AUF REISE NACH BELGIEN

CO L L I G N O N A U F R E I S E N A C H B E L G I E N LE V O Y A G E E N B E L G I Q U E Auteurs de M  J’écris couché sur un chemin. Je suppose que c’est interdit BERGERAC – ARGENTON D’abord la voix du Père. Il est curieux de retrouver ainsi la voix de son père, dans cette allée de St-Florent-le-Jeune. Sa voix. Je ne la reconnais pas (sauf à certaines inflexions) (rauques). Je reconnais aussi ces scrupules d’instituteur, qui détache les syllabes, qui estime indispensable de lire à haute voix un « mode d’emploi » en tête de bande magnétique. Un enfant comprendrait cela en cinq minutes. La voix restitue toute une ambiance. Je par-le dis-tinc-te-ment devant le micro. Il s’est modelé sur la prononciation de « L’allemand sans peine ». Il refuse toute connaissance, même élémentaire, de la langue britannique. « Start » prononcé « star » « Rewind » prononcé « revinnd ». Je conserve ce document. Plus loin : Mon père a cru tout effacer mais l’on entend le bruit du moteur, et Sonia, à travers sa main à lui. Comme un cœur. Je n’entend ma petite Sonia qu’à travers ce moulinage forcené. Les premiers mots prononcés par ma voix, après celle de mon père : « Je n’ai rien à dire ». (sur la bande j’entends ma mère : ses savates qui traînent). La veille au soir j’ai vu ma vie : un volumineux album de bandes dessinées. Tout ce que j’ai pensé, tout ce que je dirai, dans des petites bulles, et que je peux lire. Les pages de l’avenir s’imprimeront au fur et à mesure. Que se passera-t-il si je consulte le volume à l’heure même où je suis ? Ou si reviens me lire juste après l’action, pour vérifier à chaud ce que j’ai pensé ? Je me souviens des choses effacées. Elles disent, à peu près – que je vais survivre. Je suis celui qui fait l’album. Les uns sont immortels, les autres non. * Pouvoir thérapeutique du voyage ? - plutôt ce profond malaise, ce broiement sourd du moteur en marche au sein duquel reposent les mots enregistrés. L’homme aux semelles de vent – modeste aux semelles de pneus - Grégarité : ceux qui s’installent dans le champ, juste et précisément dans mon allée Notre envoyé spécial au Tour de France – il n’y a plus de thérapie au numéro que vous avez demandé c’est toi-même que tu fuis etc. Un vagabond (à cheveux longs) viendrait chez nous, se prendrait pour nous d’une affection subite et débordante, puis ils s’installeront, demandent à garder l’enfant, à parler le-dia-logue ! Le-dia-logue ! Plus avare de dialogue que de fric Je préfère le vrai voleur, le franc voleur qui ne parle pas. Lorsque je rends visite, je pars à l’heure prédite, à la minute près, quand je baise je garde ma montre. Le vagabond vient à dix heures, à 18h30 il est toujours là je vous éviterai toujours Pour l’amour venez dans mon antre de telle à telle heure aucune femme ne viendrait elle à qui quatre doigts suffisent Le vagabond dit sous son bec-de-lièvre « Si je dérange tu préviens - Tu es le cinquième de ce mois Mon épouse et moi sommes des bourgeois. " Dès que possible je m’arrête. Qu’il pleuve ou en rase campagne. Je travaillerai sans sortir. Le voyageur extrait ses documents, consulte son Emploi du Temps, il vit selon lui. Ses lectures le mènent chez Saint-John P. - Je maudis Saint-John Perse. « Parole de vivant ! » disait ce riche. « Balayez tous les livres ! » - auteur, auteur, le livre est plus sacré que le sang et la peau. Le Voyageur du Temps gifle à toute volée le primitif de l’an Dix Mille qui lui montre, sur une étagère, quatre livres en lambeaux. Il le gifle. Autre exemple : Soit un manœuvre. Il a roulé tout le matin des câbles sur un gros tambour. Il a en lui le vide des brutes.Il se plaint à midi du repas trop long, commente son dernier rouleau, évoque la manière dont il poussera le prochain : angle d’attaque,économie des forces… Il s’est fait expliquer Racine sur les marches du Muséum. Il éprouvait comme un reproche son absence de diplôme. J’aimais sa tête dure, sa façon de se mettre en boule, son aboiement perpétuel, sa corrosion, son rire. Il écrivait mal. Il cessa. Sa femme lui disait C’est l’écriture ou moi ! C’est la condition humaine que tu nies ô femme de B., manœuvre. Et je lui disais moi, au manœuvre : « Un jour nous manifesterons contre la mort A BAS LA MORT sur les banderoles » et l’ouvrier B. riait avec moi de ceux qui patiemment comme lui-même empilaient les mots et les virgules : « Du haut de ces littératures... » Ou bien : « Le vent jette à la mer les vains feuillets de l’homme » - non, Saint-John le Riche, car Pharaon revit sitôt que tu redis son nom. Bibliothèques niches en étagères vos hypogées exigent l’attentat supplient après le viol : "Versez, versez le sang aux ombres d'Odysseus. Dieu ne reviendra pas juger les vivants et les morts je suis fier de faire partie de ce canular. Je lance en plein jour des appels de phare - pas de flics - faire l'important "Une nuit me rejoignit la fille de l'hôtelier" - depuis combien de temps ? ...passé à "Charriéras" où nous lirions l'histoire d'un homme qui porterait ce nom... * Eviter de montrer de la reconnaissance. Les dons des autres ne sont qu'une contrepartie à l'emmerdement qu'ils dégagent. Variante au Contrat social : chacun voyant avec horreur l'existence d'autrui conçut par là celle qu'il inspirait lui-même, et voulut s'en racheter par des offrandes : du pain, du lait. En retour il obtint du beurre, des fruits, de la viande. Ou de l'affection. De la guerre. Ainsi, et non autrement, naquirent les rapports sociaux. ...La tête qu'ils feront, les Autres, un jour, en se découvrant ! Un jour nous flemmarderons en attendant la mort. Déplaisante intuition en lisant Rousseau : sitôt que l'on a reconnu ses torts, quelle fête pour les autres de vous accabler !... * Un jour, le sexe gisant sous toute chose se fit débusquer, nu, sans démonerie, et le beau Verbe vagabond reparut comme le feu qui couve. L'homme dit : Je reproche à la femme (...) - ses onanismes, dont nous la sauverions avec condescendance, et npsu n'éprouverions aucun plaisir, et comme un homme me suivait de près, j'ai décroché de mon tableau de bord un micro, afin qu'il se laissât distancer. Le magnétophone enregistre tous nos écarts, nous lui décrivons, faute de les transmettre, les parfums que nous sentons, "et le cul de cerFF blanc d’un chien haut sur pattes au galop ». Beauté sauvage des jeunes hommes à cyclomoteur. De St-Jean à Thiviers par St-Jory. Swann et Guermantes. Ma voix déplorable : « dans quelle mesure une attitude consciente est-elle une attitude vraie ? » La réponse est : « une attitude ». Masturbation intellectuelle. « Il se masturbe au volant : un mort » - « il se branle au volant et meurt » - j’hésite. Sans repère ici. Personne. Pas d’auto-stoppeur. Auto-stoppeuse ? tout faussé ; exemple : « Je vous prends à bord. Sinon vous feriez de mauvaises rencontres » - elle, dubitative. Variante : « Je n’avais pas vu que vous étiez une femme - au revoir  - (un soir je descendais le cours de l’Intendance, suivant une silhouette à longs cheveux blonds – merde une femme – je l’ai sorti ainsi devant elle après l’avoir doublée – son rengorgement digne m’occupe encore. Je dis : « Les auto-stoppeuses méprisent ceux qui les acceptent, car elle sont bien décidées à ne rien accepter » - un médecin peu soigner un désargenté, mais à celle qui peut payer, qui ne veut rien donner, il doit refuser ». Le cul des femmes est leur monnaie. Délire. Évaluer les villes en fonction des capacités bordelières. Limoges. Ou la main seule, comme elles font toutes. Cosi fan tutte. « Hôtel du Commerce et des Voyageurs » à Thiviers, pas de putes, les cloches au matin, l’ « impasse de Tombouctou ». * * * * * * * * Plaisir simple glisser dans l’ombre à petite vitesse, sans autre pensée que roues et jeux de bielles. Trajet somnambule. Branches. Ne pas aimer. Rester naturel. Ce dix juillet 1976, joué de l’harmonium à Oradour-sur-Vayres. Transporté l’enregistrement ers le nord, aux environs de Béthune parmi les chaumes, sur fond d’autoroute au soleil couché ; entre les arbres au ras de l’horizon, ultime éclat du ciel formant soucoupe, très effilée. Notre-Dame de… : « Je vous demande de vivre en état de perpétuelle exaltation. D’aimer, de trouver toutes mes actions extraordinaires, sans prétention de contrepartie. Que ce vœu soit exaucé ». Notre-Dame de la Perpétuelle Exaltation… * Oradour-sur-Glane n’est signalé que 10km à l’avance. Le guide pleure dans sa casquette : « Dans toute l’histoire de l’humanité... » - cherche bien, guide : cathédrale d’Urfa, Noël 