NOX PERPETUA Développements D
NOX PERPETUA DÉVELOPPEMENTS D
Nous avons loué, Arielle et moi, une cabane campagnarde sans confort. Un abri de jardin, la porte et deux fenêtres ouvertes entre les demi-rondins. Nous n’avons pas pris la bonne direction : les gorges au lieu du causse, affalés parfois de fatigue l'un sur l'autre en pleine route. Noël se fête en famille, nous en aurons ici esquissé une. Il nous attendent là-bas dans le village, dansant et chantant pour une naissance. Peut-être notre erreur n’est-elle pas involontaire, car nous ne les aimons pas plus que les autres. Mais ne nous ennuyant pas moins, nous sommes revenus sur nos traces, à l’église, en salle des fêtes. Au bar, de vrais jeunes des vraies années, en panoplies complètes. La musique d’alors était une efflorescence, mais chaque temps a ses tiédeurs, et Fier-Cloporte émettait des réserves sur un certain groupe d’Outre-Manche, s’apercevant trop tard qu’il dansait précisément sur les chorus du même, ici présent sur l’estrade. « Je ne les ai pas reconnus » - piteuse cacade.
Il est vrai que le nappage à l’orgue préenregistré n’aide pas au régal auditif.
Qu’est-ce qui leur a pris.
Cloporte et sa femelle et d’autres demi-vautrés sur une épaisse tranche d’arbre s’assoient devant de bons vieux cidres du Cotentin, avant de se détendre sur le skaï des banquettes - un lit, plus tard, « avez-vous du savon ? »
- Bien sûr.
L’hôtesse en apporte au moins neuf dans l’emballage, et comme la questionneuse a souri sans oser le dire, elle ignore pour l’instant que nous partirons tôt dès le lendemain, au lieu des trois nuitées retenues. Arielle et Fier-Cloporte ont pu rentrer pour la nuit leur deuche antique à l’abri d’une grange. Dans un coin gisent deux lits près d’un lavabo. Mais pour flirter, la Deuche est plus confortable. Sous un siège arrière une salamandre en plastique. À libérer pour sa liberté. Liberté des objets. Bonheur des objets. Au loin les cloches sonnent O stille Nacht.
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L’Espagne est à la fois le paradis des imbéciles et le réceptacle de tous les mystères. Le père d’Arielle en est un, lozérois, rusé, sans propension à cultiver son attrait. Beau mais froid, distant et dissimulé. Jamais il n’aura emmené sa fille en Espagne. Les Landes font l’obstacle.
Supposons que nous soyons parvenus en ce pays dont nous sépare un vaste golfe de pins. Que notre beau-père et père, sans compter tout un groupe compact, visite avec nous toute une enfilade de pièces à l’étage, richement meublées. Ce serait comme un musée, une suite de pièces semblables au palais d’Aranjuez, richement meublées, au bord du malaise thermique. Le guide n’est pas là. Nous l’attendons tous. Parvenus sans doute en bout d’étage, nous refluons par petits groupes, examinons bien tout sous toutes les jointures : lits et guéridons, coffres et secrétaires. Nous nous exclamons à voix basse et ne savons que faire. Deux somptueuses harpes, trois clavecins ornés, flêtes à bec et autres baroquismes. Plus loin se tient un pianoforte, dont un plastique transparent surplombe le clavier : « Ne pas toucher ».
Mais j’abaisserais volontiers une touche, juste pour entendre, cela ferait venir le guide ! qui m’engueulerait d’autant plus qu’à en croire certaines démonstrations de physique, j’aurais par simple vibration précipité tout l’instrument dans un ruineux effondrement. Mais je ne l’ai su que plus tard. Pourquoi n’explique-t-on pas aux enfants la raison d’une interdiction ? « Parce que ! » ,n’est pas une réponse ! ...un espace subsiste au-dessus des touches, où le doigt ruinatif peut s’infiltrer : pourquoi laisser traîner une telle tentation ? Un autre pianoforte, plus loin, montre dans cet espace un petit fouillis de papiers froissés, raides et entoilés comme fragments de tentures murales. Quel accordeur favorisé du sort a pu frôler ces touches sans dommage ni foudroiement ? Sur les couches à baldaquin s’étalent des courtepointes matelassées négligemment retroussées. L’index s’y attarde. Je confie au Sieur Beau-Père que notre appartement, au 21 de la rue Dassin, pourrait bien se transformer, lui aussi, en lieu de visite.
Il en serait aussi d’accord. Nous parcourons tout cela. Et retournant sur mes pas l’exploration faite, je m’aperçus soudain dans un miroir mural : se tenait là un riche personnage ; sous son large collier de barbe et ses fripes d’apparat, il ne pouvait s’affirmer que c’était bien moi, bien qu’il reprit très exactement tous mes gestes et attitudes. Alors, comme un enfant, je fis défiler devant ce miroir en pied ceux et celles qui m’accompagnaient. Nous mentionnons les femmes car l’emplacement de la barbe pour elles se fondait en menton féminin. Le guide s’aperçut qu’il n’était plus suivi, son rôle était d’accourir, et il accourut, suivi au trot par tout un autre groupe ; le coude du guide agité se logea dans l’orbite d’une dame, qui sur cette révélation phosphénique se mit à rouler une pelle à sa voisine. Voilà où mène l’intrusion d’un membre masculin.
Ma visiteuse éborgnée ne voyait plus que la moitié féminine des humains, et je ne sais comment parvint au remboursement de la moitié de son billet ! Puis la jonction s’établit, le nouveau groupe visita, l’ancien dont nous faisions partie poursuivit en d’autres lieux son existence touristique, médecin compris. Puis-je ajouter que délivré de mon beau-père en exploration d’autres coins de pêche, il m’advint de pénétrer le sanctuaire de Morella, où résonnaient les trompettes catholiques du Grand Orgue. Je monte en tribune. Terzieff en personne joue de l’orgue en virtuose, dans une virtuosité désinvolte qui n’est pas de sa nature. Lang Lang seul parvient à cet autre stade des accomplissements. Et dans son regard, je crois le voir lire dans le mien. Étrange dialogue des yeux de part et d’autre de la serrure. Mais il se trompe, ou plutôt, la double erreur vient de moi seul.
Il a trouvé le temps et le moyen de m’adresser sur un dernier accord amphithéâtral un chaud regard de fraternité. Il me semble qu’on peut rebâtir toute une vie sur un seul de ces coups d’œil, sur un seul de ces mots qu’il m’adressa en redescendant de l’estrade, et dont je n’ai saisi que l’intention.
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À quoi ne faut-il pas s’attendre en ces temps de décadence banal comme la pluie ? Figurez-vous, cher X. de M., qu’ayant garé ma voiture sans l’aide d’aucun cocher, il me fut impossible de la retrouver. En ce temps-là nous n’avions pas de télécommande permettant de lui faire dresser les oreilles en criant bip-bip-bip. Et comme on ose tout en telles circonstances, le moi qui me tient lieu de je trouva très expédient de pousser une porte au bas d’un de ces accès cimenté au garage, parfois même à l’habitat principal, ce qui n’a rien de commun avec une bite de proviseur. Bref ! Tout le monde était en train de manger derrière cette planche à cercueil ! Avec l’anneau de Noël typiquement germanique ! Ils souriaient en mâchant la bouche pleine, ce qui est périlleux mais très aimable. Papa Maman Fifille et deux cousins très sympathiques me servent à manger à l’office, des trucs à l’huile savoureux et dégueulasses, pour la santé j’entends. La lycéenne me regarde de profil par la porte ouverte. Efforàons-nous de bâfrer proprement. Après le dessert, que nous avons fini ensemble, nous nous sommes essuyé les commissures, et sur ma description, toute la michpra s’imaginait m’avoir dépanné : « Celle-ci ! Celle-là ! » - de la métallurgie d’Autriche, Scheuch und Linsinger, « ça se reconnaît à vingt mètres, mein lieber Herr ! Les parents s’éparpillaient en dandinant sur le parking, la lycéenne et moi nous reposions de ne rien faire, et nous parlions, chacun selon notre âge.
Et nous étions redescendus vers le garage, au pied de la pente privée. La maison comportait un grand nombre de pièces, très propres à recevoir. Le propriétaire n’en était que le père, plus tard était venue la mère, fauchée mais fiancée. « Tiens, mes parents reviennent ! » Ils n’avaient rien retrouvé. De là à me faire inviter pour le soir, dîner plus chambre sans dépense, il y avait de quoi surprendre. Mais l’ex-fiancée fauchée me lorgnait avec injonction de partir me faire foutre. Qui allais-je me sauter ce soir ? La mère, la fille ou mes cinq doigts ? J’eus tout le temps d’y réfléchir après mon départ, sans dîner ni baise en fait, mais à pied. Voici une bifurcation ; ma route coupe l’Y à la jonction des voies de droite et gauche, j’ai continué tout droit (représentez-vous le symbole du yen [¥ ] (mais à unique transversale) -
rien ne me revient, sinon l’instinct, sur la route de quelle ruine, ensablement du cerveau. En dépit des encouragements les moins convaincants jamais entendus.
Je m’aperçus alors dans l’effroi montant que tout ce quartier, ces maisons basses où n’habite personne, délabrées et cimentées à la diable, s’éloignaient de plus en plus de France et rappelaient de plus en plus la banlieue de Saragosse…
Alors se déclenchèrent d’étranges circonstances, ici rapprochées sous le nom de Cauchemars, 1 et 2 :
Numéro 1 : ladite banlieue secrète en ses bas-fonds l’auberge espagnole mal tenue des romans picaresques,où la tenancière acariâtre facture ses reliefs de gargote à des prix de divas. Elle est chafouine et recuit dans son gras des menaces de plaintes pour défaut de paiement. « Ou bien acceptez-vous un petit rabais ? ...votre chambre après vous est un vrais dépotoir, je devrais vous mettre tout le ménage sur le compte. » Nous accepterions bien, pourvu que la plainte fût retirée, mais contre la logique elle maintient la plainte. Esprit obtus. « Gardez vos 20 % » et je bats en retraite, vers mes convives sur le seuil qui m’attendent.
Et c’est l’instant pris au vol pour s’étonner à haute voix que mon épouse accepte de coucher avec moi lorsque je sors visiblement des bras d’un homme : Esta mujer realmente se acuesta con cualquiera - “couche avec n’importe qui”. “Eso no importa” lui dis-je, alors que survient son mari menaçant “je vous dis” les digo a los dos que no importa. Le costaud marital à vaste ceinture paysanne pousse alors devant moi leur fille de dix ans qui me fixe, mauvaise, en relevant ses jupes. Je NE joue pas à ces jeux-là. C’est m’offenser de le supposer : « Pas avec toi ! ¡Contigo no! » La gamine est vexée ; ou peut-être tendue : elle me saute dessus pour se battre, me griffe avant que j’aie pu réagir.
Elle n’ose pas battre son père. Si je la frappe il m’inculpera pour violence, sur mineur. Il faut parer les coups et les morsures sans toucher un point critique. Elle me les expose avec insistance. Je lui dis que j’ai déjà vu cela, que cela ne:m’intéresse pas. Les parents m’épient, pour me prendre sur le fait. Je ne parle qu’à la fille, qu’on appelle Pepita. Tantôt en français, tantôt en espagnol. Elle comprend le français, ou le sens général. Quand nous nous sommes apaisés l’un et l’autre, Pepita et ses parents m’invitent dans leur appartement privé. Comme s’il ne s’était rien passé, ils me projettent sur un mur blanc des vidéos bien nettes, pour enfants ou jeunes adolescents – de ces chasses aux trésors merveilleux, au sud-est de l’Australie – ou bien, 12 000km à l’est, au nord de BuenosAires, dans une « réserve française ».
Je serais donc présumé pédophile, ou gavache en voie d’extinction. Y aurait-il en France une réserve d’Hispaniques ? Il y a peu de temps nous avons reçu plus que de raison mon amante andalouse, dont l’ouverture couvre en entier la paume de ma main...
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Ainsi se parcourt le monde. Les groupes s’agglomèrent ou se dissolvent. Nous pénétrons à quatre, Arielle et moi plus Müller, Fulano et peut-être un cinquième, dans une maison vide et claire. Nous nous dispersons bien, scrutons partout, croyons avoir tout laissé en l’état. Il n’en est rien, chacun s’étant démis sur l’autre du soin de tout laisser en l’état, mais un coup d’œil par dessus l’épaule montre aisément l’étendue des dommages. C’est une fuite. Mais une ombre nous suit, détachée d’un mur du fond, échappée d’un pogrom, une Gitane sombre qui m’entrains sur le chemin de mon évasion et me plaque dans une pièce sur un unatelas gonflable, meuble unique sous les écailles du plafond. Comme j’essaie de la surmonter, elle me repousse et je veille à son confort.
Serais-je sul à ne pas avoir su m’évader ? mes compagnons me cherchent et me retrouvent, en honteusze position : sur le matelas d’une Gitane mal remise en ses vêtements mais sans y avoir touché. Ils me disent en sa présence que tous les sentiers s’étaient brouillés, comme mêlés, sans qu’il soit possible de vraiment partir, comme un écheveau enchanté. La Gitane se lève et nous raccompagne au dehors. Sans avor dit un mot, elle nous montre en bas du perron un très jeune enfant à peine sur ses jambes, et en nous retournant, son jumeau en haut des marches tout juste arrivé. Ils se regardent intensément sans nous voir, le frère d’en haut, le frère d’en bas.
Loin d’avir voulu nous cerner, leur contemplation nous ignore, l’écheveau des sentiers s’est donc dénoué puisque nous repartons sans encombre et même à la course. Me voici seul au galop dans un pays de prés himides comme en confluents d’Anjou, de population dense, et dans la terreur de l’air frais je m’abrite très mal en refermant sur moi une porte de bois. C’est un réduit obscur où ma femme me rejoint. Elle apporte une abondante platée de rillettes d’Angers. « J’ai toujours su que nous en sortirions ». Dans la rue d’un village aux maisons rapprochées nous nous sentons une fois de plus encerclés – sauvés ! Un mur aisément praticable permet de s’élever en se dissimulant de statue sainte en statue sainte, mais bientôt des gargouilles en surplomb bloquent nos deux progression, il suffirait que les natifs lèvent les yeux pour nous surprendre immobiles et plaqués comme d’énormes blattes.
Il était une petite« Corsa » noire, en panne souvent mais très résistante. Il était la même fois un peintre corpulent, gentil comme son ventre, et qui entrait à peine sur le siège passager. Quant au conducteur, l’inénarrable Fier-Cloporte, il se ratatinait pour manier le volant, raccompagnant le peintre non seulement ventru mais barbu. Au demeurant très sympathique, avec l’accent de l’Aveyron. « Tu tiens beaucoup de place, Gévaudan » (c’était son nom). « Tu es trop gros ». Dont acte. Qu’y pouvait-il ? On ne défait pas en un jour vingt-cinq ans de sandwichs rillettes. Et la voiture allait vaillamment, de feu rougeen feu rouge.
Les voici au domicile de destination. Gévaudan descendit en se contorsionnant, puis monta lestement les marches de son perron. Fier-Cloporte quant à lui, qui avait transporté dans son coffre Dieu sait quelle table de nuit, dut se suspendre au hayon pour l’enclancher solidement. Gévaudan reviendrait le prendre à même le trottoir. Fier-Cloporte redémarra. Il n’avait pas la conscience tranquille : à présent que la table de nuit dressait sur le trottoir sa structure biscorrnue, le moindre flic jetant un œil par la vitre arrière eût découvert sans peine l’enfant à plat-ventre sur le tapis de sol, serrant un téléphone portable. Il n’aurait su expliquer sa présence : l’enfant passait par-là, il l’avait enfourné à toutes fins utiles, et la table de nuit par-dessus ; espérant qu’il n’étoufferait pas, ou bien disparaîtrait.
Mais quelle idée.
Ce n’était pas un rêve. Que l’on transporte ainsi dans ses bagages avec la discrétion d’usage.
Un vrai garçon de neuf ans, parfaitement viable, qui serrait sous lui son Nokia pour empêcher tout vol à l’arraché. À ce moment déboule sur le trottoir et la chaussée tout un groupe de jeunes déversés par un autocar scolaire ; ils empêchent tout mouvement du véhicule. Le garçon, identifiant des voix de son âge, se déplie, ouvre d’une poussée la porte arrière et s’échappe au galop dans la cohue, le portable à l’oreille. La bousculade est telle qu’il s’y fond aisément. Les
roues du véhicule tournent à si faible allure qu’on ne peut s’y coincer un pied. Aussi bien sommes-nous arrivés : l’Immeuble du Peintre se trouve devant nous, haut, étroit et noir. Un perron resserré monte à une porte rouge. Le Peintre se nomme,ou se nommait (peut-être est-il mort) Pinsecte de Maudgirard. On ne prononce pas les d. Tout musée est un cénotaphe. Mais aucunnom ne figure sur les sonnettes.Ni mêmed’initiales. Ne logent là que les sommités. On aime à le faire connaître. La spirale ascendante des marches intérieures se déroule autour de sa cage de marbre.
Le Maître loge au dernier étage. Derrière la porte s’étend un jardin dont j’étais familier, clos d’un grillage léger ; une mezzanine s’étend au fond formant vérandah : c’et l’atelier. Dans cet invraisemblable espace jardine un jeune rapin dans le plus simple appareil au sexe minuscule. Quand il m’aperçoit, il m’indique du bout de sa binette un trou dans le grillage, mais je ne vois pas ce trou, masqué par desplantes grimpantes. Pourtant je sais quel accueil je recevrais du peintre sur sa mezzanine, mais quand la binette rate le trou, que voulez-vous faire ? Évidemment renoncer, remonter dehors dans son Quatre Roues, dans son bus personnel, au choix des réalités flexibles, tant que le volant tourne, tant et si bien que tout s’emballe, qu’il ne me reste plus qu’à sauter du siège, tandis que tel ou tel dispendieux véhicule zigzague dans le mur où il s’enflamme.
Financièrement, j’ai gagné ma journée. Ce que dirait n’importe qui. « Un rêve, ce n’était qu’un rêve », ce que dirait n’importe quel garçon de douze ans. Tous ces échecs m’ont réveillé, à 65 ans bien sonnés. Faut-il prendre au sérieux le rire du créateur ?
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Combien de fois faut-il arpenter de grands planchers abandonnés, despièces délabrées de toute présence humaine ? Comien de fois nous sommes-nous réfugiés dans les toilettes les plus convenues, sales, aux chasses fuyantes mais seul asile contre les représentants et les femmes pressées ? Nous nous relevons tout breneux, et le papier manque aussi bien qu’aux passagers de la Méduse qui chiaient dans l’eau en tâchant d’éviter les cadavres. Et lorsque le chieur du rêve cherche le papier à petits pas furtifs, car on écoute et on flaire à la porte, ce ne sont au sol que des feuilles de salade bien défraîchies, bien inapte à soulager l’entrefesses.
