ce moment ? comme disait l'évêque de Macon, "Pourquoi envoyez-vous votre journal à des inconnus ?" - "qui ne vous ont rien demandé" sou entendu ? - attends c'est quoi, cet argument...

Quand je me balade dans la rue, est-ce que j'ai demandé à cet imbécile de pharmacien de me hanter avec sa croix verte qui clignote, qui me flashe les yeux pour pas un rond ? si j'ai envie d'entrer j'entre, pas envie j'entre pas. Mes merdes c'est la même chose : tu lis, ou tu lis pas. Moi j'ai juste fait le signal. Je ne vois pas pourquoi dans un monde où tout le monde s'impose à tout le monde, je n'aurais pas le droit de m'imposer aux autres pardon de me proposer, nuance. Un collègue me disait l'autre année "Personne n'est obligé d'écouter tes conneries" putain j'aurais dû répondre "personne n'est obligé non plus de supporter non plus ta tête de con". C'est ça ma vieille, la vie en société ! en promiscuité !

Chacun forcé de sentir l'odeur de pet de chacune, je ne vois pas pourquoi MOI je devrais me faire discret. Ma revue vous emmerde ? Et les papiers publicitaires alors ? je vous empêche, moi, de me balancer à la poubelle ? je vous fais payer quelque chose ? je vous harcèle ? Non. Quand je dis "à bas l'édition", c'est radical. Le système de l'édition sera supprimé. Il faut en revenir au bon vieux système des libraires, qui acceptaient ou pas l'ouvrage, compétence ou pas.D'ailleurs bientôt plus de libraires non plus. Ni libraire ni rien. On se repassera les livres de mec à mec, "Je t'ai écrit ça qu'est-ce que tu en penses", et la littérature réintégrera enfin le domaine privé. Ça sera comme sur la Toile (en français le Web). 

"HANCHES" par ANNE JALEVSKI


D'abord je n'en achète jamais, de livres : vous avez vu les prix? 150 F. pour une première publication ? - je ne parle pas des livres de poche - mais les nouvelles publications, ça va pas non ? TVA, frais de ceci, frais de cela, rétribution de l'imprimeur (vous avez vu ce que ça coûte, l'imprimerie ? exorbitant...) Je les entends geindre d'ici : "On serre les prix au minimum!" D'abord et d'une, il faudrait que les auteurs renonçassent à leurs "droits d'auteur".

C'est souvent ce qu'il sont obligés de faire, les éditeurs ayant trouvé plus juteux de ne les leur payer qu'à partir du 700e, voire du 1000e exemplaire. Au fait ils ont bien raison. Et si tu as écrit le chef-d'œuvre qui finit au cinéma ? ça ne prouve rien. Juste que le sixième sens, ça existe pour dénicher les bonnes combines ; ça n'a rien, mais alors strictement rien à voir avec le talent. Tous les matins du monde ? D'accord, d'accord, il y a les chefs-d'œuvre - une chose que j'ai apprise dans le milieu confraternel où nous vivons, car dans le mot "confraternel" il y a "fraternel". C'est que chacun est dans son truc à lui, rien que dans son truc à lui, tu vois, et que toi, avec ta petite connerie, tu n'intéresseras jamais, tu m'entends bien, jamais, l'autre mec dans son petit truc à lui. Parce que toi tu es dans ton petit truc à toi. Et de temps en temps, rarissimement, il y a ton truc à toi qui coïncide avec son truc à lui. Alors, mais alors seulement, il s'intéresse à ce que tu fais. Mais si tu joues au sémaphore, si tu cherches à attirer l'Autre, si tu n'es pas extrêmement doué, un as en communication qui est tombé dedans quand il était petit, qui n'a pas besoin de "conseils en communication", qui ne voit même pas ce que ce truc veut dire, eh bien tu peux toujours te la brosser, l'autre n'en aura jamais rien à foutre. Retiens bien ça, poète timide de mes couilles, rocker rêveur, Vermeer en chambre : on est seul, on est toujours tout seul, et si quelqu'un fait attention à toi, c'est que PAR HASARD, tu m'entends, vous m'entendez, conseilleurs de tous poils, PAR HASARD, Dieu si vous voulez, l'Autre passait par-là avec sa grosse machine à lui. Il n'y a pas de recette. Même de "cibler ses envois", comment disent les autres.

