Fleurs, couronnes, etc.

CONFRONTER le « Hautetfort » dans « Diffusion écrite » et le « Hautetfort » dans « Textes 1 ». ATTENTION : doublon(s?) dans les pages 5 à 8 il faudrait distinguer deux promenades nocturnes, une après l’installation au demi-pavillon, l’autre après l’intégration au Grosshaus. Cela structurerait le tout. Tout reprendre assez vite pour vérifier la cohérence. nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn NE PAS OUBLIER QUE BGD. EST DANS LA MAISON DES SŒURS ET AUSSI DANS LE PAVILLON AU FOND DU JARDIN. Kkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkk DÉBUT 2 À la mort de Myriam, Bogdan ne fut pas accablé de chagrin. Il demeura près du corps, assis. Les haut-parleurs diffusaient en sourdine Good bye strangers. Plus loin, d’autres chambres émettent des relents de déjections et de détergeants. Trois niveaux de portes battantes, salles d’usage imprécis et de corridors, animés de serpillières, chariots qui chuintent et soignantes qui s’iinterpellent. Sur le lit gisait Myriam, en peignoir, tête calée sur un coussin de glace. Ses lèvres avaient pris l’aspect de cordelettes mauves. « Je ne veux pas rester au Vieillards’Home » dit le Veuf. - Vous occupez notre meilleure chambre. - Pourquoi m’avez-vous séparé de Myriam ? - Son travail de mort vous aurait troublé. Bogdan adore les agonies. Claire glisse dans l’étui ses verres fumés. Un éclair de monture éblouit Bogdan. « Claire ? je ne veux pas mourir ici ». Good bye stranger compte 7mn de claviers ; voix de fausset, tierce, sourdine. Bouffée de violette. LA GLACE ! s’exclame une infirmière – en plein mois d’août ! Les cubes en s’entrechoquant font un bruit de cocktail quand on les glisse sous la tête. Bogdan pose la main sur le bras de Claire : « Montez le son ». Les soignantes le fixent coléreusement - un jour trouver ton / paradis – batterie feutrée liée pour toujours au profil de Claire. X Bogdan et Claire à titre d’avertissement visiteront cinq domiciles. Dans un premier étage vit une vieille au mobilier embouteillé de bibelots et de napperons blancs j’ai tout reverni les meubles 26 Rue des Judas voici ma bibliothèque (Saramago - Eça de Queiroz) « La circulation » dit-elle (Chaussée du Vouzy) me gênait. Puis je m’y suis faite. À présent l’été je laisse la fenêtre ouverte et j’ai fleuri la terrasse sur cour… » La vieille dame se lève et sort d’un tiroir un courrier récent, où la propriétaire se plaint d’un gendre chômeur, d’une fille aux études coûteuses – “Sommation de Déguerpir” en pièce jointe. Claire prend Bogdan à témoin : “À présent mademoiselle M. s’ankylose, comme vous le voyez, dans une pièce meublée d’un lit, d’une table. Plus une chaise, une coiffeuse à deux rangées de lampes nues. - Les toilettes se trouvent au fond à droite, précise la locataire ; Claire la dissuade de se soulever “pour montrer”. “Il ne s’agit pas d’une spoliation, Paniei Bogdan ; mais d’une simple application de la loi. Tout propriétaire est en droit de réagir ainsi.” Fin du premier avertissement. Bogdan croit tout ce que dit Claire. Elle n’a que 23 ans. Blonde pâle, pommettes écartées ; que pèse une vieille Lisboète, rue des Judas ? ...Bogdan reçoit l’assurance de quitter bientôt le Vieillards’ Home. Le lendemain, Claire dit : « Tu n’aimes pas les femmes seules. - Je me comprends. - Fermez bien votre porte à double tour ». Claire ne se décide pas entre vous et tu. « Eh bien, restez donc hanté ». R. 4 Bogdan digère mal son expulsion programmée. Deuxième visite “Chez Léger. Passe devant.” Qui est-ce ? Le battant se referme et se rouvre, derrière sa chaîne. “Nous ne pouvons loger personne”. Les voix sont âgées. « Pas de migrants ! » « Service Social » répond Claire. Ce qui est faux. Pierre Léger a le cheveu crépu, le teint basané d’un quarteron. Menton lourd, 60 ans ; son épouse Reinette, longiligne, porte une jupe immaculée doublée satin. « ...cas sociaux » murmure Claire. - Nous avons nous-mêmes bâti cette maison. - Trésor, que dis-tu là ? c’est toi qui l’a construite. - Pour toi, et nos futurs enfants. » Le mari avoue qu’il n’avait nul permis de construire. Un beau jour, les hommes de loi sont venus, pour tout remettre en l’état. Démolir. Maison longue et basse, murs crevassés où l’on passe le doigt. Pierre Léger est à la retraite. Reinette n’a jamais (ce qui s’appelle) travaillé (sé timoun-la c’est pas boulot). Longère hypothéquée – à leur âge, plus rien à souhaiter qu’un point de chute au Vieillards’Home : 24m² pour deux, dont les enfants règleraient le loyer. « Ça alors », commente Bogdan, au comble de l’indifférence. « Tout sera vendu - vous verrez, Bogdan ! » Le vieux Bogdan ne sait pas ce qu’il verra. Ils ressortent ensemble du pavillon, Pierre derrière eux bouche ouverte et front transpirant. « Je ne vois rien qui me convienne », dit le veuf. Dehors : « Tout est fait pour me distraire de Myriam, empaquetée, sous terre. Je n’arrive plus à la revoir en vrai ». Voici en troisième visite un nouveau couple Antillais. L’homme est tout le portrait de Pierre Léger : un quart de sang noir, la tête plus massive, le regard moins niais. « Il va nous emmerder », dit Bogdan avec grossièreté (tout serait fait pour le distraire, etc. - «eh bien Bogdan, écoutez doncles autres ») ; Bogdan répond qu’il connaît tout cela par cœur. Quarte porte Il y eut un jour, et il y eut une nuit. Claire tira Bogdan un jour de plus de sa torpeur. Le nouveau locataire en péril, homosexuel quarteron dit « Solange », commence sa litanie : « ...pwivé de logement » -  ...encore ! crie Bogdan - « ...par les manœuvwes de ma femme…  Ne me pawlez plus des femmes ! » Claire laisse échapper un geste de lassitude. Le quarteron quitte son accent. C’est un ancien bijoutier. Il a tout perdu. Il n’a pu satisfaire son ancienne épouse, qui le hait, et le dépouille de son capital. Même le matériel, « les outils », elle les a vendus. - À soixante ans... poursuit Solange. - ... il n’a plus pour ressource, Panie Bogdan, qu’un dossier d’admission au Vieillards’Home , où lui seront servis trois repas par jour. - Il me restait quelques diamants, dit-il. De tout petits diamants. » Un jour sur deux, Claire et Bogdan ont inspecté les sexagénaires du crû. Les scènes se déroulent dans l’Aube, à Troyes. « Je croyais que vous seriez triste, Vieux-Bogdan. - Myriam reviendra, répond-il. Claire se rajuste une mèche. « Ces gens qui doivent me remplacer, dit Vieux-Bogdan, n’ont pas la moindre personnalité. Je ne peux pas leur ressembler. - Qui vous le demande ? - Eux-mêmes, Biche. - Ne m’appelez plus jamais Biche ». Elle rajuste sa mèche. À la cinquième porte, l’homme se présente : « Evguéni Lokinio. - Alphonsine Turc, épouse Lokinio. - J’étais chef de gare, et ivrogne. - Nous avons eu six enfants, je suis une incomprise, je bois du Guignolet-Kirsch ». Vieux-Bogdan demande s’il va falloir aussi s’apitoyer sur ces deux-là. Evguéni précise : « Nous avons bu tous nos revenus. Pourtant j’étais autoritaire, et nos enfants nous respectaient. - Vous les avez, dit Bogdan, détruits jusqu’à leur quatrième génération. - Deux suffiront, ironise Alphonsine. - Il n’est pas nécessaire dit Claire. Alphonsine s’emporte : « Nous nous passons de vos sermons. » Nez en couteau. Vieux-Bogdan se tourne vers Claire : « Est-ce que les curés parlent encore de la Bible ? - Seulement de ce con de Jésus. - Insultez-moi, et je porterai ma croix » psalmodie Evguéni. - Vous entendez ? dit Alphonsine. Trente-cinq ans que ce chef de gare se prend pour un pasteur. Et ça boit… » Claire et Bogdan ne laissent rien paraître. X - Quarante ans, c’est bien jeune, objecte Bogdan. - Ces jeunes ont engagé une procédure, dit Claire, pour expulser les vieux Mazeyrolles, tout au fond. - On n’expulse pas les vieux, émet Bogdan. - Détrompez-vous. Les Lokinio-Turc, ces ivrognes, ici présents, ont été eux aussi expulsés de la même maison, pour avoir martyrisé leur troisième fils, battu chaque jour, sans laisser de traces. Lui ont fait porter les vêtements de ses frères aînés, comme de coutume. Avant vous deux autres vieux vivaient en fond de jardin, les Mazeyrolles ! plus vieux que vous ! ... derrière une petite maison,   occupée par des quadragénaires. coutume. L’ont placé en internat dans la ville même, ce que la coutume ne veut pas. Ils se sont opposés à son mariage. Bogdan demande si les aînés ont été moins brimés. « Oui. Mais les Lokinio-Turc n’auraient jamais dû s’acharner sur le dernier ». Claire ajoute que ces ivrognes avaient tout englouti, que la vente à bas prix de leur taudis aux Acquaviva n’a pas suffi à payer le Vieillards’Home. X Les yeux de Claire ont fasciné Bogdan ; il le lui dit. Il ajoute que sous la peau de son visage, si parfaitement marquée par le muscle, s’est incarnée toute la vertu du monde. - La vertu, Bogdan ? - La justice. L’égalité. Le droit. » Claire se met à rire : «Regardez bien, Vieux-Bogdan : nous voici, aujourd’hui, tout à côté de chez Myriam – votre femme ! Aux Vieilles Habitations, vous habitiez là tous les deux - dans le temps !… À présent, des plus vieux que vous les occupent, encore et toujours ; en fond de jardin, derrière les Acquatinta, dans la quarantaine. - C’est bien jeune, dit Bogdan. - Ils ont expulsé les crasseux, les soûlards. Vous y étiez tous, en fond de jardin – sur la friche – entre vos deux maisons, les Mazeyrolles, entassaient les saloperies : deux gazinières, quatre batteries déchargées… Ils disaient, aux Vieilles Habitations : « Notre Fils viendra dégager tout cela par camionnette » mais les jeunes – les Acquatinta – n’y ont plus cru. Ils ont tout fait virer, d’office : encombrants, déchetq – d’abord, ils ont doublé le loyer, dès qu’ils ont été propriétaires. « Puis les Acquatinta les ont vexés : pour gagner l’extérieur, sur la rue, les Mazeyrolles devaient emprunter une servitude. Les Acquatinta, quadragénaires, pleins de soleil, déjeunent en plein air ; les Mazeyrolles saluent humblement les Acquatinta, les quadragénaires répondent d’un air on ne peut plus condescendant. La Marie-Thérèse Mazeyrolles n’a déjà plus qu’une dent sur le devant. La lippe qui pend. Les cheveux peroxydés. « Coquette. Hideuse. - ...ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue ! - Son mari s’appelle Robert. Trapu, voûté. Traîne des pieds. - C’est bien lui ! tout à fait lui !… » hjhjgggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggg - Mais, le vieux Mazeyrolles est le cousin de Myriam !… Les souvenirs de Bogdan lui reviennent par plaques, à la façon d’un eczéma. XXX Après chaque visite, Bogdan et Claire prennent un lait fraise et un diabolo menthe au Bar de L’Érection. Le garçon grogne : boissons de gonzesses. Bogdan se fait tout répéter, rétaler, comme du miel sur les aphtes. bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb Ces Mazeyrolles, anciens voisins, aujourd’hui de nouveau mitoyens, sont aussi crasseux qu’avant. Il se fait remontrer leur ancienne adresse , aux Vieilles Habitations, sur un vieux plan. Demande combien d’armoires, ici, sont venues se réentasser dans cette nouvelle installation. S’il est bien vrai que là-dedans, ils ne possèdent plus qu’un petit écran qui fonctionne, juché sur un plus grand irréparable. « Je parie » dit encore Bogdan « qu’ils sont devenus sourds et se crient dans les oreilles en occitan». Claire le regarde avec une attention qui ressemble à la tendresse. X À quelques jours de là, Evguéni et Alphonsine recommencent à se battre. Ils empestent l’alcool au premier mouvement. Pour Evguéni, c’est le Ricard. Alphonsine, le guignolet-kirsch 15°. 18 pour les grands jours. Deux infirmiers surgis d’une camionnette les empoignent sans égards. À travers la porte arrière on entend Alphonsine qui  gueule où y a Evguéni y a pas de plaisir. - Ils n’étaient pas méchants, commente Bogdan. Dix-sept ans de séjour ! ...dans le jardin – sur la friche – entre les deux maisons, ils ont entassé des ordures : deux gazinières, quatre batteries déchargées… « Notre Fils viendra dégager tout cela par camionnette » mais les Acquatinta – n’y croient plus. Ils ont tout fait virer, d’office : encombrants, déchets… - Mais, ce sont des cousins de Myriam ! Eh bé ! Eh bé ! - Les vieux Mazeyrolles ne l’ont pas supporté. - ...Des cousins de Myriam ! - D’abord, les Acquatinta leur ont doublé le loyer - par exemple ! - puis persécutés. - Comment cela ?’ Vieux-Bogdan ouvre de grands yeux. - Pour gagner la rue, les Mazeyrolles devaient traverser le jardin. Les Acquatinta, quadragénaires, pleins de soleil, déjeunent en plein air ; les Mazeyrolles saluent les Acquatinta, les quadragénaires de même, d’un air condescendant. Voire excédé. - La Marie-Thérèse, c’était la fille de… ‘ ...elle n’a plus qu’une dent sur le devant. La lèvre qui pend. Les cheveux peroxydés. « Coquette. Hideuse. - ...ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue ! ...longtemps ! - Son mari s’appelle Jean-Paul. Trapu, lourdaud, avec les épaules arquées. Il traîne des pieds. - C’est bien lui ! tout à fait lui !… Après chaque visite, Vieux-Bogdan et Claire reprennent un lait fraise et un diabolo à l’Érection. Bogdan est stupéfait. Il se fait tout expliquer, répéter, rétaler. Ces Mazeyrolles l’intriguent. Il se fait désigner leur ancienne adresse sur un plan de ville. Demande combien d’armoires s’entassent dans cette pièce où l’on ne peut plus mettre un pied. S’il est bien vrai qu’ils ne possèdent plus qu’un petit écran de télé qui fonctionne, noir et blanc, juché sur un grand irréparable Claire éclate de rire en montrant ses dents jaunes. Claire lui apprend que ces soûlards aux traits secs ont tout englouti, que la vente à bas prix de leur logis des Vieilles-Habitations, à supposer qu’ils trouvent des acquéreurs, couvrira tout juste les frais de leur hébergement au Vieillards’Home, s’ils s’avisaient d’y prétendre. Bogdan interrompt : « J’aime tes yeux. Sous la peau de ton visage, si harmonieusement pourvue de muscles, s’est incarnée toute la vertu du monde ». - La vertu, Bogdan ? - La justice, le droit, l’égalité. » Quinte visite.Passe d’armes - Comment va pépère aujourd’hui ? Il a fait un gros crotton le pépère ? il veut ouvrir les rideaux le pépère ? - Faites chier. - Pas poli le pépère ! - Je t’ai vouvoyée ». Bogdan ne supporte pas que Claire Mazeyrolles. cousine lointaine de son épouse, use et abuse du badinage. L’amour pour lui se définit par et dans la contemplation. Ni vieux, ni actif. Ils retournent chez les vieux Mazeyrolles, en compagnie tierce de Johanna Mazeyrolles, associée de sa propre sœur aînée. Se marier ne semble dans les projets ni de l’une, ni de l’autre. La plus jeune a les yeux et les cheveux noirs. Le menton et le nez insolents (on disait « mutins »). X R. 11 Retour chez les vieux Mazeyrolles, aux Vieilles Habitations. Claire, debout, prend des notes. Johanna, en retrait, les toise. Derrière eux s’entassent les armoires, combles, béantes, comme les bornes raides de toute une vie ; le soleil joue sur les battants. Les Mazeyrolles apprennent leur imminente réinstallation. Thérèse Mazeyrolles demande : « Il faut trouver un nouveau logement ? L’homme : « On nous promet un rez-de-chaussée, même prix, même rue. Les deux sœurs se sont montrées froides et administratives, sans soupçon de la moindre compassion. Au retour, hors de leur présence : « Déplanter nos grands-parents, c’est les tuer » conclut Johanna. X - Encore un peu de bouillon, Pépère ? ...Vieux-Bogdan ! On se promène tout seul dans les couloirs à huit heures trente ? Extinction des feux ! » Bogdan se fait rabrouer. Mais le règlement n’est plus ce qu’il était. « Même ici, Grand-Oncle, couvre-feu ! » Chez les deux Sœurs, on est contre les restrictions. Mais qu’il est bon de les appliquer. X R. 12 1. Claire et Johanna occupent non loin du centre-ville une vaste demeure, aux chambres profondes : l’une d’elle reste inoccupée. La ville connaît le bâtiment sous le nom de Großhaus, en fâcheuse mémoire de la Kommandantur. Les sœurs trouvent les Mazeyrolles « plaisants », « sympatiques ». Leur déménagement se fait dans la sobriété. Johanna vient en visite, elle boîte bas. Bogdan ne l’a jamais remarquée à ce point. Il ne l’en aime que davantage. C’est une femme jeune, droite, conservant son mystère. « Bouche grande, bouche close ». Ce pourrait être un proverbe.  Même quand elle marche, on dirait qu’elle danse . Bogdan ne l’aura jamais autant observée. - Cela fait dix-sept ans que nous vivions ici, dit Marie-Thérèse Mazeyrolles. Johanna s’éloigne. Les deux soignantes inspectrices et le vieux couple portent le même nom de famille. Bogdan les admire. Laquelle susciterait le plus en lui d’admiration ? Il aimerait désirer l’une et l’autre. Petites-filles du vieux Mazeyrolles, cousin de Myriam. Rien d’interdit par la loi. Son signe à lui est le Sagittaire (24 novembre) xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Les Mazeyrolles déménagent. D’un fond de jardin à l’autre. Exactement semblable. Il ne faut pas dépayser les vieux. Ils pourraient en mourir. Le lendemain Johanna est revenue. Plus éloquente, prenant soin que son visage reste lisse, impénétrable, même en riant. Son débit s’affermit, ou bien se précipite. « Les Mazeyrolles, dit-elle, vivent à nouveau dans un taudis. Leur papier peint se détache en copeaux. Sur la télévision j’ai aperçu tout un poulet à dégeler (rire). La planche à repasser reste au milieu du salon. « Les reloger une autre fois ne donnerait rien. Ils transportent avec eux leur taudis, comme deux gastéropodes. » - Comment se fait-il, dit Bogdan, que toute jeune déjà vous aimiez tant l’ordre ? Elle ne répond pas. Leur nouvelle friche sert de nouveau dépotoir. Elle a trouvé quatre grille-pain rouillés, d’autres armoires en plein air cette fois, et rongées sous la pluie. «  Ce sont aussi des cousins de Myriam. » Bogdan n’y voit pas d’objection. Myriam, les vieux Mazeyrolles et leurs soignantes sont donc apparentés. « Tous cousins » conclut Johanna .  