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Le pire est de se rendormir. D’embrayer sur un monde totalement nouveau, comme un lacet de montagne. De retrouver son Lazarus, lié à sa vie, incrusté dans l’atelier de peinture. Nous y avons des tables, des chaises, et je ne sais quels seigneurs de Molière, installés sur la scène. Tout le monde assiste indiscrètement à nos échanges verbaux. Je lui parle d’un film où jouait Beigbeder, qu’il a personnellement connu. Mais qui ne connaît pas Beigbeder, dès que celui-ci pourrait avantage ? Sa filmographie se présente de façon trop confuse pour nous.
Lazarus imite Beigbeder. Ce dernier serait affligé d’un tic verbal : il répéterait sans cesse « Alors je lui ai dit » - est-ce vrai ? Croyons Lazarus, il en sera flatté. Ses gestes sont précis et rigolos. Il se lève, il part, et l’assistance, plus prolétaire à coup sûr, se compose à présent de rrepasseuses, dont les unes plaquent le fer, et dont les autres bâillent, comme sur ce Renoir ou que sais-je… Il faut que la substitution de figurants se soit faite en un temps record, le temps d’une fascination éclair. C’est mon linge qu’elles repassent, à l’ancienne, avec des braises dans le cul du fer.
En attendant la fin du repassage, me voici presque nu : caleçon 1900, maillot de kick-boxer, et l’air stupide d’un athlète à poil. Et Lazarus ressort des coulisses, traînant avec lui un écrivain très renommé dont je n’ai jamais ouï dire : un homme très bien pour ses 60 ans, habillé, lui. Il me serre la main, seulement, si les repasseuses se sont peu à peu évanouies côté cour, je n’ai pas retrouvé le goût ni l’odeur de mon sous-vêtements. Maudissons les concepteurs du slip « Kangourou », car s’il est à la hauteur de toutes les bourses, il ne les contient pas toutes.
L’auteur visiblement se demande pourquoi j’apparais ainsi, alors que j’eusse pu respecter, sinon ma dignité, du moins la sienne Étienne. Lazarus : « Cet homme » (il le désigne) « professe à peu près les mêmes idées que toi » - l’auteur dissimule son air interloqué, mais très gauchement. Cen’et pas ainsi que l’on accueille un écrivain sur scène. Et Lazarus profite d’un haut-le-cœur mal réprimé pour me glisser àl’oreille (clin d’œil) « ...tu verrais sa bagnole... ») - je comprends tout : mes idées, cher Mintor (car on ne prononce pas « mantor », non non non) : mes opinions (sur les femmes, la religion, les religieuses) peuvent rès bien se soutenir sans en avoir honte. Preuve en est que ce Monsieur de Soixante Ans, pour sa part, a parfaitement géré sa baraque : il a pu s’acheter une automobile bien plus belle, qui reprend bien mieux dans les montées, - que la mienne, ce vieux tas de ferraille vaguement rouge aux fauteuils élimés.
Ô miracle des mises en scènes : les repasseuses reviennent, soigneusement débarrassées de leurs tenues de travail, et à deux ou trois rougeurs près, mignonnement parées.
Variante :
C’est génial un atelier de peintre. Il ne faut pas forcer sa destinée. Mais à quoi bon rester tel quel ? Va au-devant de toi. N’espère pas trop qu’un autre le révèle, le révèle. Partout nous avons discuté, déployé note verve, à temps perdu. Face à Lazarus, je me suspends à sa moue dédaigneuse, au sein d’un atelier déserté par l’artiste. Les toiles s’entassent côte à côte. Les tables se côtoient jusqu’à « faie estrade », « trois par trois », croassaient les Massacreurs, quand il fallait dire « trois sur trois » (mètres, barbares, mètres). Le comble de la communication est la narration de films, où l’autre ne comprend pas plus que l’un ce qui se passe dans le scénario.
Mon autre ami rigole tant que je ne puis plus suivre, il me tarde qu’il ait fini, peut-être abrège-t-il aussi en regardant sa montre sous son revers de poignet. Tous les clients sont là, pariant sur des courses tonitruantes, atelier clos après la peste. Je me rappelle seulement que vers la fin du film, celui que je raconte sans rire, Beigbeder jouait, brillamment, comme un arrière-petit-gendre de Mac-Mahon. Beigbeder n’est pas juif, mais pyrénéen : son ancêtre était un bedat de montagne, répartissant les irrigations par les canaux creusés. Quel homme ! j’ai vu son nom sur une dalle au pied des montagnes. Tous ces gens sont homo comme on respire - pour les femmes, on ne compte même plus – l’important c’est d’aimer n’est-ce pas.
Je les laisse parler, non sans avoir déclaré : « Ça ne te gêne pas d'être au milieu de toutes ces femmes ? Ça n'est pas trop dangereux ? » (humour).
Lui : « Non non... »
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Sortons de ces pièces. De ces ateliers abandonnés. C’est accablant. Passons au Comité des Fêtes. De la Musique, de ce que l‘on veut, de la distribution des prix à Tunis, de tout ce que l’on veut. Supposons une foule bigarrée mais dans le comble du mauvaisgoût. Au son des mélodies traînantes de fin 59, imaginons qu’un organisateur tout poudré dépose entre nos bras une petite fille poussiéreuse et en pleurs. Nous serions tous les deux ses papas. Elle nous verait double à travers ses larmes. Et nous chercherions tous ensemble. Nous l’installerions dans une poussette abandonnée dans Dieu sait quel coin de vestibule, petite pour elle qui s’y coincerait en pleurant, et nousla pousserions dans la rue tunisienne au niveau des pots d’échappement et des commentaires sur sa peau noire.
Petite amie, arrête de pleurer.
Les trottoirs sont encombrés. Les infractions s’yétalent et s’y multiiplient. Les véhicules qui l’encombrent, les vieux piétons rapides qui piétinent des orteils les belles empeignes cirées de neuf, et la fillette rit sur lescahots de trottoirs défoncés. Nous lui faisons la Course aux Zigzags et ses sanglots s’apaisent. Quels bons pères nous avons là. Ils chantent en poussant au refrain le Michel Strogoff de la Garde Républicaine, la pousssette s’emballe et les pousseurs gueulent de conserve. Le vacarme attire une grosse dame au nez rouge de clown qui s’écrie ana walidathou, je suis sa mère ! et nous flanque en échange un gros chat blanc qu’elle appelle Athanase. Athanase, (« L’Immortel ») est une incarnation de cette fille anonyme.
La ressemblance de l’animal est frappante. Nous nous regardons, harrassés par la course. Nous nous rafraîchissons à l’ombre d’un restaurant-bar tenu et fréquenté par des Algériens. Mais on nous a collés à fond de salle, avec notre gras chat blanc, presque sous l‘escalier. Dans le brouhaha bistrotique des pas lourds résonnent sur nos têtes : c’est une femme lourde qui descend en rajustant sa jupe sur sa taille : chiottes ou chambres de bordel ? Il faut qu’un restaurant arabe soitmal famé. Sinon nos nepourrions exercer notre racisme. La voici qui rajuste son bonnet C de soutien-gorge.
Eh oui, les femmes ont un corps. Les arabes aussi. Nous nous regardons lui et moi entre terreur et hilarité. « J’ai bien tout nettoyé » crie-t-elle à l’employeur. Les deux seins aussi ? Le chat descend de nos genoux asns que nous y prenions garde. Il nous fuit. Il emporte loin de nous la femme, et la fillette que nos poursuivions. La femme de service poursuit la conversation en langue arabe avec sa patronne, ici nous serions massacrés, faisons durer la consommation sans nous montrer davantage. Autrefois nos pouvions bavarder à notre aise, de n’importe quel sujet. Autrefois, dans un autre établissement proche de celui-ci, Arielle m’avait publiquement demandé « ce que signifi[ait] le mot goy. J’avais pu répondre sans embarras que c’était de l’hébreu, sans me faire insulter par la foule.
Ici le chat nous abandonnait ; la fillette aussi, nos remparts s’écroulaient. Pourquoi aussi faisions-nous les intéressants ? Quelle preuve avions-nous que cette substitution féline prouvait la bonne volonté de cette femme qui criait « Je suis sa mère ! » De qui d’autres sommes-nous encore les parcelles ? Pourquoi par 37° de température interne suis-je là parmi vous frères maghrébins, transi de trouille et sans certitudes ? Pourquoi Ma Femme Arielle si peu évoquée par raccroc se trouve-t-elle incarnée sur le siège voisin ? elle sourit, me parle avec volubilité dans notre langue, babille d’un sujet à l’autre comme une Rosanette : « Sais-tu que Julie m’a lu à haute voix de longs passages de tes notes personnelles ? Ne prends pas ces airs offusqués tu sais bien qu’ils traînent partout de ton propre aveu, comme si le plus urgent pour toi était de se répandre comme un vase. »
Elle se tait d’un coup. Je n’ai rien à répondre. Du moins sur l’instant. Pris à la gorge mon corps déménage à trois guéridons de distance, que vient de libérer un anonyme. Sous mon nez le garçon nettoie tout d’un coup de torchon, me place un couvert propre et complet. Il est 4h 7 minutes. Trop tard ou bien trop tôt pour un repas. J’y suis j’y reste. Exaspéré. Mais il ne s’agit pas de cela : c’est l’heure du repas pour les serveuses. Quel métier. Des tables et des guéridons se dressent dans ce fond de salle. Ma bite, non. Les vieilles serveuses, apparemment. J’en vois même une s’installer près de moi.
Si j’emmerdais ma femme ? Je fourre ma main de profil entre les cuisses d’une belle sexagénaire, les autres la regardent d’un œil narquois. Je dis « Ben quoi ? Ben quoi ? » Elles piquant leurs nez et leurs fourchettes dans les assiettes. Quel métier. Finalement je ne branle personne, car le plat de Madame est arrivé. Nez baissé, schkroumpf, schkroumpf. Et je reste juste en face, devant mon assiette vide. Elle fait environ 25cm de diamètre. Mon épouse s’est éclipsée. Elle fait toujours ça. Ma belle sexagénaire me fait du pied sous le guéridon. Elle vient d’avaler son hors-d’oeuvre, la première faim passée, elle peut m’entreprendre, prétend m’avoir connu dès mon plus jeune âge, dans l’Aisne, affirme que nous avons à deux ans près le même âge, il est bon qu’une serveuse désarçonne un insolent qui se croit séduisant. « Nous sommes » dit-elle « à égalité : une vie partout». - Partouze ? - Ta gueule » - oui nous avons connnu le camp américain de Margival, j’habite en Dordogne dit-elle pour ma profession. Rien qui touche plus la Dordogne que le Lot-et-G., plus Villeréal.
Arielle tient à table des propos incohérents. Si je partais. Si je m’attablais à la table des vieilles que je vois là en invité surprise. Si elles me lisaient la bonne aventure, leurs mains sous la table non pour la braguette mais pour le pèze, sans y trouver l’une ni l’autre. Nos propos conviennent à la bonne chère, la vie est belle et je vois de là le dos de mon épouse, queue du bonheur. Ses cheveux sont auburn. Il nous sera plus tard impossible, ressortant de cette boîte à bouffe, de retrouver la trace de la fille : les Tunisiens que nous croisons ne parlent que de banques, et des arnaques permises ou non de musulmans à feujs comme ils disent. En vérité quelle étrange atmosphère.
Même malaise trois jours plus tard, lorsque nos chers amis distillent ce profond ennui que nous émettons tous. Ils sont venus à trois, Odile deux hommes, Fondis et Méta, sur le Residential parking, d’où nous avons dû venir les guider, car notre barre est longue et difficile à vivre. Débitées ces lourdes évidences nous n’avons plus rien à dire. Soudain Fondis, le plus beau des hommes que j’aie connus, aperçoit un énorme rhinocéros noir comme l’ébène, ce qui n’est pas commun. Lequel s’orne d’une bosse torsadée. Des haut-parleurs diffusent un message sur musique de cirque : « CHOPO s’est échappé, prenez garde… Notre rhinocéros CHOPPO s’est échappé. Il a trois mètres 20 de long. N’essayez pas de le capturer ».
Nous évitons cette découverte en nos faufilant parmi les voitures en stationnement, et sans me demander un seul instant si mes états d’âme présentent une telle importance qu’il faille en négliger cette évasion spectaculaire, je me confie dans le vide (mes compagnons et pagnes sont pourtant surexcités comme des gamins) : « j’ai le cafard, JE me sens maussade avec tout le monde, ils ne doivent pas se sentir visés on s’en fout on se planque la bête barète en lançant sa corne au hasard des tôles, et s’il s’écorche c’est pas ton problème cours et ferme-la. Notre quintette humain reprend son souffle dans un hall d’immeeuble où se sont déjà pressés les fuyards qui se bousculent contre les vitres. « Vous visiterez bien notre appartement ? » Ils ont d’autres soucis vraiment, de la conversation pour trois semaines, « Un rhino sur le parking » bon titre, Odile a demandé par politesse et tremblante si la nouvelle cage humaine était plus grande que l’ancienne, plus lumineuse, donnant à l’ouest puisque sur l’autre rive de l’Yvette mais on sent bien qu’elle s’en fout, puisqu’elle n’avait déjà pas voulu visiter le logement d’avant et que cet abruti de rhinocéros est là et s’obstine à faire son intéressant.
Jusqu’à Fondis qui l’interrompt grossièrement (ce qui me surprend car il est raffiné) pour déplorer vraiment qu’une installation dans un lotissement si banal puisse prendre le pas sur un si gigntesque divertissement : « Nous visiterons une autre fois quand nous aurons plus de loisir » et tantis qu’ils s’éclipsent avec leurs trois beautés je me rappelle en un éclair que je me suis sauvé comme unvoleur d’une salle d’examen, parfaitement, au beau milieu, fusillé du regard par la surveillance et les yeux apeurés des plancheurs un instant dardés au-dessus de leurs feuilles d’épreuve. Ce qui fait un beau point commun entre le rhinocéros et moi. Bientôt ils s’en iront, rendant copie blanche ou presque, tandis que moi, j’achèverai le texte promis, car pas un suveillant ne m’a vu m’esquiver, ni revenir.
Dsieu sait que je n’ai pas fraudé. Qu’est-ce qu’il en sait, Dieu, de choses. Ici la discipline est relâchée. Du moins, me laisse-t-on libre de mes mouvements. Pouvez-vous seulement imaginer que cela vous advient, à vous. Une salle comble. Des surveillants attentifs. Et ne haussant pas le moindre sourcil si je repasse la porte, afin de récupérer mon Canon Prima oublié sur un tabouret dans le couloir. Lecteur, dis-moi si tu t’émeus d’apprendre que mon épouse, Arielle, restée maternellement dans ce passage, me tend, en râlant, cet appareil photographique absolument indispensable dans une salle d’examen : « Tu laisses toujours tout traîner ». Maman (c’est elle) (sans être ma mère) me tend une Sergent-Major (mais enfin, on ne se ert plus de ça depuis mille ans!), puis un stylo vert (tu me vois rédiger en vert?ce serait versifier, mais tu persifles, perroquet, sur mon épaule, tu persifles) – enfin vient Le stylo raisonnable, banal et fonctionnel. J’ai lu tant de mauvais livres, qu’il m’en faut bien empiler un autre dans notre Bibliothèque Nationale. Si, ma foi si, Je me préoccupe, je me hante de Mon Lecteur, qui porte plus souvent la fente au bas du ventre que la bite, l’ignoble bite. Et pour que l’escabeau ne reste pas seulâbre en plein couloir, Maman Ma Femme l’introduit, discrètement, au pied de ma table scolaire.
Ce dernier geste permettra sans doute de passer l’épreuve de version latine. Mais pour elui de langue italienne, il n’y faudra pas compter : j’ai des invités à recevoir, moi, jene suis pas un étudiant qui planche sans bouger, sans me voir. Alors que Mon Rôle est ici primordial, sur cette planète : après l’explosion du Vésuve, il s’est formé aux USA un État italien, où l’on comprend l’italien, mais dont la langue officiel est l’anglais : le Saporta, où j’aimerais me rendre et commander. Du nom de Karine, chorégraphe dauphinoise.
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Ce grand jeune homme noir “qui me ressemblait comme un frère” vous est-il proche, = ô vous que votre langue, vous dont les doigts experts à presser les boutons, éloigneront de nos soucieux nombrils - je ne sais. Mais le millième d’entre vous qui saisira Mes Phrases et Mes Intentions se réjouira peut-être en son for du bon accueil réservé à ce fantôme, en des temps reculés, dans les contrées solitaires de l’Aveyron, car la toponymie se transmet le mieux à ravers les âges. Il existait en ces temps-là des groupements d’humains appelés “communautés”. C’étaient d’étranges survivances, des enclaves où se pratiquaient de non moins étranges conduites comme l’égalité des sexes et le libre échange des partenaires, pour peu qu’il vous reste un bout de métal à branler.
Il existait des femmes accucillantes, recevant à bras ouverts ls jeunes hommes sombres et vêtus de noir. Leurs sourires désarmaient les désirs malpropres et prématurés, permettait de s’installer pour voir, au milieu des essaims d’enfants qu’elles avaient faits. Ils galopant partout en liberté totale. Au milieu du domaine trônait une maison dont on avait “perdu la clef” comme l’avait chanté Le Forestier, dont les plus vieux se souviennent encore. Le jeune homme y montait, visitait les dortoirs aux lits alignés bien faits sous les plafonds arachnéens, entendez par là ornés d’inoffensives toiles d’araignées.
56 08 21 Je monte au sommet de la maison, regarde les lits faits dans une chambre, avec des toiles d'araignée. Un type passe l'aspirateur et me dit en colère de ne plus monter ici, car une petite fille aurait pu tomber dans l'escalier (j'ai laissé un passage ouvert). Annie vient, il n'est plus question d'attendre huit jours, comme me l'avait dit un jeune homme américain ayant reçu mon chèque d'inscription de 60 euros - « il n'était pas au courant »). J'ai toujours quelque chose à faire. Le père d'Annie est venu effectuer des recherches généalogiques, Annie descendrait de Berbères.
Je m'enferme dans des chiottes à battants, Josette pousse les portes et se retire en disant « Pardon ». Il paraît qu'on la traitait de « briside » (?), ce qui est typiquement bordelais. Je me récrie là-dessus alors qu'en réalité je n'en sais rien. Ici tout le monde s'aime, les enfants veulent faire voir leur sexe, la fillette me prend par les épaules : le nouvel arrivant est roi.
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La vie continue, absurde et tranquille. Nous voici, éternel trio, dans une maison de Chauny. Cette ville à présent ne forme qu’une avec Tergniers. Nosu y connaissions les Varoqueaux, à l’orthographe interminable. Ils avaient une fille Michèle, toujours atrocement rabrouée, qui ne savait pas dessiner un sexe de garçon. Je pleurais sur elle la nuit, à la grande exaspération de mon père, dont je partageais le lit. Nous habitions donc là désormais, les V. s’étaient enfuis. Nous y étions si bien fixés que je devais, ce matin-là, « prendre livraison » d’une voiture : partir à pied, revenir au volant. Si Michèle avait été là, j’aurais pu faire le trajet en sa compagnie. Mais, public, tu t’en fous. Ma mère à moi propose de se charger de l’aller, et du retour à pied, en voiture. Mère, qu’il n’en soit pas question. Mon père, stupidement, veut se rendre au garage vendeur – à scooter – je m’emporte : mais comment, crétin, feras-tu pour revenir ? ...en fourrant le scoute dans le coffre ? Connard, me répond-il du même ton, je dépose le deux roues sur mon lieu de travail – ensuite il travaillerait, à partir de midi qui marque le début de sa session de boulot, laisserait son véhicule au garage d’entreprise, et un trois pas, je récupère à pied la petite toto à son pépère ! Il est con, mon père.
