KOSTA MAVROS

 

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Kosta Mavros


Introduction

Ce n'était pas ce grand octogénaire bien bâti qui m'attendait sur le quai de La Ciotat, mais un autre, plus petit, caché, souriant. Je ne l’ai connu que vieux. Je l’étais aussi. La chronologie se prête mal aux jeux immobiles.

Il devait vivre six années de plus ; une éternité à l’échelle des vieux. Mais il ne tremblait pas. Il me confia plus tard : « À 86 ans, je ne parviens pas à m’imaginer ma ma disparition, ma mort. Pourtant je sais bien qu’elle aura lieu ». La nature est bien faite.

Nous reprendrons ici, en les classant par thèmes, la correspondance entretenue avec Mavros. Mais nous ne prétendons pas à la science exacte.

X

Quand je lis ou apprends quelque chose, il me vient des bribes de lettres que je pourrais lui écrire, pour en discuter ; puis je me souviens qu’il est mort. X

J’oubliais le 4 de son adresse, « Je suis localement très connu (au moins jusqu’au numéro 16) du « chemin » de Fardeloup ». Moi de même, cher maître : mondialement connu jusqu’au bout de la rue. Il m’arrive de te regretter. « Tu oublies aussi, ajoute-t-il, de cacheter ta lettre ».

Et le 1er avril 56, il signe « le Calmant », de Jeanne, morte à 122 ans, 5 mois et 14 jours.


ALLUSIONS PERDUES

Mes lettres étaient éliminées dans un délai raisonnable de quelques semaines. Kostas me dissuadait de conserver les siennes. Elles tiennent désormais dans deux boîtes à chaussures. La marquise de Simiane, petite-fille de la Marquise de Sévigné, brûla les réponses de sa mère, Françoise de Grignan, à sa grand-mère.





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Voici quelques obscurités :

- que signifie, tout contexte rompu, la phrase « pas de facture et encore moins d’amazone au sein amputé, ni de godillots prenant l’eau » - de quoi parlions-nous ?

- à quoi renvoie « le programme musico-gastralgique » ? «Je suis (à La Ciotat) un interlocuteur qui sait écouter celui qui braille… tu vois de qui je parle ! » - j’ai trouvé : ma personne. J’y aurai mis le temps.

Autre mystère : « Ainsi la troïka est désarticulée avec l’exil temporaire avignonnais » : des troïkas en Avignon ? qu’ès aco ? De même, « Je remets la décaractérisation au retour de la fraîcheur » : ?

À quel autre livre de « Dantzig » fait-il allusion ? À son traité « irrespectueux » de la littérature française, où ce dernier compare Montaigne à un matou ronronnant sur sa chaise et qui griffe sitôt qu’on le dérange ?« Tu dois pleurer sur ta mère et sur toi. Tout le reste est maudit ».

Qui est ce « mètre 80 de femelle ? » « Moi j’en ferai 2 ou 3 rations ! » - mais de qui parle-t-on ? ¿ de quién se trata ?

De même l’agaçaient mes « coqualanes ». Que veut-il dire, à propos de porno, en m’assimilant au « cousin de la Jeanne » ? Jeanne Calment épousa son cousin germain – et alors ?

À quel obscur propos de ma part me répond-il en ces termes : « Toi, au moins, tu es écologique : tu dois te torcher avec des feuilles de châtaignier comme un vulgaire fromage de Banon » (enrobé de ces feuilles) – jamais...

Kosta lui-même d’ailleurs ne comprenait rien à mes « agapes arméniennes », où je me farcissais « des feuilles de vigne » farcies » - « au lieu de les mettre où je pense »…

« Merci pour les insignes de la triple connerie moyenâgeuse »:que lui avais-je donc envoyé ?

Je ne saurais pas pourquoi «[m]on petit-fils a pu reprendre ses coucheries » : il ne semble pas que ledit petit-fils se soit particulièrement illustré dans ce domaine

Enfin, j’ai posé trois questions sur Rimbaud. Sa réponse : « Je m’en fous ».


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AMITIÉ

« Si tu savais ce qu’ils racontent sur toi dès que tu as le dos tourné ! » disait un ancien ami à une anciennee amie. « Je m’en fous, répondit-elle, ce sont mes amis, ils ont le droit. » Le petit rapporteur en resta bouche bée. Seul un ami a le droit dire. Mais il ne doit pas pour autant s’autoriser à vous réformer, vous, à grands coups d’engueulades en pleine face ; cette prétendue sincérité, si prônée en bas lieu, signale au contraire une irrémédiable muflerie. Aimez vos amis tels qu’ils sont. Défoulez-vous dans leur dos s’il vous faut absolument une soupape. Mais aimez-les, inconditionnellement. J’admets qu’on me traite avec la même inconséquence. J’y encouragerais même (écoutez d’ici braves gens

les grognements des ligues de vertu).

L'amitié attribuerait plutôt des vertus invisibles, et secrète sa tendresse. Kosta voit clair en moi : " Tu merdoies toujours dans l'aléatoire, l'éventuel ; c'est une tare congénitale ou quoi ?" Encore à présent, j'ignore comment j'ai pu mériter son amitié : « Prends exemple » disait-il « sur ma vertueuse vie », qui le fut plus que tu ne penses, Z (je le surnomme ainsi), « et sur ma constante amitié » Il est heureux d’être avec moi. Il prolonge ses phrases écrites. « À bientôt le plaisir de te lire ». Ces mots encore : « Moi, je ne romps pas avec ceux qui ne rompent pas. ». Je sens dans toutes ses lettres la qualité d’une amitié que je ne renvoyais pas assez.

*

C’est à la relecture totale, et non au décorticage, que l’on mesure le climat d’une amitié. C’est à l’envoi d’un trèfle à quatre feuilles en illustration ; cet aise où l’on se trouve en s’écrivant. Il m’envoie des vers de Leopardi. Je lis à haute voix : Sta il cacciatore sull’uscia... » J'aimerais sentir sur moi le regard de Kostas à la fois tendre et narquois. « Quelques vieilles me reconnaissent encore »  Immense mélancolie de cet homme, désabusement au fond de ses yeux délavés. Du moins me plait-il à le lire.

*

Non, Kosta Z : Lazarus n’est pas « mon gourou favori ». J’étais le renard, comme toi le bouc au fond du puits de la Fable, à moins que ce ne fût le contraire, en un combat douteux, dont nous étions aussi bien les arbitres, chacun de nous se défendant de vêtir l’une ou l’autre peau...

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« Garde donc soigneusement [l’] amitié » de Lazarus : » m’écrit Kosta. « Il te permet de rester « toi », tiraillé par ton surmoi et tes velléités philosophiques »…

Les mots tirent leur valeur de ceux qui les écrivent. On parle insouciamment avec ses amis, rien ne les vexe. Même les lapalissades sont preuves de confiance : « Si on écrit mieux et moins de conneries on n’aura plus besoin de correcteurs besogneux » (je fus correcteur aux éditions Falaise…) « Tout cela est bien con », reconnaît-il après une salve de jeux de mots.

Mavros, jadis, entretenait une correspondance avec Rodriguez. Ils avaient fait partie des «Amis des lettres » d’Aubagne. « Aujourd’hui il n’en subsiste que le Président » dit-il, « et un adhérent : moi… Nous avons tout de suite accepté [Rodriguez] comme fabuliste associé ».

 « Oui, je suis bien né en 1927. Merci de me le rappeler : c’est ça l’amitié ! » «« Je te laisse avec regret mais aussi avec amitié ». Je papillonnais sur l’amitié. Comme j’effleure tout. Il ne me déchiffrait pas jusqu’au filigrane. Il me donnait des conseils en sachant bien le cas qu’il faut en faire : il me connaissait mal, je le connaissais mal.

X

. Nous en étions encore à nous vouvoyer. Dieu merci, il n'en fut rien dès ma première visite. C'était fin 2008, 2055 nouveau style. Nous nous sommes confié nos échecs, ou autant de victoires. Nous ne nous verrons plus.


ARGENT

« J’espère que les leçons de « management » domestique porteront des fruits appréciables à « ceusses » qui vivent dans la sanie, la gadoue et qui s’y complaisent ». Ce n’est en effet qu’à partir de 61 que mon petit-fils D. m’apprend à ne plus dépenser inconsidérément. Non sans me plaindre que mon épouse prodigue les sous afin de « s’acheter », entre autres, « quelque voile drapant sa nudité ». « Quant à moi, précise





Z, je me contente de payer l’impôt foncier (+ 59 % pour le département!) ».

AUTOMOBILES



« J'ai conduit, et continue à conduire sur quelques centaines de mètres, pour la « grande surface » la plus proche, afin d’assurer « le ravitaillement familial et les rencontres inopinées… »

...Et un jour, Kosta (variante) me confia sa voiture, que j'ai maniée avec soin. J’ai manqué la « grande surface » et me suis retrouvé sur l'autoroute de Marseille. Plus tard, il m'avait dit : « Tu peux venir la chercher » - que n’aurait pas dit la famille ? j’ai décliné.

Il venait me prendre en gare : vieux modèle conduit par un vieux. Je l’ai vu s’arrêter au feu vert, faisant signe de passer à deux gerses anonymes.

Pour me raccompagner il est passé deux fois devant la gare de La Ciotat sans la reconnaître. Ô grand âge, etc. La dernière fois, c’était de dos, il refermait le coffre de son véhicule. Nous nous disions au revoir, ou adieu. « Vu mon âge, nos pressentiments risquent de plus en plus de se réaliser ».

« Je te souhaite un bon voyage ». J’étais peut-être beaucoup pour lui.



BIBLIOTHÈQUE

« Dites à Mademoiselle votre fille qu'on ne peut vivre décemment sans musique et sans littérature. Chrysale n’avait qu’un « gros Plutarque où mettre [s]es rabats ». Bécassine s’asseyait sur un gros ouvrage pour atteindre la table.