1895 : mille deux cents Kurdes… Inscription sur un volet (photographie d’époque) : Fünfzig Mann – invariable, pour « cinquante hommes de troupe » ; il est donc inexact d’écrire que les bourreaux, dans leur mauvaise conscience, ont oublié de former le pluriel Männer. Apprenez l’allemand. Je ne défends aucune barbarie, je dis : « apprenez l’allemand ». Je me sens mal à l’aise. Mon corps se voûte. Mes coins de bouche s’abaissent. J’entends : « C’en est un, regarde, c’est un Allemand. » Soleil trop lumineux, trop propre. C’est les vacances. Les ressuscités se promènent. « Recueillez-vous » - « Recueillez-vous ». Au cimetière, je fais les calculs : morts d’Avant, morts d’Après. Quatre-vingt dix ans après sa naissance : MANIERAS dit SIMON né à Oradour le 10-7-1877 époux de Marie Gautier, Léonie Baudif Ancien conseiller municipal d’O./Glane Ancien garde-chasse et pêche, régisseur pendant vingt ans, assermenté A reçu trois actes de probité pour avoir trouvé de fortes sommes. À l’âge de 67 ans a pris un engagement dans la milice patriotique comme caporal. Il a été bon père et bon époux, a su garder l’estime de tous, passant priez pour nous, au revoir à tous et merci, c’est Maniéras dit Simon qui vous cause. « Milice » ? À part les enfants vivants, je vois parfois de belles têtes d’idiots. Les photos des morts rongées par le temps finissent par ressembler à des crânes. Au mémorial souterrain, je me laisse émouvoir par les encriers de l’école. Ici, une résonance particulière donne aux voix le ton d’une prière ou d’un gémissement. Je sens les pieds, la sueur (des autres…). Des Noirs pètent. * Bellac. Panneaux « Paris ». Pauvres cons. (Près de Créon (Gironde) cet autre panneau « Espagne ! Pyrénées ! ») Celui qui a institué les congés payés aurait dû les assortir d’une interdiction de partir en vacances. Je fais du tourisme. Je t’en foutrais du bonheur pour tous. Du tourisme… Non mais. * Visage crispé. Les gens se paient ma tête. Se foutent de ma gueule. C’est plus commode. J’ai cinquante ans d’âme. ...Arrivée à Bellac. Je ne prie pas à la Collégiale. Je ne veux prier que moi. Bellac ressemble à ses prospectus. Même la libraire se fout de ma gueule. Même quand je souris. Plus loin : « Mon Dieu, que fait votre main dans ma culotte ? - Ça te changera de la tienne. * Tous les petits chemins possèdent une personnalité, une Belle au Bois qui n’attendait que vos pieds – comme à Monmadalès – sentier détrempé. J’écrase un papillon. Occidental au torse halé que je croise, qui te pousse, qui te force ? ...des moules et pis des frites et du vin de Moselle… nous habitons plus haut, les Belges sont des ventres d’égotisme, grand-maman de mon père – du belge dans mon sang. * Sur bande magnétique, je prends des poses. J’imagine que je parle, qu’on m’interroge, avec mon accent belge, je me récoute encore, enfant je me croyais coupable outre mesure et demandais pardon le soir à mes parents à travers le mur, ils me l’accordaient, dans une gêne extrême. Bien fait. Mon père : « La paix ! Je veux la paix. » Le canal de l’Édipe est bordé de bouleaux bien droits. Recherche d’un hôtel. Mon physique se dégrade de kilomètre en kilomètre. Ils ne m’accepteront plus. Demain, à Milly, se recueillir sur la dalle de Jean Cocteau. Son âme jadis m’a parlé, par le pinceau du phare à Cap-Ferrat, voici dix ans. Nom de Dieu dix ans. Nom de Dieu vingt ans. Il se prend des poses. Il demande ses routes. Les vieux croient qu’on se moque d’eux. Bien maîtriser ses expressions. Ses sourires sont mielleux car il se met à la portée des incultes. Cependant ne pas effrayer les gens simples. .La conscience de sa culture est la pire des incultures. Croisant un automobiliste, il fait blublublubb en tournant ses deux pouces sur les tempes. Conne de pucelle qui se branle sur sa selle à vélo. Les vieux entre deux cuites, les filles entre deux branles et un clocher casqué comme un archer godon, deux meurtrières aux yeux très rapprochés à la racine : St-Georges-des-Landes. Au bal d’Argenton-sur-Creuse J’ai rencontré un’ femme soûle Je l’ai fort bien consoûlée Lui ai fait la charité J’approche des frontières du Berry : je retiens mon souffle. Myope au point de klaxonner au milieu de la route une merde,pour la faire envoler. Voici la frontière entre 87 et Indre. Mon cœur bat. Instant dédié à tous ceux qui passent la frontière grecque en disant passe-moi le saucisson. Et cette haine passionnée des jeunes filles. Elle le font toutes. Au moins quatre fois par semaine, « Douze » rectifie-t-elle. Onze juillet 2023 Nouveau Style – ARGENTON-SUR-CREUSE / PRÈS PUISEAUX L’ennui sédimenté. Même en voyage. L’imprévu catalogué. Dès le matin. Parfois l’hôtel parfois la belle étoile : quelle aventure ! à l’hôtel on peut lire le soir. La route est républicaine. La route est égalitaire. Le cloporte aussi a le droit de voyager. Sur sa route il rencontre son infinité d’humains. Il jalouse les femmes qui ne baisent guère ou pas. Il engueule les hommes si ternes, stupides et sans espoir – vitres remontées. La route est un long ruban Qui défile qui défile Et se perd à l’infini Loin des villes loin des villes francis lemarque Et en forêt de Châteauroux PROPRIÉTÉ PRIVÉE de dessert vengeance vengeance une route où rien ne passe où rien ne se passe entre les haies, marcher marchons sans nous mouvoir sur le tapis roulant station Les Halles Plaine de Krasnodarsk puis une ferme au bout d’un champ d’éteules terre d’une pièce comme au Nord, qui monte, monte Demi-tour ALLÉE PRIVÉE Un papillon se bourre aux senteurs de foin Des prunelles me sèchent la bouche siccativo-buccales Je n’irai pas dans ton allée Qui mieux que moi respecte la loi Au moindre aboi de chien tu trembles Si un jour fusil au poing un assassines L’HUMILIATION SURTOUT L’HUMILIATION Fait-divers j’épargne sous mon pied le scarabée je fais parler le Châtelain Mon ami je vous ai engagé garde-chasse Gardez que nul ne pénètre céans Nous nous verrons pour instructions à prime sonnée Que ce soit tout Nous prendrons les distances ne pas oublier:Toute pensée qui vagabonde est un instant de travaillais La route rebondit sur ce toit barrant l’horizon – jeune homme doré court en short, il est souple je double une foison de Mobylettes et si c’était mon frère nous transpirerions ensemble, comment, Monsieur de Montherlant était-on jeune en VINGT-QUATRE en TRENTE soyons sérieux cela ne se peut pas vous êtes tous devenus vieux je resterai jeune je n’ai jamais été jeunesse Voici des ombres Voici des oiseaux Tout paysage en état d’imminence (une route, une tête, toujours il doit s’y passer quelque chose – il ne s’y passe jamais rien – les souvenirs un jour monteront à l’assaut avec leur densité de choses je crée dans mon futur passé je croise un hobereau à tête noire rasée. Parfois seulement la rambarde s’incurve, départ de sentier, Propriété Privée plus on en tue plus il en pousse Que de promiscuité Châteauroux Arrivée Ville Fleurie X Bientôt le voyage n’agira plus. Terrible maladie de tête vide quand on ne lit plus, la faim, les fourmis. « Privé » - « Privé » - « Chasse » - « Chiens » - « Gibier » Je lis sur le dos le ciel entre les branches. Ikor est un auteur naïf. Le petit bois miteux. Les orties brûlées de sécheresse. « L’herbe dans le sous-bois ressemble à du fumier » (Hugo) (« ...mais où le promeneur cherche en vain le purin » Jour après jour je m’allonge, et c’est un baume, un chaos gris, des chips, le champ de maïs. Ne croyez pas les physiciens nous employons le tout de nos cerveaux pourquoi sinon tant de crétins pour un génie ? n’est-on que ce que l’on vous dit de faire merde les vaches ont trouvé le chocolat mais j’ai toujours de quoi lire ! écrire mais rien ne vaut le petit bureau Horrible révélation Voir un homme taper à la machine torse nu sur un sentier d’orties sèches, ça choque. Je tape à la machine. Je m’attache à la pine. X Bourges. Éviter J. à tout prix. Remonter par Mehun. Tout désert comme prévu. L’accueil manquerait de sincérité. De part et d’autre. J. - tu n’as pas compris – va te faire foutre. Je ne voulais pas dire ça. Excuse-moi. La radio joue une musique orientale. Je passe au pied du pylône d’Allouis – émetteur national de France Inter. Il avait tout compris, J. Nous étions tout trois dans l’auberge à Neuvy, lui, moi, Noémi. J. n’aurait pas dit non. Il avait mis tant de temps à répondre. C’étaient de longues étendues de forêts, de bruyères pouilleuses. Aujourd’hui en Sologne. Landes, déserts de terre blanche, sable entre Sud et Nord, nous étions trois sans nous parler, au « Bœuf Couronné ». Le volant cuit. Les papillons se viandent ou rebondissent. Adieu J. Pas une fois. Pas aujourd’hui. Si tu vas là-bas – vers le Nord… Un mot, jadis, dans la boîte aux lettres, sans réponse. En février jadis encore des photos sous la pluie. Noémi les a détruites. Persuadez-moi que je suis libre. Je dormirai seul, dans ma voiture – pas d’hôtelier – pas de cuisine. Chez moi c’est la même poussière – provisoire – depuis des années. Chez toi : tout est neuf. * * * * * * * Je retrouverai ma maison. Je mourrai. Ma belle-mère conservera les trois étages. Il me viendra un fils, un petit-fils, gendarme et colonel. Par la vitre une peau de banane. En déterrant jadis une mésange pourrissante, j’avais cru que les mouches avaient tué trois vieillards en un mois, aujourd’hui je vois, en Sologne, un peloton de cyclistes au dos nu, vertèbres arquées, luisantes, bloquées sous la peau. Quand j’ai pincé ma joue, cheveux sur le front, sortant la lève inférieure, j’ai suscité le rire des joueurs de ballon. Aubigny-sur-Nère : Son camping. Sa piscine chauffée. Son commerce – quelle honte… quelle honte… un lapereau aplati sur l’asphalte un bain de soleil à plat ventre – irrémédiable mort – mon père au bordel Sully-sur-Loire 10km mes pas sur tes pas Je me suis attardé à la fête foraine. La mauvaise humeur de mon père, son aigreur, son plaisir confisqué : « Vois-tu le bar Sully ? Je demande s’il y est déjà allé. Il répond mollement que non. En 70, le Sully existe encore. Je franchis pour la première fois la frontière de la Nièvre ! sur la Loire j’écrirais un poème – étrange d’aimer un fleuve – de s’élargir aux dimensions de l’eau – afin de l’étreindre, d’une rive à l’autre – immergé à fond de Loire. Traverser, longer, remonter, redescendre – de bouche en source La Loire est presque sèche, avec des bancs de sable triste, passant le pont les parapets la masquent tout entière et soudain – le peuplement change. Tout devient sérieux. Ça sent Paris. Je sens Paris d’ici comme un aimant. Cent kilomètres. Classe difficile. Je vous emmerde. Le prof rigole gras. Sort de son sac un gros rouleau de papier cul. Torchez-vous, mon amie, torchez-vous. Compensation bien mitonnée, en boucle. Ne jamais s’engager. Ma petite cuisine de vie bien au point à présent. Bouzy-la-Forêt. Personnalité perdue. Poteries. Villas. Lotissements, agences. Parfum de banlieue. Les vaches ne sont plus des vraies. Plus de vraie campagne – passé Sully, foin du Berry. Parlons de sexe. Lily en portait un à la place du cerveau. Mes cheveux sur mon front dessinent un sexe. L’androgynat est une maladie. Ses deux sexes sont atrophiés. On ne sait jamais. C’est une légende. Seul à seul je m’imagine femme. Nous allons fouiller tout cela. Fin de semaine. Circulation forte Provine-Paris. Une vache. Une buse qui part à la verticale. Je n’arrive plus à passer pour pédé. Paysage engagé – direction capitale – au sens de Sartre. Il va se passer quelque chose. Il ne se passe rien. Paris 34km. Paris 33. La Brie. Mon zob au milieu des blés. Troisième jour – TOURY / GUIGNICOURT Je me suis installé en pleins champs, pour voir venir. C’est précisément – je l’ai appris plus tard – ce qu’il ne faut pas faire. Le soleil n’est pas levé. Le ciel blanchit, le corps, de biais pendant la nuit, se dévrille. On peut donc dormir au milieu des champs dans sa voiture. J’entends les alouettes. Petit matin grande nature. Kein Mensch. Rien à voir avec le camping. Je mène une vie de cloporte. L’exaltation est mon seul recours. Ma vie de cloporte J’ai hâte de retrouver mes élèves. L’école est tout pour moi disait mon père. Ils sont la mesure de ma vie. Nulle hâte en revanche de reprendre ma vie conjugale. Mes élèves sont ma seule évasion, mon imprévu, mon aventure. Mais stagner jusqu’à la mort. Obligé. Changer d’élèves tous les ans. Séquence « exaltation » Nu. Chaleur. 5h1/2 du matin. Bâille et marche. Enregistreur, Fotoapparat, les oreilles et les yeux. Les alouettes toutes proches. Se diriger vers un buisson lointain en forme de chat, queue comprise, le grand ciel protège, rien n’arrive sous ce ciel. En forêt, si. Plus tard : appris le risque du vide. Vie consciente (« Sommet. Sommet. » Le chant ivre des alouettes. Ébriaque. Légion Sacrée de César. Légion gauloise. Iô, Triump’hé !Je suis seul à entendre crier. Cris de joie, entrecoupés, rires. Il règne une odeur de paille et de puberté, je suis nu, le froid maintenant se gagne, le buisson-chat devient drakkar – vue de drakkar arrière. Péguy non pas Péguy. À cette heure-là dans les lits combien de filles solitaires. La branlette de l’aube. Leur plaisir tiu ensemble entendu, un seul cri, une seule gigantesque cataracte. Je crie. Seul. Des gnomes sous les feuilles de betteraves. Je parle spontanément, puis je répète pour le micro. Deux photos de l’aube. Deuxième bande magnétique. Risible, moi ? Le soleil se lève sournoisement, sans cymbales, le vent tout juste chaud vient d’orient, porte les cris préhistoriques des alouettes. Cristal d’encens. L’onanisme fascinant des femmes. Pouce et index, la paume appliquée. Visions fausses. Visions vraies. Exhibez-vous. Angoisse que vous puissiez – sans témoin – sans garant – sans permission – je vous forcerais à pécher – nous nous purifierons – je vous rassurerais avec condescendance. ...l’accouderait sur la rambarde. Montrerait le liséré du slip sous le plissé blanc. Chercherait la phrase d’approche – ne te… ne te… - en capitales sur le rouleau de la machine JE VEUX VOIR UNE JEUNE FILLE SE MASTURBER Fait. Joui dedans. Rachetée. Normale. Comparution des préjugés. Les filles n’avouent pas. Plutôt la solitude à mort. Plutôt que de tenter le moindre geste. Vers nous. Vers tous. Toutes sous vitre, seules, autour, dans une vaste pièce à coussins, toutes les mains de toutes les manières et mêmes souffles. Même âge, mêmes cuisses aux méplats moirés. Cris sourds, vifs clapotis de muqueuses, accélération des phalanges, les hommes seuls éprouvent la honte, les femmes en plénitude, en innocence. Les hommes tachent. Les femmes s’évaporent. l’homme ridicule la femme à l‘apogée l’éjaculation comme on crache Griefs passés de saison. Panurge se vengeant de la dame de Paris a toujours fait ma délectation. Beauvoir : les femmes veulent attirer cela les flatte puis les mortifie d’où leurs provocations d’où leurs reculades mais trop de bonnes raisons trop de logiques Sur le ciment frais des toilettes je trace à la clé LES FEMMES NE PENSENT QU’À (…) - nous faire croire à l’amour ? Et de quel amour s’agit-il lorsque tu glapis, de l’autre côté du mur Chambre 1 de Civray la serveuse se branle lâche un feulement velu de basse bestiale – qui aimais-tu donc ? Femmes paraît-il tout comme nous, croyant les fables des Jésuites – ce Belge faraud qui me dit au volant « je la rejoignis la nuit dans sa chambre » - Bien peu d’élus Bien davantage qui se tirent la chair croupissante – aussi je ne prends jamais de femmes avec moi. Ou bien je la boude. Ou bien tiendrais ce discours Vous n’êtes pas bavard dirait-elle Vous penseriez répondrait-on que je vous drague. Les hommes ne pensent u’à ça ? Les hommes, en vérité ? X Le Belge et moi roulons dans la nuit tombante. Fantastique trouée, plaine jaune et silence. Un ivrogne à l’arrière chargé à Thiviers allait répétant Une femme sur mes genoux Me récitait des mots doux. Elle me prend par la queue Je lui dis « Pour moi très peu » Je lui donne trente francs Et la laisse comme deux ronds de flan… Je n’allais tout de même pas… poursuit l’ivrogne, indigné. X Villages trapus. Riches et graves. Dans le Midi, tape-à-l’œil, rupin factice. Par chez moi les bourgs sont gras depuis longtemps. Ils ont le goût, la suffisance, le poids. Secrets, réservés, difficiles. C’est mon pays. C’est la même plaine. Mes inspirations s’amplifient. Roi ne puis Prince ne daigne Je suis le Sire de Coucy Lu sur une tombe : KACZMARKZYK ; Premier bon vieux nom polonais. J’entre à Milly le douze juillet 1976, à huit heures moins le quart. Visite de Fontainebleau très froid, grand oppressement de ma fatigue. Le guide imbécile m’assomme, « glaces de St-Gobain, fauteuils de Boulle », pas un mots sur les évènements, salle après salle « Ici naquit Louis XIII » unique émotion. Les silhouettes raides dans les glaces. Une démarche raide, tête en arrière, adaptée au château, et non pas penchée, marrie, coupable. La dernière des gentilhommières périgourdines émeut plus que ces granderies. Trop de buis dans les allées, trop de panonceaux. Trop de villes. Melun. J’aimerais un petit