Douze ans d’âge mental. Moi treize, tous deux titulaires du permis de conduire. La lutte verbale est chaude. Qui doit s’emparer du Pouvoir automobile ? Je saute sur le siège arrière Apapa. Le garage est en haut d’une côte. La ville n’en finit pas, nous la pensions toute plate, comme la Terre, mas elle s’élève, sans cesse reculant l’accession au Saint-Graal des bagnoles, bien loin de Chauny, jusqu’à Vienne d’Autriche, continuum urbain de la plus improbable angoisse. Virages. Forte circulation dans les deux sens. Mon conducteur s’arrête. Mon conducteur de père. En plein tournant. Mon père subit les insultes du fils : quelle inintelligence, que de risques !
C’est bien le moment, mon père, bien le moment vraiment et bien l’endroit pour déployer le plan de Chauny-Vienne-d’Autriche. De grosses cylindrées bien boches nous dépassent en klaxonnant. Le garage vendeur est plus loin, tout au fond d’un autre virage en montée : Regarde. Après ce pont-levis en excellent état. Sans le moindre trou ni défaut dans le tablier – c’est bien le moins, Papa, c’est bien le moins. Parce que juste en dessous, c’est le bon vieux ravin de 35 mètres. J’attendrai là, que tu préviennes le garagiste, que tu poursuives jusqu’à ton lieu de travail, que tu reviennes en véhicule à quatre roues. En attendant je reste là debout, sans la moindre maturité, gueulant au milieu du vacarme qu’on porte atteinte à mon indépendance, et frappant le talus de l’autre côté de la rambarde, abri précaire en attendant la Polizei.
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Mais voyez la malignité des choses : le Cloporte Errant, lasssé jusqu’où l’on ne peut dire, ne peut trouver dans son trajet trouver logis que chez un couple, hospitaliar mais rébarbatif, entre l’homme et la femme à trois au lit. Galamment, il s’arc-boute afin de laisser l’épouse conjugalement près de son mari. Il se tient ainsi en pont de chair, minimisant le plus possible son poids. Et pas d’humidté je vous prie avertit-elle. Cloporte se récrie Parce qu’une fois, poursuit l’impitoyable ménagère, il y en a eu un – pour pisser ? pour spermer ? transpirer ? Combien de fois ? Ne sont-ils pas adeptes mous du « plan à trois » ?
Cloporte tiendra-t-il toute la nuit tendu commme un Tancarville ? consultons l’archive : déjà, Cloporte a répondu « je ne suis pas une femme » - la femme plus humide, soit, mais à quoi bon dégouliner ? Mettons cela au compte dela muflerie. Cloporte d’ailleurs se dégourdit : rien de tel qu’une envie de pisser nocturne pour explorer le terrain, au risque d’un orteil enflé. Il suit les indications du couple justte avant l’alitage : les chiottes rustiques se perchent au sommet d’un talus (décidément…) dans un terrain accidenté. Cela sert de cour à ces rustres. Cloporte se guide sur des bruits de voix : il trouve là-haut bonne demi-douzaine de garçons (charmants, bouclés, fumant, aimables) qui attendent leur tour, devant l’unique porte en bois.
Eux aussi sont en fuite de lits inconfortables, eux aussi n’ont trouvé que ce moyens : les gogues en haut du talus. Miraculeuse reduplication ! « Mais ce ne sont pas des chiottes ! Pas du tout jeune homme ! » ...Juste l’entrée astucieusement camouflée d’un Club Lesbien ! On s’y bouscule, mais on ne peut pas dire qu’ion s’y encule. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on s’y est introduit, oui, bon, l’accueil est merveilleux. Des filles maquillées, affables, castelthéodoriciennes, ça chante, ça jacasse, un préau de lecture est prévu de l’autre côté pour les penseurs : sois dehors sous l’auvent, soit au dedans sur des fauteuils à part et bien profonds. D’ici on n’entend presque plus la musique. Mais ne chiez as sur le fauteuil. « Vous êtes bien ici, à St-Bertrand-de-Comminges » dit un tableau clignotant.
Ou clitognan, c’est selon. Dehors, c’est donc l’autre côté du talus. Donnant sur le noir, où s’agite encore un jeune homme. Celui-ci tient en main une trompe de chasse, reconstitué par ses reflets mouvants. Que de jeunes gens autour du club de filles ! Ne seraitn-ils pas tous un tout petit peu pédés ? Celui-ci me tend un autre « cor » ! Nous nous répondrons donc cor à cor ! Cloporte est rompu à cet insrument comme à tous les autres et prend la tierce supérieure. Des auditeurs des quatre sexes à présent les entourent, et font à Fier-Cloporte un curieux commentaire de moues : on l’observe, on l’admire, lui, et non pas le premier trompiste ; car il l’a surpassé. Fier-Cloporte l’emporte sur le joueur officiel.
Il faut se faire pardonner ! Les moues disent « bravo mais n’y revenez plus ».
Poste déjà pourvu.
Un seul clown par piste.
Lorsqu’il revient en intérieur, laissant l’instrumentiste initiateur , Fier-Cloporte se poste sur un siège en skai et observe tous ces danseurs mixtes, respectueux les uns des autres, adeptes d’amitiés sans vrai désirs, se frôlant sans l’avoir cherché, ce qui se détecte aisément à l’observation impartiale. Partout des enfants des deux sexes, des accidents sans doute. On lit, on feuillette, puis tout s’apaise, chacun rentre dans sa location pourrie, les couples de femmes se forment discrètement. Je rampe sous un réseau tendu de sandows, et rampe à ma rencontre dans l’ombre un vieux chien doux tout aplati, gras comme un mouton. Je me sors de tout cet obstacle, mon chien d’adoption pivote tantbien que mal sous les crochets, puis s’ébroue quand nous ressortons.
Les vies se font de ces rencontres canines, qui se dissolvent au premier souffle d’indépendance. Mais on est si content de les avoir connues. Éloignez-vous en cahotant, petites vies aux oreilles pendantes. Une prairie entretenue se trouve devant moi. De même les pucelles viennent-elles demander leur délivance : « Je suis captive d’une haute tour et d’un cruel tyran, qu’il m’est impossible d’aimer. Il me relâche en permission, mais je dois retourner en geôle ». Celle-ci, assise, ne feint pas de m’apercevoir. Plongée ans mon édition de poche des contes de Perrault. Un épais volume de distributions des prix découvert par mon père dans un fouillis de livres renversés. Qu’elle repose dans l’herbe et s’en va sans se retourner. Preuve irréfutable qu’elle m’a bien vu, comptant que je relèverai Perrault de l’humidité.
Que les lits sont étroits. Que l’on s’y retourne pesamment. Combien êtes-vous tous allongés alignés dans vos poses diverses aux lueurs des veilleuses. Les uns sourient et d’autres râlent sur un fond obsédant de motets médiévaux. Plus loin deux filles en chemises rouges et tant de frôlements de silhouettes relevées tenant violes, harpes et serpents. Ils devisent, jouent et chantent selon les variations de leur fraternité, tous ces mourants dormeurs émettant peu à peu à l’unisson l’harmonie d’une douce et fraternelle liesse.
561028
Autrefois nous avions sombré dans le vice le plus abject : vérifier à quinze ans l’anatomie féminine sur une fillette de trois et demi. Je me contentais d’y plaquer ma bouche ouverte sans y porter la langue. Et nous parlions en confiance dans la nuit, car au sous-sol, dans le rêve, il faisait sombre. Elle criait : “Salaud ! Salaud !” et réclamait de se rhabiller. Pour ne pas attirer sa famille et la mienne, je m’empresse d’obéir. Il m’était interdit de flirter avec qui que ce soit de mon page. Et lorsque je fus sorti du sous-sol, c’est ma propre famille que j’ai rejointe, nombreuse, en foule, en deuil, sous le ciel fuligineux d’un début de nuit. Cousins, oncles et tantes visitaient vêtus de noir un cimetière sans clôture tout plongé dans l’obscurité, Martial, frère de mon père, seul homme équilibré de la famille, bute à peu près sur une porte en bois au baut d’un petit escalier gravi à tâte-pied. Les ombres des vivants se sont sinistrement mêlées à celles des morts, et dans cette montée fort raide j’ai saisi le maigre mollet de l’oncle, farce funèbre qui le fait sursauter, tout flegmatique qu’il soit. Le renouvellement de cette sinistre facétie voudrait que je me déplace. Mais il faut repérer la tombe de l’oncle, vivant qui veut voir son trou dans le sol. Même aventure survint à Lancelot, Martial m’envoie déchiffrer autour de moi les inscriptions placardées, plus claires qu’uu fond d’un cœur ouvert, ce fut son expression. Les écritaux luisaient dispersés sur les croix, mangés pourtant de noir, et je ne voulais pas m’aventurer seul au milieu de ces fosses ouvertes.
561031
De tels conflits entre générations se confirmèrent quelques jours plus tard, alors que parmi d’autres jeunes gens (ce que je ne suis plus) nous parvenions à pied en haut d’une colline d’herbes. Il s’agissait d’un rallye, ce qui ne se fait plus. À ce que je crois. Nous y devions recevoir l’indice ou le message suivant. On, n’importe qui, nous fait parvenir en voiture trois grands sacs de plastique hâtivement bourrés de carnets annuels : “J’ai le 75, mais avec la mention 1980” s’exclame l’un de nous, et d’autres mentionnant amusés de semblables erreurs, je reconnus cette façon que j’avais d’utiliser d’anciens agendas vierges en modifiants leurs dates : c’étaient les carnets de ma propre biographie, dispersées à n’en pas douter parmi ces mains rigolardes.
Pourvu, mon Dieu pourvu que personne ne s’en aperçoive. Mais des murlures ne tardetn pas à se faire entendre. On entend les cris de David, protestant qu’il est inadmissible de fouiller de cette façon dans sa culotte. Pourtant, la situation ne me semblait pas le mettre en cause. Mais ce n’était qu’un rêve répétaient mes sixièmes. Fier-Cloporte rapporte le rêve à sonami Jakob, resté en retrait avec son grand ami à lui, Accornero, que je salue ici. “N’as-tu pas une phalange sectionnée ?” interroge Fier-Cloporte dans ce style châtié qui le rend si Fier et si Cloporte. Non, malgré son passé de rémouleur, jamais Cornero n’a connu cette mutilation. Il étale à plat ses deux mains, doigts écartés.
Ses vieilles articulations sont restées intactesn, et robustes. Capables d’étrangler une saucisse en six secondes. Plus tard, après nous – quels coups de fourchettes ! - les Jeunes mangent, une main sur la fourchette, l’autre levant le menu de la table pour vite consulter la suite. Che goffaggine – quelle balourdise. Mais l’histoire n’est pas finie.
561103
L’histoire ne finit jamais, par définition. Il ne me reste plus que quelques jours avant ma retraite dans ce monde, ça fait drôle. D’être ainsi dépossédé de sa tnuique de NessusPersonne n’a prévu d’emploi du temps pour moi, et ma tronche ne figure que pour la photo. Cela remonte à trois bons mois. Bordèche collier roux front dégarni déboule d’un cours interrompu cherchant de salle en salle avec ses vingt potaches en blouse blanche un labo libre. Avisant un jeune homme assis sur la marche supérieure d’une volée d’escalier le saisit au collet pour l’accabler d’articles sur le Code du travail. Il le repose en plein sanglots Personne ne fait plus attention à moi. Aujourd’hui le Sieur Bordage Il pleurait, le jeune homme, sans bien savoir pourquoi, À ce moment je me sentis abandonné. Je suis tombé comme un cloporte repliant d’un coup ses quatorze pattes.L’espace était aussi étroit qu’une fente à notre taille. Pourvu que mon corps puisse encore gonfler, que cet abîme sous mon ventre cesse enfin de m’engloutir, malgré la souplesse de ma carapace amortissante. Personne ne passe pour me secourir, la mort aussi sans doute m’oublie. Il ne me reste que trois jours avant ma retraite, aucune classe ne m'est confiée. Tous ces couloirs où je courais semblent sans moi quelque intestin vide et propre et je gueule saloperies charognes pourritures les collégiens s'écartent avec respect je sais qu’ils me donnent raison.
561110
Nos souvenirs grouilent de situations obtuses ou délirantes. Se trouver dans une salle d’examen, au temps où ils étaient censés recruter les plus aptes. Il faut aujourd’hui critiquer les diplômes. C’est de rigueur. Le grec ancien ne se justifie que si l’on projette là-bas un séjour linguistique. Derrière nous gribouille Roubigon, attelé à la même épreuve. Le texte à traduire est un fourré d’épines. Mal imprimé sur tous les exemplaires, fourré entre les lignes de tous les exemplaires d’un enlacis de notes au crayon à demi effacées : l’original sans doute, Incompétence, ou piège ? Le grec se dilue, je ne m’y retrouve plus. Entre les rangs de tables circule éngimatique aussi une blonde de bonne cinquantaine, attirante et de haute taille, qui un instant penchée sur moi me lance en biais un regard sarcastique je comprends, cher monsieur, votre désarroi.
Pas nécessairement. Des visions parasitent et dispersent mon désarroi : la veille se tenait à Cahors et Albi une manifestation paysanne, heurts, dégâts, charges de police. Moins que dans les journaux, qui enflent l’abcès pour se faire vendre. Tant et si bien que ma copie de grec ancien, confuse et raturée, rejoint la corbeille des échoués. Le premier car transquercinois venu fera l’affaire pour me rapatrier “dans mon petit village”, où nul ne se soucie de grec ancien. Ah les cons. Sur le trajet je vire par la vitre le chat que j’aimais, Iris, qui m’apportait mes pantouflesdu fin fond de l’allée du car. Adieu chat, pantoufles et dressage. Il n’est jamais revenu, mais on m’a rapporté les pantoufles, à la hauteur de Caussade.
Et du fond des toilettes où je pense enfin à me soulager, j’entends ma mère qui me crie de venir lui dire au revoir, ce que j’avais oublié le matin. De ma main libre je fais signe de dos par-dessus la porte, maman s’en va satisfaite. Certaines journées, ma foi, sont riches d’enseignements.
56 12 12
Nous habitions à Tanger rue Quevedo. Ma mère m’a pillé : “Il n’est pas juste qu’un jeune homme de 17 ans ait tant d’argent”. Pardonnez-nous tout le mal que nous avons fait dans nos rôles de parents. Nous sommes revenus de là avant mes 18 ns, dont je ne me souviens plus. Et cette scène est survenue en rêve, 47 ans plus tard. Dans un rêve on a plusieurs âges en même temps. Je m’ennuie ici, on ne rit jamais. Climat familial de conflit larvé permanent. Amoureux e ma mère : je crois le ressentir, elle se désole en cuisine, mon père gueule qu’est-ce qui se passe ici, mon Dieu que les cocus sont cons. Le fils qui se bat avec le père. Il m’a bourré l’épaule de coups de poings, je le lui ai rendu. Plus tard, d’un air enamouré et soumis, il me demande une photo de ma tête qu’il insère dans son portefeuille. Il n’y reviendra plus. Mon père est Sarkozy. Dans le rêve. Sans doute ce président se montre-t-il charmant dans le privé, charmeur. Il voulait supprimer les maternités à l’exception de quatre (Paris, Marseille, Strasbourg, Toulouse). IL voulait 48h de travail par semaine pour les uns, le chômage à perpète pour les autres. Un fou. Dans le rêve, il joue les aimables, pause sa grosse tête aux cheveux raides et sales sur mon ventre, je Je me demande même s'il ne va pas me sucer, cela me répugne. Les rêves, j’y insiste, étalent une grande obscénité. Sarkozy
Mon personnage ne lui cède en rien dans la vulgarité, pleurant, rageant, hurlant comme un gosse. Sarkozy me répète qu’ on est bien là, comme Tintin enculant Milou : Oh oui Tintin. Mes lycéens on fait semblant de ne pas comprendre l’histoire la plus dégueulasse en sept mots. Je dois rester. Il ne me reste plus beaucoup de temps : à vivre ? à sentir ? Ma mère, allongée dans la pièce voisine, ne dit rien, n’intervient pas, ma mère m’a foutu dans le lit de mon père pour ne pas avoir à coucher avec lui. Sarko ne m’a jamais autant débecté.
56 12 21
C’est fou ce que les rêves véhiculent. Fou au sens clinique du terme. Les médecins ont abandonné ce terme. Et je suis invité. Retour en grâce au sein de ma famille, mais celle-ci est autrichienne. Freudienne. Au bas de l’escalier, je vois un colosse barbu, penché sur la rampe au-dessus de moi, qui me dit en français Tu n’as plus rien à faire à l‘étage familial. De même le beau-père, en plein travers de cage d’excalier, m’at-il gueulé Ta femme est enceinte. De même pour aller chez la Levreau (c’était son nom traduit du tchèque); je devais monter un très vaste, très haut escalier, avant d’appuyer le doigts sur la sonnette de ma psychiatre. Elle est sans doute morte. Qu’a-t-elle dit à Dieu avant de mourir ?
Pour ma part, je rassemble mes affaires “dans ma chambre à grands rideaux”. De quelle chambre s’agit-il ? Celle de Tours, où je me suis endormi de peur ? Celle de Santander, sans fenêtre, où j’avais fait hurler en espagnol un match de football ? Qu’est-ce que je peux bien foutre dans une chambre d’hôtel ? Fuir la bite du père ? Pourquoi rassembler ses affaires ? Pour déménager à l’étage, en dépit du colosse barbu ? fuir encore plus loin ? La famille autrichienne a trouvé un compromis : un repas de réconciliation, en terrain neutre, à l’extérieur : mais il n’y est pas ! Le Barbu ! Dans l assistance ! Trop facile ! Et je ne connais pas ces gens. Pas une seule personne. Surtout pas ces grands cons qui plaisantent à grands cris sur tel ou tel but de tel ou tel match : le shooteur a “tiré un coup” ?
N’importe quoi peut s’orienter vers les symboles sexuels. Ces grands escogriffes ne siègent pas à table. Des vieilles femmes élégantes, si. Façon Jacques Faizant. Une au moins à gauche et à droite. Nécessairement, elles ont vue sur mes mains, le dessus de mes mains, qu’elles regardent avec une indiscrète insistance : qu’est-ce qu’elles ont mesmains ? Des taches de vieillesse ? Des fleurs de cimetière ? Nécrosées, nécrosées mes cellules. De là à se lever, à m’ignorer, à s’offusquer ma chère, à s’agglutiner autour des blagueurs footophiles, il y a de quoi désorienter qui que ce soit. Que se passe-t-il ? Rien. Ce rien sonne épouvantablement faux. Alors je m’adresse à ces dames. En allemand : “Jétais à l ‘asile, je repars pour l’asile” – et voulant plaisanter – “entre deux dépressions, je suis normal”. Mais rien de plus opposé à l’humour que l’Arroganz autrichienne, qui vous renfoncera dans votre autodérision : elle vous la renvoie dans la gueule comme un archisot boomerang : “Vous y reviendrez !- Warum sollte ich ? Pourquoi le devrais-je ?” - mais vous savez, quand vous avez raté “le mot”, vous ne pouvez plus vous rattraper.