Alexakis : tagada-pon ; tagada-pon ; tagada-pon. Il a trouvé son rythme, il ne l’a plus lâché. Poussière des phrases, des idées…

Bonnefoy estime que Baudelaire s’est toute sa vie battu contre des murailles imaginaires… comme tout le monde… pauvre Bonnefoy

À l’autre bout de la vie : « Rimbaud est mort unijambiste à 37 ans » Bien fait pour sa gueule ? qu’entendait-il par là ? ...peut-être n’aimait-il pas ce tapageur ? « Je ne savais pas qu’il était mort à Marseille » - à l’Hospice, devenu Hôpital, de la

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Conception. En 58, je suis allé visiter Arthur à Charleville : Mavros « espère » que mon « voyage vers Rimbaud a satisfait  à [m]a riboderie et autres galipettes ». Le tombeau d’Arthur se déchausse comme une dent, face au banc de bois aux pieds de fer, tout solitaire, sur le sable. Mais j’ai raté la boîte aux lettres.

Gaxotte me fut obligeamment signalé comme soutien de la Wehrmacht. J’apprends à l’instant qu’il fut recherché par la Gestapo. Kosta ignorait tout cela. Kosta apprécie le Dictionnaire égoïste de la littérature française. De Dantzig. Qui va dans les salons / Connaît la Duchesse / Du Maine / Son fils Absalon : « Absalon ! Absalon ! » Saluons au passage le fabuliste Florian, mort en 1794 des suites de son incarcération : La guenon, le singe et la noix, c’est de lui. «  Continue à ramasser des noix » m’enjoint Kosta en post-scriptum.

Comparer Montaigne au chat hargneux qui somnole sur son fauteuil et griffe qui vient le déranger signale un contresens abyssal, de Dantzig...

Nous échangions nos citations. Ce n’est que d’aujourd’hui, 670130, que je décolle d’un intérieur d’enveloppe une phrase de Ronsard : « Le cerveau n’est jamais bien sain / Que l’amour et le vin n’abreuve ».

« Les Capulet et les Montaigu… n’existent que par leur rivalité ».

« Va voir s'il y a une chemise propre » de Becket exprimerait toute la tendresse du monde, « J'ai passé mon temps à être excédé de moi-même » disait-il.

Kosta me complimentait de lire Barrès. Dois-je rappeler le profond sommeil où m’englua l’insipide Culte du Moi (à mon tour de contresenser), ou les molles affèteries de Gide, l’homme qui jamais ne sut se décider ? je lui ressemble - et alors ?

Il s’est « acheté Limonov de Carrère que j’ai entamé » - je m’en garderais bien. Le Royaume, du même auteur, exaspère par ses puériles exaltations sur Jésus, ou sur les « femmes qui se branlent » [sic] – j’aurai du moins appris comment ne pas écrire.

« Je relis Chamfort » (Sébastien) (pour moi, je ne lui ai pas trouvé le piment attendu  - contresens encore) – il souffrit une mort « épouvantable » : suicide à la pistolade, perte de la mâchoire et du nez, longue survie du 14 novembre 93 au 13 avril 94 - « pauvre de lui (…) qui n’arrivait pas à se suicider proprement ». « Je l’ai



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toujours pratiqué » (Chamfort, pas le suicide) « car il écrit court et élégamment ». Tout le contraire de Canetti, qui ne peut s’empêcher de délayer… «  Pour finir, « j’ai abandonné Chamfort » m’écrit-il « et je me relis car je fus intelligent ».

«  Le monde entier gît au nombril des vieillards ».

« Duras fait chier » ajoute-t-il en note 2. Kosta détestait la Duras, « que tout bon misogyne écartèlerait ». Pas moi. Les choses les plus simples prennent sous la plume et la voix de Marguerite des inflexions infinies : « Le milieu du dos, où l’on ne va jamais » : cette phrase apparemment bornée recèle un autre sens vertigineux : notre propre corps nous reste, par nature, à tout jamais étranger.

Cheng m’agrée,malgré son énorme distance. Je me demande toujours pourquoi cet académicien s’est conservé sous cette orthographe anglo-saxonne.

Gavalda, Coelho, sont passés : (« Le guerrier de lumière fait ceci, fait cela, fait caca ») c’est assommant. Et Pagnol n’avait pas l’asseng. Kosta, lui - juste la pincée de thym dans la sauce.

« L'hypothèse de l'homosexualité d'Andersen ne semble pas dénuée de tout fondement » : quels cons ces traducteurs. Et Kostas de se marrer...

« Borgès même traduit m’a toujours semblé indigeste : il fait de belles phrases sans en chercher la signification ». Tout dépend de ce qu’il a lu ; Borgès me semble au contraire d’une précision toute mathématique. Il n’est pas «victime du prurit des mots ». En revanche, Julius Evola, si.

... »Je lis Mauriac dans le texte (prouesse contemporaine) » : il ne pouvait que l’aimer. « On mesure » disait à peu près François « le prestige de l’Académie française à ce que l’on met encore plus d’éloquence à la louanger, dès qu’on en fait partie, qu’on n’en avait mis auparavant à la dénigrer » - « T’ai-je dit que j’ai lu avec intérêt le « Balzac »

écrit par Zweig (Stephan) ? »





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...Non, Paul Arène n’était pas de Solliès, mais de Sisteron. Confusion bien excusable avec Antonius Arena : né à Solliès-Ville vers 1500, juriste et poète.auteur d’un « Traité de danse ».

Le roman de la Momie m’avait enchanté à 13 ans. J’étais amoureux de la petite Tahoser, dont je chantonnais sans cesse le nom, sur les premières mesures de Mister Sandman. Quand je le relus adulte, ce fut une exaspération : les illustrations d’alors coûtaient cher ; devait-on pour autant nous infliger d’interminables descriptions de fresques ou de statues ? « Je te signale que le « Roman de la momie » ne m’a pas passionné… j’ai abandonné avant le dépouillement des dernières bandelettes. « Je n’ai jamais pu lire Loti mais j’adorai Céline » - ça tombe bien, ils n’ont aucun rapport.

J'offre des livres en partant. Parfois deux ou trois fois les mêmes (Le Grec ancien sans peine…)

Kosta lit Aristote et Spinoza, « aucune lecture frivole » - « tout pour vous dégoûter d'avoir appris à lire » ! « Je ne connais pas ces auteurs que vous lisez pour me créer un complexe d’infériorité ». Humour destiné à rabattre mon caquet, toujours présent sous mon affabilité de façade. Il me recommande « Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non – 1946 André Breton ». Personne ne peut blairer Breton, cela ne prouve rien.

"Je ne lis pas de romans ni roses, ni noirs." Exact. « J’ai acheté Mauriac… parce que ça fait bien, ça fait lettré »…

« Moi, je ne lis plus que des articles, des bribes... » Ed anch’io, plus tard, d’ici huit ou dix ans, je ne serai plus capable que de ces miettes - et mes structures deviendront des ombres - que veux-tu, on ne m’offre que des livres intelligents... » - et je ne me sens plus de les aborder ou de les résoudre, « ...hélas, j’oublie tout au fur et à mesure ». Tout repart dans le courant. Il y faudra de la sérénité, du sourire, une vague angoisse abandonnée, tu m’auras montré le chemin. « Moi je lis à tort et à travers… je viens de lire Le Quai de Ouistreham » de Mme Aubenas » en attendant ton numéro 83.



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Diogène Laerce (et non pas « le Cynique », de cinq cents ans son aîné) : « ça, on peut dire que ça classe un lecteur, non ? » Exact. Même l’érudition que j’ambitionne en fut surclasséeLaerce nous révéla les vies de plusieurs philosophes. Kosta est parvenu à la page 1060 qui parle de Xénophane.

« J’ai acheté Le lièvre de Patagonie, je n’arrive pas à le commencer : il est trop épais... » - réfléchissez bien à cela – Lanzmann en effet nous fait chier, nous avons lu déjà dix livres de cette espèce. Je ne saurais même de loin en citer une seule ligne… Houellebecq, mentionné en fin de lettre, et en fin de lettreS, fatigue : le déchet reste immense. La carte et le territoire est une vaste fumisterie, composée pour l’essentiel de descriptions culinaires, dont nul ne sait, pas même l’auteur, s’il dénonce ou s’il se complaît » - les deux ? ...mais ça fait sombrement chi-er Monsieur Houellebecq...

« je ne sais plus / ce que j’ai lu / de Coelho

...un livre à ne pas lire.

Comme je vous approuve cher ami… Un faiseur de recettes à l’asiatisme Monoprix.

Très vite, j’ai eu des opinions de vieillard ; me précipitant vers la fin, puisqu’aussi bien c’est là qu’on va.

Il ignorait Albéric Second. Ma foi, il n’avait rien perdu. « Continue tes bonnes lectures » m’écrivait-il. Parfois ironique. Après sa mort,  il me conseille… À Valparaiso, il visite la maison de Neruda. Le rôle du grand Chilien était tenu par Noiret, sur l’île de Lipari.

Kosta me récitait Leopardi, toujours dans ma bibliothèque « en attendant que je meure » - Sta il cacciator sull’uscio / A rimirar tra le rosastre / nubbi stormi d’uccelli, … « en ce moment m’écrit-il je lis beaucoup en oubliant encore plus ce que je lis ». Mon père s’en désolait aussi, or on ne lit pas, papa, pour « retenir l’intrigue » ; mais comme on mange, sans bien savoir quelle partie de nous en profite. Kosta m’envoie






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aussi deux fables de Rodriguez (l’île), toutes en nuances –

« ..Hélas, on fait entendre un faible bêlement / Lorsqu’en fable ou satire on se veut décharger »

Et comme je lisais Javier Serra : « Continue à éplucher ta « Dama azul » et que ce strip-tease te comble d’aises diverses ». L’auteur évoque la vision de la vierge au Mexique en 1531, bien antérieure aux apparitions du XIXe siècle.