X Bogdan prend bien garde de conserver son territoire, fragment du second pavillon ; il en fixe rigoureusement les frontières. Juste à côté des Mazeyrolles donc, en mitoyenneté, presque chez eux. Il répète sans cesse du bout des lèvres deux ou trois prénoms sans lassitude. Seul ici aussi bien qu’ au Großhaus. Et ça sent le foin quand il tourne la clef : entre laine de verre et souris crevée. Chez lui dans le Pavillon. Bogdan est ressorti cette nuit. La lune sortait des nuages sur les murs. Il longea la « Maison Usher », froide et murée. Bogdan sans avoir bu ballotte doucement d’un trottoir à l’autre : « ...mes chambres sont à moi ; elles me les ont données - une arrière odeur de rats cependant, au fond du jardin. Je soupçonne les Mazeyrolles d’élever des rats ». Courage petit poète de la IVe dynastie  X LE GROßHAUS Une cloche en cuisine : Oncle René, fils d’Alphonsine et abstinent, appelle à table. Vieux-Bogdan se lève ; il parle volontiers de tout avec insignifiance, passant de table en table. Claire n’est arrivée que pour les pâtes ou le hareng, casque auditif en tête : Good bye stranger - Good bye Mary, good by Jane, lancinante mélopée dont les paroles bien comprises nous étreindraient d’une incurable mélancolie « Gruyère pour tout le monde ! » braille le grand escogriffe. X Bogdan respire plus lentement. Ne s’en tire pas trop mal. Sa demeure est vaste et sobre, il n’en connaît plus d’autre et n’en sort plus qu’à longs intervalles. Myriam en souvenir de fond, morte jadis au Vieillards’Home. lotissement blafard et négligé où plus rien ni personne ne passe. Presque abandonné. À l’ouest. Claire et Johanna donnent toute liberté à l’intérieur du Großhaus, toutes chambres individuelles fermées ; puis Bogdan revient de son antre. Il erre pieds nus dans le couloir frais de la Grande Maison. Ces alternances forment tout le charme d’une existence insouciante. « Je devenais fou au Quartier des Hommes ». Il parcourt les revues aux toilettes communes, se hasarde jusqu’au prunier à mi-chemin de son autre logis : plus au fond, derrière la haie, près de leur masure, passent les ombres des vieux Mazeyrolles, successeurs des Lokinio-Turc : l’homme voûté, silencieux – Marie-T. édentée, volubile à se parler seule. Mais Bogdan conserve près d’eux, là-bas au « pavillon », une pièce à lui seul. Lorsqu’il a poussé jusque là, il s’assoit dans son salon aux meubles rapportés, face aux cendres de l’âtre. Ses oreilles se dégagent lentement, et sa raison revient à mesure. Il passerait des heures à écouter se défriper sa tête et ses tympans. Puis il revient manger à la Grande-Maison, que l’on nomme aussi Großhaus, pour faire allemand. Durant tout le repas commun règne en bout de table la télévision. Bogdan cache mal sa déception ; au moins peut-il se purifier des anciens miasmes du Vieillards’Home et, le soir, contempler à loisir le profil de Claire, nimbée de marbrures. « Nous serons un jour débarrassées d’eux » pensent-elles en moulant le café. « Pourquoi passez-vous, demande-t-il, votre vie à épier les vieux ? vous les achevez, ici comme avant. » X L’oncle René, fils d’Albertine, apporte et remporte les plats sans un mot. «Ne vous apitoyez pas, Bogdan », chuchote Claire. L’oncle René approuve de la tête ces mots qu’il a surpris et repart en cuisine. « Nous avons brûlé toutes les armoires au centre du jardin ». Les Mazeyrolles avaient contemplé une première mise à feu : emballages et meubles hors d’âge ; Bogdan se revoyait, à la fenêtre, Myriam à ses côtés ; les grands-parents montaient dans l’ambulance, accablés, têtes basses ; ils auraient donc ainsi vécu, dix-sept années, entre débris internes et déchets externes. Cela recommençait. Il n’avait rien vu cette fois-ci . Des voisins s’étaient attroupés. Les crépitations retentissaient sur fond de Rita Mitsuko – une autre époque, à présent veuf. X Les rapports d’oncle René et de sa mère Alphonsine constitueraient un grand sujet d’étonnement ; nièce Claire et nièce Johanna, Bogdan lui-même gendre Mazeyrolles, n’en laissent rien paraitre. Alphonsine se la joue vieille et charmante. Sa lèvre supérieure est cependant striée. Taciturne parfois, stricte et déjetée sur sa chaise, elle dépend tout entière de son fils René, escogriffe jaune et quadragénaire. Il la soutient avec des précautions de conservateur. Il lui ôte les pierres du chemin. Les humains, s’il pouvait. * Ce soir où Bogdan célébrait sa nouvelle occupation plénière, ils occupèrent tous le long côté des tables ; Alphonsine et fils René se comportèrent sans faillir, poussant à égalité la nourriture dans leurs gosiers. La vieille Alphonsine s’endormit toute droite entre deux bouchées. Son fils lui avait coupé le pain, désossé la viande, essuyé le coin des lèvres. Bogdan jouissait de sa nouvelle autonomie, libre, derrière sa haie. À présent, Claire à sa gauche et Johanna sur main droite, en profils silencieux. Plus d’autres convives inconnus. Après les agapes il serait tout à fait chez lui. Définitivement. Parfois les deux Sœurs lui tendent de part et d’autre un verre, un sourire, un pâté, puis répondent aux invités qui les flanquent ou leur font face. Juste devant Bogdan, deux vieilles excursionnistes déglutissent à tour de rôle. Plus loin donc Alphonsine Turc et son fils, désormais raides, assoupis et le nez pendant. Bogdan lorgne son plat sitôt vidé par pur désœuvrement. Il se lève à pas feutrés le long de la desserte à chips, tourne sur les hors-d’œuvres et revient côté quiche. Il se bourre. S’occupe. Tout le passé qui reflue. «Mort de Myriam ». Bogdan n’en peut plus d’observer. Il fait, défait connaissance. Un docteur aux paupières bordées de bacon : « L’essentiel, chez un vieux, c’est les jambes ». Il reprend son circuit, revient sur ses proches parents. Qui mâchents paupières basses. René guette le pain par-dessous, la cuillère, la sauce Mère - qu’y a-t-il pour votre service ?  15 Lorsque la vieille Alphonsine Turc a plongé d’un coup dans son plat, le nez en avant, le fils a sauté de son siège, retourné le corps, essuyé la sauce, Claire et Johanna se sont exclamé Mon Dieu. Les convives ont jailli en tous sens, on n’a trouvé qu’un téléphone disponible. Oncle René revient en hâte du récepteur, serre Bogdan dans ses bras. Chacun sait les 3 façons dont s’agitent les convives d’un mort : avaler, se dresser, vomir. Bogdan est sorti sans précipitation marcher de long en large dans sa portion de verdure attitrée, devant la haie des Mazeyrolles. Il s’est demandé pourquoi ces deux sœurs l’avaient recueilli, lui, Bogdan ; ce qui leur avait pris. Cette ivrognesse d’Alphonsine qui s’abat d’un coup. Quand Bogdan revient s’assoir, un médecin à teint jaune - « Poutzi ? » - assène le diagnostic : « Anévrisme ». Sa voix est nasillarde - s’il en est lui-même conscient ? s’il s’étudie la voix dans ses oreilletted ? Deux infirmiers ôtent le corps, avant qu’il ne perde sa souplesse. Certains convives crient encore. Le fils ne vivait plus que pour cette infirme. Saurai-il en retrouver une ? « À l’asile, j’étais bien » se dit Bogdan. Tout s’est passé si vite. Quand l’assemblée s’est dispersée, lit d’AVC et ventre garnis, Bogdan pousse un soupir. Il sort, de nuit, dans les rues désertes, entre les pavillons à reflets blancs, de bonne carrure. Il rentrera bien assez tôt : dans un domicile honorable. Il est bon d’atteindre 70 ans marmonne-t-il. Répéter deux ou trois prénoms de femmes. « Enfin logé. Dignement . Seul si je veux. » Et l’odeur de foin de sa maisonnette en tournant la clef : laine de verre ou rat crevé. La lune passe sur les murs en sommeil, sur la maison Usher hélas maintenant murée. Bogdan vacille doucement d’un trottoir à l’autre. Tout est dû aux vieux. Il se parle enfin seul, débarrassé d’humains. Bogdan regagne son plafond convexe à ras de crâne (lattes vernies en cabine, cognac au fond du buffet venu de la maison du père). X Vieux meubles, vieux os. Pleins et déliés ...Myriam gagnait à être connue… Myriam n’aura pas traîné – huit jours, huit ans… La tête de Bogdan décroche. Somnolence. Tu es paresseux dirait Claire. Quand il s’aperçoit qu’il écrit à Myriam, il déchire la lettre. Les deux Sœurs et Bogdan se sont installés devant Le Prussien, l’histoire d’un veuf apparemment indifférent, que les héritiers agglutinés traitent comme une bûche ; à l’enterrement, comme il marche péniblement, les autres le dépassent, il parvient bon dernier sur la tombe. Veux-tu devenir ma femme. Un relent d’amour dense comme du malt. Bogdan : « Si on ne devient pas fou dès le premier choc, on guérit à l’instant. «  Voyons Vieux-Bogdan, étiez-vous amoureux de votre femme ? - Non. - Pourquoi voudriez-vous l’aimer davantage ? - Je me moque !» répond-il. Johanna bat des mains, cela veu tdire qu’elle est aimée. - Parlez-nous de Myriam, reprend Claire. Johanna : «  Nous pourrions nous détacher de vous. Ces vouvoiements indisposen Claire. Ce n’était pas dans nos conventions. « Quelles conventions ? dit Johanna. Elle regrette déjà de l’avoir en partie relogé dans le pavillon Mazeyrolles. - Mais nous sommes tous des Mazeyrolles. » Sur le retour de cimetière (???) après séparation, Claire dit : « Dommage pour Bogdan . Nous ne voulons pas le brusquer. Mais il faut le rapatrier tout entier en Grand-Maison. Sous tutelle immédiate ». ** CONFÉRENCE À QUATRE Une conférence rassemble Claire, Noëldieu fils putatif, Stabbs, ancien amant, blanc et roux, et Johanna. Bogdan Starovski a découvert ce que chacun savait avant lui : la maison, anciennement brisée, de Claire et de Stabbs. Ce dernier n’est qu’un petit Anglais, crépu et maladif, maniéré mais sujet à de soudaines grossièretés. Il parle haut, dans le nez. Détache les syllabes. Sa petite taille accroît son côté péremptoire. Il aimait Johanna, s’est rabattu sur Claire ; mais tout a cessé d’aller pour le mieux, là encore, entre Claire et Stabbs.   Johanna, belle-sœur de la main gauche, contemple Stabbs, échappé à son emprise, mais plus souvent qu’il ne convient : brune, la lèvre délicate et l’œil fendu. Le corps souple. Stabbs, maladroit, courtise visiblement les deux sœurs, l’ancienne et l’actuelle. Nul ne sait jusqu’où vont leurs audaces respectives. Johanna et Stabbs ne se cachent plus, et se reniflent ouvertement, comme naguère. Également présent, après longue enquête, Noëldieu, prétendu fils de Bogdan et de feue Myriam ; il se trouve, dit-il, très affecté par la mort de sa mère, Myriam. Sa taille, dépliée, ferait les deux mètres. Le nez plus long, la tête sortant du col comme d’une braguette. Une voix de caveau. Il ne lui manque plus qu’un chien (il les attire dans les rues). Il demande ici, chez les Sœurs, asile (un de plus) et protection, ce qui est impossible. « Suis-je le gardien de ma mère, morte? » Il pense par livres et par rêves. Il apprit le décès au hasard des raccrocs. Craint la paralysie, à brève échéance. Finira cloîtré comme les autres. Dialogue : « Nous ne te jugeons pas sur tes actes... - Tu ne veux rien faire. - ...ni sur tes intentions. - Tu regrettes insuffisamment ta mère. Noëldieu s’affirme inconsolable : «  - Claire, pourquoi traînes-tu Bogdan, de vieux expulsés en vieux expulsés ? - Il aime les distractions que je lui donne. Le fonctionnement de Bogdan m’intéresse. - Sa maladie. - Quelle maladie ? Noëldieu hoche le nez de haut en bas : « Ne chassez plus Bogdan mon père. Ne chassez pas Stabbs ». - Qui parle de me chasser ? réplique Stabbs. Noëldieu poursuit : « Tout homme doit être récompensé, du fait même d’avoir vécu. Stabbs ajoute, sans vouloir comprendre : «  Où irait Bogdan ? - Dans une boîte à dingues, dit Johanna. - ...dans les puanteurs de cantine », poursuit Stabbs. « ...de pisse et de mort prochaine… à guetter les premiers spasmes de la main… des grabataires pour tout spectacle. Gâteux, morveux. - Je suis son fils, dit Noëldieu. - Nous le gardons au Pavillon d’Arrière, propose Claire. Il ne dépassera plus notre haie, ni en hauteur, ni en largeur. - Cependant il dérangerait, dit Johanna. Les deux sœurs, à présent, plaident à fronts renversés. Stabbs, lui aussi, inverse la vapeur : « Le spectacle de sa décrépitude doit nous être épargné ». Noëldieu semble céder : « Il se fout de la mort de Myriam. » - Je ne l’ai jamais vu manifester, dit Claire, la moindre peur de la mort » 19 - Il se fout de tout ! renchérit Johanna. - Il acceptera donc l’expulsion, dit Claire. De fait, les mains de Bogdan tremblent. Ses jambes flageolent. Il se mouche bruyamment. « Myriam devait porter culotte ? » On murmure qu’il se laissait battre. Cocufier ? non : il ne mérite plus de vivre. « Quel désert, soupire Stabbs, qui en est un autre. Les voici tous à ruminer : ce débris de Polak leur en impose. Ils se découvrent en eux-mêmes : des feuilles au vent. La scène se déroule autour d’une table basse, dans la partie du Großhaus où Bogdan, le tremblotant, n’a pas encore plein accès. Revenu après conférence dans la salle de séjour du pavillon, sans tapis ni chauffage, Bogdan rêve mal sa première expulsion, celle du Vieillards’ Home. Il échoue ici même, plus près des deux Sœurs. Il importe d’autant, plus à ces dernières d’être définitivement débarrassées de lui-même, Noëldieu. Tout revirement redevient plausible. Cette manie du jeu. À la table de conférence, l’alcool s’invite : un cognac, un gin. La marque importe peu. Au-dessus d’eux court un réseau de poutres torses parfumées au Xylophène ® - Votons. Gauchement, Claire apporte un melon d’homme mort. Johanna sort du tiroir à couverts deux paires d’enveloppes vides. L’œil rivé sur son voisin, chacun glisse en se dissimulant son bulletin dans le melon. Le vote dit NON - Bogdan exclu par trois contre une : celle de Claire ; elle s’est dévoilée pour purifier la situation. Pour masquer son incohérence elle agite ses boucles blondes sans aucun effet désormoffice@aotu.eu ais. Défait le premier bouton de son corsage. Tire de son sac à main une lettre de Bogdan : Garde-moi avec vous. La pâleur de tes joues prouve ta divinité. Stabbs pour le coup éclate de rire : « Je n’éprouve aucun remords » dit-il « au départ de Panié Bogdan Stavroski  ». - Il n’en savait rien encore, dit Claire : Ma thurne regorge d’ennui..» « sa thurne » ! - « regorge » !) - lisant la suite : quand vous n’y venez pas ; songez que je suis veuf  21 - Il n’y songe plus lui-même ! dit Johanna. - Veux-tu oui ou non l’épouser ? réplique Noëldieu. - Qui veut lui annoncer l’expulsion ? demande Stabbs. - Toi-même, dit Johanna . - ...à quel titre ? - Nous en trouverons ». -  Certains pourtant pourront trouver bizarre qu’un Stabbs, blanc, roux, britannique » - Noëldieu le toise - «...s’avise de revendiquer un pavillon sans chauffage, en fond de jardin. Nous irons à tour de rôle évoquer son expulsion à Panié Polak. Tout en parlant de choses et d’autres. - Il sera vite persuadé, dit Claire. Reste à tirer au sort l’ordre des intervenants. Johanna demande pourquoi ce ne sont pas les hommes « qui s’y collent ». Claire : « Les hommes, jusqu’à leur retraite, sont très occupés ». - Qu’est-ce qu’il faisait, le Stavroski ? – Pâtissier, tapissier, menuisier. Quelque chose en -ier x x x « Que faites-vous là, Bogdan ? - La cuisine, pour les chats et moi » Ces derniers n’appartiennent pas à la maison ; ils font les tournées de gamelles du coin. Bogdan tient une râpe cylindrique ; il serait étonnant que les félins apprécient le gruyère. Claire s’assoit : elle ne peut le sommer de partir tant qu’il râpe. Il introduit la pâte dans le tambour, presse dessus un petit levier, puis tourne la manivelle : il en sort de beaux copeaux blonds. Dans l’évier la vaisselle forme deux tas : le propre, qui sèche, le sale, anarchique. Une goutte frappe obstinément un fond de poêle. « Vous vous êtes bien adapté, ici. » Médiocre entrée en matière. - Oui ! (voix volontairement vieillie) - c’est surtout le jardin qui me plaît. » Ce n’est qu’une bande de terre entre deux rebords de ciment, coinçant un rosier rabougri, un hortensia rose et deux aloès. « Il faudra que j’arrache les mauvaises herbes. - Secouez les racines. - Mam to w dupie „rien à foutre » en polonais. Plus un pêcher de deux mètres 50 à sept fruits l’an, gâtés avant maturité. Plus deux appentis en tôle ondulée. « Vous n’avez pas d’insectes ? - J’ai des oiseaux dans la haie, ça croustille. - Non, ça gazouille. - Croustille, Claire, croustille. 22 Bogdan si tu touches mon cul ce sera le bon prétexte. Mais il paye son loyer. Un chat se faufile entre les planches verticales. Claire déteste cette palissade. Elle va la démonter, dit-elle, « avec Stabbs « mon ex». - Ce langage n’est pas le vôtre. - Parole je me prends pour Johanna ... - J’en doute. Sous l’auvent s’étale un établi crevassé couvert de bocaux pleins de vis et de boulons. Bogdan traîne des pieds. Il ne partira pas. « Votre quotidien n’est guère exaltant, Bogdan ; moi, je travaille ». - ...vous visitez les expulsés. - Nous y voilà ». Bogdan évoque ses rêves : « Le jour est morne; la nuit je me suis promené au troisième : ses murs blancs, ses couloirs, des greniers. Des portes qui ne ferment plus - le rez-de-chaussée de la Grand-Maison fait fonction d’hôtel - « ...du café ? » - ...Ce sont vos rêves, Bogdan. Vous ne comptez pas un jour sortir d’ici ? - Cadeau repris, cadeau volé.  - ... le monde extérieur ? - Je viens toujours d’arriver, Claire. » (...dans ses cauchemars hôteliers, Bogdan est poursuivi ; monte quatre à quatre les escaliers. Entrevoit de grands lits défaits. On lui crie : Loyer ! Vénayem ! Loyer ! «...j’arrive essoufflé » dit-il « aux toilettes pour femmes – c’est un labyrinthe, je vois de l’intérieur les chevilles des secoueurs de portes, partout des fuites d’eau - j’arrive ensuite dans un cimetière... - ...ou bibliothèque… - ...ma tombe n’a pas de nom, juste un cadre de planches, de guingois dans le sable, qui s’écoule par-dessous » - Bogdan reconnaît, de rêve en rêve, l’entrée du haut, prêt de la route à quatre voies ; celle du bas, entre deux gros piliers, dans un virage urbain – arrivé là dit-il je ne suis plus poursuivi - Je venais vous parler des vieux Mazeyrolles, occupants des autres pièces du pavillon… - ...du moment que je ne suis plus à  l’Asile… - Pour eux partir serait pis que la mort, vieux Bogdan. - Ne m’appelez plus comme ça. - Nous avons visité dix expulsés. - Je n’entre jamais chez vous, dans le Großhaus, sans y être invité. - Vous ne nous convenez plus. - C’est trop brusque. - Vous n’avez pas cherché à savoir ce qui attend les Mazeyrolles, vos proches parents ? d’abord, les Lokinio, pour ivrognerie, puis eux-mêmes, pourtant sobres ? ...deux expulsions en si peu de temps ? - Du temps des Lokinio, les premiers, l’air était irrespirable. Les Mazeyrolles, ensuite, étaient répugnants, d’une autre façon ; ils avaient reconstitué leur taudis des Vieilles habitations à l’identique. - Indécrottables. - Mais à moi, dans le Pavillon, juste à portée de leurs ordures, vous n’avez accordé que deux pièces. Nous avons obtenu, en supplément, deux pièces bien séparées, les Mazeyrolles et moi, dans votre Grande Maison. - Et Myriam ? elle était dégueulasse, Myriam ? - ...Vous changez de sujet dit Bogdan. Nous avions cessé toute relation intime ». Claire imagine la scène. - Au Vieillards’ Home, c’était Myriam chez les femmes, et moi chez les hommes. On se donnait rendez-vous aux toilettes, seulement aux toilettes. - C’était pour vous dégoûter l’un de l’autre. - Nous faisions déjà chambre à part autrefois. Dès notre 55e anniversaire. Mais au Vieillards’Home, nous aurions voulu retrouver notre lit complet. - C’est dégoûtant! » s’écrie Claire - Vous y viendrez, Claire. - Pourquoi pas,  Bogdan… Parlez-nous des raisons de vos noces. - On ne se marie pas pour des raisons… Johanna demande  s’il a des enfant - Les enfants sont la plaie du couple ! » Bogdan en frémit. Pense-t-il à Noëldieu ? « Rentrez vos yeux voyons ! Paniei Stavroski ! Noëldieu ! Bogdan grommelle : « Un garçon. Jardinier. Boucher. J’aurais voulu qu’il devienne quelque chose de bien paisible. - « Paisible » ?! - Pas beaucoup d’impôts. - Boucher, «pas d’impôts » ?