Vos doigts glissent sans pitié sur le renflement des balustres, et vous dévalez jusqu’en bas. Même en terrain plat.
56 12 29
Et puis vous titubez. Fier-Cloporte titube. La rue porte des murs crépis. Genre qui se détache, du vieux, défraîchi. Comme à Laon, aux lycéens si mal vêtus. Ô catastrophe économique ! Des ouvriers rafraîchissent le crépi. Pourquoi me fixent-ils ? Dois-je remonter ou poursuivre la rue Chantraine ? Où sont les grenouilles, où les reines ? Une rue transversale me permet d’échapper aux stigmatisations de la pauvreté, doigts écailleux, chaussures qui bâillent. Fier-Cloporte accélère, on ne le voit plus,on ne critique plus sa démarche. Un croisement plus loin, ce n’est plus qu’un sentier herbu, qui descend la pente, un virage, l’autre plus serré, au creux de la butte haricotiforme, et circonstance excellente, une fille me suit, glissant un peu sur l’herbe et ses talons plats, mais presque aussi rapide que lui, qu’arrivera-t-il si je suis rejoint, nous voici devant une bouche de train, une entrée de tunnel, devant laquelle se présente un train.
Et nous voici courant après lui dans ce tunnel vite sinistre, mais Fier-Cloporte est devenu la fille, et la fille, lui-même. Juste un bas de mur noir qui se rétrécit dans notre dos. Mais au-dessus de nous, de la voûte invisible, un doigt magnétique nous guide à travers terre, et nous connaissons ce pousse-glissières : il s’appelle Christophe, et le remblai qui maintenant s’élève à l’air libre entre les voies saura bien nous mener quelque part, si saint Christophe le désire. Cependant Vatican ne le reconnaît plus. Subsiste une vague gêne.
Le train accepte à présent de nous contenir, de se charger de nous, de nos responsabilités, ce gros mot que les gens brandissent pour les nôtres, jamais pour eux. “Avez-vous connu Roger ?” Si j’ai connu Roger, bien entendu ! cet extraordinaire professeur de grec ! si monotone et gris dans son petit costume, dont le fils, sous la blouse, me tâtait les couilles en célébrant l’évolution des conservateurs à la Belle Époque ! Un Égyptien nommé Nasser (“pas le même ! pas le même !) reprenait les propos du fils en s’esclaffant : “L’évolution des partis conservateurs ! ah le con !“ - et pourquoi pas ? il était bien natif de Kaolak, le Nasser… Jamais plus je ne l’ai revu, ni lui, ni son père, ternissime prof de fac, dont je perturbais le cours en y jetant du papier hygiénique, tellement il était chiant… et à présent, Sarkozy en personne, assis dans mon compartiment, me demandait si j’avais connu Roger ? ...père et fils, parfaitement.
Mais quelle mouche a piqué notre ancien président ? Pourquoi lance-t-il son sandwich à travers le compartiment, au risque d’endommager l’un et l’autre ? Il existe de ces impulsions qui mène au viol, ou au vandalisme : asperger une statue de minium, pisser dans un bénitier en s’aidant d’un prie-Dieu, ou toute autre chose rationnelle, si l’on y réfléchit bien. La profanation du jambon et du pain qui l’entoure n’entre pas néanmoins dans la catégorie des crimes.
Il s’en fallut de peu : une boulangère, parfaitement reconnaissable au galbe de ses seins, s’offusqua de recevoir en plein cou, comme un vanneau huppé, ce projectile au levain. Nous voyions bien, dans le compartiment, qu’elle se tenaait à quatre pour ne pas s’esclaffer. D’un signe, elle rameuta trois mitrons depuis le couloir où ils voyageaient
debout, lesquels tirèrent incontinent de sous leur blouse quantité de tartelettes qu’ils se mirent à lancer au jugé comme dans un casse-gueule de saloon. Et comme je trépignais d’aise en pleine euphorie en scandant un baba – un baba - je n’en reçus pas un seul, et descendis du train, en gare de NOGARET. Ce n’est pas une métropole, assurément, mais tout de même, le propre fils de notre impulsif président, ainsi que sa mère. Cette dernière tient, au mépris de toute vraisemblance, une épicerie de village (NOGARET est un village) où l’on trouve de tout, une espèce de bakal centre-européen.
La seconde au comptoir une très jeune fille de 12 ans, d’une joliesse à engendrer chez Dante une adoration béatricienne. Et comme il est purifiant, exaltant, de s’exonérer ainsi de toute pulsion terrestre et bassement bas-ventre. Ces perfections d’enfance jette leurs contemplateurs dans un mélange atroce d’orgasme mystique sans issue de résolution. Mais laissons ce surnaturel, dispersons d’un revers distraits ces traces de crème pâtissière, et feuilletons cette brochure filio-sarkozienne : nous la reconnaissons parfaitement. La famille nous la présente comme rare et précieuse, mais comment peuvent-ils imaginer un instant être crus : toute racornie par l’usage et rapetassée de papier collant ? c’est bel et bien ce « Livre du professeur de littérature (XVIIIe siècle) », « finie le 10 juillet pour la troisième fois », comme le mentionne une note au crayon de ma main en dernière page.
Mais le Fils n’entend pas me troomper davantage – il n’y a pas songé instant : il ne s’agit que d’un mystérieux palier, d’un rituel mystérieusement translationnaire en direction d’un point de vente et de consultation : « C’est une librairie où vous pourrez sans peine étancher votre soif de poésie contemporaine grecque ». Je connais Napoléon Lapathiodis et Kavafis. Très peu. Le fils du Président pourrait me proposer d’autres produits littéraires, mais il insiste, m’indique une direction : « Au milieu de la galerie marchande ! cherchez bien ! » On trouve un peu partout, de nos jours, ces immenses corridors à clientèle, où fleurissait cette fois un vieux clavier sur piédestal plastique. Il indiquait, par ordre alphabétique, les commerces de l’endroit. J’ai pianoté là quelque peu, mais le plastique enveloppant les touches rendait l’exercice plus qu’incertain.
Chaleur de serre. Insuffisance de ventilation. Malaise en vue. Cloison qui se courbe, mosaïques moirées que je crois voir, où mes paumes défaillantes parviennent à grand-peine de ne pas me retrouver au sol. Autour de moi défilent dans les deux sens des chalands qui n’ont rien de plus pressé, une fois qu’il m’ont vu bientôt défaillir, de détourner vivement les yeux comme si de rien n’était, pour ne pas, surtout ! se sentir obligés de me porter secours. Et je poursuis. Passant devant un ignoble marchand de papier peint, qui campe sur ses deux pieds devant son présentoir, j’encaisse le mépris de ce con qui se croit spirituel : Vous n'allez pas vous imaginer que je vais vous donner du papier peint ? Torche-toi donc avec, et qu’il t’en vienne des pustules ! Seigneur, débarrassez-moi de ces airs de chien quémandeur.
Et comme Dieu se tient en moi, c’est à moi de me défaire de ces tronches de suppliant que je me trimballe à longueur de life. Ouais coco, je ressors de là les mains fières et la mine goguenarde, parvenu hors galerie, je haltise sur un banc d’herbes, en pente, communément appelé « talus ». C’est là que j’ai trouvé le beau vocabulaire spécial papiers peints, enlieu et place du timide « non » que j’avais répondu.
Hélas, il n’existe pas de quarante-huitième chance.
57 01 23
À l’enracinement définitif, à l’encimentement des pieds, supplée la bougeote totale de mes orteils,
proposée par le somme. Car en dépit des choix, la bête reste vive. Lorsque la médiathèque centrale de mon pays se ferme pour l’été, je me rends sur les marches et m’assieds là en regardant les petites filles qui sautent à la corde. Alors se penche sur moi une de ces femmes qui s’intéressent à ce que je pense. Quant à la mienne, elle se trouve à côté de moi et me couve. Quelles sont me dit la maman à la corde à sauter les dix villes où vous aimeriez habiter ? Instantanément je dis New York, puis Saint-Pétersbourg, les deux femmes sursautent avec désapprobation. À Lyon, la sondeuse seule est surprise. Arrivent à la suite Lima, Caracas, Buenos-Aires et Mexico. Vous avez gagné un flacon d’Eau de Cologne ! Pourquoi, je pue ? d’un stand voisin j’aperçois un charmant jeune homme qui m’agite un 25cl avec spray, et le sourire.
Question : ces dames exhibent-elles leurs fillettes pour que les pires dépravés déportent leur lubricité sur les charmants jeunes hommes en eau de Cologne ? Réponse : “Montez dans ce train d’attraction avec Madame. Il ne vous sera fait aucun mal, aucune proposition malhonnête”. Aucune destination sur les flancs ou les portières. Nous partons peut-être pour longtemps : chacun de nous dispose d’une cabine particulière avec deux cuvettes de toilettes ; l’employé me dit “c’est pour chier deux fois”. Heureusement que j’aie gagné de l’eau de Cologne. Comme l’espace est vatse et clair, et que le verre dépoli ne laisse rien entrevoir, va pour une première fois. Même le papier fleure bon. L’inconvénient, c’est que le torchage achevé se solde par la disparition des deux portes, ce qui nous laisse bien nus, et si je chiais deux fois ? La pièce vaste et claire donne envie de satisfaire d’obscures voluptés. Et me voici devant tous dépourvu de la moindre gêne, au beau milieu d’un hall d’hôtel, dont le réceptionniste en personne, bien en chair et souriant sans touche pédérastique. Dans cet accueil parlent doucement quelque 50 % de personnes âgées convenables, qui poursuivent leurs conversation sans me suivre des yeux, tandis que je regagne ma place et regarde par la fenêtre, au-delà du petit abat-jour vert.
Et comme la vue nocturne se déplace, je dois admettre que nous sommes tous en route à bord d’un vaste véhicule silencieux en direction de l’Espagne du sud, entre Séville et Jaén, si exceptionnelle au pied de son oliveraie en cône prête à descendre sur la ville. Je me souviendrai toujours de la tête flottante et séparée du corps aux environs d’Huelva, petite fille décollée, victime de la plus grande atrocité. Ce souvenir me hante à ce moment soudain, a-t-on retrouvé ce monstre, l’a-t-on noyé dans les Marismas comme il le mérite lentement.
Sur la table voisine un bloc de papiers bleus me permettrait de conjurer l’angoisse, mais un étrange Japonais, lui aussi d’un certain âge, me le subtilise au dernier moment je me sers me dit-il Shiyō sa sete küdasai et de quelques traits de plume place sous le nez attentif d’un compatriote le croquis d’une vis à tête cruciforme qu’il suffisait de tourner dans le bon sens pour ouvrir sans dommage une petite boîte vide et transparente. Ma voisine de gauche me tend alors une copie ornée d’un 3 et demi sur vingt, ce que je peux lire aisément sur la page inversée. Sans qu’elle m’ait dit un mot se lève devant moi une autre personne de sexe indécis, auteur apparemment d’un texte indéchiffrable sur papier froissé troué de toute part.
Disons zéro éliminatoire. Et je comprends enfin que ma sortie de chiottes m’a si bien désorienté que cette place où je m’installais pour lire El País en majesté comme un natif à l’aise n’est pas, n’a jamais été la mienne. Suivant l’allée j’ai vite retrouvé mon vrai fauteuil avec mon vrai bloc-notes, et cette femme à droite est véritablement la mienne, juste à l’arrière du jeune conducteur bien espagnol, celui-là. Nous roulons en nous dandinant vers Madrid que nous dépasserons, tandis que défilent de part et d’autre le centre d’une autre ville dont j’ignore le nom, mais ce qui est certain, c’est que le mince ruisseau presque sec sous son herbe dont nous franchissons le ravin ne peut en aucun cas figurer l’Ebre.
Soudain c’est Saragosse. Le conducteur de l’autocar où je me trouve par miracle me livre alors à contretemps le nom de ce cours d’eau étroit dont après tout je ne me souviens plus. Je me tiens debout près de lui en dépit de l’interdiction traditionnelle. C’est là que le panorama du pare-brise offre la plus magnifique vision sur le pont de l’Ebre on dirait la télé me dit le chauffeur "¡Parece la televisión! Mais quand je lui demande en français s’il est vrai que l’eau de l’Ebre pourrait se faire au profit du Guadalquivir, il me répond dans ma langue maternelle que cette marotte est abandonnée, à l’exception d’un canal à destination du roi én Aranjuez.. Lequel roi exigeant « une exploitation moderne avec des moyens anciens » (où ces suzerains vont-ils chercher des formulations aussi tordues?) le projet fit plouf dans l’absence d’eau.
Quelques rires commisératifs plus loin, le chauffe-bus me renvoie sur mon siège parce que ma présence tressautante commence à l’emmerder. « Retourne voir ta femme » qui secoue sa graisse molle sur le coussin monumental des fauteuils de bord. Pourquoi, rumine-t-elle, pourquoi n’avons-nous pas nommé Bruxelles parmi les dix villes les plus attractives ? La réponse est simple : Bruxelles est devenue la capitale des clochards les plus sales el les plus insolents du monde. Et si la réflexion de mon épouse est formulés en grommellements, la mienne fuse comme un feu d’artifice, ce qui ne manque pas du machisme le plus grossier.
De plus, les passagers devant bien prendre garde que le spectacle ne se déroule pas de part et d’autre du véhicule mais oui bien à l’intérieur, j’arbore l’accent belge le plus rébarbatif pour expectorer « Le Belge y vous emmerde un fois » , alors que je suis Lorrain français. Le conducteur branche la radio de bord : « À Séville, 45° l’été, ce n’est pas un problème. Et de même que la mort vous entraîne dans son véhicule hermétique, de même l’infernal Conducteur aura-t-il enclenché le grossissement monstrueux de l’habitacle en mufle tandis que nous ferions désormais route, à 20 000 pieds, vers l’hémisphère sud et sa maléfique Argentine.
57 02 09
Dans une annexe de Ste-Madeleine où furent célébrées les obsèques de ma mère, j’ai découvert, dans un angle, un départ d’escalier tournant vers le clocher, carré, pas très haut, de 1843. Nous reporterons cette découverte car c’est aujourd’hui qu’on enterre mon père. Il n’aurait pas voulu d’église. Ma mère en rêve m’y a forcé. Pendant l’office peu suivi je roule dans ma tête les formules d’usage d’un discours. Mais rien ne se passe comme prévu : le parvis retentit de moteurs et de coups de frein sur gravier, car le cercueil arrive avec retard et fracas, mon père aussi descendant d’un taxi, les assistants se sont tous retournés, y compris ce peintre très lourd qui n’a connu de lui qu’un minimum d’indications : entre non-croyants, on se comprend.
Mon père, le cadavre, est alors soulevé, placé sans cérémonie dans sa bière. L’autre, le survivant, plein de forme comme il ne la jamais été, aide au lever de corps de sa propre dépouille, au lieu de fracasser le coffre à mort comme nous nous y attendions tous. L’assistance, loin de se disperser, ignore s’il vaut mieux rire ou s’effrayer : mon camarade belge à mon côté proteste à mi-vois qu’il ne veut à aucun prix « faire partie de [m]a patristique » - je m’étonne : mon géniteur n’a jamais eu la moindre vocation prêcheuse, encore moins de jouer le Père de l’Église. « Non » me réplique Everaerts, « tu ne comprends pas : c’est lui qui m’a fait lire un ouvrage sur moi, très admiratif, où il me comparait au grand saint Ambroise de Milan. C’est moi qu’il prenait pour un exégète ecclésiastique. Et je ne pense pas qu’un roman tel qu’il le projetait puisse me hisser à ce niveau.
- Ce projet m’avait échappé, deVelp ; et je n’écrirai pas non plus sur toi » - sans ajouter que je me souviens trop peu de lui pour en tirer matière. Que viennent faire ici ces gens qui me tenaient de si peu, sans même être venu se présenter. Ce père vivant ne serai-il pas qu’un sosie, et ma mère donc, morte depuis six ans, ? Je suis dans une véritable rage : un fantôme gris, fidèle à s’y méprendre à ma propre mère, se joint au spectre de mon père, qui tournent, tournent sous l es gousses d’ail. Depuis combien de temps n’auraient-ils pas dû cesser. Je ne me remettrai jamais d’eux.
Everhardt, Chasseur de Sanglier, me rappelait ces fortunes que nous aurions dpû débourser si mes deux parents avaient survécu. Nulle maison de retraite ne traite à moins de 2500 €par mois. Qu’on se plaigne après cela que les enfants désirent la mort de leurs père et mère. Et j’attends la résurrection des morts. Nous rembourseraient-ils ces sommes dilapidées pour leur survie ? Il ne sera plus temps, le jour du jugement. Un couple en maison de retraite ne s’en tire que si l’un d’eux décède. À moins de marchander, ce qui fait misérable en face des escrocs. Ou d’interner ses parents dans un tout petit village, où les paysans, vraiment cons, s’occupent les uns des autres jusqu’a leur mort incluse. « Passe-moi la carte Michelin ».
Il me passe la carte Michelin. Où sont tracées toutes les routes, les jaunes, les blanches, et les voies ferrées, plus droites et noires. Ce sont les destinées, marquées parfois du symbole d’une croix dans un carré : cimetière. En dépliant les cartes, je fous par terre une bonne pile de documents administratifs, ainsi va la vie. Ce faisant, je sentais sur moi l’haleine de mes parents qui dans mon dos s’offusquaient du sort désinvolte que je jetais ainsi sur les routes. Je me suis alors retourné tout assis, avec colère, et les voici repartis tête basse, roulant au sol derrière eux leurs deux cercueils en samsonite. Ils reviendront bientôt, régénérés par cette promenade physique, il faudra tout recommencer.
Katy la Comorienne leur succède. Susurre à mon oreille que Nils, mari jaloux ! S’était invité au véritablement de ma vraie mère, m’avait tendu des verres pour me mieux soûler, avec l’effacement insolent de qui vient là pour voler la vedette à la morte : « Je voudrais prendre la première place, être ici le centre d’attention en lieu et place du cadavre. Ces gens-là n’ont aucun amour-propre et vous foutent d’humeur massacrante pour tout votre entourage naturel. Quel dommage en vérité de ne pas pouvoir frapper de vrais corps.