BIOGRAPHIE

J’apprends pour ma gouverne qu’il n’a pas été « infirmier psychiatrique ».

De sa famille, il ne me dit rien. A de certains relais les tuyaux ne s’emboîtent plus. Je lui demandais les détails de son existence ; écoutez bien sa réponse : « Tu es d’une curiosité insatiable… à mon âge, raconter mes jeunes années prend trop « du temps qui reste ». « Laisse-moi garder quelque mystère » - il est de mauvais ton, entre prisonniers, de se demander pourquoi l’on est incarcéré. Chaque vie revient à une autre, avec « leurs haltes merdiques ».« Cela serait trop long ».

Il a « travaillé à la mine » entre ses deux bacs, de 43 à 47.

Il reconnaît s’être parfois « soûlé » pendant la guerre, chose « rarissime, car on troquait tabac et vin contre du pain » - on faisait bien pire encore.

« Prométhée :  « J’ai guéri les hommes d’être hantés par la prévision de leur mort.

Coryphée : Quel remède as-tu su découvrir pour ce mal ?

Prométhée : J’ai logé en eux des espérances qui les aveuglent.

ESCHYLE - Prométhée enchaîné

« Courage… pense que tu meurs un peu tous les jours ». Retrouver aussi celle-ci : « N’abandonnez pas ! vous allez mourir... » - Brel : « mourir, la belle affaire ! mais vieillir... »

... « Ainsi tu voudrais recommencer ta vie !? » - j’avais donc à ce point tutoyé le lieu



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commun… Je partageais de plus avec cet obstiné postulant à l’Académie Française, Georges Allory, à qui son créateur Farigoule dit Romains attribuait la certitude qu’une telle élection lui garantirait l’immortalité, car il resterait tout de même enregistré quelque part. Juste un nom, mais son nom. J’ai pensé cela moi aussi. « J’ai d’autres sujets de préoccupations actuellement et je préfère n’en point parler ».


CARTES POSTALES ET ILLUSTRATIONS

Kosta n’était ni très « visuel », ni « cartes postales ». Combien de fois m'envoya-t-il une même vue de Marseille multipliée par quatre par la mise en page, avec le fameux ferry-boât de Marcel Pagnol… « Il n’a pas d’avant ton bateau, il a deux culs » - « qui navigue sur le vieux port mais pas dans la direction du large ». « Le Vallon des Auffes » n’est plus qu’un bassin d’évier bordé de carcasses et dominé de tours d’immeubles. Couleurs laides L’embryon lointain d’une Sainte Mère et les fortifs, puis une rafale de clichés : pins, palmiers, forsythias, en petits carrés chromos…

Pourtant cette carte des Bouches-du-Rhône, où figurent en bleu les Alpilles, en jaune la Côte Bleue de part et d’autre de Martigues. Une seule fois des fleurs, en réplique à un envoi des mêmes.

Parfois un format plus grand incluait une vue du vieux port avec un t, mâts dépouillés entremêlés comme des roselières séchées. Ou rafiots à grosses poupes traînant les visiteurs au large des calanques.

Une carte postale en particulier excite ma curiosité : elle est tout à fait antérieure aux autres (3 août 2051), et nous présente la relève des Scots Guards, en bonnets de peau d’ours. Très kitsch.

Voici encore des toits rouges, des embarcadères en épis parasités d’inamovibles barcasses de plaisance comme autant de lentes sur un peigne. Sans préjudice de sempiternels immeubles conchiant l’arrière-plan. Une seule fois, le « Stade Vélodrome de Marseille », qui ne s’appelle pas encore Orange : «Les prouesses de l’Olympique de





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Marseille se déroulent là, sur ce terrain » (il enquillait volontiers deux matchs successifs jusqu’à plus de minuit, tandis que je guettais le sommeil derrière ma porte de chambre.

La carte postale du 8 juillet 58 représente une Simca des années 50, ponceau, ailerons et joncs chromés. Elle s’étire au pied d’ un immeuble vétuste : aérateur à pales, carreaux brisés ; puis c’étaient des balustres lisses comme des fesses - La Havane sans doute, miséreuse où je ne mettrais jamais les pieds.

Une autre s’intitule « parfums du Sud » et montre une bouteille de pastis, étiquette artisanale et bec verseur. Plus deux verres pleins, et une bonne carafe d’eau fraîche. Pour humecter ma glotte épistolaire : « Ton aptitude au farniente semble avoir contaminé ta plume »

Je reçois une Canebière, voitures et bâtisses vieillottes, humains fagotés sous le ciel bleu. Des mâts glabres et Notre-Dame par-dessus. Et ce 20 juin 2056, « Un petit bonjour de Provence », id est une merveilleuse « fontaine Wallace » à laquelle se désaltère une passante à plein goulot de plastique.

Vue de La Ciotat, sa baie, ses verdures, et ce grand espace gris d’installations ferroviaires. « Continue ta vie avec de la très bonne santé, des sous, et encore des sous ».

Mentionnons l’acidulée Nature morte aux poireaux et aux grenades, par l’illustre MEHU : « Pour t’inciter à poursuivre ton régime alimentaire amaigrissant ».

Vue aérienne de l’île d’If, la mer pour moi s’était si formée qu’il était dangereuxl d’accoster - quand verrons-nous enfin la geôle de Dantès...

 Dans cet envoi se trouve aussi un dessin où se contorsionne un chat violoniste, tandis qu’à ses pieds la coccinelle s’exclame quel talent ! » . « J’occupe mon temps comme je peux » . Autre chat de gouttière vautré sur une chaise de jardin, les yeux clos. Ou bien ces femmes grasses charbonnées sur un plateau de fruits de mer, alanguie, dénudée, expectante »… Je l’aurais volontiers expédiée sous la douche - « ...comme ce doit être curieux, tous ces bourrelets ! » - une autre illustration



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représentait une grenouille aux prises avec un rôti tout bardé « position 1, 2, 3 ». Sur la première vignette, la batracienne bascule sous la viande, en missionnaire, pattes au large ; sur la deuxième le rôti, extatique et perpendiculaire, trône au-dessus d’elle. Puis la voici juchée sur l'homme réduit à sa plus simple expression. Pour finir, notre grenouille se fait pénétrer, menton renversé, une patte pliée sous la tête et l'autre bien tendue : nous supposons le plateau d’une table. Quelques exercices salutaires commente mon correspondant.

Plus tard je reçoiss une île desséchée, un hors-bord traçant au large, un petit épineux au premier plan ; la Sainte-Victoire, ocres mous, ciel fade, avec la petitz pyramide de pierres sèches : victoire de Marius sur les Ligures »…

Des cartes postales, toujours les six ou sept mêmes. Qui se sont progressivement substituées aux lettres, Kosta me renvoyant même une photo  de son gîte côté baies vitrées de jardin. Je dormais là, porte à droite, face au réverbère de jardin. À mon tour j’expédie un portrait de singe : «… tu ne vieillis pas ! » commentait-il. « Un grand merci même si le portrait me ressemble peu ».

L’avant-dernière de ses lettre est justement une carte postale « Méditerranée » : bateaux de plaisance, mer foncée. «Ne m’écris plus. Téléphone, plutôt ». Sa voix m’est irremplaçable. Sa mémoire soit préservée. Je me suis appuyé à lui comme le lierre aux poussières murales. Il m’offrit ses vœux jusqu’à son dernier nouvel an.

Ce qu’il aimait en vérité, c’étaient les dessins photocopiés : une petite fille tenant un énorme trèfle à quatre feuilles ; une autre en tablier présente à son papa un portrait mal torché. « Tu as bougé !» couine-t-elle.

Autre dessin, de Bélomm, qui montre un mari en crise d’hilarité (« HI HI HI HI »). Assis près d’une table basse, il tient à deux mains le « journal intime » de sa femme : « C’est trop drôle ! » dit-il. « Surtout...Ne me raconte pas la fin ! ». Derrière lui, en robe à fleurs et haussée sur la pointe des pieds, sa femme serre de toutes ses forces un bon couteau de cuisine qui lui fera connaître sinon la fin du journal du moins la sienne... Cet autre encore fait voir un Descartes solennel à son bureau plume d’oie levée, tandis que son humble épouse, debout mains croisées sur le giron, gémit : Cogito



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ergo sum, tout ça c’est très bien pour toi, mais moi dans tout ça ? » - nous imaginon mal, du reste, le capitaine Descartes encombré d’une vie conjugale. Laissons geindre, Autre dessin, passons à ce philosophe au lit, de nos jours, avec une fille coiffée en pétard : « Antoine-Louis-Claude Destutt de Tracy définit l’amour comme l’amitié embellie par le plaisir » à quoi la partenaire, appuyée du coude sur l’oreiller, réplique tu préfères pas qu’on baise ? Kosta se « réjouit » de mes « saillies », « verbales s’entend » - certes.

Dernier croquis : devant son lavabo une femme décoiffée interrompt son brossage dentaire : « ÇA VA ? » tandis que son mari, au bain, lunettes au nez, lit contre ses jambes relevées Dieu sait quelle feuille de chou sous un pommeau de douche éteint, et lui répond, tout morne : COMME UN LUNDI.

La plus belle carte postale reçue de lui présente un petit ours tout couturé, l’œil poché, le poil hérissé, sur un fond couleur miel parsemé de « Merci ! » - « de tout ce que tu as fait pour moi » - « Mille mercis ! » répète le volet intérieur. Témoignage de gratitude pour l’attention à lui accordée par un complet compte-rendu de ma part.

Mentionnons une belle marine « avec la bouche et le pied » (rien pour le cul) agrémentée d’un « Extrait du Rig-Véda :  « Il y a tant d’aurores qui n’ont pas encore lui », noté sur mes tablettes. « Avec mes vœux de bonheur, de chasteté, et d’humeur morose, pour une nouvelle année » ...