… - Commis boucher. - Paniei Stavroski, qu’est-il devenu, ce fils ? - Professeur de littérature américaine à l’Université de Montréal. - Eh bien ! Paniei Stavroski ! - Ni bonjour, ni bonsoir ! Les études ! ni femmes ni bistrots ! Quant à Eugène Lokinio, de la branche paternelle, c’ était un chef de gare, ivrogne et asthmatique. Vos six oncles et tantes sont morts ou en retraite. - ...ce ne sont pas des professions. - Il ne faut pas faire d’enfants. - Trop tard. Votre fils, Noëldieu, vient de blesser au couteau mon Stabbs... - Ce n’est pas mon fils. Ce n’est plus votre Stabbs… Suite à cet entretien, Bogdan reste un pied dans chaque maison.  * * * * * * * * * * * * * * Au mois de septembre les deux sœurs ont reçu huit pêches : tavelées, ratatinées par la cloque. Trop faciles à peler. Goût de bergamote moisie. Claire et Johannah remercient. « Je garde six autres pêches pour moi» dit Bogdan. Il gratte la terre, déracine des touffes d’herbes, dites « adventices », en les cognant sur un tuteur. «...une vie de feignant, dit Claire. - ...de nonchalant », rectifie Bogdan. Plus tard, ce sont les noisettes qui tombent : deux branches contiguës par-dessus le mur. 1 * * * * * * * * * * * * * * Bogdan conserve sa portion de son logis, en fond de jardin. Il ouvre et ferme les volets matin et soir. Quelques temps après l’entretien et en dépit des premiers froids, il ouvre même les fenêtres ; à travers la haie, Claire et Johanna, qui ne sont pas frileuses, profitent de programmes musicaux ; jusqu’ici soul ou reggae, elles apprennent Ferré, Manset, Tenenbaum ou Symphonie Celtique de Stivell - et tout un ruisseau de classiques. Un jour le froid empêche, véritablement, l’ouverture des fenêtres et des oreilles. Bogdan ne reçoit jamais personne : les Mazeyrolles sont enfin partis. Qui recevaient de plus vieux qu’eux. Plus sales. Il est plus facile d’épier un seul vieux que trois, au fond du jardin. Dehors, Bogdan, esseulé, s’entretient à voix basse – avec Myriam chuchote Claire. - Tout le monde parle à sa femme en faisant sa poussière. Johanna émet l’hypothèse que le vieux vit en sursis. Elle revient aux projets de mariage : « Quand je voudrais me promener, il n’exigerait pas de conduire. Il irait où je voudrais. Si mon genou me faisait mal, Bogdan me le frotterait du même liniment que lui. Il ne ferait jamais de scène, car il est en deuil pour la vie, d’une grande délicatesse. Nous irions ensemble à Lencloître. Il jouerait de l’orgue à Notre-Dame ». Ainsi parle Johanna. Claire présente à sa sœur une lettre jadis interceptée : Myriam écrivait La vie avec lui n’est pas de tout repos ; Johanna répond à sa sœur « Je suis plus honnête que Mère et toi réunies.Tu introduis dans cette maison ce vieux Polak sans même avoir eu le cran de l’expulser totalement de l’ancien pavillon. Jeu de chaises musicales. Et j’épouserai cet homme à ta place ? - Quand nous étions petites… - Nos petits jeux ne suffisent plus. - ...Hier soir tu ne t’es pas gênée. - ...c’était hier. -  Il ne manque pas d’hommes en ville. P lus durs l’un que l’autre. Avec Bogdan la dureté n’est pas à craindre. » X Bogdan, seul, écoute Jean-Sébastien B., vitres closes. Les trente pas du Großhaus au Pavillon paralysent à l’avance les pieds de Claire ; que faire de ces hommes qui tournent et collent, aux corps si lourds. Vous m’avez bien entendue. Johanna veut vous épouser. - Mais c’est vous, Claire, que j’aime ..» - Bogdan sourit - « pourquoi pas avec vous ? » Il la prend par les mains, la fait assoir à côté de lui. « On ne me laisse pas le choix ? je dois dire merci ? - Quelle que soit l’épouse, Bogdan, soyez réaliste. - J’étais sur le point d’être expulsé. De l’un et de l’autre asile. - C’est une autre matière. Pourquoi riez-vous ? - Que penserait Myriam ? » On frappe. Entre Johanna, anxieuse. Elle parcourt les pièces occupées par Bogdan, puis celles où presque immédiatement Stabbs a pris place ; les deux occupants se côtoient sur un pied de respect froid. Elle referme à mesure les portes d’armoires nallantes, marque au feutre les plus disloquées. Claire et Bogdan la suivent de près : « Nous viendrons tout débarrasser cet après-midi. - Et Stabbs ? De quels meubles se servira-t-il ? » Bogdan n’a pas compris la réponse. * * * * * * * * * * * * * * « Qu’est-ce que vous nous chantez, Bogdan ? ...on ne vous aurait interné aux « Vieillards’ » que pour tenir compagnie à Myriam ? - Oui. -- Je déteste les sensibleries de veuf, reprend Johanna . C’est vous qui avez rendu Myriam vulnérable. - Myriam était un sac à larmes. Elle pleurait de pleurer. - L’avez-vous aimée ? - Je ne m’en souviens plus. C’est Claire que j’aime. - Il faudra bien que moi, je vous suffise. Johanna détale sans surprise. Bogdan se demande s’il bandera. * * * * * * * * * * * * * * LE REPAS DE FIANÇAILLES Le repas d’accordailles se tient dans le pavillon. Un prélèvement, au profit de Bogdan, de Stabbs, ne lui a presque plus laissé pour meuble qu’un buffet bancal avec des rosaces sur les portes. Première entrée • Fait son entrée Mrs Bove, seule, rajeunie, en rouge vif. Claironnante : « Mes enfants sont à la maison ». Claire estime qu’ils auraient pu venir pour ce jour de fiançailles, « ça n’aurait pas dérangé » - Bogdan : Claire aime les enfants ? ce qu’on dit, et ce qu’on fait...  Mrs Bove, placez-vous donc face au buffet...  - tu en voudrais donc ?  ...vous qui appréciez les beaux meubles… »  Claire se demande pourquoi Bogdan s’obstine à vouvoyer cette femme - « cesse tes messes basses » dit-elle tu n’auras plus d’autre enfant... et d’où sort ce buffet digne des Mazeyrolles ? - ...il me semble l’avoir toujours eu devant les yeux » bredouille Bogdan « dès mon enfance… • mes souvenirs baissent. - ...et si vous vous occupiez de moi ? explose Bove. C’est moi, l’invitée… vous permettez que je téléphone ? - ...mais comment donc ! - Claire, je suis ici chez moi, réplique Bogdan ; c’est à moi de l’autoriser. - Tu n’es chez toi qu’autant qu’il me plaira. Même ici au pavillon. Bogdan grommelle sur l’accessibilité au téléphone d’une parfaite inconnue, Mrs Bove : « Écoute-moi bien, Bogdan : ce sont tes fiançailles. Si tu t’obstines à murmurer des commentaires déplacés… - Je ne connais personne ici. Que des profiteurs du Vieillards’. Bove se rapproche : « Nos enfants sont grands à présent… Nous sommes un peu à l’étroit, au premier. - Rue aux Juifs ? - ...Quelle intuition, Panie Bogdan ! j’ai l’air juive ? Johanna rattrape au vol : Il y en a des rousses, « vous n’avez pas le nez juif », lubies obligatoires. Mrs Bove : « J’ai repeint les plinthes, le bois des fenêtres ; reverni les meubles. « Les meubles ! s’exclame Claire. - Toi  : musique, s’il te plaît. - Good bye stranger ? - Exactement. Mrs Bove  rajuste sa jupe et décroche. Seconde entrée Claire s’absente en cuisine fraîchement repeinte. S’introduisent dans l’assemblée, soudain visibles à l’entrée, deux masques blancs, vénitiens. Johanna  : «Des capes, et sans épée ?... - Émouvant tout de même, dit Bove. Personnally, je suis émue. Johanna fixe les masques : Vous ne parlez pas ? - Je suis bien sûre, affirme Bove, que vous les reconnaissez : un grand, et un petit ». Le grand masque : « Nous n’avons pas été invités » - C’est Noëldieu. » Johanna hésite à rire. Bogdan demande ex abrupto à Mrs Bove qui a bien pu l’inviter, elle-même « Et l’autre masque » enchaîne Johanna, « ne peut-être que… - Stabbs ! je me présente : Stabbs ! » Claire, de retour. Mrs Bove précise à Bogdan que tout bien considéré, elle n’aurait pas dû abandonner ses enfants « là-bas », qu’elle s’est décidée « bien vite » à venir ajoutant à mi-voix « Claire se montre bizarre aujourd’hui -  mais je ne sais jamais vraiment ce qu’elle veut. » Claire s’agite en hôtesse attentive, Bogdan la laisse évoluer, Johanna se récrie sur les dominos vénitiens, les retourne sur la doublure, les ôte et les suspend. Claire essaye aussi les masques, « ces affreuses larves de laine blanche ». « C’est effrayant. Je les confisque. Fais donc servir l’apéritif ». Bogdan obtempère. À voix basse : « Pourquoi sont-ils venus ? même Noëldieu, soi-disant fils... - Et l’autre ?… le British ? - Son ami. - Pédés ? - Non ? - Bourrés ? - Oui, répond Bove. Stabbs, démasqué, tend l’oreille : « Nous avons bâti de nos mains ce pavillon où vous êtes ; sans permis de construire». Bogdan détectait dans l’accent de Stabbs de lointains relents de Louisiane. « Fausse piste » souffle Mrs Bove. Noëldieu fredonne. Tout le monde se dirige vers le buffet. Bogdan se retrouve seul avec Mrs Bove, cheveux roux, col rouge. Il observe que devant lui, souvent, les femmes secouent leurs cheveux : coquetterie en pure perte. Bove, avant de se lever, siffle son fond de Porto. Bogdan aimerait reprendre à l’ancien Vieillards’Home une chambre, indépendante et sans mort dedans. C’est le moment où Mrs Bove soupire j’aimerais voyager . Bogdan : C’est cela, passer d’hôtel en hôtel puis ils rejoignent la longue table à cocktail. « Que sont devenus les enfants des Noirs ? ...ceux de la Deuxième Visite ? - Tous mariés » grommelle Bogdan. - Avez-vous remarqué, fait la rousse, d’un sujet l’autre, comment tous nous laissent seuls ? - Ils se soûlent. - ...mais je n’ai pas si plaisir à rester avec vous. - Moi non plus Mrs Bove. Je me souviens d’un bijoutier pédé… - Mister Bogdan, vos propos sont déplacés… Kuruma s’est faite escroquer par sa femme : 800 000€ de biens immobiliers. - Vous n’en aviez aucun souci, en ce temps-là ; vous n’en aviez que pour votre défunte épouse. Et vous aviez horreur de l’accent cajun. - Pourquoi Claire vous a-t-elle dit ça ? - Ce bijoutier noir se plaignait de ses déboires ; tout l’alentour en était arrosé. Même Claire, accablée de lui. - Je voudrais retourner au Vieillards’ Home Mrs Bove éclate de rire : « Où avez-vous appris votre anglais ? il faut dire Old People’s Home - - ...Mrs Bove, vous faites la coquette avec moi. S’ils nous laissent seuls, c’est pour que nous nous parlions. Pour nous marier. - Mais c’est Johanna la promise. - Vous seriez ma maîtresse. - Vieil impuissant !… J’ai confié mes enfants à mes voisins de ,jardin. Ils sont bien couverts. Ils ne risquent pas le rhume. Je ne veux pas vivre avec mes trois kids – et vous - dans un trois pièces. - Il me reste quinze ans à vivre. Il me faut tout l’espace. Surviennent les enfants « John, Juanita, Soniechka, jouez dans le jardin. » (vers Bogdan : « deux de mes garçons sont des filles » (aux enfants) « restez de ce côté-ci de la haie ; n’arrachez rien. Ne creusez pas de trous dans la pelouse. - Claire ! s’écrie Bogdan ; vous voici enfin ! Où étiez-vous tout ce temps ? - Maman, est-ce qu’il y a de grands jardins après la mort ? - Seulement pour Myriam, répond Bogdan. Claire, à Mrs Bove : « Ça lui passera ». Se tournant vers Bogdan ; « Vous ne nous facilitez pas la tâche aujourd’hui : teigneux, où résigné ? » Il répond : « Pourquoi m’abandonner si longtemps pour ces masques : mon propre fils, et ce vaurien d’ancien ancien amant ? Stabbs et Noëldieu, celui-là même qui a failli l’assassiner? Pourquoi ces enfants lâchés dans mes pattes et dans le jardin ? Pourquoi ne puis-je pas voir en privé, seul, en secret, Johanna, votre sœur et ma fiancée ? Mrs Bove est charmante – mais pourquoi la lancer sur moi ? » Faute de mieux, Mrs Bove a ri : jamais Fetlev ne s’était exprimé avec ces vieilles grâces de langages, que même une Anglaise mal américanisée pouvait ressentir ? X x Violents coups de klaxon côté rue, Claire au pas de charge à travers le jardin, tandis que Stabbs et Noëldieu pillent les charcutailles. Hurlements, irruption par la porte-fenêtre : c’est Claire à présent qui tient tête à un couple hétéro de grand âge (Noëldieu persiste à répéter, de vieille pensionnaire à vieux ênsionnaire, ses gesticulations de présentoir automatique : « mortadelles ? « Qui va nous prendre en charge ? crie le vieux Lokinio, barbe et moustache en bataille. - Mais c’est Evguéni ! répond Bogdan: « Libéré ? Ou bien la belle, évadé ? » demande l’omniprésent Bogdan. Claire se dégage du Chef de Gare et prend Bogdan à partie : « Comment peux-tu reconnaître Noëldieu ? Ce fumier demi-assassin ! Reconnaissance à géométrie variable ! » - C’est lui, réplique le Polonaia, qui refuse de me reconnaître. Jusqu’à présent, jusqu’à mon âge». C’est lui, ce bateleur de saucisserie, qui s’est permis de relâcher, d’inviter ces deux soulards, Alphonsine , Evguéni. Regardez l’heure au mur : trop tard pour les virer » Stabbs le Roux, ex-amant, propose plaisamment de les accueillir chez lui. Claire le cogne du coude et Bogdan dit : « Mais ce sont mes amis ! - Quels amis ? » Evguéni et Alphonsine se sont tus devant les mortadelles qu’ils mastiquaient. Claire saisit Evguéni par le bras :« Chacun chez soi ». Se remettre à table ne résout rien : rosette, amuse-gueule. Rôti froid. Personne ne voit plus ce qu’il bâfre. Evguéni, Alphonsine, engloutissent sans boire, l’asileet ses restrictons sont bien loin. Bogdan leur signale les meilleurs morceaux, admiratif et révulsé ; leur demande s’ils ont connu les Mazeyrolles. Evguéni fronce les sourcils et se tord la barbe ; Alphonsine déglutit en roulant des yeux. « ...Voyons, vous êtes bien les cousins de Myriam ! - Quelle Myriam ? - Ma femme ! la morte ! » - Décrivez-les, articule Evguéni en se curant les dents. - La vieille Mazeyrolles n’en a plus qu’une. On l’appelle Dent-Bleue. Elle soigne ses cheveux à l’Oxygénée Vingt Volumes. Quand elle gueule ça s’entend de loin. Elle ne parle jamais de la mort. - Évidemment dit Stavroski dans sa barbe. Ochtivitchè ! - Je m’en fous, braille Alphonsine (« Je l’appelle Malemorte » précise Evguéni, sans  le moindre embarras) « Cette vieille » (soudain prolixe) « brune, piquante, le nez fin – le contraire de moi ! … pourquoi vous obstiner à parler de ces gens ? - Ils n’étaient donc pas avec vous ? - Où çà ? - À l’asile. - ...Tu vois, Evguéni : le monsieur n’a pas peur des mots ». x Un autre jour : Bogdan leur confie, à ses belles-sœur et future épouse, de quelle façon Dent-Bleue et son mari reprennent dans le pavillon leurs sales manies de taudis : (à part) « Tout mon bel entretien : foutu, foutu… (à haute voix) Tenez, les voici...- on les voit repasser en douce, les Mazeyrolles, renvoyés des cuisines à leur demi-pavillon, au vu et au su de toute la salle à manger du Groszhaus ; haillonneux, graillonneux, frottant au passage es dossiers de chaises. Spectacle indicible. Claire se réjouit de ce premier rétablissement de l’ordre.. Les Mazeyrolles repartent donc en fond de jardin, se tenant par les coudes et serrant dans leur main libre leur écuelle tremblotante sous les tranches de rôti froid. «  Que veulent-ils ? demande Mrs Bove. Les Mazeyrolles tentent de reconstituer, au pavillon, leurs deux pièces encombrées de toutes les armoires qu’ils n’ont pu casser ; rien déplacé depuis, rien vendu. Le vieux revient à présent sur ses pas et rebouche toute l’entrée. Il pèse 101k, n’a pas ôté son manteau . D’une voix sourde, il précise qu’il est revenu sur les pas de sa vie, exprès : qu’il s’est réinstallé avec sa femme, Dent-Bleue ; ce pavillon en fond de jardin sera toujours bien assez grand ; il a toujours acquitté son loyer, ses charges. Il mourra, dit-il, « d’un seul coup de sang ». Le vieux Mazeyrolles retourne et repart, va-et-vient de coucou. X C’est à ce moment que Johanna , 23 ans, cheveux bruns, lèvres rouges, s’écrie : « J’aimerais moi aussi un rôle ». - Ta gueule, réponf Evguéni. Alphonsine lui fait observer que si tout le monde ici parle la bouche pleine, ce n’est pas une raison pour s’y mettre . Johanna , dis-nous ce que tu as sur le cœur. Johanna répond à la vieille qu’elle ne veut plus voir ici stagner toute la vieillerie du monde : « Nous avons les moyens de vous virer tous autant que vous êtes » ( rires édentés) - «...confisquer vos logements, de vous recoller tous, tant que vous êtes, au Vieux Lotissement » - les rires s’éteignent –ajoutant qu’elle est née pour un destin exceptionnel  ; que tout remonte à sa sœur aînée. « Il n’y a donc ici, ajoute-t-elle avec véhémence, que des vieux qui se les grattent ?  » Le goût de rôti reste dans la bouche de Bogdan. « Les autres veulent m’expulser pense-tt- ; or je n’ai que 69 ans – eux, 85. Ils encombrent toujours mes Dépendances. Myriam, de là-haut, me les renverra tous ». Evguéni, Alphonsine, invités tout seuls, poursuivent leur Dévastation de Buffet : lèvres coincées, nez en couteaux. Evguéni redresse le bouc : « Les Mazeyrolles, illégalement, occupent une partie de notre pavillon». Claire objecte qu’ils sont, eux aussi, chez eux, et que lui, Bogdan, ne jouit plus, par conséquence, que d’une seule pièce dans ce pavillon, « insalubre. « Nous avons connu les Mazeyrolles en ville, insiste Alphonsine à son tour ; nous habitions juste derrière chez eux. Ils menaient un raffut terrible. » - Ils envoyaient leur chèvre brouter entre les voies ferrées, reprend le chef de gare ; cet animal a failli faire dérailler le Calais-Bâle. - - Ils s’introduisaient chez nous, ajoute Alphonsine. Dent-Bleue soulevait le couvercle des marmites : « Ça sent pas bon, là-dedans». 39s - Ils étaient encore jeunes en ces temps-là, les Mazeyrolles, dans les 55. Ils montaient dans les wagons sans payer. Leur fils a menacé un de mes contrôleurs avec un schlâsse. - Ses contrôleurs : ça le reprend. - Son cran d’arrêt. J’ai balancé le fils sur le ballast. Et le schlâsse » - tiré de sa poche - « je l’ai récupéré ». Un murmure parcourt l’assistance - Posez ça Pépé. - On ne dit pas « Pépé ». - Ils ne vous l’ont pas confisqué, à l’asile ? intervient Mrs Bove. - On ne dit pas « asile ». Alphonsine tranquillise ses voisins, se ressert de vin : « Myriam non plus n’était pas une sainte ». Bogdan demande pourquoi. Alphonsine évoque une rivalité amoureuse, « dans le passé » ; Bogdan a tout oublié, parle de «pure invention ». Evguéni lui rappelle en pontifiant que « sous l’Occupation, parfaitement », il avait transmis des réquisitions : tant de vaches ici, tant de lapins chez celui-là. Tant poru le STO. « Tu confonds avec mon oncle dit Bogdan. Je n’avais que 17 ans. - À cet âge-là, il y avait déjà des résistants. Des vrais. - Je me cachais.  Et les Mazeyrolles ? - Tout ce qu’il y a de plus pétainistes, jusqu’au 30 juillet 44. Claire : « Evguéni, Alphonsine, vous êtes mauvaises langues. Vous venez tous du même quartier, les Vieilles Habitations. Je vais tous vous virer. Alphonsine nasille que les Mazeyrolles y étaient bien, eux. Bogdan demande « ce que vous pouviez bien faire, eux, les Lokinio-Turc, pendant la guerre ». Mrs Bove mange. Elle est bien la seule à présent. Johanna intervient : «On n’entend que vous. Vos histoires de vieux, rien à foutre ». - Je paye mon loyer dans le Groszhaus. - Quel loyer, Bogdan ? vous devez trois mois. - Je veux savoir ce qu’ils faisaient sous l’Occupation. Les convois ont bien été transportés par chemin de fer ? - J’ai fait de la Résistance, prêche Evguéni, bouc en bataille. J’ai bloqué les départs de trains ». Tout le monde éclate de rire. - C’est tout ce qu’on a pu faire ! crie Alphonsine, nez pincé à tout