village – une départementale m’éloigne des banlieues, jusqu’à Vaux-le-Vicomte, accompagné d’un concert Grand Siècle en radio de bord, je me suis agenouillé dans le salon où fut donné L’école des maris. J’avais bien pris garde que nul ne me vît. Exhibitionnisme envers soi-même. J’ai longuement regardé dans les yeux la Duchesse d’Orléans née de Bavière, femme du frère inverti du Roi. Et le bourdon reprit ses droits jusqu’à Provins. Rouler une heure d’affilée. Se rapprocher de son pays. Trois incidents pénibles ne figurent pas sur la bande magnétique. Premier incident Prenant de l’essence à proximité de mon lieu de naissance, (Mézy-Moulins, chez Boudin), je remercie le pompiste de m’avoir servi. Il me gratifie d’un Tu peux ! sur un ton de mépris absolument inimaginable. Sartre dirait que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même j’emmerde Sartre. Deuxième incident Je me promène sur une petite route, à la rencontre d’un petit groupe d’enfants. L’un d’eux se détache pour me crier CON ! En plein visage. « Vous avez-vu ? Je lui ai dit ! Je lui ai dit ! » Sartre dirait que je ne peux m’en prendre – je conchie Sartre. Troisième incident Je me fais encore insulter par un débile mental qui mène ses trois vaches. C’EST UN CON dit-il en me voyant prendre une photographie de l’église. Allons ! Je suis bien revenu au pays. Inutile de répliquer. Et dangereux. Tout le village viendrait me postillonner sa vinasse à la gueule. Maison natale au lieu-dit Moulins très précisément. « Tout près du château d’eau » - mais encore… Est-il indispensable de préciser que je n’ai pas la moindre envie de demander le moindre renseignement que ce soit. Mes retrouvailles avec Buzancy, dans le Soissonnais, où j’avais six ans – où j’ai reconnu, à la lettre, charnellement reconnu l’œil-de-bœuf au pignon de l’école, ne figurent pas davantage sur la bande magnétique. Même les Cahier Bleus de Troyes ont refusé mon texte. X Pour le village de Q., j’ai acheté une cassette neuve. Je me sis fait rouler par le marchand, qui clignait de l’œil vers son fils tu vois comment on roule un con ? Mon pays vous dis-je. Sartre, ta gueule. Vous ne connaissez pas le village de Q. Même l’initiale est modifiée. Et moi je joue avec le feu. Mon père a vécu là. Humiliés et offensés. J’ai vécu enfant ces humiliations-là. Faubourg St-Crépin. Ma main sur le grillage. Un gosse me crie T’as pas bientôt fini connard ? Quatre ans. À cet endroit j’ai inventé le roi Michel II : au départ du pont sur l’Aisne juste reconstruit. Je m’imaginais plongeant sous la glace afin de sauver mon ami. Voici la ferme où jene sais quelle bonne femme s’est précipitée vers moi, haineuse et furibarde, pour m’empêcher de voir une vache mettre bas : C’est pas un spectacle pour toi ! La bave aux lèvres. Je ne devais m’en prendre qu’à moi-même. Au faubourg St-Roger vivait Hélène Grain. Je faisais cette route à tandem avec mon père. Je vouais ma journée au Saint-Esprit. Q. est vite arrivé. Rien dans ce nouveau lotissement pimpant ne rappelle ce bled où les conseillers municipaux entraient en zigzaguant à la mairie ; Soissons s’agrandit. Je ressemble tant à mon père à présent. Le vieux village après le lotissement. Photographié le cimetière ; l’école ; le préau ; les chiottes d’enfants photo voilée. Reconnu peut-être la grande et forte femme qui retournait d’énormes fourchées de terre luisante. Ma mère l’admirait beaucoup. Mes deux camarades sont morts, jeunes, ivrognes. Le père de mon meilleur ami – celui que j’avais délaissé parce qu’il était trop gros – est mort lui aussi. Au pied de ce talus je suis resté étendu, crainte qu’une vache soufflant contre la haie ne me vînt fouler aux sabots. Je préférais sans doute risquer le passage sur moi, en plein virage, d’une automobile. Monté jusqu’au trois instituteurs fusillés lentement – les bras, puis les jambes – par les Prussiens en 1870 : Courcy, Debordeaux et… (les noms varient selon les sources) – le vent sur les hautes herbes, sur le chemin des Creuttes qui sont des maisons troglodytes abandonnées. Sur telle autre montée j’imitais avec la bouche le bruit de marée montante des Batailles. Mes ordonnances tombaient autour de moi comme des mouches, par ordre alphabétique : Abagernard, Abampouquoi, Abancroube, Abaobi des noms, des pas, des maisons. Voici l’autre Monument aux Morts, le vrai, de Quatorze Dix-Huit, où ma mère faisait chanter les enfants des écoles : Charpentier, Dufour, Dumont – Mademoiselle Leblanc est-elle encore de ce monde ? La maman de mon éphémère et trop gros ami est vivante, je l’ai bien aperçue. Où est mon amoureuse à sens unique Thérèse B ? tresses polonaises et regard bleu de juge… elle me détestait. Je l’aurais promue Secrétaire de Mes Œuvres – quelle ingratitude. Pasly reste de tous les postes occupés par mon père celui où notre famille subit le plus ignoble mépris : un comme lui, j’en fais tous les jours – mon père… J’ai vu la trace du rocher qui broya sur la pente les deux enfants cons qui le minaient par dessous à grands coups de barres de fer. Le premier tué sur le coup, l’autre fut rattrapé à la course, fou d’épouvante, par la masse qui roulait. Le troisième fut indemne : c’était lui qui sautait sur la pierre pour la décrocher… X Mes villages d’enfant n’en font qu’un. Si proches l’un de l’autre, qu’un coup de voiture suffit à unir. En ce temps-là, passer de Condé à Pasly, de Pasly à Nouvion, constituait une véritable transplantation – un exil – car nous n’avions que nos pieds et un petit vélo. Prendre le train, prendre le car : toute une aventure. Mon père posséda quelque temps un Solex. Vingt kilomètres : le bout du monde.. Je passe à Crouy. Rapide pensée pour mon amoureux à sens unique ; à onze ans j’étais amoureux d’un garçon, et j’expliquais à mon père, qui détournait vite la conversation, que d’après le dictionnaire, je devais être un homosexuel. Je n’ai jamais dit cela à personne. Il y a dix ans je me mariais. À cette heure où je suis, j’avais déjà prêté serment. Crouy-les-Soissons s’éloigne Seigneur inspirez-moi de belles paroles historiques. Arielle pense-t-elle à moi. S’il fallait revivre chaque anniversaire avec exactitude qui voudrait revivre. X En ce temps-là ce que nous connaissions d’un pays se réduisait à peu de choses : ce que nous parcourions à pied, soit les trois ou quatre communes limitrophes. Depuis la colline, dans les champs de l’autre rive, très loin, nous apercevions ces métropoles lointaines, ces îles comme la nôtre, où nous abordions parfois, dans des voitures d’amis plus fortunés, en groupe serré… L’automobile aujourd’hui réunit, froisse et meurtrit des pans d’éventails si divers – les brise. Condé-sur-Aisne est très différent de Pasly : c’était l’enfance encore heureuse, où je me croyais supérieur. À Condé, j’entendais prononcer ce mot mystérieux : Bucy. L’autocar de Soissons passait par Bucy, Sainte-Marguerite, Missy. Un tic me tord la gueule au volant. Les passants me regardent, se demandant si je suis toujours ainsi. ...À Missy-sur-Aisne, j’avais assisté à une kermesse en plein air. Ce fut mon premier contact avec la danse classique : une fille tourant en maillot sur l’herbe : gymnastique molle sur musique molle. Je fixais, en bas de la fesse, une maille qui doucement, imperceptiblement cédait. Le morceau de musique cessa bien avant que je pusse contempler un plus ample morceau de chair. Peut-être faudra-t-il à 40 ans m’abstenir de ces pèlerinages. C’est très dur. Voici que je m’approche des galipes, ou savarts, achetés par mon père à Condé – instant solennel !