57 03 06
Souvenez-vous, dans ce nouveau Voyage au pays des morts, de ces coulées de vent de part et d’autre de la tête quand nous filions à la pépère sur les routes à vélo, le but étant non pas d’écraser Ionesco, mais de se procurer d’obscures ivresses. Nous étions ainsi parvenus aux frontières internes du XXe arrondissement, accotant le cipède au mur sans avoir trouvé de Bibliothèque : démonté comme un cavalier, je mendiais mon chemin aux passants, avec tout le sérieux possible. Et j’allais le long des murs, bousculant les beaux vélos tout neufs sur le trottoir. « Je suis » me dit un athlète « le propriétaire de ce véhicule que vous remettez en place ; faites donc attention où vous marchez »
Et comme il m’invitait à le suivre, et que Fier-Cloporte aime suivre ceux qui tracent la voie, il se trouvait dans un profond hangar aménagé dans le roc rouge, une pierre inconnue à Paris. Comme si l’on avait importé là, pour la creuser, toute l’argile de Toulouse et d’Albi. Plus au fond, de larges grilles laissaient présumer de longues cellules de prisonniers. Les yeux s’accoutumant à la pénombre finissaient par cerner un prêtre sur la droite, célébrant pour eux la messe de saint Léonard, patron des prisonniers. Le propriétaire de bicyclette se confiait à Fier-Cloporte en le conduisant par le bras : il enseignait l’histoire, confirmant ainsi la surreprésentation des enseignants dans un monde qui ne veut plus rien savoir.
Sa boiterie découvrit à Fier-Cloporte une seule jambe, et reportant ses yeux vers le haut, le bousculeur de bicyclettes ne put dissimuler l’absence de son avant-bras gauche : assurément ce n’était pas sans risquer gros qu’il se servait de son vélo. Mais toujours de bonne humeur. Et d’un bavard ! Il n’aimait pas (qu’est-ce qu’on en avait à foutre) les « simagrées ecclésiastiques », l’hypocrisie (même pas drôle) des aumôniers sur les galères, enseignant aux forçats à se signer ensemble, de façon à entraîner leurs pieds entravés dans un mouvement symétrique harmonieux.
Nous n’avions jamais entendu parler d’une telle fantaisie sarcastique.
Fier-Cloporte se fit entraîner dans la caverne du solitaire : il possédait une cavité, au fond de son antre, depuis laquelle s’envolaient ses appels de prières. Il fit communier le complaisant Cloporte avec deux gobelets de plastique, remplis au robinet d’un lavabo. C’était bien la première fois que Cloporte voyait un lavabo fonctionnant dans un tel endroit ; disons qu’il était plein, et qu’on puisait dedans sans avoir besoin de tourner le robinet. « Et quelle époque préférez-vous ? » lui demanda-t-il entre deux gorgées, « j’enseigne l’histoire, moi aussi, et les bibliothèques me sont indispensables » car l’internet n’était pas encore inventé, à vrai dire nul n’aurait pu encore le soupçonner.
L’ermite se renfrogna. D’un claquement de doigts vers l’extérieur, il fit venir dans ce cul-de-sac une automobile extra-plate, en forme de gélule parfaitement clise. “C’est brésilien”, dit-il en montrant la marque sur le capot : ORIBA – et au-dessous, plus petit “Otage de l’Oriba”, le modèle, sans doute; elle était conduite par un garçon de dix ans, son fils, à l’invite duquel Cloporte se glissa à la place du passager. Une marche arrière, et l’ermite père de famille retournait à ses prières, tandis que l’enfant le guidait, au ras du sol souterrain, vers un garage de collectionnuer creusé dans la roche. Cloporte dut subir une explication admirative en face d’une splendide Ford “entièrement remontée main” par son ermite de père, avec ajont de joncs de chrome rutilants : une Mustang Coupé. Demême dans une vie les rencontres s’effacent et se succèdent, sans apparente utilité, sauf chez les menteurs autobiographiques.
Le fil des jours offrait une table basse où se penchait une quinquagénaire et sa fille. Le garçonnet descendit en invitant Cloporte à le suive : “Maman”, dit-il. «Ma grande sœur ». La mère : « Connaissez-vous le professeur Moreau ? » Cloporte resta évasif. Ses regards s’égaraient sur les parois souterraines de ce garage, ornées de photographies, creusées de cavités obscures. Il avait entendu parler de ce charlatan, mais se garda bien d’en parler, car l’endroit était profond, et le moindre propos déplacé, la moindre réticence, pouvait lui coûter la liberté ou la vie. On murmurait en ville que le Docteur embobinait sa clientèle en faisant miroiter les appas idéologique d’une secte dévoyée se disant « socialiste ».
Ce qu’il en faisait ensuite, le bénéfice qu’il tirait de cette emprise hypnotique donnait
iieu à des hypothèses plus ou moins calomnieuses qu’il valait mieux ne pas effleurer dans de tels souterrains. Sur la table basse s’étalait une photographie découpée suivant les contours d’une femme : celle précisément sans doute qui tenait des propos louangeurs à son égard. Quand elle leva les yeux, Cloporte s’aperçut à son regard vitreux qu’elle était morte, et que son mari, le père du garçonnet, la maintenant en demi-vie par ses incantations cavernicoles. Et nul ne savait quel être par-dessus ces trois-là tirait les fils de ses marionnettes.
Cloporte se balançait sur un siège qu’il avait pris dans son dos
après avoir accepté une brioche toute chaude apportée par un pâtissier aussitôt disparu : « Êtes-vous nombreux là-dedans ? » Sa bouche pleine incitait aux ricanements. Il jeta de l’argent sur la table, car l’argent n’excitait jamais de mépris. Alors un charme se dénoua, et il repartit libre, poursuivi par des visions vagues peu soucieuses de lui nuire après tout… On était là dans les entrailles de Paris, mais pourquoi pas Toulouse, pourquoi pas Castres, ou Albi.
57 04 02
Et Fier-Cloporte sans lâcher le bras de son épouse sautait sur un toit de 4x4, rebondissait sur le capot et glissait genre comics into l’appartement dodu d’un riche proprio, direct en plein gras d’édredon. Ce que c’est de laisser sa fenêtre ouverte. Sur-le-champ surgissait un grand sévère bien sec, demandant des comptes sur son Land Rover saccagé, exigeant et obtenant nos noms car c’était nous. De là aux recherches de sommiers judiciaires, aux menaces d’intervention de Nicolas S., c’était trop. Après échanges de propos musclés, il nous gueule Get away, autrement dit Fuck off et nous ne le faisons pas répéter.
Nous nous sommes donc enfuis chez mon beau-père, mais le propriétaire nous s devancés, en compagnie de son propre sosie qu’il traite en ami. Il poursuit devant le médecin mon beau-père son cours de morale décidément inépuisable. Il fait venir un personnage censé me représenter, porte mon nom, présente un visage misérable, une taille minuscule, un embonpoint à lui recouvrir les yeux. Il l’air nettement plus con que moi, plus féroce, aussi, refuse de me parler en menaçant de me casser la gueule. Puisque c’est comme ça, je rédige une protestation par machine à écrire. Non mais. Rassure-toi me dit Julie, il n’a pas vu tes papiers d’identité, il n’en a pas le droit – d’où tient-elle cela ? Je voudrais juste que tout ce monde et les circonstances qui m’assiègent se dissipent ou s’éloignent, car mon rendez-vous chez le psy, à 14h 30, ne peut être repoussé – mais j’ignore son adresse.
Arielle – je suis décidément bien entouré – me tend son gros carnet, où figure son nom, quelque chose comme « Estrosi », mis il est déjà trop tard. Je n’irai pas. Mon entourage m'a soutenu. Je n'ai ni volé, ni commis de déprédations.
57 05 28
Il prend parfois de vastes lassitudes à rapetasser de vieilles connaissances, à devoir côtoyer sa vie entières les mêmes têtes et les mêmes relents, de Julot-Gendre, de Julia-Fille, d’Arielle-Épouse, et de l’éternel Fier-Cloporte inlassablement fier de son abaissement sans cause, toujours mieux disant de tous, toujours en incessantes vadrouilles. Nous savons que cent mille et plus d’abrutis caressent leurs sonores et creux thorax littéraires sans autre espoir que de franchir deux siècles, et que des millions d’autres n’atteindront jamais les deux jours et demi qui leur eussent amplement suffi. Très rarement s’y joignent des enfants, la nuit s’entend, de celles où l’on rêve, démêlant sans cesse les mêmes écheveaux de bois.
Parfois mais rarement aussi règnent le bonheur et l’union, dans ces hauts pavillons de bois que nous pensions hanter les campagnes du Saskatchewan. Nous aurions tous joué, souri, aimé, sur trois nivaux de balcons. Entre nous et la plage lacustre, car il y a par là-bas de grands lacs, un kilomètre de bunkers très laids auraient habité d’infects locataires de races inférieures, et il faudrait expliquer sans fin aux ignares les différences insolubles qui séparent l’auteur et ceux qui disent « je » sous sa plume. Non, les Indiens et les Arabes ne sont pas des « races » inférieures. Non, ils ne vivent pas dans des tours sans fenêtres.
Dans le rêve, si. Ce rêve. Avec des gitans. Et des nains. Dont une naine, à verticalité contrariée, que le Je rencontre sur le chemin de la plage lacustre. Fille difforme, d’un œil et d’un sein, tous deux pendant. C’est dans les rêves que de telles Vénus me font les doux yeux, et que je cède, un jour, une ou deux semaines plus tard. J’ai de jolis yeux. Le tien aussi, lui ai-je répondu. C’est en revenant des sables frais du Blue Fucking Lagoon que j’ai subi un terrible bombardement, au fond du Canada et du plus profond océan de paix. Notre ville si chère subissent un acharnement d’aviation particulièrement meurtrier ; à 3km du centre ville, nous assistons à un pilonnage : des flammes rouges immenses montent jusqu’au ciel,
Autour de moi nul ne semble affecté ; ni plus ni moins que si c’était Sodome et Gomorrhe. Nous restons là sans songer à fuir, ni la bande FM de la radio de bord ni la télévision en vitrine e, face ne nous fournissent d’information, pas de flash spécial, ni même de bande défilante. Christophe, le chien et les enfants continuent à chahuter dans le sable, à droite. Cette sagesse nous vient du ciel à tous. À ceux qui m’entourent du moins, car ma personne du moins s’exaspère à moitié, seule consciente du danger jusqu’à l’affolement. Le reste ne bouge pas. Le bombardement se rapproche, quoiqu’il n’ait pas repéré notre chair.
La maison voisine est touchée. La télé en vitrine implose et fout le feu partout. Ce n’est que le lendemain matin qu’un flic débonnaire nous informe que la voie est libre de puis longtemps et que nous pouvons repartir : ce n’était qu’un feu d’artifice « un peu vif » nous dit-il, affirmant que la télévision de la vitrine avait été abandonnée tout ouverte par étourderie, pendant l’évacuation préalable : « Vous pensez bien qu’on n’aurait pas tiré sur une habitation occupée » - à trente mètres près ils nous éliminaient sans remords. « Tenez » (d’un coup autoritaire) « changez » donc les petits pneus blancs de ce petit tricycle » – tout lacérés, tout irrécupérables » - c’est donc à nous de mourir sous les bombes, devant l’inconscience des forces de l’ordre, censés nous protéger.
Là-bas, sous les tirs de mortier d’artifice, l’abbé Tchîva est mort ; alors on l’enterre… Même son église est en effondrement imminent, je connaissais bien celui grâce à qui ma fille a fait sa communion privée, je le pleure dans l’assistance, commettant un impair irréparable : je m’écarte d’un ancien ami nord-africain musulman, préférant m’endeuiller avec un autre, catholique… Vous savez, l’émotion… En compagnie de ce coreligionnaire, j’associe ma peine à celle du décès de l’abbé Pierre (22 janvier 2007)
57 06 14
La vie des rêves est très mouvementée. On y meurt peu, on s’y agite tant et plus. On y voyage, même en Aveyron (souvenez-vous de l’Alcazar de Rodez). Mais notre maison de là-bas s’est fait défoncer le plancher, souvenez-vous combien elle était bombardée ! Le toit s’est affaissé, mais l’intérieur en est tellement plus ensoleillé ! Et mes parents sont là ressuscités, j’espère qu’ils seront moins grognons que dans leur vraie vie, et préparent un repas dans le provisoire. Et pour me venger, je les aide : une pleine cocotte de bouillon, une pleine cocotte de poulet, avec légume, et sans le faire exprès, je trébuche et tout se casse la gueule, moi compris.
Que restera-t-il donc à manger, ouh là là font mes parents, ouh là là. Puis, chose immatérielle, chose inespérée ! Ils trouvent cela drôle, renforçant leur bonne humeur ! « Cette maison, me dit mon père, nous l’avions achetée en cachette, pour toi, pour ta fille Joulya, qui s’empressera de tout remettre à neuf, le toit, le plancher » - connaissant la situation financière de Joulya, ce serait bien surprenant, je suce les derniers os intact et me lance dans l’exploration de cette accueillante mesure. Ma mère apaise mon enthousiasme joué en suggérant que ma fille refusera peut-être d’emménager en ces lieux – allons, la belle-mère de ma femme retrouve ses jérémiades, c’est bien elle en effet.
Quant au bâtiment : mes parents avaient acquis cette maison dans l’idée que Youlia puisse en profiter plus tard. Nous ignorons ce qu’il en sera. Plus vraisemblablement elle sera vendue, soit pour payer les soins aux deux vieux rapaces, Arielle et moi, soit pour satisfaire aux besoins présents des deux enfants adultes, Stophe et Joulya. Le Rêve ne tient pas compte de cette ambivalence. Le Rêve est ambivalence et ne tolère pas la concurrence. À l’intérieur d’icelui, notre personne fouille et fouine en tous sens, imaginant la façon dont sa fille aménagera telle imperfection, saura tirer parti de tel aménagement ou non.
La tâche est rude et les genoux sont raides. Mes parents sont toujours là. Ils ne m’auront jamais quitté, Ils me susurrent de leurs voix lorraines que jamais Joulya ne viendra s’installer en des lieux si salauds. Ils ont toujours su trouver les mots exacts pour m’encourager. L’essentiel est de bien rabattre l’enthousiasme : Dans la vie, on ne fait pas ce qu’on veut (ma mère). Surtout, ne fais pas comme moi (mon père). Adoncques, nul ne sait ce qu’il adviendra de cette bâtisse fragile. Eh bien on en ressort. Puisque c’est comme ça. Et nos apercevons des fortifications romaines, du moins leurs vestiges, et l’’amphithéâtre qui s’adossait aux murailles, en contradiction formelle avec tous les principes architecturaux : c’est ainsi que fut prise la ville de Trèves, alors que le peuple regardait les jeux du cirque à la télévision.
Voici les premiers touristes, avec leurs Certificats de Recueillement. Transistoren streng verboten. Ce lieu porte un nom double, en hommage à la réconciliation Gallo-Romaine : Pont-de-Rhodes ? (1) « Roda » tout court ? … tout s’oublie…
(1) Fraycinet, Lot.
570704
Qui aurit dit que Fier-Cloporte, un jour de Fête Nationale («Fetnat ») se serait égaré jusqu’à chanter des cantilations de sourates sur les paroles de ses propres citations ? Outrecuidance et sacrilège ! Un Quatorze Juillet ! Le 2 de Chaabane ! Ignorant l’arabe classique, je force sur les gutturales, avec modulations acrobatiques d’une sourate à l’autre. Ces citations portent un numéro : lequel devrait augmenter sans cesse. Or, non. Trois fois de suite le même n’est pas rare. Mais comme des badauds s’attardent et jettent une oreille, je sens que là était ma vocation, quel grand dommage alors de m’être rompu à tout autre chose…
En vérité je me regargarise de ma voix. Le son, la syllabe, importent seuls. Quant au message même du Coran, très peu m’en chaut. Mais quel dommage d’être un génie. Plus je m’en persuade, plus les regards qui m’entourent deviennent dédaigneux. Le groupe
m’entraîne dans cet autocar qui nous convoie vers Dieu sait quelle gare, car la loi universelle est le motif obligatoire de l’autre vie. Dieu sans doute aussi nous coince dans un embouteillage comme une bite dans un trou de balle poétiquement parlant, pour cause de travaux, d’où déviation voir plus haut. Rien d’étonnant Place Pey-Berlant, très loin de St-Jean pour les connaisseurs de Bordeaux : l’angle avec la rue des Remparts présente un immeuble quasi démoli qui sera remplacé par une horreur contemporaine. Je hurle par la vitre ouverte assassins ! Achitectes de mes couilles ! (« salauds », etc.) - et toujours ce sommeil quand j’écris – Amiel ! Amiel !
570711
Nous, c’est moi.
Moi, c’est nous.
Je ne me déplace jamais sans une escorte de spectres morts ou vifs, battant des mains ici sans bruit au bas d’une pente raide sous le sable et les touffes piquantes. Nous y montons en file invisible, de l’abri d’en bas au bâtiment d’en haut, plus étendu, plus élaboré parmi tous ces bouts de roches qui l’entourent comme autant de pierres de Carnac. La pente sablonneuse vient buter contre une porte en fer : entre pierre et métal j’aperçois tout en fente un intérieur soigné, bien ordonné d’un gond à l’autre, et je crie à mon escorte (mes parents jeunes, enthousiastes comme à 20 ans) : « C’est abandonné depuis 60 ! » Quand j’entends ça je me paye une pêche improbable je bouillonne de projets. Je croise une Allemande francophone avec ses deux enfants non moins francophones. C’est ainsi que les uns montent et que d’autres descendent. « Toi aussi », dit-elle à son garçon, « tu penses que l’hystérie est constitutive du tempérament des filles ? » Le garçon, blond et suffisant, acquiesce. « « Eh bien ta sœur n'est pas d'accord du tout, bien qu'elle soit turbulente. » Et ils discutant des mérites d'un certain psychiatre allemand dont je m'étonne qu'un si jeune garçon puisse connaître l'œuvre.
Quant à moi, du talon, j'efface les marches de sable en glissant, me souciant peu des difficultés que cela engendrera pour remonter - cette maison s'appellera de l'ancien nom du lieu-dit où elle fut bâtie.
57 08 22
Brioude est une sous-préfecture extraordinaire. On y rencontre les spectres des empereurs, la pompe des vieux évêques et les tombeaux perdus. La promenade fut habituelle, accompagnée d’un clochard marmonnant sur mes pas visiblement intéressé par un engagement de conversation débouchant sur une demande de pognon. Triste absence de vestiges à St-Julien, préparation du cours de première, à table au bistrot Portail Sud avec l’assistance de sixièmes, enfants prodiges. Ils me considèrent avec cette condescendance particulières des enfants. Un amusement apitoyé.
Lorsque l’un d’eux me demande si je ne m’appellerais pas « Collignon », par hasard, je frémis de contrariété. Ce nom honni, si souvent travesti en sobriquet, me communique la sensation d’un courant d’air en pleine braguette ouverte. Sans répondre, je rétorque « Elle ne s’appellerait pas Brioude, par hasard, cette ville ? ...parce que c’est d’un con, ce nom » - cette pique est un aveu. Silence gêné. L’effectif à présent atteint le nombre d’une classe, à qui je projette un cours sur écran, ligne à ligne – mais malgré le silence, je sens bien que personne ne lit ni même s’intéresse tant soit peu à ce beau texte indispensable.