rompre. - Vous nous emmerdez ! gueule Johanna. Mazeyrolles revient en navette, oscillant sous sa graisse : « Qu’est-ce qui se passe ici ? La salle à manger regorge. Toutes les portes intérieures sont ouvertes. - Comptez-vous, dit le vieux Mazeyrolles, œil glacial. - One ! dit Mistress Bove. - Two ! dit Stavroski pour se foutre de sa gueule. - Trois ! c’est Claire. Johanna « Quatre », Noëldieu : « Cinq », Stabbs : « Six! » ; plus Evguéni, plus Alphonsine ! L’asile a relâché ses proies. «À Varsovie, nous serions à notre aise ! ironise Stabbs ; il regarde en biais Bogdan, qui lui jette vous repartez juste après le dessert 41 - Bogdan me doit trois bons mois de loyer. Plus charges». Noëldieu : « Il peut loger chez moi ; maintenant que ma mère est morte » Applaudissements. « On ne s’ennuie pas, chez vous » dit Mrs Bove.. Stabbs a disparu en cuisine, ressurgit bardé de desserts des hanches aux épaules et flamboyant d’acné. Noëldieu outragé fixe Claire avec emportement : « Toi qui disais que la reproduction est le pire fléau ! » Claire veut s’expliquer. Johanna supplie qu’on cesse de s’expliquer. Elle crève de chaud. Noëldieu tire trois balles sur STABBS qui s’affale dans les plats de crème. Alphonsine hurle au téléphone : « Police ? Police ? » - Puisque c’est comme ça, dit Claire, je ne suis plus enceinte. Evguéni et Mazeyrolles, costauds pour leur âge, transportent le blessé dans une chambre. Claire s’éclipse, indifférente. 20 août 1991: Noëldieu S. arrêté pour tentative de meurtre, se rend sans résistance. 20 février 1992 : déclaré irresponsable au moment des faits, il est transféré à l’hôpital de Cadillac. « Le détenu Noëldieu fait preuve d’une volonté exemplaire. Il s’est toujours comporté avec une grande douceur, serviable et raffiné. Nous proposons à votre autorité de le faire bénéficier de permissions de 24h. Cadillac, 20 mai 1992 42 « Noëldieu, interné, se scrute dans la glace : « …Regarde-moi bien en face. Moi je te connais. Ma tête me rappellera quelque chose : la peau, les cheveux, les yeux au fond des trous… allons Kuruma ! ...mais – tu veux que j’expie ? ... « ni rançon, ni vengeance. » La paix s’empare de lui comme le soir la vague sous le noyé. Noëldieu sème la mort sans crier gare : grosses farces, gros repas. Taré. Baiseur. « Je te demande pardon pour ton Demi-frère STABBS. Raté  répond la glace. X Commence alors un mois de chaises musicales. Kuruma bijoutier noir prend soin de NOËLDIEU, qui a blessé son demi-frère blanc : sitôt sorti de l’hôpital, il loge Noëldieu au pavillon des Sóurs, habills, nourri. Il est lui même rangé des voitures. Il travaille à Bdans un sous-sol d’imprimerie. Aux moindres inquiétudes, Kuruma le transfère dans une autre planque. Kuruma le bijoutier dit Diamant-Noir, possède un bon réseau : il pourrait repiquer aux fraudes, retaille du faux, mais s’est lui aussi mis en retrait de délits. Noëldieurâle cependant. Son long nez le rend aussi parfaitement reconnaissable qu’une L’agresseur Noëldieu ne veut plus passer sa vie dans les couloirs d’hôpital, de prison, d’asile, Au milieu de l’été cependant, il veut revoir ses nièces, son père et le Groszhaus où il perdit sa raison. Kuruma désire de même ; pour la forme, il envoie des piques à Bogdan, père de Noëldieu: « Myriam te manque. Avoue qu’elle te manque. » Bogdan répond on öldü, elle est morte, en turc. Bogdan aime jouer les polyglotte. C’est son côté mignon. X - Je n’aurais jamais dû me confier à toi. - Tu n’as pas changé. C’est bien toi, Noëldieu, qui as estropié mon demi-frère blanc ; il est à toi, tu le gardes. - Je ne l’ai pas fait exprès. Kuruma Siamant-Noir éclate de rire. X « C’est le vent » dit Claire. Johanna dit que c’est Noëldieu. Noëldieu n’est pas venu seul. Avec Kuruma, il enjambe vers l’intérieur la fenêtre du rez-de-chaussée (il fait nuit, les deux hommes passent par l’arrière). Kuruma présente pour rire un schlasse. Les deux filles reculent c’est une blague dit Noëldieu juste une blague. - Qui est celui-là ? - Le demi-frère de Stabbs. À l’évocation de son amant, Claire pince les narines. Jamais elle n’admettra que son amant d’alors se soit affublé d’un demi-frère noir. « Il devait me le dire. Dès le début. Malhonnêteté. Racisme. » C’est vous, Claire, comme votre nom, et votre couleur de peau, l’atteste. « Vous êtes fous. Nous sommes surveillées. - Ils n’y penseront jamais. C’est trop gros. - On vous cachera mieux. - Défense de sortir. - ...Donnez-nous de l’argent monsieur Kuruma… - Mon demi-frère estropié, ni moi, ne sommes des assassins. C’est Noëldieu, l’agresseur de mon frère blanc. Il ne doit pas se laisser interner : asile, prison, tout un. - « Fous Dangereux » - Nous l’appellerons FILS Bogdan reprend Kuruma. Une voix s’élève : éPourquoi êtes-vous revenus ? » STABBS, éternel convalescent, répond qu’il n’a jamais mis les pieds ici, justement. Il est simplement « curieux de nature ». Johanna suppose une « expédition punitive » des deux hommes à l’encontre de Claire. - Je suis doux comme un agneau répond Kuruma. Noëldieu peut vous le dire. Vous nous accueillerez du mieux que vous pouvez. Ici la place ne manque pas, ni les doubles issues ». Tout le monde s’assoit, discute (« le genre de la maison » dit Johanna ). Noëldieu, calmé, demande à voir Bogdan, qu’il pense être son père. On lui répond qu’il dort, que les Vieux Mazeyrolles sont revenus dans le pavillon, derrière la haie, qu’ils dorment, eux auss. Alphonsine et son Chef de gare n’ont pas voulu repartir non plus, de la chambre 13 délabrée du Vieillards’ Home où on les a finalement relégués. Kuruma ricane en se resservant de scotch. Noëldieu : « Vous ne pouvez donc pas vous débarrasser de vos grands-parents, à votre âge ...ces ivrognes ! » Claire fait observer à son ancien amant Stabbs qu’au moins ceux-là n’ont sur la conscience aucune tentative de meurtre. Noëldieu dévie sur les grandes difficultés qu’il éprouve dans la jungle des généalogies. Claire fait observer à sa jeune sœur qu’elle a entretenu sa mère « jusqu’à sa mort ». Johanna fait à son tour observer à l’aînée que c’est leur mère à toutes deux, mais qu’elle-même, Johanna, a « changé ». Claire : « Maman nous changeait. » Stabbs descend son scotch d’un trait et demande où dormir, « puisque tout le monde dort ». - Nous vivons ici en vase clos, dit Claire, en forteresse. - Claire, dis-moi qui a prévenu les flics juste après l’accident ? - ...tentative de meurtre. C’est Alphonsine. Sans elle, tout pouvait toujours s’arranger. Entre nous. Tu avais bien plus qu’un an à vivre. Johanna souhaite à l’agresseur trois jours, maximum, pour se faire arrêter. - Raison de plus pour faire vite. Tous boivent en silence. Il n’existe qu’un seul lit. « Noëldieu, tu dormiras par terre. Tu es l’agresseur. Stabbs exprime sa lassitude de tant d’allusions pénibles. - Pas question. Nous serons allongés sur le même lit, habillés. Noëldieu n’a pas retiré ses chaussures. Il est coutumier du fait. Il vaporise du désodorisant. Si on le découvre à côté de Diamant-Noir, ces deux-là du moins seront, vêtus, bien écartés aux deux bords du lit, séparés l’un de l’atre par un traversin. C’est ainsi qu’ils se parlent, lourdement, dans le noir. Tous se couchent. Des ronflements s’élèvent. « Pas moyen d’allumer la veilleuse, se plaint Kuruma. - Ne chipote pas. Crève. La lueur bleue de la rue découpe leurs profils. « Si tu es revenu, c’est que tu as un plan. - Mes cousines manquent d’argent, dit Noëldieu. 45 - J’ai un plan. - Tu veux nous faire passer pour des salauds. - Accorde-nous faut un certain temps, dit Kuruma. Je ne nous donne pas trois jours. N - Nous irions nous planquer dans le pavillon du fond. K - Il est plein. N - Evguéni et Alphonsine vont vouloir quitter la chambre 13 du Großhaus. Se recaser ici même, im Groszhaus, sur la rue. Ça ne va pas traîner. Mon père Bogdan peut conserver sa pièce au pavillon du fond : il ne sera pas dangereux pour nous : toute la parcelle est désormais classée « asile médical ». Nous serons indélogeables. Mon plan est celui-ci : tout vendre. K- Mais… nous ne sommes pas propriétaires ! N - ...je n’ai tout de même pas fait exprès de frapper Stabbs. K - Ta froideur m’exaspère. N - C’est la tienne ? Tu vas me faire le plaisir de subtiliser tout l’argent de mes nièces. K - Elles n’ont pas d’argent. - Stabbs me l’avait dit. N - Les immeubles me reviennent. Je suis fils de Bogdan. K - Ce qui reste à démontrer. N - Je te promets de disparaître ensuite. Avec toi. Napier, New-Zealand. J’ai un réseau. Tout un plan – des bons coups – comme tu veux. Johanna est sensuelle. Travaille-la au corps ; ton demi-frère blanc avait emballé Claire : drague la plus petite. K - Tu es sacrilège Noëldieu. Sacrilège et dingue. - Je me charge de Claire. Elle le fait sans arrêt. Peut-être avec sa sœur. - Tes cousines… - Demande une dispense au pape. Kuruma n’est pas convaincu. Il objecte ceci : les deux petite-filles Mazeyrolles voudront expulser jusqu’au dernier occupant, grands-parents ou pas.. Surtout Alphonsine. Evguéni. Ivrognes jusque dans cette maison même, où ils ont eu le toupet de revenir prendre part au repas, à peine libérés de désintoxication ; sans avoir bu depuis une goutte d’alcool. Mais ça ne durera pas. Bogdan lui-même n’est pas à l’abri. Personne n’est à l’abri d’une expulsion. « Les geôlières en ont ras la visière». 46 Noëldieu change de sujet. Il a voulu estourbir Stabbs, « ex » de Claire, sans préméditation, il insiste. Il se juge sévèrement, mais trouve aussi que les Sœurs exagèrent. Elles empoisonneront tous leurs pensionnaires, en trempant des pièces oxydées dans leurs tisanes. Kuruma lève les sourcils, n’ayant jamais ouvert Balzac ; il côtoie toujours l’assassin de son frère ; tend l’oreille à ses remords et autres jérémiades. Il couche dans son lit, sans ôter plus de vêtements qu’il ne faut. Kuruma modère les excès de Noëldieu qui voudrait, pour s’alléger sans doute, que les Sœurs couchent ensemble, et nues : « Tu exagères » disait Stabbs. Avant son estourbissement. Le temps clair contrarie les visées des deux hommes. Ils s’exhibent en compagnie dans le petit parc, de la Maison Mère au Pavillon, puis du Pavillon à la Maison Mère ; la police ne vient pas, comme si le secret s’était exilé jusqu’au bout du monde. Les circonstances peu à peu cheminant, les complices méditent une collaboration plus efficace. Néanmoins ils s’exhibent à l’air libre ; les autres soupçonnent leur complot, mais seul aujourd’hui l’exécrable exhibitionisme de ces deux-là catalyse les blâmes. De même l’adolescent traîne avec lui bien en vue un « carnet secret, à ne pas ouvrir », afin qu’on y touche. X X X Mrs Bove est venue s’acquitter de son loyer : la Maison Mère accueille autant de locataires à présent qu’un hôtel – enfants, animaux, sont encore proscrits. Mrs Bove abandonne les siens à des subalternes, dans son ancien appartement à deux rues d’ici. Elle parle de « mes gens », my servants. Cela fait sourire. Il règne au Großhaus ou Maison Mère une totale impunité. Les malfrats y seront bientôt purifiés. Parfois ils dissimulent leur manège, mais si maladroitement qu’ils s’en trouvent plus vulnérables. Mrs Bove les épie avec sa discrétion coutumière. Elle se colle à leur porte, couloir 3. Ce jour de loyer, elle place la bouche au niveau de la serrure, figurant une grosse lucarne à l’ancienne : elle flûte alors par le trou leurs identités successives, leurs anciens domiciles, et la raison qui les leur a fait quitter. C’en est trop. Kuruma et Noëldieu sortent d’un coup ensemble et la toisent avec une extrême insolence. Mrs Bove, soudain tout affable, déclare que le vieil Evguéni en remontrerait à deux détectives ; c’est celui qui dissimule le mieux de tous. Elle rit avec embarras : « Votre meilleure protection est la complicité de tous. » - Tu noies le poisson, lance Kuruma. Ce tutoiement la choque. Elle s’éclipse. Claire et Johanna, jamais éloignées, prennent le relai : « Vous pouvez, disent-elles à leur tour, aller et venir à votre guise » dit Claire. « Dans le parc, naturellement ». Ils demandent d’une seule voix où se trouve Bogdan « mon père » ajoute Noëldieu. Devant le mutisme général, les deux hommes sortent d’un pas décidé vers le Vieillards’Home. À ce moment Bogdan ressort des cuisines : « Croissants chauds ! » Sa bonne humeur sonne faux. Son pavillon, réduit de moitié, le ronge. Il assigne à chacun sa place, joue les bourrus, dispose les croissants. C’est lui le moins vieux de tous. Il bouscule les couples assis. Toute gêne disparaît. Il se répète je suis seul et juste usufruitier. Il n’a jamais compris le jeu des deux sœurs, faussement vertueuses et distributrices de vieux. De quel droit se sont-elles arrogé le privilège d’accueillir ou fr refuser les vieux corps et âmes d’une cellule à l’autre. Alphonsine crie et boit, boit ert crie. Evguéni fait chorus (croissants ! thé ! lait, café Bogdan passe d’une chambre à l’autre ombre ou soleil, deux ou trois êtres par pièce). « Bonjour, Pani Bogdan » - Noëldieu ? D. 41 Je n’ai pas toléré d’entendre mon sexe brocardé sous couvert d’avoir ici ou là exploré hors de propos « d’avoir tiré un coup de trop ») Trois secondes avant détumescence. Nous sommes si souvent cela – à quoi bon se faire engueuler comme un porc ? plus tu me déchires et plus je dois traduire « je t’aime »? «Mes ironies dis-tu ne te concernent pas ; les souffrances que je t’inflige ne sont que la preuve extrême de mon amour » ah bon. Admettons que tout homme soit coureur. Soit. Mais qu’ai-je en commun, moi, mangeur de râteaux – avec ce Casanova de carnaval ? - Ton fils. Bogdan, tasse et soucoupe en main, considère par-dessous les deux inséparables sans trace d’émotion co zamierzasz zrobić? Ni l’un ni l’autre nc comprend le polonais que venez-vous faire ? » Les complices, debout, échangent un regard. « Je ne vous attendais pas » prétend Bogdan, ressaisissant tasse et soucoupe. Kuruma l’agrippe au bras : « Qui commande ici ? - Je sers le café du matin…le plus valide » - Réfléchissons, dit le Noir. Ils vous ont fait larbin. Même à l’article de la mort. - Je ne le fais pas exprès. - C’est le mot, Papa, dit Noëldieu ; ces quatre vieux, Lokinio-Turc, Mazeyrolles, rngnent de part et d’autre l’arbre des générations.notre espace. - Mon fils » (il l’a dit) j’ai le temps devant moi. . Nous ne te sauverons pas poursuit le fils ni moi, ni mon survivant » (montrant Kuruma impassible). Tous deux repartent épaule contre épaule, à jamais accrochés par un tir perdu ; Bogdan entend son fils Noëldieu parler de dos à son complice mais sans rien distinguer. Face à lui se trouvent à présent Claire et Johanna, sortant de leurs chambres respectives en chemise de nuit, bâillant et s’étirant  Il reste, maladroit serveur, mains tremblantes. ¨Pourquoi me demandent-elles si j’ai vu « le vieux schnoque avec ses bêtes » ? ...Bogdan ne connaît personne qui puisse cloîtrer ses chiens dans un réduit sans fenêtre ; demain, se documenter auprès de la SPA. Le cerveau joue des tours à Bogdan. L’humour aggrave les incohérences en croyant les arrondir. Pour la première fois la sœur aînée reproche à Johanna ses railleries cruelles. Tu ne sais plus ce que tu dis, Johanna, tu sèmes le dtame. Vois comme il tremble (« Prenez place je vous prie. Thé, café ». Kuruma le Noir est revenu, obsédant. Commande un fruit. Johanna lui demande s’il veut écouter, une fois de plus, Good Bye strangers sur les haut-parleurs de salle ; Claire intervient : Garde cet hymne pour ton futur mari Bogdan. Noëldieu Long-Nez revient lui aussi sur ses pas : si Bogdan pouvait fuir, poser tasse et sa soucoupe ! se s tremblements en attestent. or Noëldieu fils de Bogdan n’a jamais été incarcéré ; Kuruma, si, en tant que Noir et bijoutier véreux ; Noëldieu précise que Kuruma est en permission de sortie. « Vous ne vous êtes pas assassinés cette fois plaisante Johanna ; quelles nouvelles ? » Noëldieu la fixe au fond des yeux. Johanna  : « Les Mazeyrolles n’ont jamais accepté leur expulsion ; ils ont été replacés, par elles deux, à Ste-Savine de Troyes, comme autrefois. - ..avant l’asile ? - ..quel asIle ? ...on nous les a renvoyés comme on rote. Nous les avons replacés chez eux, à Ste-Savine. Nous avons pensé que Bogdan aimerait à virer d’ici tous les ivrognes. Il avait pourtant aidé sa belle-famille à survivre. Donc à se réfugier, une fois de plus, ici même. Et moi, je les ai revirés. Ça peut durer longtemps. Kuruma prend la parole : « Nous vous débarrasserons de tous vos assiégeants, de tous vos parasites. Vous pourrez vendre le fond du parc – sous prétexte de remembrement cadastral. - Je ne peux pas remettre ces gens à la rue. Mes quatre grands-parents. - ...que des vieux. Noëldieu intervient : info@aozm.de « Kuruma exagère. « Il n’est pas chez lui ». Kuruma commet des insolences. « Sa demi-fraternité ne l’autorise à rien » Claire dévisage le Diamant- Noir : comment cet homme a-t-il pu partager quoi que ce soit avec son propre demi-frère, Stabbs ?… ., Kuruma approuve du menton Dieu sait quel plan de l’agresseur Noëldieu ici présent, inaccessible au remords, qui se bornerait à récidiver... Les deux hommes ne veulent pas simplement purger le Pavillon : ils le revendiquent tout entier. Ils la refouleraient également, Claire elle-même, s’ils pouvaient, elle et sa sœur, dans une haute tour, au Point du Jour, à Gayette. Or c’est précisément le transfert qu’elles projettent, toutes les deux. À moins qu’ils ne s’exilent, fortune faite, en Nouvelle-Zélande – adieu, prétentions filiales ! de qui auraient-ils bien pu revendre la propriété ? à quel prix dérisoire ? n’ont-ils pas d’autres moyens de financer leur voyage ? Formeront-ils un couple ? Ne vont-ils pas, aux antipodes, fuir sur un monde exigu ? Où n’avaient-ils pas déjà disparu ? Interpol en huit jours les aurait capturés où qu’ils soient. « Johanna , ça ne peut pas durer - Claire, on ne tue pas sans raison ». Si Noëldieu-Long-Nez dit vrai, s’il est vraiment le fils de Bogdan, dit Bogdan, alors c’est ton cousin noir qui aura rossé Stabbs, ton ex, un vrai mou du lit à deux places. - Tu n’as jamais voulu me présenter Mon beau-frère. - Jamais je n’aurais épousé ça. Jamais cet homme. Jamais. Pédé à nègre. Assassin du frère de son ami. - ...demi-frère… - Assassin ». Le bâtiment du fond où se succèdent les épaves pue la mouche et le tombeau. « C’est à nous de partir dit Johanna  ; nous sommes la branche héritière - vendre vite et filer – j’étouffe – Claire n’étouffe pas. Dès l’après-midi, le Noir et Long-Nez s’introduisent dans la masure du fond de jardin. L’odeur est forte. Les mouches aussi. Bogdan dit Bogdan s’est absenté au Centre commercial. Alphonsibe restée seule tricote dans la puanteur. 