… ces friches afin de pouvoir dire « ces terres sont à moi ». Mon père est jeune. Il pousse sa brouette pleine sur le sentier. Il revend. L’ancienne propriétaire rachète et fait construire. C’est un devoir. C’est un documentaire. J’éprouve une culpabilité vague. Des voisins moissonnent. Tels que je connais les habitants de mon pays, ils seraient capables de m’engueuler : « Qu’est-ce que vous êtes venu foutre là ? » Ces cons de l’Aisne. À la moindre tôle froissée ils me jetteraient en prison. Ici, à Condé, je reconnais chaque maison, chaque anecdote familiale. Dans cette maison, le fils Leclerc survécut à une balle de carabine tirée en plein cœur. Près de cette autre, Lucien Garré m’apprit mes premiers gros mots. Le boulanger Cottin mourut d’une crise cardiaque au volant sur un passage à niveau. En 1430 Jeanne d’Arc s’arrêta pour prier dans cette chapelle. Chez les Fournot, morts chez les deux, je m’absorbais dans le catalogue du Chasseur Français. Je passe au pied du château de Celles. À cette porte dans le mur, mon père aida un jour une vieille à pousser sa brouette. Il en revint tout heureux. Sur cette place j’ai expliqué aux filles la technique de l’onanisme chez les garçons. Défile, défile… Ici le calvaire. Brigitte G. me faisant passer, repasser, pour me voir faire le signe de croix : calvaire, signe de croix ; calvaire, signe de croix. J’éprouve des émotions de coïncidences. L’épicière, madame Lobietti, est-elle morte, depuis vingt ans ? ...ses cheveux sont bleus… elle sourit… Des émotions de mathématicien. Je cherche mes parents sur place. Dans leurs villages. Nouvion : je vois la tombe de Jean-Pierre L. à qui je tâtais les couilles debout contre le mur, précisément, du cimetière. Il est mort dans la catastrophe ferroviaire de Verzy. Et le soir même – c’est fâcheux – voici le village originel : Guignicourt. Sans la moindre transition. Je découvre alors – eurêka – le modèle de mon roman nommé Monségur 47 : lorsquej ‘avais sept ans, ma grand-mère me recevait dans son lit ; c’est elle qui m’a fourni l’idée de ce personnage énorme, La Logeuse, que je baise… En vérité, c’étaient des planètes, des mondes, séparés les uns des autres par au moins quatre ou cinq communes : Pasly de Condé, Condé de Nouvion – par une année d’enfance, une ère entière – à présent je confonds mes années les jours s’en vont je demeure – Michel V., es-tu resté pédé à cause de moi… ...Qaund je visite un village, ce sont les autres qui viennent, et se confrontent, les chronologies se mêlent. Je pèse mes émotions avec scrupule. À l’affût des facilités. Chemin des Dames : Ici fut réalisée une percée de 2km 1/2. 950 prisonnniers. Combien de litres de rouges ? (fumiers…) Je vois des cheminées d’usine, j’imagine un camp de concentration. L’autre guerre. Des corbeaux. Un mémorial. Jean Roblin 18-5-1917, Jean Dauly 357e R.I., dué le 6-5-1917 dans le petit bois d’en face à vingt ans, regretté de sa mère, de toute sa famille et de tous ses camarades PPL je le fais : je prie. Une grande ligne d’arbres noirs. Grand cimetière de Cerny. Je ne suis plus intéressé. X ...À présent les villes se touchent, où commence l’une, où finit l’autre, c’est le simple envers et endroit d’un panneau, c’est un grand bourg sans rien – en ce temps-là, toujours un kilomètre au moins de champs, d’espace libre et de frontière entre deux forteresses. En ce temps-là chaque village semblait le moyeu d’une unité confédérative. Les noms épluchés sur la carte, à chaque mutation demandée par mon père – Pancy, Pargny-Filain, Ébouleau – figuraient autant de destinées possibles, et j’y rêvais, nous y rêvions tous. Le village le plus proche de mon nom s’appelait Colligis-Grandelain. Voici Trucy, voici Lierval. Un bombement, et ce sera Nouvion. Douze année – c’est le bon recul. Ému sans le chercher. Parcouru jadis tout ce pays à pied. Si je suis reconnu, je serai obligé de parler. Un rôle à tenir. Plus que trois kilomètres cinq. Je plonge au volant tête à gauche et reluque sous l’entrecuisse écarté d’une fille en maillot. Elle m’invective. Il ne me reste qu’une photo à prendre. À l’horizon la cathédrale de Laon. Très long village encore à traverser de cent cinquante à deux cents âmes, je me suis trompé, par la route de Presles, j’ai bien reconnu le Moulin d’Haut et le père W. qui m’a salué, j’ai transformé son fils en tante, et passant près du Bois des Roses (cent sapins) le sourire me scie la face comme une ficelle serrée, la ferme aux W. semble abandonnée. C’est sur ce chemin du Moulin d’Haut que j’ai confié à Jean-P. Mes débuts de dédoublement : « Je me sens ressentir ». Mes échos ne sont plus si naïfs. Je retrouve incongru le chemin des noyers au-dessus de Belvès. Tout visité à pied. Je suis remonté en haut du cimetière, pour le portrait ovale de Jean-Pierre, sanglé, cravaté, triste, pédé rentré. Sur les photos des cimetières très souvent, les êtres qui s’en vont mourir s’en doutent. Ils ont la prescience de leur mort. La petite fille de la photo scolaire mourut l’année suivante. FAMILLE MARÉCHAL Maryse Maréchal à quinze ans épousa le fils Éduen, de trente-cinq ans. Ils furent très heureux. La mère de Jean-Pierre elle aussi m’a reconnu, rabaissant le rideau de sa vitre. Qu’est-ce que je vais donc faire de mes souvenirs, si vous m’affirmez que ce n’est pas de la littérature ? ...du vieux lavoir de 1848 ? ...de la ferme rose des W., qui finalement n’a pas été abandonnée, d’où sortent à l’instant deux frères barbus qui prennent la relève ? ...de mon verre au bistrot de Nouvion s’il vous plaît ? Qu’est-ce que je répare ? ...Il suffit d’une lampée pour engloutir la route où mon père et moi sur le même scooter épique, mes bras sur son ventre, nous vivions la plus intense union de nos jours. C’était le trajet de la porte d’Ardon. Nous nous parlions dans la vitesse, et je devais m’appliquer contre son dos des deux hanches à la bouche afin qu’il m’entende. Il répondait bien droit, la tête de côté, les gens sous leurs volets devaient ouïr dans le moteur un grand bruit de trois fantômes, la Chasse du Père et de son Fils. Quatre pavillons se sont construits depuis. Ici un chien se jeta sous les roues de mon père. Le scooter fut plié en deux. Cette prairie. Ce brouillard qu’on coupait au couteau pour de vrai. Sommes-nous si différents. Cette intimité physique entre mon père et moi. Nos voix ensemble faisaient comme l’amour, j’étais au chaud sur tout mon ventre, je rêvais sous mon accoutrement – dont on jugeait bon de m’affubler : je vivais sous l’interdit, il ne faut pas oublier cela, de terreur, vis-à-vis des professeurs, de mes masturbations déjà épiées, c’était l’essentiel de nos conversations, je croyais tout ce que disait mon père. C’est de cette prairie, de cette nappe de brouillard, qu’est sorti au trot le chien qui le renversa. Il ne reste de moi qu’une photo, en grande horrible Tenue de Scooter. Avec le pantalon de golf. Pour la première fois je refais ce trajet depuis juin 57. L’année suivante nous n’allions que jusqu’à Vorges, où un collègue de mon père m’emmenait avec ses fils dans sa voiture. Je ne prenais plus le Minibus au bas de la côte. Le 11 novembre 1958, je regardais de loin avec Winnie le chien l’attroupement cérémoniel du Monument de Presles sous la neige, sachant pertinemment, à quatorze ans, que jamais je ne verrais plus ma France ancienne. Mon dernier Onze Novembre d’enfance. Le 18 nous embarquions pour Tanger. Les matins d’hiver, par-dessus la Montagne de Laon, il y avait de grandes barres vert et rose dans le ciel. C’est entre les douzième et quinzième années que se constituent les souvenirs les plus nombreux, les plus contraignants : ceux d’après lesquels on vit, auxquels on se conforme. Puis on les imprime à ses élèves. La colline de Laon est un haricot. La partie concave, tournée au sud,c’est la Cuve-Saint-Vincent ; La pente est raide. Je la dévalais à pied, avec mon béret. « Il est tout raide », avaient dit les filles en me voyant. J’ai répondu dédaigneusement Tu parles… Jusqu’en bas, jusqu’au grand Christ aux fesses creuses où les oiseaux faisaient leur nid. Le matin, à l’aller, dans le Minibus qui nous hissait sur la Montagne, je gueulais du rock and roll tout seul sur la banquette arrière, le béret sur la tête. C’est un fou. Parfois ils se mettaient à cinq contre moi. Il paraît que ça fait jouir. Ah bon. Je vais régler mes comptes. Me rencontrer. Vers le haut, vers le bas. Voici donc le Christ d’Ardon, rongé de rouille. Il ne brille plus. Son cul n’abrite plus d’oiseaux. Toujours rien. La côte d’Ardon. Jardin de Diane – ô pubis bombé – je m’en tordais le cou sur le scooter, tout au long du virage : pas de sexe, pas de sexe, pas de sexe ! le Christ en bas, et la vulve de Diane à mi-pente. Absente, gommée sur le bronze vert. Porte d’Ardon. La maison – peut-être – de Wierzbicki. Où est l’enseigne en latin ? La porte de ville est une fortification,  Non loin de là logeait un éphémère et très beau camarade, Wierzbicki. Il prononçait sonnom à la française : « Vièrz », et non pas « Vièj ». Une inscription latine portait Intra in domo mea, et bene eris. J’avais cru déceler un solécisme. J’étais entré le dire au marchand de chaussures, que j’avais demandé en personne. Me promenant en ville haute, peu d’émotions, cité agréable, marchande, animée ce jour. À la Bibliothèque Municipale, je lisais, à douze ans, L’Enfer de Dante, à la grande colère méprisante d’un camarade : « Mon grand frère le lit pour sa licence, alors tu parles si tu t’imagines pouvoir le lire ! » Le