COCHONCETÉS

« Quand j’étais jeune (car je le fus) on lisait soit  « La veillée des chaumières » soit des cochonneries avec de monstrueuses « salaisons » : s’agirait-il de saucisses géantes en figure de bites ? « Mais tu es trop jeune pour apprécier la turpitude sénile ». Plutôt le genre paillard : « J’ai bien pris note des caprices de vos femmes et autres chaudières… » - évidemment. Plus platement : « Si tu aimais bien la masseuse tu aurais pu lui donner autre chose à masser – sauf si tu manques d’imagination... » Il m'en envoyait de savoureuses. Il m'a parlé du vin d'Arbois (plus on en boit, plus on va



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droit!) référencé à ma grand-mère buvilloise. Il aime ma « diatribe sur la levée des tabous » : et pourquoi ne pas filmer, par-dessous, des moines en train de chier ? « Continue dans l’invective (qui convient à ta plume) ».


COCUS

Ceux qui ne sont pas revenus de guerre ne l’auront pas su. Mais eux, les survivants, se préfèrent « cocus heureux »… Le porte-drapeau, c’est traditionnellement le cocu, du moins le plus notoire du village. Le plus patriote, le plus présent au front - d’où sa veine de… La flamboyance de sa hampe exonère autant qu’elle symbolise le sacrifice fait à la Patrie. Je fus porte-drapeau à 13 ans, faisant la gueule en tête des moutards de l’école - dès 3 ans et demi, sur les épaules de papa, j’avais fièrement porté le plus beau porte-lampions, fait de manches à balais en croix de Lorraine. «  Je pense que comme moi tu iras défiler le 14, toutes médailles dehors ».

Le jour du Quatorze Juillet

Je reste dans mon lit douillet

La musique qui marche au pas

Cela ne me regarde pas.

« Ici à la Ciotat, on aura, en tête du défilé, le porte-drapeau honoraire des sapeurs pompiers, un bénévole qui aime pavoiser le pavois ». Plus tard : « Lazarus aurait dû te faire cocu… tu aurais peut-être eu quelque chance à être édité » - jamais, au grand jamais, Lazarus ne m’eût fait cocu. Il a toujours existé entre Arielle et lui une répugnance physique aussi vive que réciproque...







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CONFIANCE ET BANALITÉS

. Nous avions aussi des ping-pongs de formules. Il arrive qu’aux meilleurs amis, aux meilleures parentés, l’on ne sache plus que dire. Doit-on toujours se montrer au mieux de sa forme ? fuir à la fois l’agitation et l’apathie. Si nos amis étaient là, nous resterions parfois côte à côte en silence – ni les lettres ni le téléphone ne permettent ces silences heureux. « Que te dire encore ? » Un jour Bouvard et Pécuchet se mirent à leur pupitre, et commencèrent à recopier tout ce qu’ils avaient sous les yeux, parce qu’ils avaient fait le tour, parcouru tout le cycle de l’Existence. L’étude de notre correspondance conduit à celle de la correspondance en général...

CORRESPONDANCE

Tout au début, avant qu’il fût question d’invitations, il estimait qu’une simple correspondance, voire « téléphonique », « devrait contenter nos esprits retors, sinon tordus ». Puis il s’y est fait. Comment pouvais-je être apprécié ? « Le singe s’est amuï avec les pérégrinations estivales… il ne peut faire deux choses simultanément : se reposer et écrire ! » « Je n’écris que pour répondre à de distingués épistoliers (tels que toi) et je m ‘aperçois que je n’ai rien pour distraire mes rares lecteurs »  -au sens pascalien du terme s’entend. « Les nouvelles d’Aquitaine se font rares » - « rien au courrier, à demain » -« ça y est, j’ai eu ce matin ta lettre du 19… » - trois jours pour un Bordeaux-Marseille - « encore un exploit de vélocité postale »… « ...au fond de ma boîte aux lettres, rien qui ne vienne de Gironde » - ce qui veut dire que tout vient de Gironde. Cette phrase figurant sur une carte de vœux.

Il existe un nombre considérable de conversations que je nous n’avons pas eues. Mes lettres n’ont pas été conservées par lui. Il avait bien raison. Je ne suis rien. Nous ne sommes rien. Qu’espérons-nous. À part ça, j'avais une écriture à la Diafoirus. « Merci pour ta lettre du 20 arrivée dans un délai postal normal ». « Toi, primate, es-tu perdu dans la jungle girondine ? ou ton stylographe s’est-il asséché aux présentes vapeurs élyséennes ?  Courage, prends ta plume de laïque intégriste». Il attendait mes






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missives. Il me fit passer peut-être avant d’autres : « J’ai un tas de lettres, de cartes postales qui attendent réponses ». « Merci pour ta carte du 27 avril (le temps passe vite) » – en 2014… Il m’envoie une dernière photo, souriante et usée. Plus une photocopie, où figurent deux singes du XVIIIe siècle, queue en panache. Il indique ses propres titres sur une carte de visite. Docteur de l’Université. « Les titres impressionnent toujours les cons et il faut savoir en profiter ».

Parfois nos envois se sont croisés. Il m’est arrivé aussi de répondre par retour. Après l’avoir laissé sans nouvelles, je lui envoyais en 57 d’énormes palanquées de cartes postales, « J’attends la carte postale rituelle » Mavros m’intima enfin, essoufflé, de ne pas ainsi précipiter les échanges, pour lui laisser le temps de se ressaisir. À deux ans de sa mort, mon héros vêtu de gris (élégance suprême) m'écrivait encore : «  Espace ! laisse un peu respirer ! »« Non seulement nos courriers se croisent mais ils « s’anticipent ». Il me semblait en effet, à tort, qu’une correspondance devait se rapprocher le plus possible d’une présence… « Tant pis, j’écris comme si je ne t’avais pas écrit ».

Et chacun reprenait les éléments du courrier précédent pour les enrichir, les infléchir, les contredire. Pour rester un peu plus ensemble. « Putain ! tu gardes ma correspondance : il faut que je préserve mes droits d’auteur (je suis de la SGDL!). » (société des gens de lettres...)

Parfois l'on a plaisir à rester silencieux près d'autrui ; mais ni la lettre, ni le téléphone, ne s’y prêtent. « J’ai eu ta lettre du 19 ce matin… à croire que tu avais oublié de la poster ! » -ce qui arrive…

Il ne me reste plus qu’une pincée de lettres à éplucher. « Mais peut-être me répété-je ? » Répète-toi. Tu ne te répéteras jamais assez. Courant 59, son adresse devint elle aussi  octogénaire, passant de 4 à 84 : on comptait désormais par mètres, « à partir du centre du rond-point ». Combien de mètres nous reste-t-il ? nous sommes des millions COLLIGNON SINGE VERT 18

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ainsi à composer nos petits couplets - mes phrases lui semblent souvent bien alambiquées, « toujours aussi farcie[s] d’embrouillamini ». Je passe d’un sujet à l’autre, d’une manière à l’autre, selon les humeurs et les circonstances. Il parle de vagabondage épistolaire...

De rares fois, c’est lui qui se fend d’un retard, mais sans fausse gêne : « J’y réponds sans hâte ». Il est donc pour le moins perplexifiant de constater que notre correspondance archivée s’interrompe de fin 2012 à octobre 2014 : aurais-je négligé cette période? Cela, aussi, se peut. « Je ne lis plus guère sauf tes lettres rassure-toi »..

Encore une pincée…

CURÉS ET NONNES

Il se montrait intarissable envers les mômeries. Les gens d'Église ne suscitaient en lui que dédain voire écœurement ; le jeune Victoret Guingois se fit débraguetter dans une sacristie. Il s'enfuit en courant et n'y voulut jamais plus revenir. Jamais il ne répondit aux demandes d'explication.

Et ça bouffe, ces animaux-là. Moines et moinesses s'engraissaient de mauvaises nourritures pénitentielles. Combien je me souviens de ces regards arrière de sœurs entassées sur les bancs, gorgése de désirs coupables, se triturant déjà sous les robes avant l'Ave Maria !

DATES

Aussi parcimonieusement précisées que chez Flaubert. Il est effarant de voir combien ces millésimes du futur ont pu devenir tant de bornes défilantes... 2057 : « Peut-être sera-ce l’année du singe vert... » Dans six à sept ans tu reposeras où je serai moi-même d’ici vingt… La date, parfois, était précise : le 29.11.08, soit 2055 nouveau style. ...Le 31 01 56, reçue le 2 février de la même année. « J’ai eu ce matin ta lettre du 19 de ce mois premier de l’été ». « Le 18 ou 19 août 2 mille et quelques années après la naissance de notre Sauveur incompétent ».







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Victor Hugo, dans Choses vues (et entendues) rapporte les difficultés d’un secrétaire de séance à se faire comprendre à propos du « douzou » sans cesse invoqué. Il s’avéra qu’il s’agissait du 12 août, prononcé à la parisienne, comme je fais aussi : « J’ai eu au courrier » m’écrit Z, « ta lettre du douzou ».

Dépit amical : « Tu attends presque une semaine pour répondre à mes très intéressantes lettres ».

Certaines dates restent donc elliptiques : « Ce jeudi 13... » - de quelle année ? Facile : reprendre tous les calendriers, repérer les jeudis 13 …. « Je viens de recevoir ta lettre du 12 postée le 13 » . Rarissime précision : « Le 25 presque le 26 car il est 23h 58 octobre de l’an 2011. » -

... « Je note avec plaisir que tu veux adopter le calendrier républicain bien moins con que celui que nous utilisons par routine ». Dont acte, cher laïque, dont acte. « J’ai égaré mon calendrier républicain et ne peux guère valider ton calcul mental ». Il m’en avait fait parvenir un exemplaire, voire deux. « Du quartidi 14 vendémiaire année CCXIX »…Ne résistons pas à cette présentation : « ...ce soir 18h36, le jeudi 8 de décembre, deux mille onze ans après Jésus-Christ ou la 3e année de la six-centième olympiade… après Périclès (le fils) ». Il me data son avant-dernier courriel, « pour l’archivisme ». « Noël 2014 ».