51 « Bonjour monsieur Lokinio. - Il ne vous entend pas. » Kuruma le secoue. Evguéni voit dans son brouillard le Bijoutier Noir à toupet roux et se redresse. « Nous savons bien pourquoi ils sont venus », grommelle la tricoteuse. « Les jeunes, là » montrant de l’aiguille sa fenêtre - « voulaient nous virer pour caser leurs parents. On a fini par y loger Bogdan Bogdan, pour les emmerder ; cet intrigant. Il nous apporte le petit-déjeuner. … - ...à ne rien foutre ! grogne le Vieux Mazeyrolles - ...qnand ils ont vu ça, cette succession désastreuse, les soûlots se sont dit autant revenir… De retour : - Vous êtes trop nombreux dans ce foutu pavillon » intervient Noëldieu. Chacun sur sa couche et se vautre sur celle du précédent. Vous devez vous brouiller avec le Lokinio, l’Evguéni, sur son haleine, les bouchons qui sautent dès le matin, l’immoralité… vous trouverez bien… Lokinio balbutie qu’ « il est drôle, le Noir, avec sa houppe». - ...établissez une distance, un froid… - Quel intérêt ? - Mais vous êtes à l’étroit ! ...mon bon monsieur !… défendez-vous !… chassez les Mazeyrolles ! Cette cohabitation est intolérable ! X Finalement ce sont les Lokinio qu’on expulse. Après leur départ, Mazeyrolles Aîné dit à sa femme : «Il ne faut pas penser qu’à soi. - Vous les hommes ! jamais énergiques ! ...ce soir, je ne ferme pas leur boîte aux lettres. Je laisse grincer le portillon au bout de l’allée. Qu’ils iront la refermer tout seuls. - C’est vrai, Maïté ; d’où qu’il sort, ce Bogdan ? 52 X Entre les deux bâtiments, contournant la haie près des cordes à linge, se trouve un sentier agaçant : tous doivent tôt ou tard s’y croiser, s’y saluer. « Bonjour, monsieur . - Bonjour, monsieur, madame Mazeyrolles. On va faire son petit tour ? - Juste revoir l’ancien jardin au bout de la rue ! C’est moins anodin cette fois. Bogdan dit Bogdan n’a plus ce pas nonchalant ; plantés au milieu du chemin, les deux gros mous Mazeyrolles font un magma infranchissable. Bogdan en face d’eux danse d’un pied sur l’autre. Il les engueule : qu’est-ce que vous êtes revenus foutre. Tous usurpateurs. L’opinion générale est que, seuls, les plus âgés, Evguéni et Alphonsine, devraient occuper les lieux. « Les deux sœurs n’aiment pas leurs grands-parents. - Nous ne les aimons ni elles, ni eux, reprennent les vieux Mazeyrolles, féroces. - D’où vient, s’éraille Bogdan, cette rage de posséder un abri ? - Un toit, un toit ! psalmodie Dent-Bleue la Vieille en joignant les mains. - Mon tombeau ! murmure Vieux-Mazeyrolles. - Ta gueule, glapit la Vieille. Tournée vers Bogdan : « C’est vous, Paniei Bogdan, le nouveau venu. C’est vous qui dirigez tout, paraît-il, vous l’instigateur, le commandant. Croissants au lait, salutations – vous voulez nous virer, parfaitement, retrouver tous vos mètres carrés ! - Loin de moi… - Si, si, à d’autres ! C’est une danse macabre inversée ; chaque charogne cherche sa momification purifiante. X X X 53 VIEUX MAZEYROLLES, VIEUX Bogdan VM: Cousin Mazeyrolles… Bogdan : Monsieur Mazeyrolles... VM: Appelez-moi Robert. Savez-vous prier ? … à nos âges, ce serait urgent. Bogdan : Vous êtes donc à jeun. Seriez-vous le père de nos Demoiselles ? VM: Leurs grands oncle et tante. Nous les avons élevées. Mon frère est un ivrogne. Bogdan : Elles se confient beaucoup ces temps-ci. Vous ne leur avez pas rendu l’enfance facile. Leurs parents avaient divorcé… VM: Nous sommes tous pécheurs… Bogdan : Au lieu de prier, Maître saint Robert, venez donc avec moi réparer le vieux banc. Le travail est prière. Nous nous reposerons sur des planches solides. VM : Avant les quatre définitives. Bogdan : Six, en comptant la tête et les pieds. Je suis encore solide, les outils bien en main. Ensuite nous parlerons, s’il reste encore à dire. Les deux marteaux clouent très vite, en alternance. Arrive Claire, aimée de Bogdan, dont elle ne sera jamais que la belle-sœur. Elle porte, à l’ancienne, une maie de linge sur la hanche. Elle commence à étendre, parle à son grand-père. Les deux homme reposent leur marteau, Claire tient ses coincettes. Les faits sont bien simples : Alphonsine et Evguéni séjournaient là-bas, en désintoxication, alternativement, ou ensemble. Des administrateurs ont replacé les Mazeyrolles tout à côté d’eux, d’où leur parvenaient sans cesse des éclats d’ivrognes : jamais elles n’auraient osé révéler qu’à l’école, en dernière année, on les surnommait « les Sœurs Poivrot ». Ce jour-ci le respect s’efface. Evguéni a la bouche bordée de clous. Il écoute sans répondre. Sa propre petite-fille, Claire, lui souhaite à mots couverts de disparaître (il saisit alors le marteau laissé tout droit sur le sol) en laissant le souvenir, enfin, d’un homme. Evguéni repose l’outil tout vertical et reste debout, ôtant un à un les clous de ses lèvres. Il reste bras ballants, tête haute et vague. X Le lendemain, Claire ajoute : « Grand-Père Mazeyrolles, restez parmi nous. Réparez votre banc, disposez vos armoires et nettoyez partout. Votre présence nous réconforte. La traînasserie de vos pantoufles nous est devenue familière. Nous vous demandons pardon de vous avoir un instant chassés. « Vous ne sentez jamais le vin, vous n’invoquez pas Dieu à chaque phrase que Dieu fait. Jamais non plus vous ne tournez les yeux vers nos fenêtres au passage, mais vous les baissez, sur le sentier de servitude. Vous êtes en tout préférables à nos autres grands-parents Lokinio-Turc. et c’est nous, les deux sœurs, qui vous avons adoptés. Rapportez tout ce qu’il vous faut et finissez vos jours ici. « Pour Bogdan, nous lui conservons sa chambre dans le pavillon. Il vous apportera les croissants du matin, et se réinstallera dans les pièces libérées ». Grand-Père Mazeyrolles rejoignit son domicile. Evguéni Lokinio à son tour dans le sien sans prononcer un mot. Claire étendit du linge entre les deux maisons. X En début d’après-midi, Johanna et Kuruma, le Diamant Noir, se concertent. Debout sous l’auvent, ils aperçoivent, entre les lingeries au vent, la tête et les bras d’Alphonsine, tricotant chez elle. À chaque rang de mailles, elle boit à même une bouteille de rouge qu’elle repose au bord d’une table. «Voici Alphonsine, dit Johanna . Vingt ans de guignolet-kirsch, ça conserve. - Mes parents… commence Kuruma- - Aidez-nous à virer ceux-ci. Des ivrognes. - Pas le moindre débri d’affection ? Johanna expose son plan : cambrioler Evguéni et Alphonsine. Les deux vieilles, Alphonsine et Dent bleue, se confient leurs années cinquante ; l’heure du taille-bavette va sonner. « Passez par derrière, fouillez partout : tiroirs, paquets, rubans. Faites beaucoup de bruit. Action. » Kuruma approuve. 55 Dent-Bleue Mazeyrolles traîne sa flemme et sa chaise près de la fenêtre à l’intérieur, Alphonsine en fait autant dehors. Dent-Bleue reçoit par la baie une haleine de kirschwasser. Ben Kuruma jette sur son avant-bras deux pantalons à recoudre. Tourne à main gauche sans que les vieilles le voient. Prend par les arrières, côté Bogdan, qui n’y est pas ; mais il ne referme jamais sa porte. Diamant Noir l’entrouvre de l’extérieur et lit d’un œil exercé, les titres des volumes bien serrés sur l’étagère. Il s’oriente alors avec aisance. Bientôt les deux vieux, Evguéni l’ivrogne et Mazeyrolles, reviendront de leurs achats : il faut se faire surprendre, alors que les deux vieilles s’enchaînent les répliques : le diskañt breton mord toujours d’un mot sur l’autre. Ici d’autres armoires délabrées s’étagent du corridor jusqu’à mi-largeur. On trouve là tout le désordre que désirent les deux Sœurs, afin de procéder à l’expulsion, un jour ou l’autre : bouteilles vides bruyamment heurtées au sol, portes ballantes, misères pharmaceutiques. Albums jaunis, coussins, des lainages crasseux. Bij ben Kuruma contemple avec les Sœurs des trognes de photos de noces : on s’appliquait pour prendre la pose. Alphonsine à jeun se tient soudain derrière eux ; Bijou-Kuruma reconnaît son port de tête, le nez droit ; pommettes saillantes sur plusieurs visages de la noce sépia.. Il lui remet un carnet de tiquets de bus, à l‘instant dérobés. Alphonsine sarcastise : « Eh non ! pas de magot ici ! » Kuruma revient donc bredouille de son exploration . Noëldieu, fils Bogdan, soupire : - C’étaient de petites gens… - Adieu donc, projets de Nouvelle-Zélande. - Adieu vie future. Nous avons trouvé une bonne planque, ajoute Kuruma Diamant-Noir. - J’en ai ma claque, de cette planque. Tous les vieux me tapent sur le système. Je veux voir du pays avant de mourir. Les manigances de mes deux nièces, que tu quittes à l’instant, me laissent froid. - C’est toi qui voulais revenir, Long-Nez, pour voir si ton vieux père te reconnaîtrait. - Je ne sens plus ici la moindre trace de ma mère, Myriam. - C’est pour une morte que tu prends de tels risques ? Pas de pognon. Alphonsine me l’a confirmé. - Ce n’est pas moi qui t’ai envoyé fouiller. - C’est Johanna qui me l’a demandé. Elle m’accompagnait l’autre jour. Sans résultat non plus. - On ne va pas s’en tirer comme ça. Tu as tué mon frère blanc. Ils se retournent : Detkev est entré au salon, un revolver plat dans sa main, jouet mortel. Kuruma et Noëldieu se poussent du coude : « Qu’est-ce que tu tiens-là, Pépère ? - Une passoire. » Bogdan tourne l’arme vers le bijoutier qui aperçoit, braquée comme une langue, un obturateur : - ...Pistolet d’alarme ! ...Rien à voler ici, vieux con, dit Diamant-Noir ; fini, les billets dans la lessiveuse. Bogdan répond qu’il ne croit pas cela, mais replace son pistolet dans sa poche. Noëldieu : « Ça remue dehors ». Les trois hommes s’approchent de la fenêtre : Alphonsine et Evguéni à présent se tiennent de dos au milieu du sentier et du saint-frusquin qui l’encombre. Les deux sœurs sont revenues, chargées de paquets difformes ; Evguéni se retourne et les apostrophe : « Vous nous avez reçus très incorrectement à notre sortie de désintoxication. La première fois, les Mazeyrolles nous ont remplacés - des vieux comme nous : admettons. Maintenant, c’est Bogdan, qui nous prend pour des gâteux. De plus : Noëldieu et Diamant Noir. N’importe qui chez nous, pourvu que ce ne soit pas nous. X « L’essentiel pour vous les filles, c’est d’expulser les vieux qui vous ont nourries, par leurs loyers. Le Vieillards’ Home sera bien suffisant pour eux, où vous les entasserez ». Alphonsine à son tour : « ...que vous introduisiez chez nous des assassins, c’est votre affaire. Mais qu’ils fouillent notre domaine, c’est intolérable. - Tu exagères dit Claire, Noëldieu n’a pas fait exprès d’agresser. - On fait toujours exprès d’agresser. Ce qui reste à démontrer. Aide-nous jusqu’au taxi. - La victoire, dit Kuruma Diamant, appartient à Bogdan et à ces deux invertébrés : les Mazeyrolles ». Qui jusqu’ici mâchonnaient côte à côte sans la moindre expression. X Les premiers troubles de Bogdan sont apparus courant novembre. Voûté. Traînant ses pantoufles : « Mes jambes me porteront longtemps. Il va pleuvoir. Je ne pourrai plus sortir dans le jardin. Tout le monde s’est croisé sur cette allée. Je ne peux me souvenir en paix de Myriam poursuit-il puisque j’aime à la fois sœurs Johanna et Claire. « Les aînés Mazeyrolles sont trop vieux. Ils ne me parleront jamais de Myriam. Derrière les haies de glycines se trouve leur appartement , que j’occupais. X « Claire et Johanna reçoivent des visites. Jamais tout à fait semblables. Mais quand elles sont seules, j’entre chez elles à volonté. Il ne me reste plus rien au frais. Elles cachent les sucreries et les fruits secs. Les portes des chambres sont fermées.  » Il marmonne d’une pièce à l’autre dans chaque bâtiment, puis d’un bâtiment à l’autre, par l’allée centrale, avant la pluie. X « Bogdan, dit Johanna, nous avons envie de vous tuer. - Vous plaisantez. - Nous profitons de vos bonnes dispositions pour parler à cœur ouvert. - Ouvert ou non. - Votre fils Noëldieu n’a jamais été puni, ou poursuivi. Votre lucidité peut disparaître. - Je n’ai pas reconnu mon prétendu « fils ». - Vous connaissiez la victime ? - STABBS - ...je veux dire, excepté son nom… rien de lui ? ...qu’il était le... précédent  de Claire ? - Je ne sais rien de plus que vous, Johanna . - Mais rien de moins. - En même temps, disait Claire, nous aimerions vous garder près de nous. - Enterrez-moi près de vous. Bogdan l’a regardée par-dessous. Comprend qu’il devrait partir de lui-même : « Qu’est-ce qu’ils ont donc de plus que moi, ces vieux gâteux de Mazeyrolles, devant lesquels tout s’incline? …la sorcière, avec sa dent bleue !  - Nous deviendrons vieilles à notre tour, dit Johanna . - Il jouerait de la musique. « Bogdan, mettez-vous au piano une bonne fois. - Je dois m’en aller, une bonne fois. Votre attitude me désoriente. J’aurais voulu dire « je vous aime » à Claire et Johanna dans l’ordre. » Sa voix tremble. Johanna prétend que rien ne pouvait s’éviter. Que chose marquée doit s’accomplir. Bogdan écoute avec dignité, mais sa tête malgré lui décline. Claire propose de l’emmener à deux : « C’est ton rôle d’épouse… qui donc ici ne s’est pas chargé de lui ? à ton tour » - mouvement deJohanna - « il ne peut pas t’entendre » Bogdan répond Vous ne savez rien de ce que j’entends. - Nous allons chez Mrs Bove répond Johanna . L’accueil est chaleureux. Elle enveloppe son nouvel hôte sur un canapé rouge : « Nous nous sommes rencontrés » dit l’Anglaise « en d’autres circonstances, et plus jamais depuis. Avez-vous bien viré (fired) nos malfaiteurs ? Kuruma et son complice, I mean… Johanna répond qu’ils ont osé se représenter, que les ivrognes Lokinio-Turc ont fait leurs bagages ou bien sont morts (elle ment), que seuls demeurent les Mazeyrolles, « des vieux paisibles, apparentés à Bogdan que voici sur le canapé ». - Le vieux Mazeyrolles est cousin de Myriam, bredouille Bogdan dans son cocon de chandails. Il s’y perd. Les deux Bove, femme et conjoint tout neuf, ont dévalé de son canapé, le prennent sous les épaules, et l’embarquent à sa chambre, au grand lit couvert de couettes rouges. Ils disposent sur l’étagère une collection d’ouvrages historiques dont il ne parlait plus. « Il ne me reste presque plus rien » dit Bogdan. Johanna les a suivis : « Vous avez bien des souvenirs, Paniei Bogdan . - Tu peux tutoyer ton nouveau mari, Johanna ... » Mrs Bove s’extasie sur les titres, la splendeur des reliures. Bogdan retombe dans le mutisme. Tous prennent congé froidement. De leur voiture les deux sœurs font des V d’encouragement, comme Victoire – Bogdan, de sa fenêtre, hilare d’un seul coup, répond de même. X X X « Hello. Here’s Mrs Bove. Bogdan est insupportable. Il ne parle pas, ne lit pas. Devient tout à fait inintelligent, tout à fait très ... Il prend le livre, l’ouvre sur ses genoux et s’endort. Hello, Miss Claire ? …il y a tempête ici… In your street too ? Je vous entends très mal ! » X « Monsieur Bogdan, votre père – il n’est pas votre ? ...il nous emmerde, mon mari et moi. Il iourine ! Parfaitement ! au lit ! Pourquoi vous n’avez pas prévenou ? Hello ? des couches, oui, faites venir baby diapers, garçons, yes, épaisses par devant ! ...le vent, le vent !… » Mrs Bove ajoute qu’il appelle la nuit pour s’éviter l’incontinence. « Le temps qu’on arrive, il a déjà pissé – ne coupez pas ! » Bogdan appelle la nuit où suis-je ? qui êtes-vous ? pourquoi moi ici ? « Trois fois Police ramener lui, lui s’excuser, lui recommencer, nous pas pouvoir garde lui, vous trouver quelque chose – hello ? hello ? » Le vent souffle avec rage. On entend de loin Mrs Bove Ma chère, vous perdez votre français. Bogdan transféré à l’Asile Vauclère-et-Canson. Se parle seul en permanence. Déplored’être pris pour fou, ce qui est bien plus commode. Mais je pense savez-vous. Il y a plus atteint que moi. Il ne fait pas exprès de pisser. « De temps en temps. Quand on m’observe, je replonge – surtout, ne pas étaler mon intelligence – où mon épouse et Claire ne voient que rébellion. « Nous faisons peur ». C’est la première fois qu’il pense au pluriel depuis la mort de Myriam. De son vivant il disait « nous ». Apprenez à dire je dit le psy. Les infirmières disent « Papy », «Mamie ». Les renfoncent dans leurs lits médicaux.. X Voici un coup de téléphone : «  Johanna ? - Noëldieu ? . - J’éprouve des remords. Bogdan n’est pas traité comme il faut. Tout leur semble bien pire. Nous ne pouvons pas le laisser là. Johanna : « Après avoir eu tant de mal à l’expulser ? Noëldieu: « Je vis dans la clandestinité. Bogdan est gâteux. - C’est ton père. - Mais c’est moi qui paye l’hospice. » Johanna, future épouse de Bogdan, raccroche d’un coup. X Clinique, intérieur jour, intestins. D’un coup cela revien., après toute une vie d’absence. Le ventre frémit comme un solfatare. « À treize ans », raconte Bogdan « on m’a tiré tout l’intestin, mètre à mètre. » - Cela ne se peut reprend l’homme de l’art : les intestins sont immobilisés par le mésentère. Une incision là. Une autre là. Deux tranchées dans le ventre. Bogdan marche à présent avec deux cannes anglaises. On le visite comme un monument historique. De rage, devant le personnel en cercle, Bogdan déchiquette ses bandages. Une infirmière s’exclame : Il est déchirant ! - On enlève la sonde, pépé, attention à l’oiseau ! - Voilà le curé ! - arrêtez de gigoter ou je vous exorcise ! - ...répétez après moi bénissez moi mon Dieu parce que j’ai péché… - ...ça ne sert à rien qu’il me bénisse : c’est lui, Dieu… Le curé se tourne sur sa chaise : « Il a toute sa tête. Seul avec Dieu. Claire et Johanna referment prudemment la porte. Ce n’est pas avec ce curé-là que Bogdan retrouvrera la foi. « J’ai claqué une grosse blatte par terre hier soir », seule phrase qu’on puisse lui arracher. Sur son lit de fin de vie, Bogdan évoque Myriam la disparue, mais le personnel dispose autour de lui le paravent fatal d’agonie, nul ne l’écoute et sa langue embrouille des sons hagards. 