bordel « Le Sully » a disparu, et ses rideaux bleus. Enfin je parvenais à Guignicourt-sur-Aisne Ce sont là mes origines. Le pays de ma fausse grand-mère, seconde épouse du grand-père. Belle-mère de ma mère, au sens de marâtre. Belle-mère de mon père, dont il était le gendre. La rue de Mémé Fernande s’appelait « du Point du Jour », droit vers l’est. Nous y passions toutes nos vacances, mes parents et leur fils unique. Quel que fût le bled où mon père fuyait telle ou telle pétition – c’était encore là que nous avions échoué. Guignicourt était mon village permanent. Le cimetière gisait au bout de la rue. Nous y allions régulièrement, nous incliner sur la tombe où reposaient Gaston, le grand-père ; et le père de Fernande, dit le Père Sauvage. Chaleur. Cris funèbres des poules dans la cour sale. Solitude. T’es trop grossier répétaient les autres enfants (je me souviens que ma mère avait soufflé à Marâtre Fernande : « Dis-leur n’importe quoi – qu’il est grossier ». J’écrasais les herbes entre mes doigts pendant mes promenades. Juste le temps d’éviter le train en sautant du ballast. ...J’étais encore avant Guignicourt et me mettais à paniquer. Acheter un gâteau, acheter du vin blanc.Cela fait une angoisse assez présentable. Peut-être allais-je tomber en pleine congrès familial, oncle Clovis et toute la clique. Acheter aussi une pellicule photo. Il faut prendre la grand-mère avant qu’elle clape. À cette heure-ci, le 13 juillet dix ans plus tôt, ma noce était repue, ma fraîche épouse et moi reprenions notre souffle avant le goûter, avant le repas du soir. Nous étions neuf en tout. Fernande avait recommandé : « Mettez ce petit mot de moi dans son assiette. Qu’il pense à moi au moment de se mettre à table ». Ma mère avait haussé les épaules avec mépris. Elle n’aimait pas sa marâtre. J’ai lu le petit mot huit jours trop tôt. Le jour du mariage, pas un instant je n’ai pensé à ma grand-mère. ...Guignicourt, c’était au bout de la plaine, après Berry-au-Bac, où l’on s’était battu sous Jules César, où les chars s’étaient affrontés en 14-18 comme en témoignait le monument aux morts : un Schneider CA 1. Je passe devant le Calvaire du Choléra. Riant paysage. Souffle court. Par quels mots marquer les rerouvailles ?  … Je t’ai apport du vin ? J’irai voir la Louise, aussi, une amie de ma mère. Je lui sortirai des histoires de cul. Elle poussera des gloussements sans fin. Panneau GUIGNICOURT Château de GUIGNICOURT Église de GUIGNICOURT L’émotion qui se déclenche. Place interdite en raison du bal du Treize Juillet. Un plouc passe, en costume. Il ressemble à un singe déguisé . Je n’irai pas au bal. Cette année-là j’avais gagné un kilo de sucre à la loterie dela fête. On m’avait suivi pourme l’arracher, parce que ce n’était pas poru les étrangers. BONJOUR MÉMÉ QU’EST-CE QUE TU OFFRES ? Le ton de cette cassette, où j’ai enregistré la voix vivante, pour la première et la dernière fois, de ma grand-mère, ce ton est faux, parfaitement faux, car je sais que j’enregistre, je dis que j’ai couché à Soissons en me faisant passer pour un Hongrois elle répond Vous n’êtes pas restés assez longtemps quelque part pour dire que vous avez laissé des souvenirs, vous n’avez pas de racines. Mes racines sont à GUIGNICOURT. Je dis c’est marrant rien qu’en l’espace d’un jour (j’ai l’impression de t’avoir vue la veille) j’ai parcouru tant d’époques différentes – dix ans d’enfance – de Pasly à Guignicourt nous remontions en train à Laon, changement vers Reims, toute une expédition j’ai ajouté que je n’avais pas éprouvé d’émotion – gardant la fin pour moi – elle répond : « J’ai reçu une lettre de ta maman, c’est plus pour toi que pour moi ». Moi : « Je pouvais venir plus tôt. J’ai flâné ». Je dis que ma fille s’est bien accoutumée (à quoi?). Je dis qu’elle ne sera pas trop sentimentale, que c’est tout ce qu’il faut, surtout pour moi. 14 juiillet 1976 – GUIGNICOURT / PAS-DE-CALAIS Ce sont les derniers instants. Tout est enregistré. Chez moi, tout sonne faux. Fernande est naturelle. « Au revoirma vieille. J’allais te dire « bonne route » - Bonne route à toi… et surtout, attention. Bien des chosesà tes parents de ma part. Je demande si ma mère peut venir à Guignicourt en septembre – si elle en trouve le temps : en effet mes parents déménagent. Ils s’installeront près de chez moi. Tout près, trop près. Il ne voudront revoir la grand-mère que morte, l’année suivante. Sur la carte qui m’est adressée, ma mère a écrit : « Bonjour à ta femme ». Elle sait pourtant bien que je voyage seul. J’ai dit à ma grand-mère que je n’avais pas beaucoup vu l’oncle Clovis. - Ça ne lui fera pas grand-chose, dit-elle. - On se connaît peu. Tu lui diras bonjour de ma part. Je vais y aller. Au revoir encore un coup. - Au revoir mon gamain. Envoie un mot de Verdun. Je dis : « Le Seigneur soit avec toi. - Avec toi aussi ». Les derniers mots de ma grand-mère à son petit-fils. Sur cette terre. Tout est enregistré. Je quitte Guignicourt à 14h. 28. Je vais rouler à présent, rouler, très vite, loin de la mort. L’indulgence ne viendra qu’ensuite. Que serai-je à 82 ans ? Certaines choses ne se confient pas à un magnétophone. Je fais un bras d’honneur à deux merdeux, à ma jeunesse. Voici la borne où mon père se fit cueillir et arrêter par les Américains, tout pue la mort et la vieillesse, mon père jeune est déjà vieux. Ma grand-mère a une amie de 83 ans. Cette amie la subjugue (elle, si rogue) avec de grands élans démonstratifs : « Nous nous aimons bien toutes les deux ! » Fernande se laisse caresser la main et ronronne prudemment. C’est la première fois que je vois maa grand-mère séduite. C’est la dernière fois que je la vois. Peut-être devenu vieillard connaîtrai-je aussi un homme qui dira « Je suis ton ami », peut-être abandonnerai-je ma main, sans trop parler. Introduit sous je ne sais quel prétexte chez cette Mme Dalahaye, ma résistance à la Mort s’effondre, d’un coup. Passées cinq minutes de politesses, je ne suis plus capable que de répéter ce qu’elle me dit. Elle s’en aperçoit. Je la quitte et je roule, roule, roule… Je me suis promené dans ces bois avec mon père ; avec Noubrozi. Nous avons habité Marchais, où se trouvait le château du Prince Rainier de Monaco. Il passait souvent dans son auto à parements de bois, portait des lunettes noires, avec d’autres gommeux de réputation douteuse. J’y suis revenu dans les années 60 avec les Va… - ce dernier souvenir me fait écran. Tout est immense autour de moi. De mes quatre à mes cinq ans, j’avais déjà observé ce sinistre changement d’échelle. Je porte entre les épaules cette croix de fatigue. Beau clocher J’ai manqué l’école. Liesse. Pour nous autres, la grand-ville, où je vois la plaque du docteur Delvincourt, fils de celui qui m’a crevé les ampoules au creux des mains. Je fuis. Au jugé, sans carte, sans mouchoir. Le Nord commence. Passé Laon je ne connais rien – Marle, Bohain, St-Quentin, Guignicourt-la-Mort dans le dos, Quatorze Juillet, devant chaque mairie des attroupements, de village en village : le traditionnel vin d’honneur. Le film se déroule au ralenti, kilomètres après kilomètres. Vesle. Fuir. Klaxon pour les oiseaux, cul-de-sac de ferme, département du Nord, Herlon-sur-Vipion, la première heure a passé très vite, il me semble que je viens de démarrer. Bois-lès-Pargny, mille kilomètres depuis mon départ. Touchante constance dans les tous les bourgs de tous ces citoyens endimanchés. Plaine riche et variée, cliché du manteau, c’est la Thiérache, routes droites, je vois venir les voitures de très loin, Ribemont. Je pénètre véritablement dans mon « étranger d’enfance ». Je me sens coupable. Je me sens recherché. En dix kilomètres le paysage s’est modifié. Un peu d’industrie, sournoise… Un peu d’usines… Je suis lassé de tant rouler – pourtant si lihre – hérissement de HLM – St-Quentin. Les villes du Nord ne sont interchangeables qu’au profane. À votre gauche une maison de briques. À votre droite la magnifique cathédrale. Bourges et St-Quentin ont le même nombre d’habitants en 1967 : 53 800 exactement. C’est de cette dernière que sont venus mes tortionnaires de colonie de vacances, en 1954 - Levegh aux Vingt-Quatre heures du Mans l’année d’après, le moeur sur la foule, quatre-ving quatre morts. Autre bouffée de mort, de vieux, de malade, invasive, l’identité des corps s’atteint dans la vieillesse, parmi les vieux, entre les vieux de vieux. Partout avec pitié, dans une grosse tranche de blues, tant de vies misérables, inutiles, à ras de sol sur des chaises devant les portes au