Le seul type qui puisse te traiter de génie, c'est toi. Les autres s'en foutent. Mais attention, il faut que ça ne se voie pas, que tu te prends pour un génie. Il faut en même temps que tu te prennes pour un con, dans la mesure justement où tu te prends pour un génie. Et le fait même que tu te prennes pour un génie est la preuve, irréfutable, que tu es un con - fais cohabiter ça comme tu peux. N'oublie pas cet exergue de Barbey d'Aurevilly : "Par rapport à moi-même, je suis bien peu de chose et bien méprisable; mais par rapport aux autres, ah mon Dieu ! que je leur suis supérieur, Signé Monsieur Tout-le-Monde." La signature fait partie de la citation. Et Bossuet encore : "Il faut se connaître soi-même jusqu'à l'extrême écœurement". N'empêche que se faire imprimer, diffuser, ce n'est pas à la portée du premier venu. Je viens de m'acheter à bouffer : tant. Je viens de me faire changer un pneu : tant (je ne mets pas les prix, ça a encore augment). Et tout à l'avenant. Vous croyez qu'il me reste du pognon après ça pour faire imprimer Mes Conneries ?

Ouvrir une imprimerie, une édition, une entreprise quelle qu'elle soit ? Avec l'Urssaf, les Assedic, les taxes, le bénéfice forfaitaire, les impôts qui vont me tomber dessus, ça va pas non ? Pour une fois que je suis d'accord avec le baron Serpillière : ouvrir une entreprise en France, c'est du suicide. Et puis je suis flemmard, radin et tout. Je veux qu'on m'aime mais je ne veux pas payer. Il faut bien que ce soit dit, personne n'ose le dire. L'édition, ça doit être gratuit. Point.

Mais alors l'impression, aussi. Vous avez vu les prix des imprimeurs ? Monstrueux ! Un franc la page ! Cent revues de dix pages, mille balles ! Plus les frais d'envoi ! Et qu'est-ce que c'est qu'un tirage à 100 exemplaires ? Et les imprimeurs vont gueuler qu'on les étrangle, qu'ils ne peuvent pas faire autrement ! Est-ce que je serais contre la société de marché ? Sans blague... Les salons du livre m'écœurent. Les marchands du Temple. Je marche au milieu des allées parce que le rapport avec les exposants est aussitôt entaché d'intérêt. Vous croyez que ça m'amuse de voir dans les regards, à chaque fois que je m'approche, la lueur de convoitise, étouffée, c'est ça qui est le pire, étouffée : "Il va m'acheter ou non, ce connard ?" Bon, un salon du livre n'est pas un endroit où l'on peut parler de littérature.

Au dernier salon du Livre de Bordeaux - j'ai réussi à éviter six ou sept personnes ! putain le pied ! Je paradais au milieu des allées, très important, comme tout le monde en ce pays-là - tout le monde est très, très, très important, directeur de collection à tout le moins - moi je voudrais que tout ce milieu-là se casse la gueule. Que plus personne ne veuille lire des écrits imposés. Je voudrais remplacer la Littérature par le téléphone. Par le Net. Bientôt on se greffera des puces sous la peau du crâne pour communiquer par transmission de pensée. Ce jour-là on se rendra compte qu'il n'y a qu'un seul homme sur terre, que tout le monde pense exactement la même chose : "J'ai peur, j'ai peur, j'ai peur, serrez-vous tous contre moi, je ne veux pas mourir seul".