Puis je range mon matériel d’itinérant, aussitôt oublié que passé, l’hôtel est en face, la chambre au pied de l’escalier. « Celle des ivrognes » dit l’employé d’accueil : « pas besoin de monter les marches ». Il ajoute qu’il n’est là que depuis quinze jours, qu’il n’a jamais exercé ce métier, me tend une fiche aussi périmée qu’inutile (15 septembre 1974 – 2021 n.s.) - que je remplis tout de même sur papier glacé. Les toilettes pour ivrogne, juste à côté de ma porte, sont à la lettre repoussantes : il n’y a pas que l’employé qui soit débordé. « Pourrais-je chier derrière cette porte coulissante signalée « Toilettes », juste dans la salle du restaurant ?
- Vous n’y pensez pas, monsieur, ces jeunes gens viennent juste de s’attabler » - « Pitié ! crie l’un d’eux dans ma direction. Pas ça ! » - vers les autres : « Vous ne vous rendez pas compte ? C’est insupportable ! »
Cela m’apprendra, parvenu à Brioude, à éviter la nuit chez la belle-mère, à trois rues… Or, pour chier, rien de plus facile : solliciter les toilettes 21 rue de l’Assassin, exactement chez ma belle-mère, et son concubin M. T., qui ne veut pas porter son nom, que sa fille pourtant porte avec fierté, comme si son père était son mari. Mon beau-père est le mari de sa fille. Voilà pourquoi, aux chiottes, je change sans cesse d’identité, avec un prénom d’homme, une date de naissance précise et ma date de mort. Je ne peux pas me décharger avant. Après l’accomplissement de mon devoir, mes beaux parents m’accordent une chambre en mansarde, dont le plafond écaillé menace de s’effondrer. Le lit boite. Ne bouger sous aucun prétexte. Psychiatres, à vos cornues.
57 09 01
Il était une fois une réunion de cellule, au Parti Communiste. Plus précisément, une session extraordinaire de Radio Vexin Val-de-Seine, pour décider ou non de l’expulsion d’un membre dissident. La plupart des assistants soutenaient le dissident, en premier lieu Fier-Cloporte, qui devant l’entrée exhortait les rebelles à tous donner de la voix. À l’intérieur les délégués prirent place dans le brouhaha, au sein d’une ambiance « électrique » où « la tension était palpable ». Jusqu’ici, rien de plus commun. Ou communiste, souffle-t-on. Atmosphère houleuse. Un joyeux renfort de vieillards, vestiges staliniens, laissa présager un retour de bâton bien huilé à la sauce magouille : nos instances régulatrices ne se laissaient pas oublier.
Marcel More, fils de fermier, ami d’enfance, prit place à côté d’eux, bien qu’il leur eût cédé d’une bonne vingtaine d’années. Nous nous sommes reconnus tout de suite, mais il demeura grave, et mon salut, plus que rêche, tant qu’il n’aurait pas nettement pris parti. Jadis lui et moi tenions un cabaret « Au K barré », dont nous gravions tous les poteaux à cent mètres à la ronde. Belle époque de beuveries. Révolue. Tous boivent aujourd’hui devant moi, mais l’ambiance n’est plus de rien. Nous nous dirigeons tous, verres branlants, vers un buffet de l’autre pièce. Nous nous empiffrerons jusqu’à plus faim. La bouche pleine entonner « L’Internationale » , n’est-ce pas pure profanation ? autant brailler des choses obscènes, ce que je fais sous les œillades inquiètes.
Un commissaire alors interrompt tout mon groupe et me somme de chanter seul : « Camarade, quelles sont les véritables paroles de l’Internationale ? - Je suis trop patriote pour chanter l’Internationale. Pas fasciste, patriote ». Il me lâche du regard et se détourne ; les temps ont bien changé. Le vote n’est pas acquis aux conservateurs, vu le nombre d’éléments extérieurs introduits. Je n’ai revu dans mon sommeil aucun participant d’aucune tendance que ce soit.
57 10 07
Thiébaut n’aurait jamais dû mourir. C’était un grand blanc de poil, ancien militaire, aux accents gouailleurs. Tcherkossian, lui, ne meurt pas. C’est mon ami depuis 57 ans, bien que je ne le revoie pas. Les deux ne se connaissent pas. Les voici pourtant devant moi réunis, attendant que je parte pour parler entre gens sérieux. Mais je n’ai pas reculé : « Rien ne m’est plus étranger que la logique » ai-je dit. « Les mathématiques sont bien la seule science où la somme de deux carrés soit inférieure à un seul de ces carrés ». Or il n’existe pas de carrés négatifs. Ils me fixent consternés. « Il en est ainsi de toutes les sciences dites exactes ».
Fort de ces élucubrations, je m’apprête à pourfendre toute rationalité, bientôt toute morale. Blaise Pascal et d’autres ont signalé que les certitudes géométriques heurtent de plein fouet, souvent, les évidences du sens commun. Ce qui mène aux pires âneries, comme l’impossibilité, défendue par des Lucrèce, Pline et saint Augustin, qui n’étaient pas des imbéciles, d’habiter aux antipodes sans tomber…. Si j’avais été célèbre, tout m’aurait été permis, admirable, puisqu’il faut suivre sa voie sans dévier. Réalité, vérité – quelle idée ! Voici une réunion syndicale : que viendraient faire ici l’état dépressif ? Arielle et moi devrions nous trouver en asile psychiatrique. Je le dis à haute voix. Tous nos voisins sur leurs chaises l’entendent.
Celui de devant se renverse en arrière pour m’insulter, moi et moi seul : « Vous êtes un salaud. Ne mêlez pas Votre Femme à cela ». Et avant que j’aie pu répondre, le Président de l’Assemblée révèle qu’il n’y aura rien à manger, tout à l’heure, à la pause. Il évoque des mesquinerie administratives, qui soulève des obstacles « sitôt qu’on racle une feuille de chou ». et compte les centimes ; pour cette raison le buffet d’ouverture ne sera pas renouvelé. C’est ma faute. C’est ma très grande faute. Je m’y suis servi comme un goinfre. Il n’y aura ni pause ni second buffet ni réunion du tout, qui tourne court, et s’achève sur une absurde distribution de compte-rendu, soigneusement rédigée à l’avance.
Allons, nous ne sommes ni fous ni coupables, mais bien ces manipulateurs du peuple. Ce Président imposé ne fait que lire ou réciter ce qu’on lui a dicté plus haut. Rien ne lui a été confié, pas la moindre responsabilité. J’aurais dû, nous aurions dû manger davantage, tiens, tout bouffer. L’assemblée nous compris prend la porte et se perd dans la rue populeuse sinon populaire. Arielle et moi marchons plus vite que les autres, slalomant pour ne pas heurter : faire la gueule et foncer, se rabattre ensemble sur un couple de vieux cons et nous rentrer dedans pour fuir, car cette foule a repéré notre manège.
Il faudra bien atteindre en tout cas cette ligne de tram et je saute dans le premier venu Arielle ! Arielle ! je l’ai lâchée je redescends par grand virage mais comme elle s’est éloignée à présent. Sous mon culs se succèdent les véhicules et se contredisent, comment prendre un créneau rue de l’Ange Ostonne, toujours bien parallèle au trottoir, mais un peu plus, mais un peu moins, Marche avant arrière et coups d’œils prélables mais rien pour vous, Humanité. Ne me regardent pas les chevaux de très petite taille, ttipiak aux étriers raclant le sol vus par les hautes grilles du Parc, entre eux et moi défilent ces résidents pressés qui ne regardent pas non plus cet obstiné du parquage harmonieux, qui tourne et retourne son volant comme un obsédé.
Les passants accélèrent. Les uns dans le sens des chevaux, les autres en sens inverse. De part et d’autre des hautes piques chevaux et humains se réjouissent des grandes dimensions du parc. Les chevaux libres transmettent la nouvelle d’un poulain juste né, d’une espèce à l’autre sans interprète. Mais ce poulain présente un faciès léonin. Déja la crête et la férocité naissantes. Mordra la mère ou la main qui l’a nourri. La jument lèche et l’enduit de protection juvénile, au point de m’induire en erreur, sur le sexe, le poids, l’espèce elle-même. Lorsque mon véhicule enfin dépasse le point d’échange entre les hommes et l’animal, et qu’après mes détours j’ai rejoint mon précieux chez-moi, c’est pour voir mon seuil familier barré par des travaux de voierie : trou dans la chaussée, engins disproportionnés et jaune vif rivalisant de vacarme, « Fuite de gaz ».
Ils rebouchent. Je débouche de ma voiture, enfin décidé à l’action. Laquelle ? Entre mes mains, du carton ramolli, garnie de victuailles dégoulinantes, qui retombent dans la tranchée du Gaz de France. Il s’échappe aussi de ma bouche une fulgurance de jurons polyglotte, allant de l’espagnol à l’arabe sans excepter le tagalog. Faut-il que j’aie faim pour descendre récupérer ces morceaux à peiue comestibles, tandis que des ouvriers – faut-il aussi qu’ils soient mal payés – récupèrent en fouillant jusque sous la buse d’abondants débris de viande terreuse. Ils me les rapportent, je les leur abandonne, et ils s’en tartinent la bouche et le menton.
Quelle voracité chez le peuple. Je songe à peine à remercier cette tourbe humaine, en raison de mon fascisme foncier. Je m’essuie les mains et la gueule sur leurs vêtements de travail, et gagne enfin les étages où nous habitions naguère, où nous somme venus reloger. Nous nous querellions jadis sur des questions de préséance, mais à plus de soixante ans, courage, nous nous engueulons encore. La femme, être faible par excellence, ne se gêne jamais pour jeter à la tête de l’homme les bols alimentaires et tout ce qu’elle trouve à portée de griffe. Le mari tente de pleurer, mais un homme ne pleure pas, l’attendrissement femelle fait long feu.
L’homme renfonce la femme en la dénigrant sans cesse, ce couple de la rue de l’Ange ne manque pas à la coutume, c’est névrose contre névrose. Les calmants sont en vente libre, à l’ordonnance près. Que serait-ce autrement ? L’inconscient est un permafrost, son dégel envoie du méthane. Nous sommes pétris de haines. Nul ne peut résister à tant de corrosion. Nous ne voulons plus souffrir, car le temps de la guérison excède la durée de nos vies. Tant pis pour la gloire, qui se paye par la démence. Pour l’action, qui se paye par l’échec et la négation. Car personne ne voudra ne fût-ce qu’envisager un seul instant que vous ayez pu créer quoi que ce soit.
Garder sa médiocrité accable assez nos forces, à quoi bon la laisser dévaster notre solitude crânienne. Et vive la Sertraline.
571025
Bien distinguer les textes où le moi transparaît, avec ses inavouables complaisances, et ceux que nous sommes parvenus à épurer de toute vanité personnelle, pour bien montrer que nous ne sommes pas dupes. Un jour Dieu nous fit passer un test d’aptitude. Orthographe, rédaction à l’ancienne. La salle était comble, les candidats confiants. Ils se beurraient des turlutes en entrant. La chose fortifie, autant que s’enculer ouvre l’esprit. Mais lorsque je relis ma dictée, comme le recommandent les pédagogues et animateurs, j’aperçois de grossières bourdes. Le texte est même constellé d’expressions et de jurons en langue norroise.
La fée Man en Mobylette venue tout droit de Bergen et Trondheim. Au-delà de cette limite, la neige n’est plus valable et vous vous perdrez sur vos raquettes comme le dernier des touristes. Verhack, flamand, sollicitait hier encore les caresses et embrassades chez ses voisins de tables ; j’en étais estomaqué, car il se voyait encore tout petit, « on n’est pas pédé avant 16 ans », je répondis « si », brièvement, vers lui seul en biais, au début d’une phrase à la cantonade. Il était à présent à côté de moi, relisant son test orthographique. Il n’y trouvait pas la moindre faute. Daknenberger, lui, tirait du Danois. Il avait mis le feu à l’armoire du fond, il écrivait neuk je, faen deg, fan dig, ”je t’emmerde” en toutes langues, Il risquait fort de redoubler. Je ne risquais plus rien. Candidat ”pour voir”, incognito, en blouse et falzar de velours côtelé. C’était moi qui corrigeais, à part, loin des regards, sans que perdonne s’en doutât. La serveuse du snack m’avait aperçu, s’était mise à rire, et je lui avais cloué le bec : ”J’ai l’air con !
- Mais non mais non, pas du tout.” Et j’engloutissais mon sandwich au thon trop sec. Mes observations en marges témoignent d’un sel amer. Pas un candidat ne lira ces sottises. Pourquoi les imaginer dans le stress pour avoir lu ”parfait crétin – peut mleux faire”. La ramasseuse de copies m’affirme mes droits ; j’ai le droit de perdre mon temps. Ce n’est pas une infraction. ”je fouille” me dit-elle, tirant des piles alignées des anti-sèches , inutiles : ce serait bien le diable de découvrir des mots préciséments inclus dans le texte. Un annuaire entier de couleur jaune issu de la Préfecture de la Loire ne saurait justifier une intediction pour fraue, à moins d’être constellé de notes marginales.
C’est une collègue très blonde, grasse du menton où pourtant se massacrent des peuples entiers de bactéries. Sa fille (on se dit tout) a subi les avances d’une autre femme plus âgée. Chère secrétaire, où est l’outrage, entre femmes ? ”Ah oui mais quand même…” - il faut bien que banalité se passe. Pourtant ma blonde en a les larmes aux yeux, et je pleure de la voir pleurer. Jamais je ne serai deux femmes à la fois se donnant du plaisir, et cette impossibilité physique me fait verser des pleurs de dépit ridicules.
Chez moi en fin de matinée m’attend la purée conjugale, religieusement expédiée dans la dinde, alors qu’il est rigoureusement interdit de s’absenter, comme ça, en pleine correction du bac. Me revoici chez moi. Allée des Tulipes. Les cités regorgent d’Allées des Tulipes. Ma femme a préparé de la purée, car c’est moi qui l’injecte, mais c’est elle qui la prépare. Il faut d’abord l’ingérer lentement, religieusement, afin qu’elle recuise profondément dans la cornue de ma panse. Pendant ce temps mes copies pourrissent au centre du pupitre. Une collègue furibarde m’en rapporte une brassée, puant des bras devant la fenêtre entrouverte. ”C’est vrai” qu’elle gueule, ”il faut lui tirer la bouffe de sous les narines, on est toutes débordées de boulot, et ce gros feignard vient bâfrer sa bouffaille au lieu de bosser.
- C’est ça tes collègues ? mon pauvre cochonou… Ma chère, je suis bouffée, comme vous dites, par le Cancer, avec un C majuscule. C’est moi qui dois le bourrer de purée pour mon usage personnel”. La purée me bourre la bouche et j’en mâche encore pour tourner le coin de la porte et saisir au passage les épreuves écrites et froissées. Que de haine universelle, et quel dégoût de soi. Ces Messieurs-Dames reprend le titre de Pietro Germi pour nous montrer de ces vieux qui se travestissent sans le moins du monde s’offrir aux hommes, mensonge dans le vrai mensonge.
571118
Les aventures de Fier-Cloporte ne se bornent pas là. Il possède en ville un magasin où il rapporte ses emplettes, dans un panier de ménagère, en les cachant au regard des passants curieux. C’est une étrange idée, car nul ne penserait à lorgner son contenu. À peine a-t-il franchi la porte à carillon que des individus armés, jeunes, sympathiques, font irruption sur ses talons. Il s’échappe vivement par la porte d’accès aux caves, qu’il referme à clé précipitamment, mais les Durs de la Casse (ça ne s’invente pas) tambourinent à coups de crosses et de tatanes , et ma foi, il leur ouvre. Les vrais mecs qe ruent comme des crève-la-faim sur le panier qu’ils engloutissent, du moins le contenu : bière, légumes tout crus ça rend impuissant dit l’un la bouche pleine mais non, c’est la bière, dit l’autre qui boit cul sec. Et qunad ils ont bien tout bu et tout mangé, ils entraîent Cloporte (qui a eu sa part) dans l’enfilade de greniers ou de combles qu’ils connaissent aussi bien que lui. Très vite Fier-Cloporte assiste à un spectacle présentant toutes les apparences d’une improvisation, mêlant théâtre et représentations gymniques à l’aide de cheval-d’arçons, de barres de danse ou dissymétriques installés là par d’anciens occupants.
Et c’est en plein déchaînement qu’une porte intérieure, au fond du troisième grenier, vole en éclat sous les coups de la grand-mère qu’on avait reléguée là-haut, avec permission de s’exercer pourvu qu’elle ne descende pas faire chier le monde : Quand ils redégringolent par l’escalier, Fier-Cloporte redescend lentement, assourdi, sans avoir été ligoté, ni molesté. Le scandale est d’importance pour la grand-mère désincarcérée de frais, trouvant une serviette dans la chasse d’eau,mais qui s’extasie devant un bison mécanique pourvu de sa fourrure.
Le tableau final représente deux jumelles de vingt ans qui se tourbillonnent dans les décors , en ruines, d’un théâtre.
57 12 06
Cher mari, cher ami
Pourrais-tu me rédiger une sollicitation de vente ? Tu t’adresses à Mme Le Nain, , de l’agence du même nom, pour l’amener à liquider au plus vite (tel et tel) héritage immobilier que mon père en mourant m’a priée d’effectuer.
Mme Le Nain est une naine, comme tu pourras t’en assurer en la voyant toi-même. Ses bras démesurés couvrent tout le bureau, et quand elle se déplie, ses jambes la propulsent en hauteur. Ce n’est plus une naine, mais c’est l’Araignée, des Assurances L’Araignée. Tout en nain. Son rouge à lèvres Fleur de Mygale est divin. Tu seras subjugué et feras tout ce que j’ordonne, il suffira que tu parafes le blanc-seing. Cet héritage n’appartient qu’à moi, et ma bonté d’âme suggère que tu pourrais jouir d’un simulacre au plus haut point gratifiant.
Chère épouse,
Ayant comparu devant L’Araignée aux lèvres mygaliques, et en dépit du concours persuasif d’un gros poussah aux rondeurs de Lonsdale, mais russe, je suis entré dans une colère troide. Pour cela j’ai changé de siège, me positionnant de manière à l’isoler sur ma gauche, comme s’il n’était plus habilité à parler en mon nom. C’est trop fort. Pour quel con me prend-on.
Je ne reverrai plus ni l’une ni l’autre, et renonce à l’honneur de co-signer tes actes de vente.
Cher mari,
Lorsque nous dînerons ensemble au petit salon, je te quitterai au dessert sans claquer la porte, en marmonnant des explications spécieuses. Tu ne me copmprendras pas quand je m’enfoncerai dans la suite des pièces où nous habitions l’autre mois encore. Ludion, guignol ou bouffon, qu’importe, si tu refuses d’incarner ton rôle, si tu menaces de brader ce qui ne t’appartient d’aucune façon, ne t’avise pas non plus de négocier la tombe de Marie-Hermance ma grand-mère : les biens funèbres sont inaliénables, et tu risques un beau cours de morale . En effet nos ancêtres, en fondant ce tombeau, entendaient bien y demeurer jusqu’au Jugement, et nul ne peut ainsi braver la volonté de nos aïeux.
L’autre jour, mon médecin psychiatre me demandait pourquoi je te haïssais à ce point. Tout ce qui précède en proposerait une très plausible réponse.