soleil, dans les rues, parents poussant les les mômes futur dingues, sur un mur, passant le temps, cartes postales dingues de tristesse que je gade, puisqu’on ne m’envoie rien, rien du tout du pays mort. Je me suis arrêté dans pour la nuit dans un champ planté de chaume, d’éteules comme on dit. C’est un terrain tout dégagé, qui désigne de loin, dangereusement, celui qui s’arrête, l’étranger, le coupable. Mais je ne savais pas que c’était dangereux. Au dimetière dans mon dos, sur les tombes, je lis les dates incomplètes, je lis Molière de Copeau et le soleil se couche Molière était-il incestueux ? ...ce survivant aime tant son épouse que la date de sa naissance est déjà gravée là, puis un tiret, suivi des deux chiffres du siècle : 19… - mort, en suspens. Voyage vide. Voyage éprouvant. Le dernier. J’ai bien vieillli à 31 ans, ha ha ! j’envisage d’autres plaisirs. PAS-DE-CALAIS - BRUXELLES   Quelque part entre Arras et Notre-Dame-de-Lorette. Nuit froide et buée. J’ai réchauffé de mon sang le moustique écrasé de ma main ce matin, tous ces projets de mort, assez, assez… Je suis allé voir tous les morts de mes parents, tous les tombeaux des villages, et dans mon dos Guignicourt et la vieille, mise là à crever. J’ai vu depuis mon champ les grands voiliers des routes, ces rands bahuts de routiers bringueballant fer et tonnerre entre les touffes d’arbres et le sol, sur fond de couchant violacé, grands vaisseaux éclairés merveilleux, je n’ai que ce mot à la bouche, « merveilleux, merveilleux ». L’enfant sortirait pîsser dans la nuit, la porte se refermerait derrière lui, hermétiquement. Il chercherait pieds nus un garage, on le prendrait pour fou, comme jadis. Il avait trouvé la meilleure position pour dormir, mais les moustiques l’en avaient empêché. Il n’avait pas crié de joie au lever du jour. Il s’étira. Ce soir, à Bruxelles, il se promit un palace. Notre-Dame de Lorette. Sang versé. Tranchée de Givenchy. Mémorial canadien. Haut lieu de tuerie. Lichtfield Crater. Lever du soleil et chants d’oiseaux. Les soldats, là-dessous, me semblent communiants, fraternels – plus tard à Douaumont j’avais le goût de sang – passant d’un champ de mort à l’autre Oradour Verdun Waterloo Je suis l’Ancien Combattant. Voici un jeune homme en uniforme neuf montant la pente sous le soleil. Il accomplit le vœu. D’ici nous dominons le Bassin Lensois et plus loin les crassiers. Combien serait comique en vérité un Musée des Morts de la Route. Puis l’agglomération s’interrompt. Toute femme observée prend l’air fier. Tout homme ignore l’attitude à prendre. À lui, rien n’est dû. En lui rien n’est marécageux. La femme que j’observe en mon rétroviseur ne peut voir que l’arrière de mon crâne. La guerre se poursuit. La campagne est en lambeaux. Peut-on monter sur un terril et cela se visite-t-il ? Voici que les villes à présent se touchent sans toutefois se confondre. Phalempin. Une forêt. Trois bourgs sur dix kilomètres et le soleil encore. Ici je me retrouve, tout décontenancé. Rien de gris, la campagne et le blé, une ligne à haute tension. Lille fut assiégée l’an 1667. Monsieur Frère du Roi était en embarras avec Louis de Vendôme. Je siffle un mec en bottines et torse nu. Tout le monde s’est retourné. Frontière belge. Monchin. L’aventure. Les têtes de Belges. Ont-ils changé depuis 99 nouveau style. Ils n’ont ni trompe ni pustules et parlent français. Parenthèse : la route pavée ; le parfum sous-jacent de germanité. Pour nos enfants roulez plus lentement. Attention ici danger. Tête de mort. Ici double carrefour. Et sous les roues la succession ferroviaire de plaques de ciment, j’entends « trente-trois, trente-trois » 59 et 62 nombreux encore à quelques kilomètres de la France. Attention, pluie. Début de grinche « ...La Belgique est inorganisée, sale. Tous lesvillages sont des villes et les villes se touchent, aucune ligne directrice, la route part en tous sens, rien n’est indiqué ». Fin de la grinche. Les lieux belges semblent fabriqués, comme un décalque du français Aéroport de Thermède ; Péruwelz ; château de Bel-Œil. La timidité provient de la peur de faire sentir sa supériorité, autrement dit, sa connerie. « La Chapelle à Grès ». Ils n’ont pas le droit ; Enfant j’inventais de faux noms de communes : Travougnac. Béjaut. Traplaugnit. Ville ou campagne ?… « Centre » : devant, derrière, à droite – où se trouve Ath-Centre ? Puis une halte assise dans la petit chemin de Silly près Soignies. Écouté Saint-John Perse et les oiseaux encore. Tous les devoirs se sont enfuis et l’angoisse est entrée. Un jour prochain se fixerait le sort définit, dans la pensée comme dans le monde, et les larmes montèrent, je craignis de me perdre avant la mort. Sensations éphémères : de voler, assis, dans l’espace, par le seul moyen de mon corps – il est si rare que je parle de mon corps. Lobsang Rampa se détachait de ses chaussures et planait. Fin de la bande n° 3 Bande n° 4 Où la voix vieillie de mon père expose le mode d’emploi, puis vient une messe de mariage à Tirlemont / Tienen, en flamand, avec des festivité bizarres : les enfants apportent des branches à l’autel, les enfants ne communient pas mais partagent du pain bénit – les adultes en revanche, indignes, communient. On crie « Hourrah ! Hourrah ! » - sur la bande, restes d’un enregistrement d’avant, les cloches de Thiviers (Dordogne). Lignes du 17 juillet 2023, à 13h 40, et Bruxelles que j’ai vue n’est pas, ne sera pas mentionnée. BRUXELLES - LIÈGE - FORÊT DES ARDENNES Si j’enregistrais des sons. Si Arielle, laissée seule, me demande au téléphone de revenir, très vite ? Si je reçois du courrier « Poste Restante « ? jusqu’ici, jr fuyais. Coup de klaxon – la branche sur la route ne s’envole pas. Les panneaux redeviennent français : Neerheillissen, 5km. Une jeune fille à bord : « Je vais où vous allez. - Copenhague. - OK » à l’hôtel nous prendrions deux chambres séparées (courbette) « je serais flatté si vous partagiez mon lit ; ne me permettrais pas de vous importuner ; laisse la porte ouverte » mais rien. Jamais rien. Sous mes roues les plaques de route qui font ploek-ploek, voie ferroviaire [prononcez « plouc-plouc »] - « Route Pépin de Landen » - N° 11. Retour en Flandre, l’autre langue, les camions de vrachtwagens deviennent des jouets, la route “Pépin pittoresque” ne montre qu’une zone industrielle. Un pharmacien flamand, een apotheker, me vend une bouteille d’eau minérale. Je n’ai pas voulu de celle qui sortait dy réfrigérateur. L’apotheker a été fort aimable. J’ai donc enregistré une messe de mariage en flamand, et même, une partie du sermon : je me trouvais près d’un haut-parleur. 18 JUILLET 2023 – CHARLEVILLE – LANGRES La Belgique, on l’a vu, ça n’existe pas. Je n’en ai presque aucune trace enregistrée. C’était donc un voyage vers rien. D’autres vaches ont écouté mon harmonium. L’église se déplaçait autour de moi. Les bovidés m’écoutaient avec intérêt. Ils se disaient pourtant : “On a autre chose à faire : il faut brouter”. Les vaches tournaient souvent la tête vers moi. Je ne m’ennuie plus. Décidé à ne plus penser – bientôt il nous faudra des conversations, ce qui interfère avec Ma conception du voyage. Mais redevenir normal comporte tout de même quelques avantages. Toute la Belgique sans rien en dire. La vie relayait la bande. À Mouzon (Ardennes) existe UNE maison ancienne. Ils la mentionnent sur un panneau. Elle se situe juste au pied de quatre ignobles HLM. La Meuse, département fleuri : non, NON. Département rude, département des massacres, du fumier, des fosses à purin davatn les maisons, désormais comblées de fleufleurs sur la terre de mes ancêtres. Les sangliers. Inor. Un canal, une péniche – marcher le long de l’eau en lisant le bréviaire – et si, moi non plus, je n’avais pas le temps ? “Je m’en souviendrai toujours”. Je ne m’en souviens plus. Le livre a bouffé le canal. Sans se forcer à rien éprouver, juste en se forçant à lire. Alors passe un bateau anglais. Alors sur l’autre rive pique-niquent les imbéciles en nombre au bord même de la nationale. Ô cons-d’humains-mes-frères, ô nature, ô jardins repoussés sur les champs de bataille – inintelligence du lieu. À Montfaucon il a fallu que des gougnafier construisent, précisément là, la villa de famille. Ce ne sont pas les croix qui émeuvent, mais les Regrets Éternels des cimetières, les portraits fanés mangés d’œillets secs, les âges Mort à 19 ans. Guerre ! Virilité ! Hou-Hou ! Que ces cimetières sont propres. Je voudrais des cercueils transparents, triomphants, avec des squelettes, des