Vous ne voyez donc pas que tous les humains sont mutuellement au chevet l'un de l'autre "dans une longue et interminable agonie" ? Vous ne voyez pas ce que ça veut dire que tous ces mamours écoeurants qu'on se fait tous les uns aux autres, "tout le monde il est beau tout le monde il est gentil" ? Tas de connards vous êtes tous en train de vous haïr, la seule façon de supporter les autres c'est "dans le rôle de paillasson admiratif" (Céline - un mec qui m'a toujours fait du bien, qui m'a toujours dit ce que j'avais envie de m'entendre dire au moment où j'en avais envie, parce que je n'ai lu que sa littérature propre, eh oui... Le côté présentable...) Alors vouloir me faire la morale, à moi... Le temps, les années que j'ai passé à vouloir me rendre "présentable", à faire le beau, auprès des femmes qui se sont foutues de ma gueule, auprès des puissants qui ne m'ont pas accordé un regard, sauf de mépris ; cette avalanche de lâchetés, de révérences et d'évitements sous laquelle j'étouffe... Et personne pour m'écouter, sous prétexte qu'un connard d'éditeur, une de ces personnes qui faisaient 5% de bénéfices et qui ont voulu passer à 20% "pour faire comme au cinéma", aura décrété un jour, du haut de son tiroir-caisse, que "Je ne serais pas vendu" ? Merde au réalisme. Je vais tous vous démolir. Ah vous m'avez humilié ! "Comme ça, vous m'avez trahi ?" Pas de gloire, pas de femmes, pas d'argent, même pas de voyages, et il va falloir crever ? Jamais, vous m'entendez, jamais. C'est ce que disaient les jeunes femmes dans "la Peste" de Camus juste au moment de crever, "Jamais" - c'est la grandeur de l'homme, ce trépignement d'enfant, "jamais", tas d'enfoirés qui voulez m'étouffer ! En fait c'est moi qui veux étouffer les autres, c'est bien ça? On écoute les hurlements d'Artaud, et on n'écoute pas les miens ? Tu vas dire qu'Artaud était tellement génial qu'il a tout dominé, tu vas dire qu'il a payé assez cher son génie, c'est d'accord, Artaud était à la fois fou et magouilleur, Roubaud va a Paris et rencontre Breton, comme ça par hasard sur le trottoir, ben voyons, Artaud avait du génie, pourquoi lui et pas moi ? je suis jaloux des génies. Je n'aurais jamais voulu avoir leur vie. Je veux le beurre et l'argent du beurre. Quoi ? vous aussi ? c'est pour ça que vous voulez me fermer la gueule ? "Pour qui tu te prends" ? Je l'ai entendu toute ma vie ce refrain-là. Ecoutez-moi les enfants : ne croyez jamais, jamais ceux qui vous rabaissent. « Fais comme tout le monde" - tout le monde, c'est toi. Toi tout seul. C'est cela, mes "Nourritures terrestres". Et il n'y a pas besoin d'être rentier fils de bourgeois pour l'appliquer, comme avec le programme de l'autre, le Gide. Ne crois pas à la fraternité. En ce moment, le monde pue la glu. Sans e, angliciste à la noix. Une fois de plus,Louis-Ferdinand Céline : quand les mamours de la fraternité nous engluent, tremblez de crainte, braves gens, car le massacre n'est pas loin.

Jamais notre époque n'a été aussi engluée dans le consensuel, jamais les massacres n'ont pullulé à ce point - quels massacres se préparent-ils actuellement ? Mon avant-dernier "Singe Vert" a suscité la vive, la très vive sollicitude de Gouavoua (appelons-le comme ça). "Et comment va Untel ? ...parce qu'avec ce qu'il a écrit, ça ne doit pas aller très fort, tu es sûr qu'il va bien psychiquement parlant ?" - dis psychiatriquement, mon cher Gouvaoua ! C'est ça que tu veux dire, n'est-ce pas ? qu'il faudrait me faire soigner ? bien la peine d'avoir écrit un livre qui t'a valu le "Prix des Psychiatres" en décrivant un cas clinique avec massacre à la tronçonneuse à zizi, si j'ai bien compris la fin - car il y a bien sûr un conformisme de l'horrible, ou de l'incongru, style travelo engrossant une bonne sœur, bonjour Almodovar, ce qui confère tout de suite un bon label d'anticonformisme, mais le Singe Vert ! qui n'a pas d'argent ! qui ne respecte pas ses lecteurs en leur livrant une merde mal présentée, même pas payante !

HARO !