63 X X X La veille du mariage, Claire et Johanna courent la campagne une bonne partie de la nuit. La brise agite leurs voiles sur leurs profils. Johanna  : « Bogdan s’en est bien tiré. Mais pourquoi l’avoir ramené ici sans me consulter ? - Je mène ma vie comme je veux. - Tu n’avais pas à introduire ici cette larve que j’épouse, pour vous laisser tous deux à la merci de nos quatre grands-parents ! (un temps) Il ne dit que des conneries. Claire ne trouve pas que Bogdan ne dise que des conneries. X L’entrée des deux robes blanches dans un troquet nocturne, entre hommes, fait sensation. Claire et Johanna poursuivent leur entretien sous les regards des buveurs incrédules. La Johanna réclame sa part d’avance sur héritage. Demande l’annexion à son profit du pavillon pourri en fond de jardin. « Je ne suis pas encore morte » répond Claire. - Tu étais d’accord. - J’ai changé d’avis. - Tout le monde te tient pour une sainte. - Je ne peux pas, dit Claire, mettre les Mazeyrolles à la porte. Le vieux est cousin de Myriam, la morte. Et ce sont les parents de notre mère. - Je veux ma maison en entier ». Les deux sœurs s’animent dans un grand envol de tulle. Depuis le seuil du bar, sous l’ampoule, les fumeurs confinés se penchent vers l’intérieur : Claire demande à haute voix pourquoi sa sœur ne peut se contenter d’une moitié. Johanna se refuse de même à mêler son imminent mari à tous ces vieux qui hantent ces murs, y compris le Vieillard’s Home qui périclite. « Retourne en Espagne, tu seras loin ». Johanna se révolte. 64 Claire, au bar, en robe de noces : Ma vieillesse me fascine. Je te laisse le vieux Dtelev qui n’aime que moi, et qui t’épouse. - Il y a des asiles pour ça. J’y ai remis ton vieux Bogdan. Personne n’y reste. Ils se marient ou crèvent. Les deux sœurs quittent le bar sans avoir pris leurs consommations. L’assistance renouvelle les siennes en commentant grassement. Les lumières disparaissent dans le dos des mariées. L’église les attend loin devant dans la nuit. Tout se jouera aux premières heures. Les voiles se noircissent, les robes se froissent. Johanna perd ses souliers, s’assoit sous un arbre. Claire vante les toits, les murs de la Grande Maison partagée entre tous. Johanna répond je ne pense qu’à moi. Insiste pour expulser les vieux Mazeyrolles, grands-parents maternels. Claire ne cède rien ; refuse une fois de plus d’épouser Bogdan à la place de sa sœur : il m’aime trop, il gâcherait tout. Claire ne voit que le seul dépérissement de la vie. Johanna préfère la mort abstraite et définitive. Claire demande, à grands pas vers l’éclairage de ville, par où commencera son propre flétrissement. « Ce sera » décrète Johanna « par le milieu du corps ». Soudain : Nous sommes suivies. - Personne ne nous suit plus. - Attends que le jour se lève. 65 Le ciel s’est dégagé dans l’aube. Elles se sont contemplées. S’assoient sur le talu, se massent les pieds. « Nous n’intéressons que nous-mêmes, répète Claire. Que diront les voisins ? - Les vieux ne sont pas nos voisins. - Est-ce que nous paraîtrons dans le journal ? - Rien ne sera correctement exposé dans l’article. - Je voudrais, dit Claire, que tout soit développé : ce que nous avons subi, accompli. » Elle ajoute que le ou la journaliste s’épanchera sur le pittoresque de la situation, détaillera la finition des volants. Johanna reprenant la parole s’affirme fière de ses formes, de ses impulsions, nous sommes folles dit-elle, puis ...sans bornes » – toutes deux se relèvent et marchent ? - Johanna je n’en peux plus. Cherche n’importe quel abri, un hôtel un trou, L’hôtelier s’esclaffe : « Le collègue m’a téléphoné. Vous n’êtes plus très fraîches. - De rosée. Cinq kilomètres à pied. » 66 Un flash lui part dans les yeux. Leur souvenir hantera trois générations successives. Pendant que les paparazzi les mitraillent, les deux sœurs s’interrogent sur Bogdan, point de mire détrôné, l’horloge marque 5h 40, l’adjoint au maire sert cafés et-liqueurs, des micros se tendent, Johanna répond des obscénités. Nous manquons d’épaisseur dit Claire et personne ne nous porte intérêt » (un destin, une volonté, à d’autres. Claire prétend une fois de plus qu’elle est enceinte Ça ne se voit pas ironise un journaliste à gros sourcils. Ex abrupto : Pourquoi hébergez-vous ce fou Noëldieu fils de Bogdan ? - Il ne se cache pas répliquent les deux sœuirs. Nous n’avons pas connu ce Noëldieu. Sa victime Stabbs était l’ancien amant de Claire. Nous voyons à quel point cela bouleverse la presse. Nous n’avons conservé ni photos ni lettres ni cartes postales. Nous refusons toute inscription ou démonstration ». Les flashes s’espacent. Les sœurs confirment qu’elles ont la ferme intention de se marier, chacune avec un homme et pour de bon, en fin de matinée. Qu’elles seront en retard à Ste-Savine si personne ne les amène. Que les témoins s’avancent. dit Claire. « Nous serons bientôt débarrassés d’eux » : l’une ou l’autre sœur se fera un café. - Inutile, songera Bogdan. Puis à haute voix. Tout haut. Claire, Johanna, le regardent intensément, amusées. « Pourquoi passez-vous vos journées à épier des vieux ? » Claire écoute avant le repas Good bye stranger, Adieu filles étrangères, good bye Mary, good by Jane, dont les paroles envahiraient nos yeux de larmes. Bien la peine, bien le peine. XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX É p i l o g u e s Bogdan dont une chambre désormais se trouve au sein même du logis des sœurs cache mal sa déception, tant il eût voulu de vie encore. Au moins peut-il purifier les anciens miasmes pensionnaires, contempler à loisir les profils de Johanna , de Claire nimbés de marbrures lactées. « Les Mazeyrolles sont partis, dit Claire.- Les vieux, précise Johanna . - Vous les tuez, dit Bogdan. Il les avait revus, tout près, monter dans une minuscule ambulance, courbés et désespérés. Il ajoute qu’ils ont vécu là 17 ans, sans que les deux sœurs en subissent le moindre dérangement. «Ne nous apitoyez pas, Bogdan », dit Claire tout bas. L’oncle René approuve de la tête et repart en cuisine en remmportant les plats. Le feu de St-Alphonse avait consumé les armoires, au centre du jardin. Les pensionnaires de tous les pavillons s’étaient regroupés. Certains parlaient d’avertir les sapeurs-pompiers. « Qu’ils avertissent ! » dit Johanna . Mais les crépitations de meubles enflammés retentissent sur fond de réjouissances : plus loin dans le quartier, une foule de noceurs ivres reprend en hurlant Mais c’est la mort qui t’a assassinée Macia – « bien à propos », dit Johanna . Les vieux, rêveurs, baveux, contemplent la mise à feu de leurs coffres vides. Bogdan revient dans son logis indépendant. On n’a brûlé que les meubles hors d’usage. X X X Les rapports d’oncle René et de sa mère constitueraient un immuable sujet d’étonnement: nièce Claire et nièce Johanna , Bogdan lui-même gendre Mazeyrolles, ne s’étonnent plus de rien. La mère et grand-mère : Vieille Dame Charmante. Ses lèvres sont striées comme souvent à son âge. Parfois taciturne. Très stricte sur sa chaise, un peu déjetée et courbée, elle reste inséparable de l’oncle René, cet escogriffe quadragénaire et jaune. Au timbre sourd et nasal quand il daigne. Assistant sa mère, noblement la soutenant avec des précautions d’antiquaire. Couvert d’amour et parcheminé de peau. Il écarte les obstacles et jusqu’aux gros cailloux. Les personnes, s’il osait. Et spécialiste de la gorge. Le soir où l’on pendit la crémaillère, Bogdan les invita tous. Ils occupèrent le long côté de la table. L’oncle et sa mère se comportèrent sans faiblir, poussant à égalité la nourriture dans leurs gosiers éteints. La vieille dame s’endormit entre les bouchées. Son fils avait passé le pain, ôté les os, essuyé le coin des lèvres. X Bogdan se découvre un côté desséché. C’est bien inquiétant. Il se sent incapable de grandeur. Sans doute aurait-il mieux fait d’usurper, intégralement, la maison des MAZEYROLLES, au lieu de rejoindre si vite le Großhaus des deux sœurs. Claire à sa gauche. À sa droite Johann. Ne se disant rien. Les autres convives ? Il ne les connaît pas. Si peu. Il n’est pas purement chez lui. De temps à autres, elles s’inclinent vers lui, en même temps, tendant un verre, un four, un sourire, puis répondent de toute part aux invités qui se pressent. En face, de l‘autre côté du buffet double accès, deux vieilles du Vieillards’, qui déglutissent. Le reste de même. Bogdan ne zyeute que des individus sans qualités. Lorgne sur son plat, sur les deux chevelures qui s’obstinent à lui rendre hommage, alors que rien ne l’invite à festoyer. Il se lève, glisse au long de la table d’amuse-gueules, tourne sur les hors-d’œuvres, revient par les tourtes lorraines. La vie lui suffit. Vous écrivez la même chose. On ne vous dit pas tout. Le passé reflue en masse, mort de Myriam en code d’exercice. Bogdan n’en peut plus d’observer. Fait connaissance, défait connaissance. Le toubib au teint jaune, aux yeux faux bordés de bacon - « Poutzi » – l’essentiel est que je puisse marcher. L’injection passe mal. Bogdan a repris son circuit. Il revient sur ces deux, René, Albertine, proche parentèle, mère et fils, disparus des radars. Qui mâchent sèchement, sans un mot, paupières basses, le fils guettant le pain par-dessous. Il guette la cuillère, il guette la sauce. « Qu’y a-t-il pour votre service, Mère ? » Premiers mots du vieux fils. Claire et Johanna disent Mon Dieu ce qui ne leur ressemble pas. Lorsque la vieille Alphonsine plonge morte dans son plat, nez devant, le vieil enfant saute sur son siège, retourne la vioque, essuie la sauce, la tablée jaillit en tous sens, on ne trouve qu’un seul téléphone. Tout amateur de Britannicus connait les deux façons dont s’agitent les convives d’un mort, d’une morte : ceux qui mangent, ceux qui se dressent, ceux qui vomissent. Bogdan, lui, s’est relevé de table sans précipitation. Il est sorti marcher de long en large dans sa portion de verdure, devant la haie de séparation. Il se demande, franchement, pourquoi ces deux jeunes femmes l’ont recueilli. Qu’est-ce qui leur a pris. Qu’est-ce qui a bien pu leur passer par la tête ?...un vieil homme comme lui ! Autre réflexion : pourquoi la mort le frôle-t-elle de cyprès, sans qu’il s’en émeuve outre mesure ? Quel système de poids Dieu le Créateur, qui existe tout autrement, a-t-il entreposé dans son âme ? Lorsque Bogdan revient s’assoir, Le médecin à teint jaune énonce le diagnostic : « Rupture d’anévrisme ». Comment s’appelle-t-il déjà ? Poutzieff ? Sa voix est nasillarde : est-ce qu’il le fait exprès ? s’enregistre-t-il la voix, pour l’étudier, sous un casque de retour ? Deux infirmiers transportent le corps, qui n’a pas perdu sa souplesse. Mais certains invités crlent encore. Bogdan en a les oreilles rompues. René accompagne Alphonsine sa mère à son dernier séjour, le petit cimetière de l’hôpital ; il ne vivait plus que pour elle infirme. En retrouvera-t-il une qui se tienne aussi bien qu’elle ? Des quartiers de lune. Il fait le tour d’un pâté de maisons, d’un second. Il reviendra bien assez tôt se recoucher dans son domicile fixe provisoire. Marmonne & pense pouvoir se passer de toutes, Claire, Johanna. Elles ont tout nettoyé, tout rangé dans sa nouvelle demeure, chez elles. Pas même reconnaissant. Tout est dû aux vieux. Jusqu’aux anges gardiens. Il se parle en milieu de la rue, débarrassée de tous à cette heure. Personne pour le traiter de fou. Les asiles n’ont jamais été que des prisons. Il est si facile de passer pour fou. De répéter à satiété deux ou trois noms de femmes sans penser. Ça sent le foin quand il tourne la clef. Ou le rat mort dans sa laine de verre. La lune sortie des nuages glace les murs. Sauf sur celui de la « Maison U.», murée, terrible. Bogdan titube avec bonheur d’un trottoir à l’autre sans même avoir bu. « C’est à moi. Elles me l’ont donné. Vous autres sans-abri, crevez ». Le plafond si bas qu’il s’incurve jusqu’au ras du crâne – non : juste le cul-de-lustre. Un jour le toit s’effondrera. Au-dessus de la suspension se serrent les fines lattes de pont, étroites, vernies. 75cl de cognac à petites prises juste derrière la porte en bois du buffet. Vieux meubles, vieux ennemis. Désormais jusqu’à la mort. Soixante-dix ans de terreur. La vie enfin définitivement vaincue. Les pleins et les déliés. Il l’aime bien, brusquement, sa vie. « C’est bête... » ...Myriam gagne-t-elle vraiment a être regrettée ? cheveux ternes, retorse… ça lui revient, maintenant… partie en éclaireuse, en tête, . À compter d’un certain âge, les époux s’épiente guettent : une seule bouée pour deux… Bogdan hoche la tête. Ces renvois d’icebergs en surface. «  Paresseux » dit Claire. -Tu m’espionnes ? » - ces yeux qui s’effondrent, torpeurs à bas bruit à toute heure. Il s’aperçoit qu’il écrit à Myriam, déchire la lettre Ce sont des absences dit Claire - Il ne pense plus ! » la plus jeune exagère. Les deux sœurs et Bogdan devant la télévision. Le Prussien sur un vieux prisonnier d’Allemagne qui survit à sa vieille femme. Les héritiers s’agiteront autour de lui comme autour d’un bout de bois. Il se taira sous ses rides. À l’enterrement tous un par un le dépassent. Il arrive bon dernier sur la tombe. Claire : « À quoi pense-t-il ? » Bogdan «Voulez-vous devenir ma femme ? - Une de trop, répond Claire. Bogdan éprouve des élans du cœur. Si l’on ne devient pas fou dès le début – « Étiez-vous amoureux de Myriam ? - Non. - Pourquoi voulez-vous l’aimer davantage ? - Je me moque dit-il d’être apprécié. » - Johanna bat des mains. - Parlez-nous de Myriam, reprend Claire. Bogdan décline. « Nous allons vous détacher de vous. - Si c’était vrai, vous ne l’annonceriez pas « comme ça». X Bogdan a découvert ce que chacun sait avant lui : la liaison ressuscitée de Claire et de Stabbs, ce dernier très antipathique. Johanna pour sa part lorgnant plus souvent qu’il ne faut le Stabbs bien-aimé de sa sœur aînée. Johanna brune, bouche dessinée .Stabbs courtise les deux. Nul ne sait s’il les honore ou les déshonore. Stabbs et Johanna flirtent désormais ouvertement. S’était donc un beau jour présenté un certain Noëldieu, prétendu issu de Bogdan et Myriam. Il se trouva très affecté par la mort de Myriam. Plus affecté qu’il ne convient depuis tout ce temps. Sa taille, s’il se tient droit, fait les deux mètres. Mais il porte le nez long et la tête baissée d’un frôleur de guillotine. Sa voix sort d’une fosse. Il attire les chiens exprès dans les rues. Demande comme eux asile et protection. N’a jamais beaucoup vécu. Avait appris le Décès au hasard des journaux. Craint l’arthrose et l’hémiplégie. Finira peut-être cloîtré comme les autres. On rencontre chez lui aussi bien la rigueur qu’un mollasson laisser-aller. Mise en question de Bogdan Stavrowcki Voici le dialogue : « Nous ne le jugeons pas sur ses actes... - Il ne veut rien faire. - ...ni sur ses intentions. - Bogdan regrette insuffisamment sa femme. - Noëldieu reste inconsolable. « Qu’en sais-tu » réplique Noëldieu. - Claire, pourquoi traîtes-tu Bogdan de vieux en vieux, de visite en expulsions ? - Il aimait les dérivatifs que je lui proposais. Son fonctionnement m’intéresse. Sa maladie. - Laquelle ?? » Propos et arguments se succèdent sans conclusion et Noëldieu se lève : « Ne chassez pas Bogdan ». Il agite le nez de haut en bas « ne chassez pas Bogdan». - Qui parle de le chasser ? dit Stabbs. Noëldieu reprend : « Où irait-il ? - Dans son ancienne boîte à dingues, rétorque Johanna . - ...où ça pue la cantine » ajoute Stabbs « ...la pisse, les regrets et les tremblements de mains … pour spectacle quatre grabataires à demi morveux. - Je suis son fils, reprend Noëldieu ; je me sens plein d’ardeur et d’avenir. - On le garde, dit Johanna . Il ne dépasse notre haie ni en hauteur, ni en largeur. - Cependant il dérange insiste Claire. Cette décrépitude doit nous être épargnée ». Les rapports d’oncle René, en cuisine, et d’Alphonsine en tous lieux, sa mère, constitueraient un inépuisable sujet d’étonnement: mais nièces Claire et Johanna , Bogdan, lui-même gendre Mazeyrolles, ne se surprennent plus de rien. Alphonsine, mère et grand-mère, Alphonsine, est le type de la Vieille Dame âcre et attachante. Sa lèvre est striée comme si souvent à son âge. Celle qui la porte est parfois taciturne. Stricte sur sa chaise, un peu déjetée, elle reste insécable de son fils et d’oncle René, escogriffe au teint jaune ; au timbre sourd et nasal quand il daigne s’exprimer. Assistant sa mère, la soutenant avec des attentions d’antiquaire. Amour et parchemin. Il écarte les obstacles et jusqu’aux pierres du chemin. Les hommes, s’il osait. Et spécialiste de la gorge. Le soir où l’on pendit la crémaillère, Bogdan les invita tous. Ils occupèrent le long côté de la table. L’oncle et sa mère se comportèrent sans faiblir, poussant à égalité la nourriture dans leurs gosiers. La vieille dame s’est écroulée d’une bouchée sur l’autre. Son fils lui avait passé le pain, ôté les os de la viande, essuyé le coin des lèvres. Ils mâchaient sans un mot, les yeux bas, le fils guettant le pain par-dessous. Il épie la cuillère, il épie la sauce. « Qu’y a-t-il pour votre service, Mère ? » Premiers mots du vieux fils. X Bogdan se découvre un côté sec. Incapable de grandeur. Sans doute eût-il mieux fait d’usurper la maison des MAZEYROLLES, au lieu de rejoindre si vite le Groszhaus Bunker des deux Sœurs. L’aînée à gauche. À sa droite Johanna . Elles ne disent rien. Les autres convives ? il n’est pas ici chez lui. De temps à autre les sœurs se sont inclinées vers lui, en même temps, lui ont tendu un verre, un four, un sourire, puis répondent de toute part aux invités qui s’entassent. En face, de l’autre côté du buffet à double accès, deux vieilles, tout droit sorties du Vieillards’ House, qui déglutissent à tour de rôle. Une autre vieille et son vieux fils, raides, vides et nez pendant. Le reste ad libitum. Bogdan faute de mieux reluque la faune. C’est un défaut de débutant : ne voir autour de soi que des individus indistincts. Il lorgne sur son plat, rond de plastique aussitôt vidé que regarni, et sur les deux coiffures de femmes qui s’obstinent à lui rendre hommage. Il glisse au long de la table à chips, tourne sur les mezzé de Beyrouth, revient par les pâtes lorrains au fromage blanc. Nous sommes des milliers à écrire. Ne sont venus que des inconnus. À la section « psy » du Vieillards’ Home c’était la même chose. On ne nous dit pas tout. Le passé reflue. «Mort de Myriam » semble un code secret. Bogdan n’en peut plus d’épier. De faire ou défaire connaissance. Un toubib jaunâtre aux yeux faux soutachés de bacon. - « Poutzi » (ou Pontzieff) – l’essentiel est qu’il marche. La souvenance a rejeté la greffe. Ses proches parents, mère et fils, éclipsés des radars. Lorsqu’Alphonsine soudain plonge dans le plat blair en avant, le vieux fils saute sur son siège, la retourne, essuie la sauce, la tablée jaillit en tous sens, on ne trouve qu’un seul téléphone, René accourt de la cuisine, serre le vieil enfant, son frère, dans ses bras, l’appelle Olivier...chacun sait comment s’agiter en cas de mort à table : manger, se dresser, vomir. Bogdan s’est eztiré sans précipitation. Il est parti se promener de long en large dans sa portion de verdure, derrière la haie. Pourquoi ces deux femmes l’ont-elles recueilli. Qu’est-ce qui leur a pris. Un vieux comme lui. Pourquoi la mort le frôle-t-elle sans qu’il s’en émeuve. autrement ? Quel système Dieu Créateur a-t-il entreposé derrière sa haie interne ? Quand Vieux-Bogdan est revenu s’assoir, le médecin