Jusqu’en 2061, il me souhaita « la bonne année ».

DÉSOBLIGEANCES

Il espère que je n’ai pas trouvé de place pour le Philoctète, interprété par Terzieff. Ce dernier mourut le 2 juillet 2010. Voulait-il bouder la gloire de Laurent ? « Les éléphants, c’est laid ; pourquoi s’acharner à les conserver »« Je commence à perdre pied dans ta prose merdique ». C’est vrai : « On peut être hermétique et ne rien renfermer », bel alexandrin.

Peu de temps après, il nuance : «J’aime à lire ce que je ne comprends pas… au moins comme cela on sait pourquoi et comment on est con »

Il est bon de se faire remettre à sa place. Même en orthographe : cachottier avec un seul t… Fausses autodérisions entrecroisées : « Je croyais avoir quelque chose (oubliée) d’intéressant… mais rien ne vient irriguer intelligemment ma plume… ! Eh bien tant pis pour toi » - c’est sa faute ? ...mais c’est moi qui trinque… sacré K


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ÉDITEURS

Nous sommes l'un et l'autre de grands refusés. Lui plus encore, qui fait appel à moi (!) pour l'introduire auprès de Mon Éditeur. Mais ce dernier dépend de ses propres coups de cœur, il ne l'a pas ressenti pour K., ne lui répond même pas. « Tu travailles donc à l’édition de tes œuvres complètes encore incomplètes à ce que je crois » - mais il est peu probable que mes révisions s’achèvent avant moi…

Ce souci d’éditer courait dans nos lettres, nous tentions d’appliquer les recettes  : « Avez-vous un listing d’adresses ? » Pensez-vous donc qu’il y ait tant de différence entre « liste » et « listing » ?

Soyez vous-mêmes et foutez-vous du reste, n’est -ce pas...

« Bravo (…) continuez ! » Pauvres de nous… Il faut constituer « un circuit de diffusion » avant de diffuser - Internet, il ne faudrait jurer que par internet… Les Petits Malins d’internet, s’entend…

À l’intérieur d’une carte de vœux, K. m’envoie un dessin de Cailleaux, tout en verticales sèches : « Dites-moi si ce manuscrit est bon », dit un écrivain vu de trois quart arrière. - Mais… ? Je suis banquier ! » réplique avec stupeur ledit, lunettes, long nez. - Justement ! » Derrière l’écrivassier se tient une femme en chignon, serrant elle aussi sur son sein une précieuse liasse mmortelle.

Cessons toute distinction entre bons et mauvais, futures pourritures et génies ; toute poussière mérite éternité.

Mavros eut aussi des velléités radio-télévisionniques : « Sous ce pli tu trouveras mon roman dialogué que je destinais à FR3 Provence (qui ne m’a même pas répondu !) Tant pis ; je travaille pour la postérité… il faut que cela se sache ! »Depuis quand répond-on à des pauvres diables isolés? Sud Ouest ne m’a-t-il pas dit jadis « Nous ne publions plus de nouvelles – autrement, nous serions submergés » ! - de fait, avec les progrès de l’instruction, du moins jusqu’à ces dernières années, pullulent désormais les plumitifs de tout ordre, tous capables d’aligner des œuvres qui tiennent la route, s’estimant tous, pour le moins, égaux à Hugo. Dure leçon ; seuls réussissent les plus forts, qui joignent à la profondeur de leurs émotions et de leurs jérémiades la



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saloperie puante de l’entregent et de l’intrigue, conjuguant ces attributs de la supériorité . Autrement tu n’es rien. Lazarus lui-même ne l’honora pas du moindre accusé de réception… « ...qui je l’espère tombera au « bord de l’eau et boira la tasse. » . N’ai-je pas moi-même d’ailleurs jeté, je dis bien jeté à la corbeille, une œuvre poétique complète, à moi impulsivement adressée, longuement, soigneusement présentée, tout illustrée, sous des protège-feuilles de plastique…

L'autrice y avait passé des heures, et j'ai jeté le tout , ce dont je me repens encore. L’autrice déclamait ses vers dans le cimetière, car « les morts, eux au moins, m'écoutent ». J’ai donc fait très exactement ce que je réprochais aux autres.

...Comme il se réjouissait avec moi de la déconfiture de mon éditeur, détrôné pour ne pas avoir honoré ses factures… « il est dans de beaux draps... » Et comme je me réjouissais avec lui…


ENSEIGNEMENT

Tout me semble ressassement sur l’enseignement. Les parents d’élèves ont fini par le détruire. Ces ignares viennent à présent nous donner (« vous devriez être comme ceci, comme cela ») des leçons d’être.

« Vous êtes un prof pour bons élèves. Il en faut, mais vous ne savez pas expliquer ». C’est Stocker qui me l’a dit. Kosta pensait cela de lui-même : « Je croyais que la connaissance allait de soi et que la « compréhension » était la chose du monde la mieux partagée… que nenni, donc ! »

Je n’ai jamais compris qu’on puisse « ne pas comprendre »

Je n’ai jamais pu comprendre les maths, la chimie, la physique, la biologie, que sais-je ? … ma vie non plus. Rien du tout. Et comprendre est un des secrets du bonheur.

Ce chapitre est bref. Mais tant d’autres pages seront offertes ici aux assoiffés, jusqu’à plus soif !





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ÉPOUSES ET MAÎTRESSES

« Quand une épouse a « internet » c’est mauvais signe : tu la fais chier ».

En 11 Je faisais l’amour pour la dernière fois.

...LES SIENNES

Confidence rarissime : il changeait à Troyes, au petit matin, pour rejoindre une « dulcinée grande, rousse et chaude. Elle valait ce déplacement... » - depuis Marseille ? « Dans un âge moins avancé je me tapais des heures de train pour aller jusqu’à Romilly s/S avec changement à Tonnerre (de Dieu) pour y rencontrer une fille qui n’avait pourtant rien d’exceptionnel sinon qu’elle était rousse et me dépassait d’une bonne tête. J’avais été séduit par son exotisme champenois (Champagne pouilleuse )». En effet, Kosta, en effet…

Il m’a confié des choses que ne savaient ni sa femme ni ses enfants. Il est stupéfiant que j’aie tapé dans l’œil d’amitié de cet homme-là. « Il vivait banalement, ayant soin de ménager la chèvre de l’amour et le chou de la liberté » - j’aurais dit le contraire. « Je ne fais aucun effort au-dessus des forces de ma femme », et comme il fait bien. Autrement, elle courrait s’abriter sous toi, pour que tu en fasses davantage. Il ne faut pas exhiber sa force à celles qui seraient tentées d’en abuser à leur profit. Que veulent dire, dans ce contexte, mes « talents de plume d’oiseau rare » ?

Nous profitions comme des collégiens de ses retours à Chypre, de février à fin mai. « Mon épouse se repose de moi dans son asile chypriote ». « Elle ne reviendra qu’en juin (de cette année »). Était-elle de ces personnes qu’on aime voir venir, mais aussi repartir ? « Elle est trop chypriote» : qu’entendait-il par là ? « Oui à Chypre la longévité est incertaine, aussi évité-je de m’y rendre sans passeport polyphonique dûment estampillé par la Bratva moscovite». Variante : « Oui, Chypre est dangereuse par tous les temps aussi m’abstiens-je de m’y aventurer sans raison ultra-valable car je n’ai pas l’étoffe d’un mafioso repenti ». « J’ai mon insulaire épouse à domicile ». D’où la courte carte. « Mon épouse doit rejoindre l’isle dès le début septembre ».

De quel secret tel ami Mauricien fut-il dépositaire, évoquant « le côté maléfique » de cette épouse ; il n’a pas souhaité m’en instruire davantage : les racontars vous reviennent vite sur la gueule.



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Kosta me fait parvenir une « fable d’un ami mien et mauricien ». J’ai envoyé à cet ami un gros volume dépenaillé, d’autant plus précieux, du fabuliste Florian, mort à 39 ans. «  Les couples reposent sur des failles tectoniques : « on n’échange que de l’épistolaire ». Est-ce mieux dans mon cœur ou le sien ?

« Mon épouse a su « me lui faire » offrir une « eau de parfum » mais avec beaucoup d’eau ». Nous aimons voir nos filles sourire. « Mon épouse ». Ou « Ma femme ». Une fois même, « Madame M. ». Il la pare de toutes les qualités. Il ne reste peut-être plus le choix, lorsqu'on faiblit, que ces contacts, qui sont à la spiritualité ce que les mouvements sur tapis de sol sont à l'alpinisme. « Ma femme et moi faisons quelquefois une partie de belote… nous sommes beaucoup moins policés que vous... » - détrompons-nous… « Marinella » fut une grande blonde à la Marisa Paredes. « Elle « languit » mais ça ne durera peut-être pas ». Elle exige par amour le ménage bien fait de retour de Chypre. Puis elle repart, toujours excessivement chypriote, affligée d’un étrange dialecte.

Quelles sont donc ces particularités de l’île si incompatibles paraît-il avec la sérénité de mon Mavros ? que d’étrangetés… « Mon épouse insulaire est tout à son insularité. Le soir nous prenons de nos nouvelles réciproquement. Elle va bien et moi aussi, ce qui est très réconfortant à mon âge octogénairement bien entamé ». Nombreux étagements affectifs de ces quelques lignes pudiques.

« A la fin du mois je passerai quelques jours à Chypre et j’espère en réchapper ». Elle servait de bouclier en cas de différend (…) avec un aborigène unioniste » - partisan d’une réunification de Chypre, voire d’un rattachement à la Grèce. Les choses s’aggravent quand le beau-frère, chômeur de profession et fler de l’être, déclere qu’il n’a jamais travaillé de sa vie...