571211
Je me suis présenté à une consultation médicale rue T. Le Docteur a reçu pmes doléances, où je me plaignais à tous de l’infâme conduite de ma femme, ce qui témoigne d’une grande puérilité. Non moins malade, le docteur tripotais mon minuscule appareil génital, ce qui m’excitait beaucoup moins que lui autant dire pas du tout. Il affiche cependant son extrême détachement, et moi le mien. Il mesure mes centimètres en tirant sur la peau et m’annonce ”douze centimètres” ”un de moins” répliqué-je. Il ne comprend pas. Katy qui m’accompagnait sans rien dire s’éclipse. Quelle exhibition ! Dans le couloir elle se met à babiller sans pouvoir s’arrêter. De la pisse verbale
Le parking où me raccompagne le Docteur D. de la rue T. comporte sur un côté un supermarché accessible à la clientèle. Et durant le trajet cabinet-parking, ma personne n’a cessé de méditer au peu de plaisir qu’elle pourrait donner aux femmes. Enlarge your penis promettait l’annonce. Quelle erreur ! quel préjugé stupide ! Katy Bent Jaoua ne m’écoute pas penser. Son discours ininterrompu me bassine d’un certain H., qu’elle a connu, dont je me fous autant qu’elle de moi, un de ses collègues : ”Il vit avec sa mère. Il l’ennuie, sa mère ! Elle ne se plaint pas, mais je la plains” – et soudain c’est un flot de larmes qui me remonte : je m’étreins à un réverbère municipal en tremblant, les larmes m’inonde et mes tremblement s’accentuent.
Je répète : ”Excuse-moi… Excuse-moi…” Mes larmes mêmes sont une culpabilité
571221
Ils nous arrive tant de choses au creux du lit que pourrions aussi bien dire que nos nuits, bien loin d’être perdues, valent toute une vie. Ce jour-là de la nuit j’assiste à une vente de guitares. Activité sans justification dans mon autre vie. Non plus que l’exhibition génitale infligée au vendeur sans que ce cernier s’en offusque ; mon ancien disciple ne cherche à suivre que son programme, juste revendre sa guitare, au bon prix. Ce petit Noir qui passe dans mon dos acceptera peut-être la revue que je lui tends, vivement rebraguetté le temps de me tourner vers lui mais il refuse de la tête, et son jumeau qui le suit s’approprie « Citoyen Junior ».
Nous parvenons à un repas « Napoléon ». Il semble que cet homme n’ait estimé le jeunes garçons que sous l’aspect de futurs soldats. Aussi les cours se dispensaient en latin, sous l’uniforme et les roulements de tambours. Ce rendez-vous a-t-il lieu dans notre époque ? La disposition du quartier n’a-t-elle pas été bouleversée depuis ce temps ? Cette vénérable bâtisse que nous cherchons sur de vagues indices a-t-elle subsisté ? D’autres enfants formant foule se sont déjà rassemblés avant nous. Ma femme est dans mon dos, avec une de ses amies, professeur des écoles, aigre et percluse de masturbation. Toutes deux jettent sur ces jeunes enfants des deux sexes un regard de louves suspicieuses.
D’impalpables phéromones laissent à penser qu’elles ne sont là que pour traquer la moindre impulsion pédophile, chez moi, ou chez quelque homme adulte qui puisse éventuellement me rejoindre. Mais quand je vois se pencher soudain sur ma gauche la mûre institutrice relevant une petite fille et la couvrant de baisers, je te croyais méchante mais tu es une gentille petite fille, mes soupçons s’évanouissent malgré les cris de la gamine et les huées de l’assistance : une femme en effet ne saurait agir ainsi qu’en vertu d’une irrésistible et bien naturelle propension aux tendresses maternelles. Pour achever de dissiper tout relent nauséeux, nous amorçons une retraite vers un stand médicinal où sont proposés aux chalands d’âge adulte certaines substances sédatives à base de brome.
Nous prenons le large en feignant le fou rire, promettant de revenir et d’en prendre (elle nous demandait si nous désirions « des médicaments » je t’en foutrais des médicaments, Tartufesse. Un café pour faire passer. Bien séparé d’ici. Où des jeunes sèment partout des pétards à retardement. C’est rigolo. Ça m’indiffère, pas un sursaut. Ma parole il est sourd. Trop plaisir si je sursaute. Ça leur ferait. À d’autres. Et ça passe. D’ici, vue sur la terrasse. Là-bas c’est tout le contraire. Des pontes, des vrais, sérieux, sans pétards ni sursauts. Impossible de se dégager de son siège sans déclencher un redoutable solo de ferraille, je me laisse glisser avec douceur, en short et braguette ouverte, et parviens comme un chien tout courbé qui furète Il s’agit du Conseiller Général. Monsieur le conseiller départemental. Qui parle allemand. Bizarre, à Meulan.
J’aime à balbutier l’allemand, à choper des bouts de phrase qui me donnent l’air attentif, du chien qui se demande par où le maître lancera sa baguette. Monsieur le Conseiller parle un Deutsch digne de l’Akademie für Sprache. Refus du Viagra. Refus du germain viril. Face au soleil et au volant, la pente abrupte du quartier Paradis, refuge, pente bandant à la verticale et chute dans l’inévitable puits, à engloutir voiliers et baleines. Je scrute alors sous moi, où gît bien plus profond une autre voiture. Mon véhicule est à fond d’élan, je pousse vers le haut de tout mon corps, car, si je retombe, mon prédécesseur malchanceux finira broyé sous mon poids.
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580216
Qu’est-ce que je fous là. Pour quelle punition, ou mortification, suis-je assis sur le sol battu d’une pièce, au centre d’une maison vide ? Mes yeux se posent sur une planche pourvue de courroies : le skate-board, en plus grossier, en non aménagé. Mes pieds sont nus. Et alors, je me mets à planer, un quart de mètre au-dessus du sol. Et tant que ma volonté me tiens, je demeure ainsi, survolant légèrement le sol ? Il sera difficile de sortir du rêve. Une pensée à droite, je vais à droite. Une pensée à gauche… Pour l’altitude, il est conseillé d’attendre, de ne penser à rien, de considérer que l’on doit supprimer au contraire toute impulsion.
Mais je ne céderai pas aux morosités. Je me courberai sous la porte et parviendrai à l’extérieur, à plus de quatre mètres. Sans peur. Sans vertige, étrangement stable. D’abord s’exercer, dans la pièce, puis passer par la porte ouverte. C’est fait. Comment je m’y suis pris pour regagner le sol n’est pas dans l’histoire. Mais certains témoins pourraient confirmer que je suis redescendu, dont un médecin, qui après examen approfondu des planches porteuses, n’y découvre aucun propriété surnaturelle. Pourtant j’ai plané. Cent mètres au-dessus de tous. Avec ma banderole publicitaire. Pour un escroc, peut-être, et sa femme, peut-être aussi, mais moi, moi, je n’ai rien fait, pas fraudeur chef, pas fraudeur.
En revanche, une simplette à la Théorème vient d’être arrêtée. Tout ce qu’elle a trouvé pour se rendre utile, et indispensable, c’est de donner tout un assortiment de ses vieux vêtements, laids, fripés, puants, à la fondation Rince-Linge – rendez-vous compte, une association caritative pour le plus grand bien des crétins légers : elle se fait rabrouer, id est engueuler, pour son manque de discernement social. Ma parole, c’est elle, qui devrait bénéficier d’une association pour elle seule. Donc, Je, serais le seul à pouvoir planer comme un aigle avec mes couilles en gouvernail.
58 02 19
Vous savez, j’ai longtemps habité Paris. Au moins six semaines. C’est très particulier. On voyage en métro, on devient prétentieux, mais très aimable. Un jour comme ça, dans la capitale, j’observe une très étrange station de métro : ce n’est qu’une bouche au ras du sol, un escalier descendant à même le trottoir, que l’on découvre en trébuchant : qui se soucie encore des peintures à la craie sur l’asphalte ? Franchement… Et descendant ledit escalier marche à marche, tout en largeur, parvenant ainsi aux quais invisibles en raison de l’angle, je tombe sur un petit garçon arabe et bouclé, qui pédale avec ardeur.
Je parie qu’il s’appelle Samir, « compagnon de bavardage nocturne ». Et justement, sous les voûtes, une voix parentale rappelle mon drôle vers des régions moins périlleuses : Samir ! Il n’est pas mon fils, je suis lorrain. : par quelle coïncidence ai-je pu deviner si juste ? Disparu, Samir. Ce quai de métro remonte en surface, par plan incliné : mais qu’est-ce que j’ai bu ? Le trottoir est revenu ! Et ce vaste restaurant qui le longe en façade, une immense terrasse étroite, vide, sans chaises et sans guéridons ! L’établissement reste fermé. D’autres enfants sautent du premier sur le trottoir infini… pourquoi perdre patience lorsqu’ils jouent à singer les vieux, en imitant les jargon creux des technocrates. Un bon buraliste ouvre une discussion statutaire où parents et enfants s’embrouillent, dans l’abstraction soigneusement filtrée de toute humanité féconde ou spirituelle. À ce stade il est bon de laisser là ce four électrique en secouant au sol ces accumulations.
Mes élastiques sont défaits. Arielle partout m’accompagne et sèche sur ma joue les larmes d’ennui que je vois dans ses yeux. D’autres parleurs ou les mêmes jargonnent sur tout dans des bâtiments bas ouverts à tous vents dont je décline les invitations venez voir nos projections murales à d’autres, camarades, ce sont des charmes sans saveur depuis trop longtemps. Les trains que je prends sont les derniers seuls refuges où règne non pas la stricte avarice mais le pur choix, coûteux ou non, n’en déplaise aux criticaillous qui tiennent absolument à juger, comme une huître à son rocher. La vie est ma salle d’attente, parmi les Germains qui bombancent autour d’une noce, avec les femmes exhibant leurs jambes et que les hommes sautent sur place en groupes, es herscht die Blechmusik, entre cuivre et grosse caisse.
Une salle d’attente comblée de gestes rituels, sous les yeux d’une populace en manque. Et dès qu’un ado spectateur s’est mis à poil je fais semblant de m’en scandaliser mais mon voisin (17 ans) rigole ; d’autres enfants plus jeunes (six ans de moins garçons et filles) nous entraînent en farandole, s’adressent à moi en Gaunersprache – argot des pègres – et forment cercle autour de la banquette où je me suis jeté, d’épuisement. Ils me secouent des boîtes sous les yeux Il y a de l’argent dedans ? - Oui ! notre argent de poche ! Taschengeld ! Un homme jeune encore et fourbu de ronde se trouve au niveau exact de la confiance réciproque des enfants.
Surtout juifs comme moi. « T’as l’air d’un flic ! » - mais ils m’offrent des livres pour enfants, que le Seigneur ait pitié de nous tous -
58 05 22
Je suis le seul homme allongé parmi ces candidates en attente d’un examinateur d’oral. À l’écrit j’ai produit un poème, pour en expliquer un autre. C’était risqué. À coup sûr j’aurais dû commenter. En vrai. Comme prévu dans le règlement. Derrière moi se trouve crâne à crâne sur la civière la fille même de l’examinateur me laissant entendre qu’en effet il aurait mieux valu taisez-vous le voilà qui lit à haute voix le nom des élues suivantes, sur tel auteur. Je me signale en m’asseyant, je rejette mon drap : cet auteur est le mien aussi.
Il est pour le moins singulier que toutes les candidates, moi, le jeune homme, compris, sommes venus nous présenter en pyjama. Il m’ignore, ce sphincter de valet. Je prends à témoin ma voisine, une de celles que j’aimais, jadis, en totale dévotion, à Tanger, ce qui est à présent ridicule. Nous n’avions pas, à l’époque, de téléphone cellulaire. Mon camarade Serfaty, fait naître dans ma pochette l’appareil anachronique ô combien miraculeux. Il me prodigue à distance des conseils, des encouragements, et cette fois, j’ai confiance en lui, car je ne vois pas sa tête bizarre .
En pyjama rayé. Parmi ces filles qui n’éprouvent pour moi pas le moindre intérêt. Confiance et tension. Danger à Tanger.
580529
Fier-Cloporte roule tout le temps. Il emprunte d’atroces routes inconnues. Il fraye avec les plus féroces paysages, au sein des mystérieux territoires échelonnés de Béziers (les Bitterrois)aux contrefort du Massif Central (Les Centromassiviens). Après 20km d’un éprouvant trajet, l’inspiration lui est venue. Le meilleur moyen d’être vu est de se poser sur un guéridon rond, et de composer ostensiblement, à la terrasse d’un bistrot. Lever la tête, écrire. Écrire, lever la tête. Il est bon d’écrire dans un bistrot. Cela fait très chic. À la fois convenu et très original. Arrive vers lui (immanquablement) une jeune fille charmante et fraîche comme toutes, avec la tirelire au milieu du ventre. « Pourriez-vous me lire ces quelques manuscrits de ma composition han-han » Fier-Cloporte s’y colle, puisqu’elle est à, contrairement à l’inspiration, juste à ce moment-là. De même qu’on écrit sur une table en plein air, de même on vous présente des écrits de jeune fille sur cahiers d’écolier dûment dépenaillés : ainsi se transmet le rite.
Ce n’est pas si mal : nos jeunes filles à présent savent toutes écrire, encombrant les comités de lecture où chacun ronfle entre deux coulées de fiel. D’autres sont venus nous rejoindre. Ils ont de 18 à 40 ans. Un jeune chauve corpulent bute contre une table en plein passage, et se met en devoir de la troncher à grands coups d’abdomen haletant. Je fais charitablement observer ce manège : « Il baise la table ? » Ceux qui m’entendent prennent l’air gêné, de ce qu’ils voient ou de ce qu’ils ont entendu de ma bouche. Car à présent c’est moi-même, ou Fier-Cloporte comme il vous plaira, qui présente ses écrits aux jeunes filles, plus loin après le couloir. « On voit bien » disent ces dernières « que vos rapports avec les femmes vous placent en difficulté » - comment peuvent-elles affirmer cela ?
C’est bien facile : Fier-Cloporte a une tête de con. Une chetron de narco. Il l’exprime ainsi, droit devant soi. Les filles et Fier-Cloporte rigolent de tant de clarté. Parfois, ça marche. Pas pour baiser, en tout cas, mais du moins, les adversaires sont désarmées. L’homme aussi, nécessairement. Elles ne se gêneront plus. Un personnage de roman, vieux décati, recueillait les confidences les plus intimes de certaines demoiselles parmi lesquelles il vivait. Il se gardait soigneusement de toutes privautés, persuadé à juste titre que cet abandon de propos cesserait aussitôt qu’il aurait couché avec n’importe laquelle d’entre elles.
De mêmes, les vieilles putes de St-Rémi se montrent-elles on ne peut plus aimables avec les riverains, tant que l’un d’eux ne s’avise pas de « monter » avec elles ; car aussitôt et pour toujours il n’aura plus devant lui que la fournisseuse face à son consommateur. Fier-Cloporte conserve la vue surplombante que lui confère l’impossibilité du coït : il entend sans sourciller telle ou telle se donner à haute voix rendez-vous entre les tombes de la Chartreuse, « pour se tripoter ensemble ». Ainsi donc ces braves innocentes, pétries de bonnes manières et de leurs doigts, s’adonnent-elles aux délires tribadiques les plus frelatés. « Tiens » dit Fier-Cloporte, « le cimetière ; je n’y aurais jamais songé. Il faudra que je l’utilise dans mes écrits ». Théoriquement, ce jonglage d’équilibriste parmi les gaffes devrait outrepasser les tolérances ; Fier-Cloporte devrait s’écrouler sous les sarcasmes les plus avilissants.
Eh bien non. Qui peut déchiffrer. L’ensemble gravit un plateau, en redescend, dans une joyeuse ambiance excursionniste, enfants du pays, groupe soudé spontanément, et par dessus tout régnaient les extraordinaires vocalises de Fier-Cloporte, emporté d’enthousiasme : interprétant le bel canto et italien de cuisine dans la montée, le yodel autrichien en descente. En même temps, celui-là même qui soumettait ses manuscrits douteux à l’appréciation des vierges se transformait en indispensable tuteur, les retenant l’une après l’autre sur le rebord des précipices, subjuguées pour finir par le lancinant Travadja la moukère de Gil Valenza, ce qui est bien la dégringolade la plus déplorable d’une ambiance musicale.
Enfin d’autres mâles, jusqu’alors secondaires, acceptèrent de soutenir ces prouesses vocales, dont un vaillant trentenaire, mais le rythme était perdu, l’énergie chorale s’affaiblissait, et le reflux de l’expédition eut vite dégradé la cohérence approximative en joyeuse débandade sonore plus ou moins décérébrée. Au bas d’une pente qui passait par là, deux chevaux blonds à forte crinière. Certains entonnent La Cavalerie du frère Leclerc, d’autres aimeraient l’enfourcher pour fuir ce bourg qui peu à peu pue l’indifférence. Fier-Cloporte poursuivra seul, par Nant, La Cavalerie d’Aveyron, Rodès. On ne le croit pas.
Ou on s’en fout. « Si vous alliez plutôt » lui dit-on « visiter ces barjots qui vivent à poil en plein hiver au-dessus d’Alzon, là, comment déjà... » - non. Remonter la pente, suivi par le groupe colle-cul, passer à vive allure devant ce bouquiniste ouvert depuis quinze minutes, fait soupçonner à juste titre qu’un tel chef-lieu de canton recèle plus d’intellectuels et de musiciens qu’il semblait, Fier-Cloporte cédera-t-il aux tentations sociales, aux sirènes des relations humaines si enrichissantes lorsque tout le monde boit, ou bien, rompant là, en vrai rebelle, s’évadera-t-il enfin vers lui-même ?
...En définitive, qu’est-ce qui ne se fait pas ? qu’est-ce qui se fait ?
58 06 15
Deux hénaurmes panthères changent de canapé. Je ne sais pas si vous imaginez ce que ça peut être : avoir, dans son cabinet de consultation, un couple des plus terribles fauves qui jamais… Si elles se réveillent, au beau milieu d’une consultation – les voici rendormies dans le mouvement même qui les a soutenues d’un canapé à l’autre. Et se renfoncent dans les courbes du cuir. Les consultants suivants sont les acteurs du film Pourquoi tu pleures - pourquoi sont-elles noires ? Pourquoi cette équipe professionnelle éprouve-t-elle un tel besoin de me consulter ? Ils ont apporté leurs vidéos, j’en suis noyé, ma tête tourne. Mes yeux se ferment sous la lumière.
Est-ce pour cela, pour ce fléchissement, qu’ils ne m’acceptent pas dans leur cantine, quand rien ne me plaît tant qu’une goguette entre cabots ? « Nous mangeons casher » oui, mais il est dit dans la Torah que l’étranger peut partager le repas du juif, s’il respecte les préceptes du Beït Dinn. L’un de ces scrupuleux, pris de remords, m’accompagne jusqu’à mon véhicule. Du moins le croyons-nous ; car j’ai confondu les deux rives du lac. Ma voiture est sur l’autre rive, « au-delà de toutes ces étendues d’eau. - Ce n’est pas le Zuydersee tout de même ! » Assurément non. Il rit. Il m’abandonne : « Je reviens avec ma propre voiture, et nous allons ensemble » . Une seule route est possible, je le suis à pied pour qu’il ait moins de chemin à faire, mais à l’entrée même du pont levant, je suis renversé par un chauffard qui double sans visibilité. Peu s’en faut qu’il ne m’ait broyé la jambe et le panneau, connard ? « interdit aux piétons » mais alors, à quoi sert cet escalier de fer ? uniquement pour le service ma fois c’est vrai, suis-je con, suis-je con !