jaune ( Poutzy, Poutzieff ?) a diagnostiqué rupture d’anévrisme. Deux infirmiers ont exporté le eorps, encore dépourvu de son trisme cadavérique. Mais certains gosiers crient encore. Olivier, fils longiligne, accompagne sa mère à sa dernière demeure, le petit cimetière hospitalier. Saura-t-il en retrouver une, qui boite aussi élégamment ? Il en sortait à son gré. Tout s’est passé si vite. * Quand l’assemblée s’est dispersée, ventre plein, cercueil plein, Bogdan pousse un soupir. Il sort de nuit, dans les rues désertes de Troyes. Par ici des pavillons blancs, qui remplacent la lune : beaux reflets de bonne carrure. Il se couchera bien assez tôt : il possède enfin son domicile fixe et c’est bon d’avoir soixante-dix ans ». Il marmonne : « Elles ont pourtant tout briqué, rangé dans mes nouvelles pièces, chez elles». Y compris les anges gardiens ». D’éprouver sa plénitude dans le vide. « Enfin dignement logé Seul. Et ça sent le foin quand il tourne la clef : laine de verre à l’intérieur des murs - et si c’était un rat crevé, coincé ? La lune sort des nuages sur les murs endormis. L’un de ces murs demeure nocturne, « Maison Usher », froide, murée, terrible. Vieux-Bogdan ne dormira plus Il titube avec bonheur, doucement renvoyé d’un trottoir à l’autre sans même avoir bu plus qu’il ne faut. « C’est à moi. nnnnnnnnnn X Après chaque visite, Vieux-Bogdan et Claire prennent un lait fraise et un diabolo menthe au bar de L’Entrecôte. Ils échangent leurs impressions. Vieux-Bogdan est stupéfait. Il se fait tout expliquer, répéter, rétaler. Ces Mazeyrolles l’intriguent. Il se fait désigner leur ancienne adresse sur un plan de ville. Demande combien d’armoires s’entassent dans leur pièce où l’on ne peut plus mettre un pied. S’il est bien vrai qu’ils ne possèdent plus qu’un petit écran de télévision qui fonctionne, juché sur un grand irréparable. « Je parie » dit Vieux-Bogdan « qu’ils sont devenus tout à fait sourds à s’engueuler en patois de Lodève ». - C’est exact, Vieux-Bogdan ». Claire éclate de rire, montre ses dents et secoue ses boucles jaunes. X - Comment va Pépère aujourd’hui ? Il a fait un gros crotton le Pépère ? Il vaut ouvrir les rideaux le Pépère ? - Faites chier. - Pas poli le Pépère ! - Je t’ai vouvoyée ». Vieux-Bogdan ne peut tolérer que la très lointaine cousine de sa femme, Claire Mazeyrolles. Avec elle et quel que soit le propos, tout se joue dans la sérénité. Près d’elle seule il ne se sent ni vieux ni père. Chez les vieux Mazeyrolles, ils retournent, en compagnie de Johanna. Nouvelle soignante. La jeune sœur de Claire. Portant le même nom de famille, en attendant de se marier, ce qui ne semble pas dans leurs projets. Encore qu’il ne soit plus obligatoire d’adopter le nom de son époux. Les deux sœurs ne se ressemblent pas. La plus jeune aura ici des cheveux noirs, des yeux noirs. Un menton, un nez insolents. Claire perdra-t-elle son attrait ? X Les Vieux. Les plus vieux que lui, Bogdan. Déclinent leur âge et lieu de naissance. Claire, debout, prend des notes. Johanna , en retrait, l’œil noir, les toise. Dans la pièce qu’on entrevoit derrière eux, les armoires en effet s’entassent, acquises, abandonnées et garnies au fil d’une vie. Le soleil passe entre les battants capricieusement ouverts ou pendants. Marie Thérèse M. demande : « Il faut que je trouve un nouveau logement ? Jean-Paul son mari dit à son tour : « On nous promet un rez-de-chaussée : dans la même rue ? » Au retour, hors de leur présence : « Les déplanter, ce sera les tuer » commente Johanna . X « Encore un peu de bouillon, Pépère ? Eh ! Pépère ! Bogdan ! On se promène tout seul dans les couloirs à huit heures et demie ? Tout le monde éteint les lumières ! Tout le monde dort ! » Bogdan se fait rabrouer. Le règlement n’est plus ce qu’il était. Dieu merci. Il n’a pas connu ce temps-là. Il quittera ces lieux, devenus idylliques : « Où c’que j’vais-t-y donc ben m’loger à c’t’hure ? » Le ton ce soir est à l’humour. Mais le cœur n’y est pas. X Les deux sœurs Mazeyrolles, Claire, et Johanna -la-Boiteuse, habitent une vaste demeure en ville, aux chambres profondes et fraîches. L’une d’elles est inoccupée, en raison de l’absence d’un frère. Et voilà un problème résolu. Les deux sœurs le trouvent « amusant », « sympathique ». Le déménagement se fait sinon dans l’austérité, du moins dans la sobriété. JohJohanna visite Vieux-Bogdan, elle boîte bas, le vieux ne l’avait jamais remarqué à ce point. « Cela me vexe, tout de même. J’aurais pu le voir plus tôt ». Mais il ne l’en aime que davantage. C’est une grande jeune femme droite dans sa tête mais suffisamment de mystère pour se faire aimer. Elle s’assoit chez lui et ne dit pas grand-chose : bouche grande, bouche close. Ce pourrait être un proverbe. - Cela fait dix-sept ans que nous vivons ici,disait Marie-Thérèse Mazeyrolles. JohJohanna s’éloigne. Elle boîte. Vieux-Bogdan ne s’en était pas aperçu. « Même quand elle marche, on dirait qu’elle danse ». Il avait appris cette phrase. Il a oublié qu’elle est de Baudelaire. Les deux sœurs soignantes et le vieux couple portent le même nom de famille. Leur lien de parenté reste faible. Vieux-Bogdan éclaircira ce point plus tard. Ou ne l’éclaircira pas. Tout dépend de l’écrivain. Bogdan admire ces jeunes femmes. Il les aime. Laquelle des deux susciterait en lui plus d’amour, ou plus d’admiration ? Il faut se résoudre à ne pas se résoudre. Il aimerait désirer l’une, ou l’autre. Il tient jusqu’ici la balance libre en son cœur – Libra, la Balance - né le 24 novembre, Sagittaire. Le lendemain Johanna revient, le voici dans la place. Elle est plus éloquente. Quand elle rit, son visage reste lisse. Son débit s’affermit, ou bien se précipite sans raison. « Les Mazeyrolles, dit-elle, se sont refait un nouveau dans leur taudis. Comme avant leur papier peint se détache en copeaux. Comme avant sur la télévision j’ai vu un poulet cuit à dégeler. La planche à repasser au milieu du salon. « Leur déplacement n’a servi de rien. Ils ont transporté leur taudis sur leurs dos. - Vous êtes jeune, répond-il, et pourtant, vous aimez l’ordre. - Les deux ne sont pas incompatibles. » Johanna poursuit : « Leur jardin sert de dépotoir. J’y ai compté quatre grille-pain rouillés sur l’herbe, d’autres armoires en plein air croulant sous la pluie. - Ce sont des cousins de Myriam. » Il n’en dit pas plus. Myriam. , ces gens-là et ses deux gardiennes sont apparentées. Mme de La Fayette en eût pondu vingt pages, gloire au taciturne Bogdan « Nous sommes tous cousins » reprenait Johanna . - L’âge les a bien frappés, disait Bogdan : « Jean-Paul et Marie-Thérèse ». La mode était aux prénoms doubles. La vieille avait ici redoublé de laideur. Johanna répondait que Bogdan s’en était « bien tiré » : très peu de rides. À quoi Bogdan répliquait « j’ai une vraie tête de porc ». Le jeune femme se met à rire, sans plus exposer sa pensée. Claire, dit-elle, ne songe pas à expulser les Mazeyrolles. « Mais ils sont vraiment trop laids ! - Ils ne payent pas non plus leur loyer. - Qu’en savez-vous ? - Ne faites pas l’étonné, dit-elle. Jetez juste un œil derrière la haie : ils habitent juste en bordure de notre propriété. Nous aimerions racheter le terrain. - Qui mettrez-vous à la place ? - Vous, Bogdan. » Il ne dit lâchement ni oui, ni non. Johanna se tait et sa sœur aînée ne vient toujours pas. kmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmm bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb « Nous serons bientôt débarrassés d’eux » : l’une ou l’autre sœur se fait un café. - Inutile, songe-t-il. Tout haut. Claire, JohJohanna , le regardent intensément, amusées. « Pourquoi passe-vous vos journées à voir, dit-il, des personnes de mon âge ? » bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb Claire écoute avant le repas Good bye stranger, Adieu fille étrangère ; il s’agit de jeunes femmes étrangères, good bye Mary, good by Jane, lancinantes mélopées dont la plupart de nous ne comprenons pas les paroles, qui nous rempliraient de larmes. Pendant le repas sévit la TV. Bogdan dont la chambre désormais se trouve au sein même du logis des sœurs Bogdan cache mal sa déception. Au moins peut-il se purifier des miasmes et le soir, contempler à loisir les profils de Johanna , de Claire délaissée nimbés de marbrures lactées. Un soir après la bière : « Les Mazeyrolles sont partis, dit Claire.- Les vieux, précise Johanna . - Vous les tuez, dit Bogdan. Il les a vus, tout près, ce matin-là, monter dans une minuscule ambulance, mornes, courbés. Ils aurons vécu là 17 ans, derrière les Acquatinta, sans que les deux sœurs en subissent le moindre dérangement. L’oncle René apporte et remporte les plats sans rien dire : c’est de famille. La grand-mère (il y a une grand-mère) non plus, exceptionnellement présente, dont on laisse la chambre ouverte en temps ordinaire. «Ne vous apitoyez pas, Bogdan, dit Claire à voix basse. L’oncle René approuve de la tête et repart en cuisine. Le feu de la St-Alphonse a consumé toutes les armoires, au centre du jardin. Les pensionnaires de tous les pavillons se sont regroupés. Certains veulent avertir les pompiers. « Qu’ils avertissent ! » dit Johanna. Mais les crépitations de meubles puant de souvenirs passés retentissent sur fond lointain de réjouissances : plus loin dans le quartier, un chœur de noceurs imbibés hurle Mais c’est la Mort qui t’a assassinée Macia. D’autres vieux, renouvelés sans trêve, contemplent du fond des âges la crémation des cercueils de leurs souffles. Bogdan est revenu dans ses pièces indépendantes. On n’a brûlé que des meubles hors d’usage. X X X Les rapports d’oncle René et de sa mère constitueront un immuable sujet d’étonnement, si quoi que ce soit pouvait encore étonner Claire et Johanna. Bogdan lui-même, gendre Mazeyrolles, ne s’étonne plus de rien. La mère et grand-mère est le type même de la vieille dame, aux lèvres striées comme il se doit. Elle est parfois taciturne. Très stricte sur sa chaise, un peu déjetée sur sa Johanna et courbée, elle reste inséparable de son fils Oncle René, escogriffe quadragénaire et jaune. Au timbre sourd et nasal. Assistant sa mère, noblement la soutenant avec des gestes d’antiquaire. Couvert d’amour et prématurément parcheminé. Il lui écarte les obstacles jusqu’aux pierres. Les personnes, s’il l’osait. Et spécialiste de la gorge. Le soir où l’on pendit la crémaillère, Bogdan les invita tous. Ils occupèrent le long côté de table. L’oncle et sa mère se comportèrent sans faillir, poussant à égalité la nourriture dans leur gorge éteinte. La vieille dame s’endormit sur ses bouchées. Son fils avait passé le pain, ôté les os des viandes, essuyé les commissures. Bogdan aussi se découvrit incapable de grandeur. Sans doute eût-il mieux fait d’usurper la maison des MAZEYROLLES, au lieu de rejoindre si vite la Maison, le Bunker des deux Sœurs. Claire à sa gauche. À sa droite Johanna . Elles ne disent rien. Les autres convives ? Il ne les connaît pas. Il n’est pas chez lui ici. De temps en temps, elles s’inclinent vers lui, en même temps, lui tendent un verre, un four, un sourire, puis répondent de toute part aux invités qui se pressent. En face de lui, de l‘autre côté du buffet à double accès, deux vieilles droit sorties du Vieillards’, qui déglutissent. Une mère et son vieux fils, tous deux raides, vides et le nez pendant. Le reste à l’avenant. Bogdan épie la faune. C’est un défaut de débutant de ne voir autour de soi que des individus sans qualités. Il lorgne tantôt sur son plat, aussitôt revidé que garni, tantôt sur les deux chevelures de femmes qui s’obstinent à lui rendre hommage, alors que rien ne le convie à festoyer. Il les quitte, glisse au long de la table à chips, tourne sur les mezzés, revient par les gâteaux messins au fromage. La vie lui suffit. Vous êtes des milliers à m’écrire la même chose. Ne sont venus que des inconnus. . On ne nous dit pas tout. Le passé reflue en masse. «Mort de Myriam » semble un code d’exercice. Bogdan n’en peut plus d’observer. Tout est si instantané. Un toubib au teint jaune aux yeux faux bordés de bacon - Poutzi ? Pontzieff ? – l’injection ne prend pas, Vieux-Bogdan a repris son circuit. Il revient sur ces deux-là, ses proches parents, mère et fils disparus des radars. Ils mâchaient sèchement, sans mot dire, paupières basses, le fils guettant le pain, la cuillère, la sauce. « Qu’y a-t-il pour votre service, Mère ? » Premiers mots du vieux fils. Claire et Johanna murmurent Mon Dieu ce qui ne leur ressemble pas. Lorsque la vieille Alphonsine a plongé dans son plat, nez en avant, le vieil enfant a sauté sur son siège, retourné la vioque, essuyé la sauce, la tablée jaillit en tous sens, on ne trouva qu’un seul téléphone, René est accouru de la cuisine, a serré le vieil enfant, son frère, dans ses bras, l’appellant par son nom Olivier Olivier...Chacun sait les deux façons dont s’agitent les convives d’un mort : ceux qui mangent, ceux qui se dressent, ceux qui vomissent. Bogdan s’est relevé de table sans précipitation. Il est parti se promener de long en large dans son carré de verdure, après la haie. Il se demande pourquoi ces deux jeunes femmes l’ont recueilli. Ce qui leur a pris. Un vieil homme comme lui ! Autre réflexion : pourquoi la mort le frôle-t-elle de cyprès, sans qu’il s’en émeuve outre mesure ? Quel système de poids le Créateur, qui n’existe guère ou tout trement, a-t-il entreposé dans son âmee ? Quand Vieux-Bogdan est revenu s’assoir, le médecin à teint jaune épèle le diagnostic : « Rupture d’anévrisme ». Comment s’appelle-t-il déjà ? Poutzy, Poutzieff ? sa voix nasillarde : le fait-il exprès ? S’exerce-t-il chez soi, casque aux oreilles ? Certains gosiers crient encore. Bogdan en a les oreilles cassées. Olivier ne vivait plus que pour sa mère ; saura-t-il en retrouver une qui boite aussi bien ? « À l’asile, j’étais bien ». Tout s’est passé si vite. * Quand l’assemblée s’est dispersée, ventre et cercueil garnis, Bogdan s’en est allé de nuit par les rues vidées de Ste-S. : ici des pavillons blancs tenant lieu de lune, avec leurs gros reflets de bonne carrure. Il tourne un quartier de maison, un second. Il reviendra bien assez tôt se coucher : il possède à présent un domicile fixe et honorable «C’est bon d’avoir soixante-dix ans ». Il marmonne. Il pense pouvoir se passer de Claire, se passer de Johanna . « Elles ont pourtant tout nettoyé dans mon nouveau logis, à côté d’elles ; je ne leur en suis pas même reconnaissant ». Les vieillards, tout leur est dû. Il se parle au milieu de la rue, débarrassée d’humains. Personne pour le traiter de fou. Le réemprisonner près d’Alphonsine morte. Les asiles n’ont jamais été autre chose que des prisons. De répéter sans cesse deux ou trois prénoms de femmes. D’éprouver sa plénitude du vide. « Enfin logé. Dignement. Seul. » Et cette odeur de foin quand il tourne la clé d’entrée : laine de verre à l’intérieur des murs – ou rat crevé coincé ? Toujours dehors. La lune sort des nuages sur les murs endormis. L’un de ces murs demeure nocturne, « Maison Usher ». Bâtiment froid. Muré, terrible. Bogdantitube avec bonheur, doucement ballotté d’un trottoir à l’autre sans même avoir bu. « C’est à moi. Elles me l’ont donné : le dehors, le dedans. Sans-abri, crevez ». Se retrouve chez soi. Sous le plafond bas. Sous les fines lattes de pont, vernies. La navigation, sans le roulis. Vieux meubles, vieux ossements. Tout à lui jusqu’à sa mort, à lui seul. C’est enfin arrivé ! la vie derrière soi. Vie vécue, vie vaincue. Les pleins et les déliés. J’y pensais toujours. C’est bête. Myriam a-t-elle besoin d’être regrettée. Gagne-t-elle à l’être. Cheveux gris, retors ça me revient - les époux s’épîent, à qui partira le premier... Myriam n’aura pas traîné – huit jours ? trente-huit ans. Bogdan hoche la tête. Le cerveau qui décroche. Ces blocs de sommeil qui sautent à la surface. « Tu es paresseux » dit Claire Tu m’espionnes ? répond-il. - Pas la peine. Bogdan. Pourquoi tes oreilles, ses yeux qui s’effondrent soudain dans la phrase, la ligne… quelle que soit l’heure, ces torpeurs… Il s’aperçoit soudain qu’il écrit à Myriam - déchire la lettre il a des absences dit Claire comme les vieux dit Johanna il pense à sa femme - Penses-tu ! - Il ne pense plus. - Tu exagères, Johanna . * Les deux sœurs et Bogdan regardent Le Prussien. C’est l’histoire d’un vieil homme apparemment crétin, qui survit, apparemment indifférent, à la mort de sa vieille femme. Les héritiers s’agitent autour de lui comme bûches qui s’effondre, le traitent comme un morceau de bois. Lui se tait, dédaigneux sous ses rides. Le jour de l’enterrement, comme il marche lentement, tous les autres le dépassent. Il arrive bon dernier sur la tombe. « Qui sait ce qu’il pense ? dit Claire. - Voulez-vous devenir ma femme ? dit Bogdan. - C’est une de trop, répond Claire. - Pour moi c’est autre chose aussi, reprend-il ; des élans très subtils et très forts comme à 15 berges. Il ajoute : « Si tu ne deviens pas fou dès le début, dès le premier choc – on se guérit. Dans l’instant. - Voyons Bogdan, reprend Claire – étiez-vous amoureux de votre femme ? - Non. - Pourquoi voulez-vous l’aimer davantage ? Il dit : - Je me moque d’être apprécié. » Johanna bat des mains. - Parlez-nous de Myriam, dit Claire. Bogdan s’en contrefout. Johanna : « C’est dommage ». Il aurait pu en pondre deux chapitres. « Nous allons vous détacher de vous. - Premièrement : si c’était vrai, vous ne l’annonceriez pas de cette façon. Deuxièmement, tous ces PAGES 27 DU MANUSCRIT MANQUENT, CHERCHER DANS D’AUTRES DOCUMENTS (POUPI?) ….la disparition de la page 27 prive le lecteur d’un nombre incalculable d’informations. Les rapports des personnages s’en trouveront affectés. EN PARTICULIER, … Bogdan Sarovski découvre ce que chacun sait : la liaison, déjà ancienne, de Claire et de Stabbs, ce dernier d’emblée très antipathique ; en effet, la tête du vieux Bogdan retombe quand il marche, et d’autres têtes vont tomber. Les deux amants sont jeunes et s’affrontent, mais rien n’est si grave. JohJohanna , belle-sœur de la main gauche, regarde Stabbs plus souvent qu’il ne faut. Brune, fine, lèvres délicates et paupières fendues. Corps souple et propos fantasques. Stabbs courtise les deux sœurs. Nul ne sait cependant s’il les honore toutes deux, s’ils les déshonore, ou de quelles façons. « Qu’attendons-nous ? » (Stabbs). « Qu’est-ce qu’on attend ? » Johanna et Stabbs flirtent ouvertement. Survient un certain Noëldieu, qui se prétend fils de Bogdan et de Myriam. Il se trouve, quant à lui, très affecté par la mort de Myriam. Le nez plus long et la tête baissée dépassant du veston. Sa voix sépulcrale. Il ne lui manque plus qu’un chien. Il les attire exprès, dans les rues. Il demande comme eux asile et protection, ce qui indispose. « Suis-je le gardien de ma mère ? » Il n’a jamais beaucoup vécu. Apprend le décès par les journaux troyens. Craint l’ankylose et la paralysie, peut-être finira-t-il cloîtré comme les autres.