Même misogyne, Kosta n’admet pas la muflerie.

Il se fait vacciner pour éviter le veuvage à sa femme – étrange couple de part et d’autre d’une demi-Méditerrannée - « alors qu’elle se prélasse sur les plages chypriotes » - accro peut-être du Kasino Kato et du dirty poker ? « Ma femme va

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bientôt rentrer de son Chypre pour me visiter... » Nous avons échangé des petits mots de potaches en fond de classe : « reviendrai le[vendredi] 18 mars. Donc entre le 20 mars et le 16 avril tu peux passer quelques jours ici si tu le désires ». Salutaires cloisons étanches. « Mon épouse rejoint Chypre le 5 mars, elle va se ressourcer dans l‘insularité singulière ».

En 11, du 13 au 18 mars, était prévu le rapatriement de l’épouse. Mais j’ai reçu un pli d’abstention : « pour des raisons personnelles et extra-personnelles je suis obligé de renoncer à ta venue n’étant pas disponible au moment voulu » (je m’étais comporté grossièrement, me faisant descendre de bon matin à l’hôpital pour calculs de vessie, repartant sans donner de nouvelles quinze jours durant. La famille avait poussé à la rupture. « Mais rien de grave, rassure-toi, ce sera probablement partie remise ».

Il m’avait dit que notre amitié n’en était en rien affectée. Mais la famille ne faisait que me « tolérer ». Fréquente cet homme, à condition que de ne jamais nous le montrer. « C’est mon épouse qui t’a trouvé en jonglant sur internet à l‘heure de la vaisselle » Et après tu viendras éplucher les légumes au lieu de raconter des conneries à cet imbécile. « Mon épouse s’apprête à regagner son île et j’aurai le loisir de t’écrire plus longuement ». Je ne saurai rien de plus sur la « tolérance » dont je fus l’objet. Lui parlait-il de moi aussi peu qu’il me parlait d’elle ?


LES MIENNES

Ma femme peint.

Il ne m’est arrivé qu’une fois de peindre : infoutu de tracer un poteau électrique zn ligne droite. Mes aptitudes s’approchent plus d’un gros brossage de volets ; le voisin m’appelait « Picasso » Pipi, caca, sot-sot.

Car je suis marié. Formellement. Maire et curé. Puis je me plains de ne pas conquérir. Alors que j’ai le privilège d’une épouse (désormais) fidèle. Mais que veux-je ?… le beurre et l’argent du beurre... « Salut à toi et à Madame née Roposkine(?) » (Rostopchine) « et Ségur (?) comme une Alice merveilleuse ». En réalité son patronyme



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cévenol signifie « plantation de noyers ». « Au fil du temps n’est-elle point devenue ma « gérontophile agréée » ? En septembre 54 n.s., un chirurgien la délesta de 50k. « ...et mes vœux de rétablissement à Madame amincie et émincée ». Ma moitié n’était plus mon double. Son courage s’apparente pour moi au saut à l’élastique. « Votre moitié est devenue une vraie moitié… félicitations pour son courage ». « Garde ta femme :, c’est ton garde-fou ».

Kosta feignait de plaindre mon épouse, aux prises avec mes névroses rassies : « il doit rester un peu de collignon au fond du calice... » « Mes compliments à Madame, personne alitée, qui te serre néanmoins et convenablement ». « Je plains ta pauvre épouse qui cumule les maux (en plus de ta compagnie) ». Bien sûr, il s’agit d’une raillerie, mais destinée à rétablir la balance des torts, pour moi qui me crois szulz victime.

Mavros était maître ès psychologie. « Félicite Madame pour ses 66 ans (qu’elle ne doit paraître) » mon Dieu c’est Sekondi à Cotonou. De plus, « il ne faut pas » qu’elle le paraisse - «Non à la polygamie une devrait largement te suffire. Salut ». Mais aussi : « Maintiens ton cap éthique et épique de bigame ». Impossible de dire quoi que ce soit sur les femmes ou les hommes sans se contredire à tout bout de phrase « Plus on a de femmes , plus on est un homme » : pure hérésie… « Les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être deux pour les porter… parfois trois » (Alexandre Dumas, fils évidemment). « J’espère » (autre chapitre) que Madame n’a pas dilapidé tes maigres économies en fanfreluches, colifichets et autres brimborions. Serre le cordon de tes bourses. C’est un sage et amical conseil ».

Les unes jouent au jeu. D’autres gaspillent. Les hommes seraient des parangons de vertu. « Félicitations pour ta longévité matrimoniale et, surtout, la patiente épouse mérite amplement de sincères compliments ». Un dessin de Sempé montre un vieux couple dans une barque qui prend l’eau. Chacun écope de son côté, donnant le bras à la seule et unique bouée de sauvetage ; et au noir coup d’œil qu’ils se lancent, personne ne semble disposé à lâcher prise… c’est pourquoi Koste « espère que [j’ai] acheté une bouée de sauvetage pour [m]a naïade épouse »...



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« Mes respects à vos femmes satellitaires » : j'entretenais des correspondances, toutes adressées à mon casier professionnel. Une collègue forte en gueule ne pouvait concevoir que ces femmes me fussent passées par les bras. J’aurais pu dire je leur ai vu à toutes le cul, comme je te vois. Fin 57 nouveau style, Kosta m’avertissait encore de faire « gaffe  à » ma « sentimentalité débordante » : lui écrivais-je encore au sujet de Djanem, qui me privait de baise ? usant de tout ce que les femmes peuvent trouver de calculs d’épicier ? « troquant ta mule contre une haridelle »  écrivait-il ; « enfin on n’a que ce que l’on mérite ». « Même en moi, je vois que tu as peur des femmes » Touché-coulé. « Tu feras compliment à tes rossinantes dévouées » - « Mes hommages à Madame ».

Et comme une fois de trop je plorais la nonchalance de ma légitime : « Que ton épouse t’attende couchée » m’écrivait-il « est un excellent signe d’invite à prouver ta virilité ». C’est vrai : qu’est-ce qui leur prenait, à toutes ?.. « Fais donc remonter la tension de ton épouse… je n’ose pas te dire comment ! « Les femmes sont des horloges, qu’il faut remonter tous les soirs, et Dieu sait avec quelle clef ! » Victor Hugo.

Un certain jour de 61, mon épouse se cassa le bras chez la dermatologue : « Conseille à ta femme de ne plus fréquenter les dermatologues ».


ÉRUDITION

« J’ai honte de mon peu de culture…» - syndrome de M. Jourdain… Pique à mon égard aussi, qui étalait l’ignoble déformation professionnelle de prendre les autres pour des cons. Ce fameux « petit travers » qui rabaisse.

Kostas était érudit. Savait le copte et le chinois. Je ne lui en ai jamais parlé. Lui non plus. « Ça te ferait chier ». Je ne le contredisais pas. « J’espère » m’écrit-il « que tu auras fait « bonne figure » dans le cercle des intellectuels-artistes mérignaciens et que




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tu auras séduit quelques jouvencelles ménopausées qui hantent nos hauts lieux culturels ». Cher ami, vous connaissez aussi bien que tous la vanité de nos tentatives : car nous ne survivons que par nos vanités.

Il admire plaisamment ma culture « inféconde », et me force dans mes retranchements dictionnariaux : les Ignorantins, où il s’en est fallu de peu qu’il ne me classât, ne sont que les Frères de saint Jean de Dieu, humbles érudits. Il me plaisait à moi d’étaler ma sciençouillette, alors que mon partenaire n’avait rien à m’envier. Je fus aussi chargé du péché des pédants. Certains m’avaient surnommé Monsieur Cinéma, pour débiter ma science en toute innocence.

Je n’étale pas ma culture pour plastronner. Je veux en faire profiter les autres, pour qu’il apprennent quelque chose. Mon pédantisme est de l’altruisme. Allez faire comprendre cela (cet altruisme n’aura été que ma vanité ; j’ai mis toute ma vie à le comprendre - « c’est bien que tu sois autant instructionné ». c’est irrattrapable.

Kosta Macropoulos se sent « flatté » de sa « descendance patronymique de la jument de la nuit » : « poulos » est de même racine que « poulain » : « en somme je suis un fier poulain racorni ».

Il se demande si 2009 est un nombre premier, si 2008 était bien la 502e année bissextile… J’ai longtemps conservé son calendrier républicain. Kosta descend assurément de ces Marseillais qui défilèrent aux accents de la Marseillaise.

Nous échangions nos connaissances, à parts égales. Et nous furetons ainsi, lui et moi, à travers les siècles , d'Eschyle à l'orthographe d’aujourd’hui, avec deux l à « mollesse » autrefois synonyme de branlette « à peine moins répréhensible que la sodomie ». Il me recommande, passant outre les recommandations académiques, de « laisser l’accent circonflexe sur le chalet, cela fait toiture montagnarde ». Vérification faite, jamais ce mot n’en a porté. Il apprécie que je défende « à Avignon » (le « en » n’est pas un euphonisme), ainsi que mes subjonctifs imparfaits. Pourquoi je mets un accent sur « avé » ? mais pour qu’on ne le prononce pas [èyvi], à l’anglaise ! nous faisons donc assaut de connaissances vocabulériques : « aquitain aquaphile et quelque



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peu équestre ! sinon équipotent… » « Voilà », m’écrit-il, « j’ai fait comme toi étalage d’érudition ». Nous savons que la culture n’est pas le moyen de « briller dans [s]on canton rural », mais relève d’une ouverture d’esprit. Il n’empêche, nous éprouvons des joies de collégiens à nous renvoyer nos pédanteries de grimauds.