Ah mais ! comme disait "une sage cervelle" (j'aime bien l'expression : "une sage cervelle" ; ça vient de La Fontaine, "Le Lièvre et les Grosses Nouilles" - ce qu'il y a d'exaspérant avec le Singe Vert, c'est qu'il se croit très fin, et puis d'un seul coup, pouf ! le jeu de mots de trop et tout est par terre - Ta gueule) - une "sage cervelle", donc, "il faut savoir se donner les moyens" (sous-entendu "de son ambition ») - et qu'est-ce que ça veut dire, Madame la Cervelle ? ...Piquer la caisse à Monoprix ? ...S'endetter jusqu'à la fin de ses jours ? ...Revendre son petit héritage, petite bicoque de banlieue bordelaise fruit de toute une vie de privations d'un pauvre père instituteur ? ... Faire travailler sa femme ? ...Mettre sa fille sur le trottoir ? Pour payer l'imprimeur ?

C'est cela, oui...

Tiens ! c'est comme un autre baratin que je voudrais bien liquider une fois pour toutes. C'est Tournier qui a lancé le truc, vous savez, ce vieux has been qui vote exprès pour le plus nul au prix Goncourt pour ne pas voir un jeune jouer à l'étoile montante, c'est dans "Le Vent Paraclet" qu'il a dit cela : "un auteur n'existe pas tant qu'il n'est pas lu". Venant de Tournier, ça c'est de la référence coco. Autrement dit, si je suis cadre au chômage, je ne suis plus cadre ? Boulanger au chômage, je ne suis plus boulanger ? Soldat sans guerre, je ne suis plus soldat ? et quant à faire (eh oui ! et non pas "et oui" ! regardez vos dictionnaires) si je ne suis pas en train de baiser, dans la femme, je ne suis pas un homme? qu'est-ce que c'est que ce raisonnement à la con, qui confond philosophiquement l'être et l'accident ? Evidemment que si je ne trouve pas de lecteurs, je ne suis pas un écrivain. Mais ça ne veut pas dire non plus que je n'en suis pas un ! Ca, c'est un raisonnement à la couille du style "Mieux vaut un jardinier heureux qu'un agrégé déprimé", inventé par un agrégé qui ne veut pas pousser la brouette. Un raisonnement d'écrivain encensé, adulé, qui veut bien enfoncer dans la merde le pauvre type qui n'a pas eu assez d'entregent ou, qui sait, le cul assez large, pour éditer.

Je me souviens de l'attribution de je ne sais plus quels prix littéraires à trois jeunes garçons beaux comme des dieux, lauréats parfaitement inattendus, vers 69/70 : "Et qu'est-ce que vous en pensez, d'avoir obtenu ce prix ?" Et l'un d'eux répondit : "J'ai trop mal au cul pour vous répondre." Ah bravo mec, bien répondu, flamboyant ! Bien sûr on n'a plus jamais entendu reparler de lui, mais bravo, bravo l'artiste. Alors donc je suis désolé, mais je "ne me suis pas donné les moyens" d'éditer, ou de diffuser ma revue. Je suis radin. Alors finalement ! Fin finale ! Qu'est-ce que je préconise dans tout ça ? Qu'est-ce que je recommande, plutôt, car "préconiser" est un terme ecclésiastique hautement spécialisé qu'on met à présent à toutes les sauce.

Eh bien ! Vu le mépris mutuel dont s'accablent les auteurs et les éditeurs, il faut jeter le masque. Mais des deux côtés. A vous, les auteurs, tendez les fesses. Les auteurs écrivent de véritables merdes en exigeant d'être encensés comme véritables petits Victor Hugo. Qu'on leur réponde, qu'on ne leur réponde pas, qu'on leur envoie une circulaire ou une lettre personnalisée, ils ne sont jamais contents, toujours l'une insulte à la bouche. "J'ai déjà reçu des quantités de textes comme le vôtre. - Dites donc vous en avez de la chance de recevoir des textes comme le mien en quantité. Je ne veux pas de toute façon être publié dans votre édition de merde" - tiens donc ? après l'avoir sollicitée ? quelle étrange et subite modification !