chairs en celluloïde, l’impudeur devrait aller au point où les habitants porteraient à tout jamais les mêmes habits de deuil, célébrant commémorations sur commémorations, de la passion des hommes, qui serait, cette fois, la vraie. Et quand tous se mettaient à crier “Assez ! Assez !” - le spectacle serait efficace. Des cars scolaires passent désormais par ces routes. “Maman ! On va chercher des champignons au Mort-Homme ! - Ne rentrez pas trop tard ! Ce que je cherche : le chatouillis clitoridien de l’émotion. Je me jetterais au pied du monument aux morts, j’éprouverais d’énormes élans. Celui de Montfaucon se dresse gras, seul, solennel. C’est un monument par tombe qu’il eût fallu prévoir, une photographie par sépulture. Une théâtralisation, nécessaire, de tous ces morts-là. Jusqu’à l’intolérable, cela, cette hystérie. Monument décevant de la Cote 304. Grande tournée des grands lieux du massacre. Il faudrait imaginer tout embrasé ce vaste cercle bucolique. Avant mon gueuleton du soir. Très beau monument d’Esmes : un soldat, qui sème sur des tombes. Ce paysage a dû être splendide sous les bombes. J’enregistre cela. Nous autres mortels, si fiers d’avoir souffert. Ils ne sont pas morts pour moi. Des Nancéiens qui saucissonnent au pied du Mort-Homme. “Qu’est-ce qu’ils ont morflé, ici, en 40. - Non, en seize. La radio de bord diffuse Mireille Mathieu par les portières ouvertes. “Champs de Bataille” sans s. L’orthographe est respectée. Ai-je envie d’en sortir ? Douaumont, Souville, Verdun. Suffit, le cinéma. Les noms s’agrandissent en vertu de l’arbitraire. Quels seront les futurs grands lieux ? la prochaine ville rasée, qui ne le sait pas encore ? La prochaine fois j’achète un dépliant détaillé. Ce que j’ai vu de mieux c’est le Mémorial de Fleury. La visile idéale se ferait à pied, avec gamelle et tout le barda. C’est ce que Giscard a fait faire aux Anciens Combattants. La question fondamentale ne sera pas posée. Verdun même n’est visitée que pour avoir tourné autour toute la sainte journée. “Interdit aux nomades” Allons, je suis bien chez nous. À partir de Langres je serai sur la route du retour. Cette nouvelle vie que je n’aurai jamais fait qu’effleurer ne peut s’envisager qu’en absence to toute obligation. La rage des cimetières militaires n’a éclaté qu’après Quatorze ; Poitiers, Waterloo, sont reconstruits. Non, ce n’est pas une honte. Traversée de Lacroix-sur-Meuse, méconnaissable. Commercy, Mesnil-la—Horgne, où le vieil harmonium grince. Je n’ai rien dit de Bruxelles, de Liège. Ce fut approfondi sans dire : ce matin, en prairie ardennaise, lèvres scellées, bouche close. Le paysage vint me voir en dedans, au sein d’une joie intense. Pendant quinze kilomètres, indications Château de Bourbilly. Arrivé dans le bourg, plus rien. Soudain une masse d’échafaudage. C’est là-dessous. 85 802 au compteur – 42 501 depuis que mon père m’a payé le véhicule. Je vois des jupes fendues que des idiotes rabattent. L’élégance d’un chien clopinant sur trois pattes avec des grâces aériennes ; un tortillard à Rouvroy puis je pense au sexe. Enfin du consistant. Sourire adressé à une jeune fille osseuse et chevaline, dentue, comme je les aime, tout dans le museau. Panneau : “Chemin des Ânes. Pédestre”. Me voici à la Pierre-qui-Vire. J’ai repéré le panneau de justesse. Ilm e faut un office à bander, c’est-à-dire à enregistrer sur bande. Il faut monter une pente abrupte. J’aime les moines. Achat d’une Patrologie latine de Campenhausen. Qu’elle ne soit pas trop hagiographique. Librairie plus belle que l’église. Un moine à tête d’oncle me dit de l’excuser : il se doit à l’office. Une telle vie m’aurait plu, sauf le sexe absent. Le Père S. à Cadillac m’avait donné le Bulletin Paroissial. B. m’a dit qu’en compagnie du vicaire de St-Macaire ils voyaient des films en touchant sa propre femme de 50 ans. Il fallait mieux lire le Bulletin Paroissial. Et parmi les Choses Vues, noter deux vaches en alignement, deux queues de part et d’autre pour un seul corps. Et Quarré-les-Tombes. Ce bourg suggestif me servait de repaire dans mes voyages entre départements : venant de Côte-d’Or, le premier gros village de l’Yonne. Visiter Nevers, en hommage au Yankel des Eaux Mêlées. Il nous faudrait un micro sélectif, captant au son les femelles du Morvan se branlant à 13h 45 précises. Nous aurions peut-être beaucoup de surprises. Il faudra tirer son coup à la Courtine, à condition d’y entrer. Mais notre retour de Belgique s’effectue dans un état de crispation excessive. Le jsute milieu se trouve entre l’arrêt à 14h22, quitte à manquer un site magnifique, ou poursuivre au-delà de l’horaire fixé, juste pour éviter les humains ; une nouvelle identité n’est peut-être qu’une ancienne, revenu, repartie, donnant l’illusion d’un progrès – d’une marche en avant. Ligne droite, ligne cyclique. La crispée, l’euphorique, à volonté – lucidité – liberté – santé – ouverture – conseilleurs new style – Rainer Maria Rilke un jour les forces en toi (ou la grâce) – dix ans, voici quinze ans d’attente, lettre morte question progression – Queue-Queue cherche Médor. CREUSE et fin : les Cheds, Juvigny. La vanité ne prend pas un eride Jean Rostand. Pique-nique “en Creuse, vacances heureuses” – et les premiers sapins. Sous Guéret, petit parking dans un virage désaffecté – savoir que personne n’y passera plus jamais, retour aux puretés premières, les conifères enfin calmes, et ce chat qui traverse sans risque. J’imagine des funérailles. É B A U C H E D’ U N E R É G L E M E N T A T I O N D’ I N S P I R A T I O N F A S C I S T E V I S A N T À M E T T R E F I N P R O G R E S S I V E M E N T A U P H É N O M È N E R É P U G N A N T D U T O U R I S M E 1 ° Répartissement des congés sur les 12 mois de l’année. 2° Chaque année, un département par famille. 3° Ouverture de plages de concentration. 4° Centres d’examens de culture générale devant les principaux monuments. 5° Dix personnes par visite. Quiconque prouvant son ignorance par ses questions idiotes sera expulsée sur-le-champ. 6° Halte à l’uniformisation des campagnes. Réhabilitation du fumier dans la Meuse. 7° Démolition des tours administratives de Tulle et de Chateauroux, après y avoir pendu les responsables. 8° Suppression de toutes enseignes et panneaux rappelant la langue des envahisseurs du Six Juin 1944. 9° Suppression des ignobles panneaux “son camping fleuri”, “sa piscine fleurie”, etc. 10° Amendes démentielles pour pique-niqueurs des bords de route et usage de transistors (France-Musique et France-Culture tolérés) (et encore). 11° Interdiction de toute manifestation sportive en rase campagne. 12° Tout le monde sur fiches. 13° Possibilité pour le rédacteur de ce texte d’aller se faire foutre ailleurs dans les meilleurs délais. 14° Shorts interdits. 15° Revenir au stade de civilisation précédent les congés payés : seuls les rupins, les érudits, les rupins érudits pourront et devront voyager. 16° Interdiction de tous travaux d’urbanisme et de toutes constructions de lotissements. 17° Suppressions des poids lourds. 18° Églises réservées aux prières. 19° Suppression des pelouses, golfs, et de tout paysage exagérément soigné. 20° Interdiction de voyager. CONSÉQUENCES Finies les vacances surchargées. Bientôt le flot des touristes sera tari aux 9/10. Chacun se verra imposer un mois de congé différent, en décalage d’un mois sur l’année précédente (par conséquent, congé tous les 11 mois : c’est plus social). Chaque famille aura un département de séjour à explorer, vous devrez remettre votre cahier de séjour convenablement rédigé. On appelle cela “L’école à perpète”. Ça vous apprendra à méditer, à vous tourmenter, à réfléchir, à écrire ! Et vous deviendrez autant de petits collignons ! à cette pensée, mon cœur défaille. Volcanique. N’oubliez pas qu’un pneu pourri dans une mare vaut mieux qu’un cygne dans une pièce d’eau interdite. Soyez morne, soyez moi. Les cons ne voyageront plus. Ils seront dirigés vers des dioramas. La pointe du Raz sera réservés aux musiciens et poètes. Des flics en masse controleront des automobiles de plus en plus rares. Correction immédiate des fiches et questionnaires par des poulets surdiplômés. Un jour, à la fin d’une longue enfance, j’ai décid
é qu’on ne m’engueulerait plus. Que je ne serai plus jamais coupable. Responsable. Nous n’utiliserions qu’un dixième de nos cerveaux ? Je crois, moi, que nous l’utiliserons en entier. Sinon, pourquoi cent mille crétins pour un génie ? “Étonnant, non ?”

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