58 07 13
Mais nous ne sommes pas au bout de nos pines. Nous voici au volant d’un autobus CITRAM, ramenant des Bordelais du fin fond du Médoc. Un GPS glapit au fur et à mesure ses instructions vaseuses. Dans un bureau lointain mon double en chair et en os clique sur une tablette avec un petit pointeur. Et que comprendra-t-on de tout cela un jour où ne sauront plus lire que les volontaires ? ...la route se déroule en campagne. Mais à partir du Pian, cette maladie qui dévore les jambes, tout se densifie, voitures, piétons, insolents cyclistes.
Sur l’écran, le symbole jaune qui me définit tourne au flou, vire à l’invisible. Je distingue encore les feux rouges, mais suite à deux fausses manœuvres le bordel s’installe, fécondant sur l’espace public un double attroupement, que la voix off me signale obligeamment. L’écran montre de petits points qui sont autant d’humains. Mes clients de Bordeaux rentreront à pied. Je redescends de mon perchoir au dépôt où le vice-patron se met à m’engueuler, ce qui manque de tenus quand on se paye un accent espagnol indéchiffrable et la tête correspondante, basanée comme un cuir. « Et qué yé né vous revoie plus loundi avec votre petit col glacé de merde » chemisette en satin, pauvre plouc - ¡camisa de raso,campesino sureño! Il n’y a qu’aux chiottes qu’on est bien.
Réservée au personnel, mais fermant bien. Permettant de tout rectifier. Attaque, défense : « J’ai tout de même bien le droit de me tromper une fois ! » - non. Pas à la moindre erreur. Il ne reste plus qu’à chier.
58 08 08
Je le fais régulièrement, fût-ce avec la plus belle fille du monde, n’en déplaise. Saisissez bien : soit une chambre d’hôtel, de celles que les étudiants fauchés louent au mois. Sordides et sèches. Deux femmes (on disait « les filles ») m’encadrent sourdement. Dans un coin, à l’arrière-plan – c’est sa place – mon épouse, qui grommelle. C’est son rôle. Et près de moi, devant sa table (c’est sa chambre) Yolanda, couverture de magazine blond platine, que j’ai toujours désirée mais me paralyse. Nous n’avions pas envie de nous retrouver là, en tête à tête à trois, mais la rentrée double les loyers des flemmards d’université.
La table de Yolande est recouverte (la table) d’une carte routière aux plis inextricables pour la commodité du consultant. Nous cherchons un hameau, au fond du Puy-de-Dôme, accompagnés des braillements d’une Sylvie de transistor, où sans doute notre hôtesse trouve son idole et sa ressemblance. Yolande aime le rouge et or et l’indépendance, et ne verrait aucun inconvénient ni contradiction à prendre la barre de ma vie. Elle prétend ne pas avoir besoin d'aide mais déclare, en alternant raideurs et tendresse, qu'elle va m'aider,
En effet : une modification de dernière minute nous a entraînés, non point au voisinage des puys, mais au bord de la Méditerranée, coincés en voiture à trente mètres au-dessus de l’eau sur un chemin à flanc de falaise. Et rien de pire que l’inévitable cagnard du lieu qui nous fusille en pleine plongée oblique. Presque à la verticale au-dessus de nous s’élève en bas-relief Dieu sait quel visage de Bouddha que nous devons détacher à la renverse à coups de burin au risque de nous casser le cou, dont le menton nous nargue sans défaillance. Détacher tout cela de la falaise avec le seul secours d’une boîte à burins passablement émoussés relève de la pure folie. Nos instructions précisent qu’en « cas de danger » [sic] nous pourrons escalader à main nue le sentier de contournement qui débouche sur le plateau : « Vous pourrez alors admirer une magnifique église orthodoxe à trois bulbes, au-dessus du Bouddha, qui ne les voit pas, même en levant les yeux ».
Il était pourtant bien agréable, paisible et prometteur, ce hameau du Puy-de-Dôme que nous avions fini par trouver dans un pli de la carte. Nous nous serions emmitouflés de bonne heure sous les draps, tandis que de la cage d’escalier seraient venus troubler notre repos une assemblée masculine et bruyante ; Yolande m’aurait empêché de descendre gueuler on veut pioncer quoi merde, car, qui sait ? C’étaient peut-être de gros actionnaires en réunion, graves et influents, parmi lesquels nos hôtelires sans doute, qui nous auraient expulsés sur le champ dans le froid.
Brigitte et moi sortons dans la rue, moi en longue chemise bleue sans rien dessous, pour chier de conserve dans des WC publics. Nous nous jetons un coup d'œil satisfait dans un haut miroir extérieur.
Annie est restée à râler toute seule dans la vieille chambre. Je n'ai identifié Brigitte qu'au réveil...
58 08 13
Voyages. Sans cesse, voyages. Les voyageurs véritables ne se rendent pas compte des empêchements. Ils pensent que les sédentaires s’inventent des obstacles. Ces derniers existent. Ce sont les mêmes que les empêchements sociaux, relationnels, sexuels… Par exemple : un couple ne supporte plus la promiscuité avec les parents, de l’un ou de l’autre. Des voyageurs véritables partiraient aux Indes, au Pérou. Mais notre couple est besogneux. Incapable de construire un budget, ni de supporter l’inconfort. Mais tout de même, désireux d’intimité. Que font-ils ? Vite, l’hôtel, pas trop loin, juste le temps de rafraîchir des ardeurs libidinales. Quoi de mieux qu’une alcôve ? de l’arabe “al-kobba”, le renfoncement.
L’inconvénient, c’est qu’elle donne sur une salle d’auberge, comme tout exprès pour une exhibition au profit de la clientèle. Mais derrière une paire de rideaux coulissants. Rien de plus excitant que d’imaginer ce qui se passe là derrière, en sirotant quelques demis de bière. Nous nous en contenterons, “ce n’est que pour l’après-midi !” - nous éviterons les repas, où les tables sont combles. Tout de même, les tentures ferment mal. Et si l’on force, elles se déchirent. Nous passons nos doigts sous les tringles : quel est le vicieux qui les a fait coulisser sur du barbelé ? Peut-on baiser les mains tout écorchées ? À l’obstacle physique s’ajoute une impossibilité externe : Julia, notre fille, vient nous arracher à nos préliminaires hôteliers.
Comme nous n’avons rien payé, nous repartons à trois sous le nez goguenard du taulier. Mais nous n’avons pas le loisir de nous interloquer. Nous sommes entraînés dans une pièce d’eau, piscine mitoyenne, où l’on a pied d’abord, où l’on s’arrose ensuite, même en tenue de sieste détrempés, joie, énergie, jeunesse, et autres accessoires essentiels. Témoins les tenanciers (décidément) d’un petit comptoir de rebord, qui vendent tout ce qui peut attirer : sandwiches de plage, bouées, plus une ou deux poupées derrière une vitrine ronde qu’il suffirait de faire coulisser (justement). Julia joue l’enfant, demande que j’en vole une, là, tout de suite, tandis qu’elle distrairait l’attention du marchand.
Celui-ci bonne pâte se laisse subtiliser un petit paquet d’allumettes, mais n’a pas quitté ses poupées des yeux. “Avez-vous du feu ?” Julia sort son grattoir que son abordeur (Japonais) dispose au creux de sa main. La clope du Jaune est allumée, mais il a gardé les alloufes, avec une grimace malicieuse. Il les rend, les reprend, Julia se laisse taquiner voire emballer, tandis que nous séchons, Arielle et moi, plus ou moins remis de nos éclaboussures, déplorant de n’être plus juvéniles et d’avoir délaissé nos audaces, mais si heureux de vivre encore un peu.
58 08 13
Nous avons vous et moi fréquenté bien des réduits où s’entreposaient livres, revues, insectes épinglés, etc. On appelle aussi bien cela CDI, Centre de Documentation et d’Information. C’est au sommet du CES, derrière d’amples vitres en plein soleil de 11 à 15 ans. Des étagères bourrées de bouquins, au-dessus de lits superposés pour la sieste et la branlette, seuls ou assistés. Sur le côté l’échelle de coupée où je me cramponne un gros volume dans la main droite. Les couchettes sont vides mais la vieille documentaliste me pousse au cul pour se faire embrasser d’une torsion de cou. Le mien. Déséquilibre. La docu redescend, un barbu prend la suite et me colle aux fesses pour un bécot, j’aime les douleurs de torsions, homme et femme aussi laids l’un que l’autre, je suis le seul beau.
Le CDI c’est mon boulot, tantôt Julia me suit à vélo, tantôt le vélo seul, tantôt Hardanger et sa Porsche, au fond de l’impasse et tu montes au second par l’échelle extérieure, impeccable et pratique pour ne pas être vu, le bourg est en grosse liesse, au revoir messieurs-dames c’est gentil de nous avoir accueillis pour la nuit même si on vous a un peu forcé la main juste évitez de plisser des yeux pour deviner où on va. Virez-moi plutôt ce vieux con plein de gnôle qui vous glapit dans la gueule, au lieu de nous espionner. Le ciel se couvre un gros abat d’eau les chevaux de bois sont vite démontés parmi les cris, tandis que tous trois, inaperçus, nous gravissons vite, au fond de l’impasse, l’échelle de coupée donnant par la petite porte à l’arrière du Centre D’information, et de Documentation.
58 10 08
La salle des profs. Décor obligé de tous les écrivants ne connaissant nécessairement que celui-là. Palais à volonté lisait-on en décor des pièces classiques. Le jour de la rentrée, vécu 39 fois, ses angoisses, quelles classes, réussirai-je, premiers rapports dénominateurs de tous les autres de l’année. Il vient souvent, ce rêve. Et pour la première fois de la succession je suis pris à partie, pris à conversation, par une collègue imprévue : « Je sais, me dit-elle, que tu es mi-ashkénaze mi-sépharade. Mais comment fais-tu pour être dans la téchouva ? « il s'agit de « revenir » à la vie juive, c'est-à-dire à des comportements en accord avec la Torah ». Je copie. Mais vous le savez sans doute. Dit-on « résipiscence » en chrétien ? « Reconnaissance d'une faute et volonté de correction ». Par vice, consultons l’article de ressemblance : la téchouva semble plus prégnante, concerner tous les aspects de la vie. La résipiscence est plus ponctuelle, concernant une faute particulière. La téchouva revient à tous les rites, à tous les commandements, à toute l’attitude vitale.
La résipiscence peut s’étendre à toute l’existence, mais juste par extension d’application. Sa portée reste morale et mentale. De la moraline. Le juif revient au bercail. Et comme je ne suis ni juif ni pratiquant, d’aucune sorte, je ne comprends pas ce que dit cette femme encore jeune. Quel est le rapport de ma téchouva avec ce métissage interne ? « Je serai net », ai-je dit. Je ne l’ai pas été du tout. Tout juif imaginaire craint de se voir démasqué, d’être un de ces noachites qui « singent » le judaïsme.
Arrive le premier repas. C’est un jeune homme qui mange à côté de moi cette fois. Je me réveille de cette sorte de torpeur qui prend parfois celui qui engloutit sans penser à ce qu’il mange. « C’est comme si » me dit-il « je prétendais ne pas être padalo » - comment parle-t-il de lui-même ? D’une façon si dépassée, si ringarde que, d’emblée, elle vous place parmi les plus basses couches du raisonnement, voire de la simple communication humaine. Il semble insinuer qu’il est impossible de ne pas se prendre son homosexualité (qu’il dénigre) en pleine gueule. Personne ne peut douter que cet homme soit homosexuel. Tout le monde peut douter que je sois juif.
Mais rien ne pouvait t’atteindre, escorté de ta fille venue à ton secours, seule en dernier recours à te défendre où tu ne l’attends pas : tu te diriges entre les buissons fruitiers vers un festin d’anniversaire à l’air libre, tu t’assieds près d’un jeune homme entreprenant, qui t’aurais bien pris par l’anus si tu ne t’étais pas levé en toute hâte pour chercher des toilettes. De part et d’autre t’accompagnent cette fois des chiens da garde espiègles pour l’instant, à l’intérieur du bâtiment ; des couloirs ; des portes aux écriteaux indéchiffrables, aucun ne porte la mention « toilettes », les chiens t’ont abandonné.
59 01 08
Effet de double miroir. Nous nous sourions. « Quelle est la différence » lui dis-je « entre un juif et un pédé ? …tous les deux s’envolent de la même cheminée ». Il me semble avoir défoncé le plancher… La croix gammée sur l’Acropole… Souviens-toi du Pirée, de Mégare et de cette échelle double en aluminium sale. Tu pensais découvrir en haut les rues d’un village perché, ridicule, et tu redescends, de l’autre côté du mur, au sein d’un grand parc envahi de végétations de toutes sortes, tremblant de l’excitation du violeur privé. « Malheur ! Malheur ! » criaient les voix par-dessus ton épaule.
Ma famille se trouve plus loin. Plus loin dans le bâtiment, plus loin dans le temps. Ferdinande préside l’assemblée, vieille opulente, bisaïeule née Quettehou de ma propre fille, grand-mère donc et par alliance de mon épouse. Arielle qui va mal, très mal, du jour où je l’ai connue, jusqu’à présent, telle qu’il me plaît de la croire afin d’en être seul sauveur. Autrement dit, me voici enfin en famille. Arielle me confirme à haute voix ce que je venais de découvrir. « Il n’est jamais trop tard » dit-on. J’en doute. Plus je suis fort, plus elle est forte. Je suis donc directement responsable de l’atmosphère qui règne. Impossible, malhonnête même, de prétendre toujours qu’il ne s’agit que de l’autre.
C’est émouvant. Mais c’est chiant. Émouvanchiant. Plus je suis faible, plus elle s’affaiblit. Je croyais, moi, que la femme, naturellement plus forte que le mâle, devait le réconforter lorsqu’il perdait sa foi. Rien qui soit plus blessant que de perdre ses évidences. Donc, souvenons-nous : à Gvi, mon enfance se réfugiait dan sun peti tcoin bordé de tôles, au fond du jardin, où je lisais en ermite. Le décor était terne, mais l’absorption dans un livre, et la conviction où j’étais de détenir la supériorité intellectuelle sur tout ce village de ploucs, car si je n’étais que grossier, les autres étaient vulgaires, atténuaient la platitude de ce sable qui coule sous la fesse gauche de la culotte.
Dans l’autre jardin, séparé du premier par tout un grillage inutile, Ferdinande entretient des ruches. Des abeilles, c’est du miel, c’est aussi tout un voisinage qui se méfie ou se plaint. S’occuper de ruches en pleine agglomération reste encore le meilleur moyen d’enclencher des coordinations de réseaux sociaux réels, avec des engueulades directes au lieu d’immatérielles. De temps en temps, ça bourdonne sec à ma tempe gauche, très loin pour l’instant. Si les abeilles attaquent, je suis mort. Donc je tourne les pages avec précaution et ne mouille pas mes doigts. De plus, ces abeilles sont noires : pourtant leur miel est blond. C’est aussi mystérieux que les noirs aux muqueuses claires. Mais tout le temps que j’ai lu, de 10 à 58 ans, mon épouse Arielle s’est heurtée à toute la Famille.
La Smalah. La Michprhah. Et voici qu’un courrier me remet un vieux pli, où je suis formellement informé, voire inculpé, de l’internement imminent de ma femme à tel Hôtel de Repos. On sait ce que ça cache. C’est pour lundi. Ne pouvaient pas me joindre plus tôt/ N’auraient même pas dû le faire. Ma mère, ma propre mère, et Julia, qui viennent me l’annoncer d’un air plus que contrit, auraient pu se dérouiller plus tôt. Moi, je lisais. Merde. « Arielle devient incohérente. Incontinente ». Le premier point m’était connu. Le second n’est qu’un point de détail inséré dans le diagnostic, Bien sûr que c’est faux. Il reste à maîtriser son exaspération après avoir confondu deux citations à recopier dans son carnet.
Nous laisserons des traces innombrables. Comprenons aussi les incinérées qui n’en veulent laisser aucune, évitent et brûlent leurs photographies, et autres manifestations de foi. D’autres enfants surlignent sans talent les phrases recopiées, rayent, consultent sans cesse un plan sur fond bleu, au sommet d’une raide pente où ne s’étend plus qu’une route au loin… Retour pesant chez soi, au cœur de cette ville planifiée que j’engloutis dans mes grommellements : jamais, jamais ces habitants dont je suis malgré moi n’enlèveront de sous mon toit mon égérie : s’il arrive qu’ils l’internent, je l’enlèverai, le plus tôt sera le mieux après mon retour, je le jure avec la plus ferme détermination.
590113
Nul n’échappe à sa cage, aux discours qu’il s’assène à lui-même, à son parterre d’auditeurs captifs. Rien n’est prévu pour eux, nous serons tous rassis l’un devant les autres, deux heures en tout, sans autres liens que la parole. ‘suite 20 lignes au-dessous - - -:
59 01 13
J'escalade une échelle, clenche la porte : c'est fermé. Mme Martin n'a pas fait le nécessaire. Vers ma classe au 1er je me bricole un cours sur l'intervention de l'OTAN à Sarajevo. D'autres portes sont également fermées, cependant des élèves me rejoignent. Par les baies du couloirs, ces derniers (1es ou Terminales) me désignent : “...Des gens comme ça...” ; mais ils parlent aussi d'autobus bondés, entourés de CRS en noir. Ceux-ci devraient nous protéger mais il n'en est rien. Une voix m'explique:”Ce sont de jeunes domestiques venant attaquer le lycée, rosser les élèves.” Tous ceux qui n'ont pu réussir leurs études et qui mangent de la vache enragée dans des emplois sous-payés.
Ils débordent littéralement des bus. De telles attaques se sont déjà produites ailleurs en France. Je veux dire qu'il s'agit là du résultat de la politique sarkoziste, qui dresse les catégories sociales l'une contre l'autre. Les élèves ont l'air de dire “cause toujours” et m'entraînent dans leur fuite. J'espère qu'ils ont refermé derrière eux car les ratés vont trouver la faille et nous tuer. “Exactement comme lorsqu'on rend la bague perdue à une jeune fille et qu'on la viole”. Ils acquiescent et tout le monde se bouscule vers les étages supérieurs abandonnés. Je sens bien que les élèves, dans le fond, sont d'accord avec les attaquants. Ils me persuadent de laisser là mon portefeuille, puis réflexion faite je me le fais rendre : je veux mourir sous mon identité.
Je veux prendre un escalier montant, souhaitant que l'on ne me suive pas, car on me livrerait. Je me réfugierais derrière les portes en bois des chiottes palières et on m'abattrait en tirant dedans. L'escalier est délabré. Le danger extrême. Certains me suivent, j'espère qu'ils se répartiront dans les vastes étages à l'abandon. Tout est si grand que je trouverai bien à me planquer au 2e. Tant pis pour les massacrés...
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