« Nous ne le jugeons pas sur ses actes... - Il ne veut rien faire. - ...ni sur ses intentions. - Il regrette insuffisamment sa femme. - Noëldieu est inconsolable. - Qu’en sais-tu ? dit-il. - Claire, pourquoi l’as-tu traîné, de vieux en vieux, d’expulsé en expulsé ? - Il aimait les épisodes. Son fonctionnement me correspond. Sa maladie. - Quelle maladie ? ». Noëldieu se lève : « Ne chassez pas Bogdan ». Il agite son nez de haut en bas. « Ne chassez pas Stabbs ». - Qui parle de me chasser ? dit Stabbs. Noëldieu poursuit sans répondre : « Ils n’ont fait que leur devoir de vivre. Tout homme devrait se faire décorer ». Stabbs : ‘Où irait-il ?...Bogdan... - Dans sa boîte à dingues ... - Johanna ! ..dans les puanteurs de cantine ! … de pisse…  » … Guettant les premiers tremblements de mains… essentiels ou parkinsoniens… Pour tout spectacle des grabats. Peuplés de gâteux. De redevenus morveux. «  Je suis son fils. Je me sens éveillé, beau, plein d’avenir. - On le garde, dit Johanna . Il ne dépassera pas la haie, ni en hauteur, ni en largeur. - Cependant il dérange, dit Claire. Les deux sœurs à présent plaident à fronts renversés, ou intervertis. Stabbs à son tour inverse la vapeur, pour plaire à Claire : « Le spectacle de sa décrépitude doit nous être épargné ». Noëldieu :: « Il se fout de la mort de Myriam (se reprend) de ma mère. » - Jamais la moindre crainte de la mort » dit Claire. Qui chancelle. - Il se fout de tout ! enchérit Johanna . - Il acceptera donc l’expulsion, dit Claire. Confusion, conclusion, roman con. De fait, ses mains tremblent. Ses mollets flageolent. Il se mouche bruyamment. Comme les autres. « Sa femme devait porter culotte ! » Il se murmure qu’il se faisait battre. Mais tout le monde peut se tromper. Cocufié, possible. Il ne mérite plus de vivre. « S’il était par Minou, dit Claire, nous serions tous à ses pieds ». Ils ruminent. Ce débris d’homme leur en impose. Ils se découvrent eux-mêmes des plus inconsistants. La scène se tient autour d’une table basse, dans une partie du Großhaus où Bogdan, le tremblant, le bubonique, n’a pas accès. Bogdan le cacochyme provient déjà d’une première expulsion, celle du Vieillards’ Home. Il échoue ici même, plus près des deux gouvernantes qu’il n’a jamais été. Leurs ambiguïtés à son égard se sont renforcées. Il leur importe plus encore d’être définitivement débarrassées de cette immonde sangsue immortelle. Prélude à toutes les autres. Cette salle de séjour est dépourvue de tout tapis. Elle comprend sur un de ses côtés un manteau de cheminée tout froid. L’alcool est indispensable à ces âmes veules. Une bouteille de cognac, une autre de gin. Au-dessus se dispose un réseau de poutres torses et parallèles, reflet sombre de ces âmes de peu. Ces solives dégagent un relent de Xylophène, Marque Déposée. Votons. Claire apporte avec effroi le chapeau melon d’un homme mort. Non moins gauchement, Johanna tire d’un tiroir [sic] deux paires d’enveloppes. Chacun vote en se dissimulant, l’œil espion rivé sur le voisin. Verdict : NON. Bogdan est réexpulsable par trois voix contre une : celle de Claire. Pour atténuer ses incohérences, elle a secoué ses boucles blondes, sans obtenir aucun effet sur Stabbs, son ex-amant. Elle défait le premier bouton de son corsage. Rien. Tire de son sac à main une lettre de Bogdan : Gardez-moi avec vous. La pâleur de vos joues est gage de divinité. Stabbs éclate de rire. « Je n’éprouve aucun remords » dit-il « au départ des Vieux-Mazeyrolles. Ma punition viendra ». - Il ne savait rien encore, dit Claire. - « Ma cahute regorge d’ennui... » - « sa cahute » !… - « regorge » !… - lisant ce qui suit : « ...quand vous n’y venez pas ; songez que je suis veuf »… - Veux-tu l’épouser ? demande Noëldieu. - Qui veut lui annoncer la nouvelle ? demande Stabbs. - Toi, dit JohJohanna . - ...à quel titre ? - Certains, fait Noëldieu, pourront trouver un peu fort qu’un Stabbs se permette d’occuper en partie un pavillon sans chauffage au fond du jardin. Nous irons tous à tour de rôle annoncer son expulsion. Tout en parlant de choses et d’autres. « Pourquoi c’est pas les mecs qui s’y collent ? - Les hommes, jusqu’à leur retraite, sont très occupés, Johanna . - Qu’est-ce qu’il faisait ? - Un truc en -ier – pâtissier, tapissier, menuisier… - Nous irons tous à tour de rôle annoncer à Vieux-Bogdan qu’il est viré. - Le crime de l’Orient-Express. - Il sera vite convaincu, dit Claire. Pour jouer ce mauvais tour, peu importe qui parle. Il suffira de tirer au sort l’ordre des intervenants. x x x x « Que faites-vous là, Bogdan ? - La cuisine. Pour moi, et pour les chats. » Ces derniers n’appartiennent pas à la maison ; ils sont errants, et trouvent des gamelles prêtes bien disposées. Il tient une râpe cylindrique. Claire s’assoit sur une chaise : elle ne peut le sommer de partir, alors qu’il se livre à une activité si sainte. Il introduit la pâte dans le tambour, la maintient au-dessus par un petit levier, puis tourne la manivelle : il sort des copeaux blonds, Claire se lisse les cheveux, qu’elle a plus foncés. Dans l’évier la vaisselle forme deux tas : le propre qui sèche, le sale, anarchique, sur la gauche. Une goutte dégouline sur un fond de poêle « Vous vous êtes bien adapté, ici. Mauvaise entrée en matière. - Oui ! (voix volontairement sénile) - c’est surtout le jardin qui me plaît. » Ce n’est qu’une bande de terre entre deux rebords de ciment, qui enserre un rosier rabougri, l’hortensia rose et deux aloès. « Il faudra que j’arrache les mauvaises herbes. - Secouez les racines.- Rien à foutre, dit-il en polonais. Pousse là aussi un chétif pêcher de deux mètres à sept fruits l’an, gâtés avant d’être mûrs. Bref un jardin, avec deux appentis de tôle. « Vous n’avez pas d’insectes ? - J’ai des oiseaux dans la haie, ça croustille. - Non, ça gazouille. - Croustille, Claire, croustille, ce sont des charbonnières. Vieux-Bogdan si tu touches mon cul, quel beau prétexte ! Mais il paye son loyer. Je l’aime bien quand même. À ce moment passe un chat sans nom. Il se faufile entre des planches verticales. La sœur aînée n’aime pas cette cloison de bois. Elle va la démonter avec Stabbs, « mon ancien». - Cette langue n’est pas la vôtre. - Je me prenais pour JohJohanna . - J’en doute. » - Vous visitez les Vieux-Expulsés. Nous y voilà. Bogdan évoque ses rêves : « Le quotidien de jour est morne; le nocturne peut même passionner. Par exemple : je me trouve dans un vaste établissement aux murs tout blancs. Je passe dans de longs couloirs, des greniers. De vieilles archives aux portes qui ferment mal. Le rez-dechaussée fait hôtel - voulez-vous du café ? - ...Vous ne comptez pas un jour sortir d’ici ? - « Cadeau repris, cadeau volé ! » - Et le monde extérieur ? - Un sucre ou deux ? » ...dans ces rêves, Bogdan est poursuivi. Monte à la course les escaliers. Entrevoit des chambres défaites. On lui crie : Loyer ! Loyer ! Loyer ! «...bon. J’arrive aux toilettes pour femmes – excusez-moi mademoiselle Claire. On me secoue les portes. Les toilettes sont un labyrinthe, les cloisons vicieuses, on voit les pieds, chevilles, talons, pointes, partout des fuites d’eau - - Les bibliothèques sont des labyrinthes… - Vous lisez trop – j’arrive dans un cimetière - ...bibliothèques… - ...ta gueule – je trouve ma tombe. Pas de nom, juste un cadre de planches )même le sable, qoi coule sous les planches... » il reconnait, de rêve en rêve, l’entrée du haut, donnant sur la quatre voies : celle du bas, dans un virage entre deux gros piliers. Arrivé là je ne suis plus poursuivi - Je venais vous parler des vieux Mazeyrolles. - Les pauvres ?… - Vous reprenez du poil de la bête, Vieux-Bogdan. - Du moment que je ne suis plus à l’Asile… - C’est pire que de mourir, Vieux-Bogdan. - Arrêtez de m’appeler comme ça. - Nous avons visité presque dix expulsés. Vous êtes un privilégié. - Je ne viens jamais chez vous sans y être invité. Je ne vous coûte rien. - Vous ne nous convenez plus. - C’est trop brusque. - Vous n’avez pas cherché à savoir ce que sont devenus les Vieux-Mazeyrolles, vos proches parents. Deux expulsions en si peu de temps. - Ils étaient si dégoûtants. Vous m’aviez mis à leur place. Dieu merci j’ai fini chez vous. Même après eux, l’air était devenu là-bas irrespirable. En si peu de temps. Le taudis à l’identique. Indécrottables. - Et Myriam ? Elle était dégoûtante, Myriam ? Quand vous habitiez rue Gergois ? - ...Vous changez de sujet. - C’est votre dureté qui est en cause. - Myriam et moi ne nous aimions plus. Au Vieillards’Home nous avions cessé toute relation ». Claire est là. Elle n’a rien dit mais pouffe. - Ils nous avaient mis, elle chez les femmes, et moi chez les hommes. On se donnait rendez-vous aux toilettes, seulement aux toilettes. - Pour vous dégoûter l’un de l’autre. Mais ça n’a pas marché. - Nous faisions déjà chambre à part autrefois, rue Gergois. Depuis mon 55e anniversaire. Mais ici, je veux dire au Vieillards’Home, nous aurions voulu retrouver notre lit complet. - Mais c’est dégueulasse ! » Claire n’y a plus tenu plus. - Vous y viendrez, Claire, quand vous aurez goûté du marital. - Pourquoi pas, Bogdan… Parlez-nous maitenant des raisons de votre mariage. - On ne se marie pas pour des raisons… - Je parie que si. - Cinquante ans de galère… - ...de galère ?! …Bogdan ! - Pardon ? » Johanna demande s’il a des enfants. - Les enfants sont la plaie du couple ! » Bogdan devient vert, frémit. «Cessez de hurler voyons ! Rentrez vos yeux voyons ! Bogdan ! Paniei Stavroski ! Vous avez un enfant ! Nous le connaissons ! dit Noëldieu. Bogdan se calme en grommelant : « Garçon jardinier. Boucher. Tout ce qu’on veut. J’aurais voulu qu’il devienne quelque chose comme ça : bien paisible. Bien gagner sa vie. - « Paisible » ?! - Sans tracas. Pas payer beaucoup d’impôts. - Boucher, «pas d’impôts » ?… - Commis boucher [oujenik jejnitchy] - Paniei Stavroski, qu’est-il devenu, le Fils ? - Professeur de littérature américaine à Concordia de Montréal. - Eh bien ! Paniei Stavroski ! - Ni bonjour, ni bonsoir ! Les études ! ni femmes ni bistrots ! même pas homo. » L’une des deux sœurs éclate de rire. - Un fier-cul ! ...moi aussi,j’ai fait des études ! En français, polonais, anglais ! - On s’exprimait mieux, de votre temps, monsieur Bogdan. - Chez les bourgeois, mademoiselle Claire ». Claire se tait, le temps de méditer d’autres confidences, celles du cuistot René, leur oncle : « Mon père » (Evguéni) « était chef de gare, ivrogne et asthmatique. J’ai six frères et sœurs. J’étais le canard boiteux. Ils sont, depuis, morts ou retraités ». En cadeau de septembre, les deux sœurs ont reçu huit pêches : tavelées, rabougries par la cloque, avec un gôut de bergamote. Peau épaisse et veloutée, qui se pèle aisément. Elles remercient. « J’en garde six autres pour moi seul ». Parviennent à maturité les noisettes, qui tombent à terre : l’arbre du voisin passe les branches au-dessus du mur. Bogdan : grattait la terre sans but précis, éliminant les gourmands du rosier, déracinant les « gerbes d’or» en les cognant contre un piquet. « Quelle vie de feignant, dit Claire. - De nonchalant, réplique-t-il. Puis dresse l’escabeau, coupe les rameaux secs du lilas. « À quoi cela sert-il ? demande Claire. * * * * * * * * * * * * * * Bogdan possède le privilège de conserver son ancien logis. Il s’y rend deux ou trois fois par jour. Il a conservé là-bas, dans sa pièce, une platine, une « enceinte » disait-on, d’une grande qualité sonore. Pour l’écouter, à la demande des deux sœurs et malgré le froid descendant, il laisse une fenêtres ouverte ; à travers la haie de séparation, Claire et Johanna , qui ne sont pas frileuses, profitent de programmes musicaux hors-normes. Elles qui ne connaissent que le soul ou le reggae apprennent Ferré, Tenenbaum dit Ferrat, Manset, ou les groupes seventeen’s. Ou mieux, la Symphonie celtique, Mozart et toute une avalanche de classiques. « Il nous ennuie » dit Johanna . - Écoute mieux… » Un jour le froid bloqua l’ouverture des fenêtres. Bogdan se réfugia souvent dans la Grand-Maison. « Il ne reçoit jamais personne. - Il est bien calme. - Ce n’est pas comme les Mazeyrolles. Qui recevaient de plus vieux qu’eux. - Des vieillasses plus dégueulasses… - Johanna , voyons ! Il est plus facile d’épier un seul vieux, au rez-de-chaussée, que deux, en fond de jardin. Bogdan parlait seul à voix basse – avec sa femme dit Claire ; tout le monde parle à sa femme en faisant la poussière. Johanna émet l’hypothèse que le vieux vit son dernier sursis. Johanna fait des projets. « Quand je voudrai me promener, mon époux n’exigera pas de conduire. Il ira où je voudrai. Si mon genou me fait mal, il me frottera le genou du même onguent que lui. Jamais de scène. Nous irons ensemble à Lencloître. Je suis sûre qu’il joue de l’orgue : il jouera, et je chanterai ». Claire montre à sa jeune sœur une lettre jadis interceptée : Myriam écrivait « La vie avec lui n’est pas de tout repos ». Johanna répond Je suis plus honnête que Mère et toi réunies. Tu es jalouse. Tu as introduit ici même ce vieux polak sans même avoir eu la logique – le cran - de le priver totalement du pavillon. Mauvais exemple. Bogdan peut déclencher d’un jour à l’autre un jeu de chaises musicales incontrôlable. Je vais pourtant épouser cet homme. - Il ne manque pas d’hommes en ville », « Plus durs les uns que les autres », « Avec Bogdan ce n’est pas la dureté qui est à craindre », « Va le retrouver ». Ce jour, le Polonais, seul, écoute dans son antre du Bach en sourdine, vitres closes. Les trente pas qui séparent le Großhaus du pavillon entravent les jambes de Claire. Elle n’a que 23 ans. Elle ne sait souvent que faire de ces hommes qui tournent et collent, et dont le corps pèse si lourd au bas du ventre. « Johanna veut vous épouser. - Mais c’est Claire que j’aime. Pourquoi pas avec vous. » Il la prend par les mains : « On ne me laisse plus le choix ? - Quelle que soit la femme, Bogdan, soyez réaliste. - Il y a trois mois j’étais expulsable. - C’est d’une autre manière - pourquoi souriez-vous ? - Que penserait Myriam ? Qui frappe ? » C’est Johanna. Le sourire de Bogdan s’accentue. Johanna parcourt les pièces, celle que Bogdan conserve au Pavillon, de bonne acoustique, et les traces récentes de l’installation de Stabbs. Les deux pensionnaires cohabitent sur un pied de froideur. Johanna referme les battants d’armoires. Marque au feutre rouge les plus délabrées d’entre elles, qui ne se referment plus, pour les transférer chez Stabbs. Claire et Bogdan se sont interrompus pour la suivre, guettant ses faits et gestes, anticipant son installation. « Nous viendrons tout débarrasser cet après-midi. - Et Stabbs ? » Claire : « Qu’il aille se faire foutre ». « Qu’est-ce que vous jactez, Bogdan ? ...on ne vous aurait interné que pour accompagner votre femme ? - Oui, oui… - J’ai horreur des sensibleries chez un mari, dit Johanna ; c’est peut-être votre présence, justement, qui a rendu votre femme vulnérable. - Peut-être, peut-être, może » Myriam était devenue un tas de larmes. D’être vieille, de pleurer. -  « C’est Claire que j’aime. - Il faudra que je vous suffise »  . Elle lui plante un baiser sur le front et détale. Bogdan se demande s’il a bandé, ou non. Voici le repas de fiançailles, concédé à Bogdan. Il se tient dans le pavillon de Bogdan, qui l’occupe de nouveau seul. Un repas permet, au détriment du menu, de tout mettre au point, qu’il soit englouti ou projeté. Bogdan n’a presque plus d’armoires. Reste un corps de buffet brun, avec rosaces. La table est mise. Mrs Bove, seule, jeune, rouge. Sa voix est celle d’un clairon. « Les enfants sont à la maison ». « Tant mieux » pense Claire. Bogdan pense « Comment, tu aimes les enfants ? » mais ne dit rien. « Bove, placez-vous ici, face au corps de buffet... » - tu en voudrais donc ? ...vous qui appréciez les beaux meubles… qui est cette femme que tu vouvoies ? - cesse tes messes basses dit Claire ; tu n’auras pas d’enfants de moi ; et ce buffet des vieux Mazeyrolles… - ...il me semble l’avoir toujours eu devant les yeux, coupe Bogdan précipitamment, en retard - « dès mon enfance. - Ta vue baisse ! - Et si vous vous occupiez de moi ? dit Bove. C’est moi, l’invitée… vous permettez que je téléphone… - Mais comment donc ! - Claire, je suis chez moi, c’est à moi ??? - ...tu n’es chez moi qu’autant qu’il me plaît : ton pavillon est au fond du jardin… - ...de la friche… - Allô ? Géraldine, Abder ? n’arrosez pas la glycine, ne cuisez pas le petit chat, ne touchez pas au petit frère ! Et ne vous fardez pas !! Bogdan blâme en grommelant la facilité d’accès au téléphone d’une parfaite inconnue. « Écoute-moi bien : ce sont tes fiançailles. Si tu t’obstines à faire des commentaires désobligeants… - ...je ne suis pas désobligeant… - ...ou déplacés sur nos amis… - Ce ne sont pas mes amis… Bove raccroche et commente : « C’est plus facile, dit-elle. Nos enfants sont grands à présent… Nous sommes un peu à l’étroit, au premier. - Rue aux Juifs ? lance Bogdan. - ...Quelle intuition ! C’est cela, monsieur Bogdan. Ai-je l’air d’une Juive ? « Vous n’avez pas le type juif », (« qu’est-ce que le type juif », et autres bribes obligées). Nous aimerions savoir ce que Bogdan veut savoir. Mrs Bove détourne la conversation, dont elle prend le dé : elle a repeint elle-même les plinthes, le bois des fenêtres ; reverni les meubles. « Les meubles ! s’exclame Claire. - Je vois, dit Bogdan, sombrement. - Toi, lui dit Johanna , mets ta musique s’il te plaît. - Good bye stranger ? - Exactly. - Mais que se passe-t-il dans cette maison ? dit Bove en s’asseyant. Elle en rajusteant sa jupe. Seconde entrée « Johanna , c’est à toi – Claire s’absente aux cuisines, fraîchement retapées. Surviennent deux masques blancs, couvrant tout le visage, comme en portent tous ceux qui veulent « faire Venise ». « Eh bien c’est raté », dit la maîtresse de maison, en quelque sorte intérimaire. « Vous portez des capes ? Nul, nul… Pas même une épée ?… - C’est émouvant tout de même, tempère la Bove. Moi, je suis émue. - Vous n’avez jamais rien vu, répond Johanna . S’adressant aux deux masques « Installez-vous, ne vous gênez pas, prenez les meilleures places » - ce qu’ils font. - S’ils parlaient, reprend Bove en pivotant sur son siège, vous les reconnaîtriez tout de suite. - Nous n’avions pas été invités, dit le grand qui se démasque. - Noëldieu, mon fils ! - Mistress Bove, qui vous a invitée vous-même ? - ...et l’autre ne peut être que… - Stabbs ! J’me présente : Stabbs. Ma tentation est grande à vrai dire d’envoyer mes personnages se faire foutre, car les auteurs qui parlent de leurs œuvres comme autant de merveilles sur les plateaux de télévision me cassent les burnes.

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