« 70 % de la matière de l’univers nous est inconnue ». Il est peut-être excessif de conclure « on vit dans je ne sais quoi… la merde, vous dis-je ». « Savais-tu que les yeux sont des organes qui ne grossissent pas ! J’ai appris cela récemment, mais cela me fait une belle jambe ». Il m’apprend que l’os le plus petit est le « lenticulaire », « dans l’oreille interne », « en forme et en grosseur d’une lentille  (comestible) » Si j’avais encore un cadeau à lui faire, ce serait ce recueil de 1654 connaissances parfaitement inutiles, à placer dans la conversation comme autant de proverbes chinois. « Quand vous n’avez rien à dire, sortez un proverbe chinois ».

« À te lire je déprime : tu sais trop de choses (inutiles). Je ne lis plus guère, sauf du gnagnagna » - le petit quotidien cantonal peut-être ?… « ...j’oublie au fur et à mesure » - un jour on n’enregistre plus ; je retarde ce jour le plus plus possible. « J’apprécie tes connaissances historiques on y sent un relent de culture qui, pourtant, peine à émerger ». Je me suis en effet cultivé pour me faire admirer d’être si bon transmetteur. Âne portant des reliques, voir plue haut.

Kosta repère chez Anatole France le mot « vérécondieux » : cela sent bien son latin décalqué - «... plein de retenue, de réserve » ; « taiseux ». « Qui aurait honte de parler pour ne rien dire » - beau mot. Relève lle « vertugadin », chargé de protéger les « filles qui s’étaient laissé gâter la taille » - qu’en termes galants… « Quoi qu’il en soit je suis de plus en plus « dissimulé » ça gêne mes lecteurs très curieux ».

Un autre mot : « abstème », qui « n’est pas synonyme d’abstinent… c’est un prêtre catholique qui refuse ou ne peut boire du vin ». J’obtempère. Il demande enfin confirmation des orthographes « stomacale » et « stomachique » -[shik]: ce qui est bon pour l’estomac. Il aime apprendre que le 6-6-1606 voit la naissance de Corneille : « Je m’en servirai pour faire état de ma pédanterie », façon de souligner la mienne…



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« Savais-tu que bulgares a donné en français : bougres… ? » Un peu plus tard : « J’aime bien tes cours littéraires ». C’est aussi ce que je préfère : les matins, j’en donne au petit-déjeuner – pour éveiller Arielle. « Ah que je t’admire de savoir tant de choses anciennes et même antiques. Toi au moins tu peux xénophoner et te métamorphoser en ovidien » – méfiance : par dessous les fleurs, le petit veninKosta apprécie « [m]a correspondance toujours aussi savamment alambiquée. Tu tritures les mots avec une latente bonhomie » : «les Mérignaciens bénéficient de tes talents oratoires ». J’aimais pérorer. Par altruisme. Confer supra.

Et question vanité, je ne crains personne.

Tel était jadis l'idéal de l' "honnête homme", celui qui sait parler avec tout un chacun, sans pour autant plomber l'ambiance. "Dès qu'on est en face d'un vrai spécialiste, on ne t'entend plus" grinçait Lazarus – mais c'est ainsi que j’entendais être : lancer le débat, puis écouter à mon tour - hélas, je m’écoute jacter, c’est insupportable.

J’aurais pu demander à Kostas quelques précisions, au moins, sur la langue copte, fille de l’ancien égyptien : il était féru de cete langue, et laissait supposer des origines « en provenance de la haute Égypte ». « ...je te précise que le copte s’écrit en alphasyllabaire. « Le copte est dans le désert soudanais ». « Seule la variante bohaïrique est utilisée et uniquement en liturgie  Voilà, tu en sais déjà trop ». Il me tendit plusieurs fois la perche, avec discrétion : à présent qu’il est mort, je m’aperçois que jamais je n’ai mis sur le tapis l’expérience archéologique de Kosta : irréparable et immense lacune, et quelle négligence de ma part. Tant il restait discret sur ses connaissances : « Mais tu t’en fous, n’est-ce pas ? » C’était tout comme.

J’avais foulé pourtant la pierre de Rosette en moulage au sol et sous verre au musée de Figeac. «  Je me permets d’ajouter », poursuivait-il, « que l’amharique (amaregna) est parlé en Éthiopie (près de trois millions de locuteurs) » - mais il me faut du célèbre, de l’étiqueté dans le ciel et dans l’Histoire - «et qu’il s’écrit dans un système alphasyllabaire ». Reste à expliquer mon absence totale de la mondre curiosité



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pour la langue copte, tandis que ma formation classique me semblait, n’est-ce pas, bien plus essentielle. De plus, « le copte, l’amharique, sont parlés par des nègres ou des exotiques » ; dédaignons donc ceux qui s’en passionnent (voir HAMAC, à son ordre alphabétique).

Attitude insondablement méprisante et méprisable.

« Ainsi donc tu t’adonnes au russe… quelle idée saugrenue !.. moi je préfère l’amharique du plateau abyssin c’est plus « tendance »."Je vois que tu n'oses pas parler avec moi d'archéologie ; me trouves-tu encore trop jeune ?"

Oui. Je n'aurai connu que les débuts de tout. Je n’aurai jamais fait que vagir. « J’apprécie ta culture hippocratique, dont tu fais modestement étalage » - prends ça dans tes gencives – ins Zahnfleisch., « J’arrête mes pédanteries, pour te saluer bien bas ».

Quelle sordide muflerie…

« On dit que la reine de Saba était éthiopienne. Ma chi lo sa ? T’avait-elle médusé en rêve? Les momies font de bons farcis avec bandelettes lardées ».

De même pour le chinois. Quelle honte pour moi.

X

« Saint Marcel termina sa vie comme palefrenier ; son local de messe ayant été transformé en écurie ».

In minimis doctrina - « l’érudition dans les petites choses ». Noter une petite erreur : commentant mon acrobatique soumission aux météorologies féminines, il me demande « de qui [je suis] l’Omphale » : or, c’est Héraklès qui file (doux) aux pieds d’Omphale (« nombril »). Nom de femme, et non le mien. Je n’ai pas manqué d’avertissements sur la duplicité du féminin, car elles ne le font pas de propos délibéré : voir l’incapacité où elles se trouvent à concevoir leur propre magnétisme. « Elles se rendent pas compte » : potache Vian, vous me décevez.

Kosta me reprochait mon cabotinage : « Tudieu, tu causes hongrois ! Quand auras-tu fini d’étaler ton savoir comme de la confiture » Mais le hongrois ne « rentre »



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pas. Ne surnage qu’une poignée de mots épars : « fékété », noir ; « gyerekek », les enfants. Une véritable Hongroise et gouine que j’ai rencontrée disait : « Cet homme est fou ; il veut apprendre le hongrois ».

Alors, je me suis offert « Les langages de l’humanité ».

Je les connais tous et n’en connais aucun.

Pour conclure en beauté ces considérations érudites, nous ouvrirons ici une piste encore vierge qui ne manquera pas de susciter, nous en sommes convaincus, d’ardentes vocations :

 Les scybales sont des excréments de formes rondes, durs, déshydratés (desséchés), et de petite taille que présentent certains patients atteints d'une constipation opiniâtre. Si c’est Google qui le dit… « Toi qui hantes les merdiers... » Je lui téléphonerai donc, pour l’informer de mon éblouissement cognitif. « Repose donc ta cervelle, voire ton cervelet, déjà surmené par ton instabilité culturelle ».

Dont acte.

EXPLICIT (et signature)

« À bientôt le plaisir de t’obliger à m’écrire » - ce sera un plaisir pour moi de t’écrire - « bientôt le plaisir de te lire. Salut. PS. Mon salut particulier à tes « dames » allusion à mes « nanas à satisfaire ».

« Salut » d’entre potes. « Porte-toi bien ». J’appelle « nul » ce qui ne peut donner aucune prise à ma volubilité gloriolipète. Ce mot l’eût enchanté. Il soulignait son prénom, juste après « amitiés » : « Amicalement, très. » Ce qui donne du poids - « Bien à toi et philanthropiquement », qui renvoie à la fameuse Société « fondée en 1780 », « reconnue d’utilité publique depuis 1839 ». « Salut mon brave ». «Mes amitiés ». « Salut Marcel !» - émission jadis de Radio Luxembourg, animée par Marcel Fort dans les années 50. « Le petit Rodolphe » l’accompagnait…





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Souvent, un explicit grec : agathè tuchè , « bonne chance ». « Salut pithécophénoménal ! » Il souhaite au Singe une bonne année « J’espère que tu termineras fambloyant [sic] cette année tristounette… Kaire  (est-ce correct?) - non, avec un khi à la place du kappa… Mieux encore, voici de l’égyptien : « À toi, scribe (cinquième dynastie après Isis-Osiris), les hiéroglyphes amicaux . » Signé « Q’ost ». En sabir latin-grec-espagnol  : « Ave, ô kolliñon » - « Ave (sans accent) » - ou en espagnol (quatre fois) : Hasta luego. Amistades. Con amistad.

Il signe aussi d’un « M » comme « Marcel », souligné.

À noter le merveilleux « Ave Marius »… Le non moins original « Low-Cost »... Ou simplement, « M.C. », de ses initiales (ou le simple « M », de Marcel prolongé en croix formant parafe. « Hypostase-toi bien » : incarne-toi bien ? « Hypostase », action de se placer dessous. « Le père, le fils et le Saint-Esprit sont les trois hypostases de la divinité ». Du 12 juillet 2055, « bien à vous, en attendant le prochain cousin simiesque » : « bien à vous » fut pourtant fustigé comme trop désinvolte. « Considérations considérables » .

Nous ne pouvons manquer celui-ci : « J’espère que tu tends toujours vers l’abstinence fornicatrice (de « four » où se tenaient les putes romaines). À bientôt le plaisir de lire tes coquecigrues. Amitiés athéiques . » Tout est dit. « Xairé ô Kollinion ».

Il n’est pas jusqu’au simple « amical salut » qui ne nous plaise : « ton ami » ( « hypoacousique et hypocoristique »)… Notarial : « Merci pour ta missive alambiquée du 31 du précédent courant »… Et « En attendant, évite tes conneries. Salut » - moi, des « conneries »?« ...Je te salue vérécondieusement » - merci qui ? « À bientôt le plaisir de te lire.