De leur côté, les éditeurs tiennent les auteurs (qui l'ont bien cherché) pour de fieffés emmerdeurs, dont les manuscrits les encombrent, alors qu'ils font leur petit boulot dans leur petit coin, passant leurs petites commandes à leurs petits amis pour se faire du pognon (enfin, les grands...), avec "les trucs qui se vendent"... Merde il faut les comprendre! ils n'ont que leur édition pour vivre, les éditeurs ! Non seulement ils s'éreintent pour vivre, pas comme ces fonctionnaires d'écrivains, profs à 70% (il n'y a plus que les profs qui lisent, malheureusement aussi ils écrivent), mais en plus ils se font engueuler ! Les auteurs jouent à la putain qui veut coucher tout en restant vierge ! Mais qu'ils le gardent, leur pucelage ! Qu'ils écrivent des textes sublimes ! Et qu'ils ne viennent pas faire chier le peuple avec leurs prétentions à être vendus ! Voyons bien les choses en face, clairement, cruellement : le métier d'éditeur et le métier d'écrivain n'ont plus rien, mais alors plus rien à voir ensemble. Les uns veulent toucher Dieu, les autres veulent toucher du pognon. C'est rigoureusement incompatible. Quand ça coïncide, c'est vraiment pure coïncidence. Ce que je conseille aux auteurs, tout en sachant bien qu'ils feront ce qu'ils veulent, c'est de faire la grève des envois de manuscrits, personne ne s'en apercevra, pas plus que d'une grève de trois mois des enseignants dans un collège difficile.

Les éditeurs pourront fort bien se délecter avec leurs petits copains et leurs petites magouilles, en liaison avec les milieux financiers et leurs conseillers en marketing et merchandising (et merde en scheissing, putain j'allais pas la rater) - tandis que les écrivains me feront le plaisir de s'auto-éditer, de s'auto-promouvoir, et de ne pas demander un centime. Les pognonneux, d'un côté, les littérateurs, de l'autre. Si au moins, au moins ! dans leur outrecuidance, les éditeurs pouvaient ne serait-ce que se dispenser d'inonder les libraires de leurs envois "d'office", que les pauvres commerçants se voient obligés de payer avant de retourner les invendus... Tant de livres flambant neufs pour alimenter le pilon !

Alors qu'il suffirait d'envoyer le catalogue, et d'attendre la commande du libraire ! Ce n'est pas réaliste ? Cela ne tient pas compte de la réalité commerciale, qui doit prendre en compte les millions brassés par les affairistes du livre ? Qu'est-ce que vous voulez que ça me foute ? Est-ce que je suis là pour demander quelque chose de raisonnable ? Je veux, moi, petit, impuissant, que les auteurs publient gratuitement. Que toutes cette répugnante pyramide de fric s'effondre. Quand les éditeurs, ne recevront plus rien, dans un premier temps, croyez-moi, ils seront vachement soulagés. J'en connais même qui ne veulent même plus figurer dans l'annuaire, tant ils en a plus que marre de recevoir des merdes (je cite) et de se faire insulter par de faux génies vraiment grossiers.

Je ne sais même pas si un jour le public ira regarder du côté des petits génies méconnus et méritant de le rester entre parenthèses. On peut toujours le supposer. Mais au moins, il y aura d'un côté le fric qui circule, et de l'autre côté la liberté d'être bons ou mauvais. Publiez-vous, diffusez-vous. Ne demandez jamais un centime à quiconque. Pour cela, mais d'une autre manière, en faisant des sandwiches ou des sandalettes, enrichissez-vous ! Il n'y aura que les riches pour publier, comme d'hab ! et qu'est-ce que ça change ? Tout vaudra mieux que le système actuel, fondé sur une féodalité indigne, où s'entremêlent le copinage et les considérations économiques. Ce qui me fait le plus enrager est cette note ministérielle adressée (une de plus) au personnel de l'Education Nationale : les professeurs devront informer les élèves de seconde sur les mécanismes de l'édition ! Nous verrons donc une fois de plus débarquer dans nos classes, avec la bénédiction des administrations concernées, des écrivains la bouche en cœur, qui se vanteront d'avoir envoyé leur manuscrit par la poste (tu parles), d'avoir été choisis par un comité de lecture (complètement impuissant) sur la qualité de leur livre (laquelle n'entre absolument jamais en ligne de compte), et ces contes et légendes auxquels personne ne croit plus, au point que je n'ai même pas jugé nécessaire de les réfuter ici, seront à nouveau répandus.

Et nos chers élèves, plus tard, enverront de nouveau leurs manuscrits à des éditeurs parfaitement insensibles, et perpétueront le système... C'est une honte en vérité de semer des faussetés dans l'esprit de la jeunesse, à supposer il est vrai qu'elle sache encore écrire quoi que ce soit, et il est vrai que ceci console de cela. Mais tout de même, le cautionnement de l'hypocrisie la plus dégoulinante, me répugne. Chers écrivains je me répète, éditez-vous, enrichissez-vous, diffusez vos œuvres sans les vendre, n'engraissez plus la poste en faisant convoyer vos manuscrits dont le monde éditorial se fout et se contrefout à un point inimaginable. Envoyer ses manuscrits à des éditeurs est désormais aussi couillon, aussi absurde, aussi sombrement ridicule, que d'envoyer une pierre tombale à un marchand de beurre, des chaussettes à un inséminateur artificiel, une oraison funèbre à Bill Gates, du papier cul à Poutine, etc, etc, etc.


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DER GRÜNE AFFE (Le Singe vert) 15 - 94 REVUE MAL FOUTUE, VULGAIRE ET GRATUITE




Supprimez le bac. Voilà qui est dit. Remplacez moi cette immonde singerie, cette avalanche de paperasseries aux multiples dérapages qui ne sert qu'à mettre en valeur les dysfonctionnements d'une institution devenue monstrueuse et inutile. Tous les ans, il est question de copies égarées, de sujets mal foutus, de textes mal orthographiés. Les correcteurs suent sang et eau, suspectés automatiquement de saquer, toujours remis en cause dans le sens de la hausse, il faut flatter ces petits couillons du peuple français, il faut en fait recevoir tout le monde. Ça ne rime plus à rien. Appliquez plutôt le contrôle continu, qui permettra enfin de noter franchement à la tête du client, tout en supprimant le stress de l'examen, puisque le grand but de la vie si j'ai compris est d'épargner à tous le plus de stress possible, surtout à nos jeunes bambins de 18 ans, tout prêts à devenir des adultes frileux qui vous foutent des procès au moindre mot plus haut que l'autre. Il faut renforcer ce cordon ombilical avec les parents. Le pur et simple clonage mental. « Nous ne vous avons pas attendu pour savoir ce que valait notre fille » - voilà ce que m'a dit un jour au téléphone une mèr(d)e d'élève – première de la classe je précise – dois-je supposer que l'année suivante cette pauvre conne a couru après tous les profs de fac pour leur dire «Vous êtes des méchants ! Ma fifille n'a pas d'assez bonnes notes, na ! » - même pas, hélas : la gonzesse a abandonné ses études parce qu'elle s'est fait engueuler au bureau de je ne sais quelle administration – ah mais !

On ne se laisse pas marcher sur les pieds ! On a son petit quant-à-soi ! C'est la faute à l'autre, à la sale administration, au sale prof, aux fonctionnaires ! (le mot est lâché). Ça me rappelle un de ces discours furibonds contre les fonctionnaires (je digresse, je digresse) – il medisait, l'autre blaireau : « Toi si tu ne vas pas au boulot ta boîte elle continue à tourner ; moi si je m'absente elle peut fermer. Si je n'y vais pas, je n'ai pas d'argent ! » - mais alors pourquoi je vais au boulot, moi ? Je suis bien con alors ? Je n'ai qu'à rester chez moi et je toucherai quand même mon salaire ? Mais alors pourquoi j'y vais au boulot, si ce n'est pas pour de l'argent ?

« Je vais te le dire pourquoi je vais au boulot : c'est pour une chose dont tu n'as même pas idée, gros porc : c'est pour l'honneur. Ça te la coupe, celle-là. Ça ne nourrit pas son homme, l'honneur. Tu l'as dit bouffi. Fin de la digression. Tout ça pour dire que les parents n'ont en fait qu'une envie : que la fifille reste avec sa manman, qu'elle chôme avec sa manman, c'est pour son bien, le monde il est méchant arrheu, et le prof y dit des gros mots. On garde ses enfants à la maison jusqu'à 30, 40 ans chez les petits bourges et les employés à peu près friqués. C'est beau l'augmentation du niveau de vie.

DER GRÜNE AFFE (Le Singe vert) 15 – 95





C'est comme cet autre abruti (axiome du Singe Vert : tout le monde est abruti, sauf le SingeVert) qui me disait avec un beau mouvement du menton : « Moi j'apprends à mes gosses à dire NON !  Si on te demande un jour de faire quelque chose que tu n'as pas envie de faire, dit NON ! » Ben mon vieux ils ne risquent pas de faire grand-chose tes gosses. Tu ne pourrais pas leur apprendre à dire OUI ? ...Des cons qui disent non, « le siècle en a plein ses tiroirs » comme disait Cesbron. Autrefois (« De mon temps » !) on ne gardait pas ses gosses à la maison. Le jour où j'ai voulu arrêter mes études, mon père m'a tout de suite trouvé deux places : derrière un guichet à la SNCF, ou derrière un guichet à la Poste.

Il n'y a pas de sot métier, mais croyez-moi que je les ai vite reprises, mes études. Pour devenir prof. Pas de sot métier on vous dit. J'ai regardé l'émission sur « Les Cinq millions de l'an deux mille ». Quand l'un des finalistes a dit qu'il était prof de maths, putain la bouffée de haine que j'ai sentie monter de l'auditoire ! Ce froid éloquent ! Je voudrais la voir disparaître, l'Education Nationale. Que ce soient un peu les autres qui s'y collent, tiens. Pas un jour de temps en temps, comme les fameux «intervenants extérieurs », mais tout le temps, tous les jours de la semaine et toutes les semaines de l'année.

On les verrait un peu les cadors, comme ce chauffeur de car qui commençait à nous dire « Mais ce n'est pas possible ! Vous n'avez aucune autorité sur eux ! » et qui a fini le voyage en avouant à bout de souffle : « Ah non moi je ne pourrais pas, je ne pourrais pas... » Il est vrai que maintenant les chauffeurs morflent autant que les profs. On verrait un peu, Monsieur le Boucher ou Monsieur l'Informaticien, ou l'autre con d'officier d'aviation qui venait de faire un cours sur l'aviation à des sous-officiers d'aviation : « Eh bien tu vois ce n'est pas plus difficile que ça, l'enseignement.

« Tu fais ton baratin et hop tu t'en vas. » Ben voyons. Il serait vite résolu, le faux problème de savoir si ce sont des fous qui postulent pour entrer à l'Education Nationale ou si c'est l'enseignement qui rend fou. Allez, venez-y, les parents d'élèves, venez vous supporter tous les fils de connards, et vous verrez au bout je ne dis pas d'une année mais d'un mois, dans quel état vous allez en ressortir. Chacun ne doit-il pas, comme dans une tribu africaine (du moins dans ce que nos théoriciens imaginent être une tribu africaine) enseigner à chaque membre de la tribu ce dont il a besoin pour survivre au sein de la tribu ?

Ou alors, si Monsieur le Dentiste ne veut pas enseigner la dentisterie aux gamins, mettons un DER GRÜNE AFFE (Le Singe vert) 15 – 96





patron à la tête de la classe ! Ça ce serait bien ! Un homme qui aurait peut-être des diplômes, mais surtout, un homme qui promettrait un Hemploi avec du Hârgent ! ...Qui donnerait du Hârgent à ses élèves, pour se faire respecter ! Pas de travail, pas d'argent ! C'est autre chose qu'une punition ! Puisqu'ils veulent travailler, ces petits cons ! (il y a ceux qui veulent rester chez papa-maman, et ceux qui veulent tout de suite se libérer, « gagner du fric », comme les grands...) Come aux Indes, comme au Guatemala ! au boulot les morpions ! À coups de pied dans le cul et que ça saute !

On aurait enfin des écoles qui marcheraient bien, avec du pognon (pas question de se faire engueuler pour quelques photocopies de trop comme dans certains établissements), et une spécialisation débouchant illico sur un emploi ! Et que de l'utile, pas de latin, pas de dessin, pas de

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