« Amitiés  (à Bernard l’Ermite et le Pieux » : le premier est un fort laid pagure ; le second fut neveu de Louis Ier le Pieux, révolté contre lui depuis l’Italie, en 817…

Pour conclure en beauté : « En te saluant profondément et révérencieusement ».

... Il reste encore un peu de poussière à épousseter, à gauche...




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FACTEUR

Il évoque (c’est d’aujourd’hui que je comprends) ce facteur « pseudo-travailleur, pseudo-gréviste qui a adopté le principe de la distribution aléatoire ». Nous avons souvent daubé sur les menus tracas des postes : « Je reçois ton courrier mérignacien du 20 (qui n’a mis que quatre jours à me parvenir) » - les postiers nonchalants sont des cibles courantes. Il brocardait souvent les facteurs « (rhésus) », qui font la grève, n’acheminent pas le courrier, se trompent d’adresse, et Dieu sait quoi encore, « vagabonde[nt] chez le voisin androgyne » - tiens tiens…

Une rare fois, il complimente son « préposé postal et ponctuel ».

FAMILLES

Kosta possède une fille, qu'il a trouvée avec sa femme, ainsi que je l’ai fait. Le voici grand- et arrière-grand-père. « Je vois mes enfants souvent : mon fils une fois (au moins) par quinzaine, ma fille toutes les semaines (prof au Conservatoire, altiste à Toulon). Le fils s'appelle Roger, et non pas Serge comme je l'ai cru longtemps. J'occupe la chambre et le lit du fils. Vide. Le lit. J’étouffe l’assourdissant réveil de nuit sous la pile de chemises. Kosta m'appelle : "Qu'est-ce que tu as foutu du réveil ?" - et non pas : "T’as fauché le réveil !" "...donc je fais front au merdier domiciliaire" Le fils invite son père à Marseille pour Noël : « Il aime la bonne chère chère ». - il fait bien - « on économise pour la bouffe  (queues de langouste ».

x

Non, ma fille à moi n'a pas hérité de mes « singeries littéraires ». Elle ne me lira (« j'essaierai ») qu'après ma mort. Je n'ai jamais cessé de l'aimer. Le reste n'a jamais eu d'importance.

Kosta va « rejoindre [s]on épouse à Chypre. Parfois c’est elle qui rapplique, avec sa cargaison de « mandarines insulaires ». "Tu es toléré" me disait-il : "Notre correspondance et ta visite lui sont connues... elle s'en fout et donc approuve ». Il ne fut jamais question pour moi de « m’impatroniser »... Grand Dieu j’en était loin.  «...j’ai eu le plaisir de retrouver mon épouse (un peu) et des oursins (beaucoup) » -- serait-on





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chicaneux, à Chypre ? « Que fait notre pays dans cette île à la dérive maffieuse ? » L’épouse de Kosta téléphona longuement le lendemain de sa mort. Elle n’a plus donné plus signe de vie. J’ai appris son décès récemment. Regrettant vivement de ne lui pas avoir fait parvenir au moins des fragments de ceci, qui lui était tout particulièrement destiné.

« Ma fille (non mariée) vit à T. avec ma petite-fille unique (qui aura 10 ans en janvier prochain) ...voilà tu sais tout ou presque ». « Nous avions une maison à St-S. (village natal de mes parents). Maison construite en 1930. » Il existe à Marseille une rue St-S., qui mène tout droit au tombeau de Kosta (1927 – 2016).  « Mon père, mon frère… puis moi y avons travaillé « au fond » (à 780m; il y faisait chaud…) ...heureusement ma mère m’en a tiré en m’obligeant à passer le bac... » Kostas ne s’est pas beaucoup plus exprimé là-dessus.

À mes question de trop il avait répondu : « Ça n’était pas marrant. Je n’ai pas envie d’en reparler ». Seuls étaient dignes de telles confidences les compagnons de fond de trou.« Un jour sa mère s’est évanouie d’inanition. « Ma pauvre mère était devenue sourde et se débattait avec ses prothèses acoustiques qui ne donnaient jamais satisfaction » - Dieu me garde des prothèses. « Gardanne est une petite ville à 8km de St-S. (on y fabriquait de « l’alumine » à partir de la bauxite). Bon je t’emmerde avec tout cela, alors que ta lettre est toujours bouffie d’esprit, et de contrepèteries ».

Si, pourtant, je m’intéressais beaucoup à tout cela.

Appendice instructif : Il fut un temps où ma descendance évoqua la possibilité d’une vente. Celle de Mes Biens. Monsieur gendre en était chaud partisan « Il faut vendre ! » éructait-il. Kosta m’écrivit : « Ne vends rien, garde tout car lorsqu’on a du bien on reste « intéressant » - ce qui convenait bien à mon inertie. « On vous trouvera un petit trois pièces, ce sera bien suffisant, pour ce qu’il vous res - oups…» - trop tard mon gendre, trop tâârd…







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FEMMES


Kosta était plus misogyne que moi.

« Pygmalion misogyne haïssait les défauts dont la nature avait comblé les femmes » Il tire assurément cela d’un texte antique. . Cette citation s’accompagne d’un magnifique crayon gras représentant une brune nue jambes croisées. « Pour changer disons du mal des sexes faibles qui nous forcent la (main) » - délicates parenthèses. « Soyons des misogynes respectables ». « Heureusement que tu as de l’inspiration qui compense les débiles appas de ce sexe réputé faible ». « Y a trop de culs délaissés et surfaits et superfétatoires ; allemands, ou d’autres ethnies septentrionales, sur les rivages ciotadens ! » .

« Les femmes deviennent amoureuses espérant introduire du romanesque dans leur vie » - de qui est-ce ? peut-être de K. lui-même. Je compléterais volontiers cette dernière : « ...et ne font qu’introduire autre chose »… misère, misère… Les femmes « ne demandent que ça », me disait un médecin dans son entresol. « Elles ont « bien raison d’envier DSK… Au moins lui, en cinq minutes, il fait une heureuse » - cinq minutes ? il est vrai que telle est la durée moyenne d’un coït. Puis, c’est vrai, « si je tiens un jour dans mes bras celle que j’aime, qu’en ferai-je, qu’en ferai-je » ? ...Lire Armance de Stendhal. « Ayant rompu avec Félicité il se trouvait aujourd’hui privé de moyen de transport ». Elle est mignonne celle-là.

* * * * * * * * *

C’est un grand mystère que cette fixation sur les femmes. Si gros qu’il me bouche les yeux, le nez, et la bouche au double sens du terme. Que veut dire Kosta avec ses « femmes légères »? il sait bien que pour moi, elles ne le sont guère. Sous-entend-il cela pour constater à quel point je me dresse à moi-même les zobstacles ? Le Credo de l’homme, hélas, est trop souvent de vite baiser pour sauter aux suivantes : estampillez, neutralisez-moi ça en dix coups de pine et qu’on n’en parle plus – « quelle





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tristesse que ces seins assassins de ces femmes, qui s’en glorifiaient ! » Qu’y a-t-il derrière ces exclamations ? « Bientôt j’en saurai davantage ».

Qu'elles m'admirent, qu'elles me tuent
Qu'elles s'arrachent ma vertu…

«… soixante ans sont passés depuis ma splendeur juvénile... »

« Salut à toi et à vous harde féminine ou femmes hardies » - madame, je vous rassure, votre fils n’est pas homosexuel, car il ne me parle que de filles - désolé, mon psy : je n’en pouvais plus de les rejeter, ayant été tant rejeté. La pédale n’en était pas moins obsessive. C’est fou ce qu’on peut prendre la vie au sérieux.

***

« Qui est cette Fedora… » ayant ‘gardé la mémoire de tes sévices (...) ! » - ainsi je lui parlais de Fedora, élevée seule au rang de mythe en mon « âme enfiévrée » ; oui, j’ai dansé de joie quand tu m’as proposé un voyage en Espagne, à deux, avant de te dédire. Toute ma vie je t’ai désirée, jusqu’à la vie commune, même tempétueuse : « Si l’on me dit « je t’aime », je regarde d’abord ce que l’on est capable de faire pour moi » - Fedora, quelle muflerie ?

Pour Djanem, Kosta me traitait de « boute-en-train », ce mâle exciteur la jument pour la dilater, mais que l’étalon, le vrai, pénètre et féconde. J’en étais profondément mortifié.

Kostas engendre des essaims de souvenirs tenaces. « Tu ne sers qu’à conforter son « ménage », tu es le réparateur de porcelaine. Bon courage ». Et plus loin me voici « ravi » de la crèche. « Quant à K. je comprends qu’elle ait envie de « respirer » après ton passage cyclonique ». Je n’aurai pourtant aimé qu’elle, « mineure d’âge prétendument canonique ». « Tu en es à faire de la retape auprès des ex » : bien vu, confirmé par test sur Facebook : « Vous feriez le mieux l’amour avec votre ex ».Nous l’avons fait la dernière fois en novembre 11. J’avais peur. Elle me l’a dit. Trois mois de flamme trente ans de cendres. (Le Guépard, Lampedusa)



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Il estimait indispensable un minimum de misogynie : « Je suis contre la féminisation qui assèche notre fonds testiculaire ». Il ajoutait, à juste titre : « Il est bon de s’exercer à la misogynie, quand on en a encore les moyens ».

Le consentement, bientôt sur papier timbré, « enlève tout plaisir ». Il nous contraint à baiser fémininement, c’est-à-dire à jouer aux cartes, ou aller au concert. En effet, après avoir commencé doucement, comment l’homme peut-il soudain se transformer en grosse bête style pouf-pouf mets-moi tout ... pensons à ce pauvre garçon qui demandait je te fais mal ? L’amour « machine à vapeur » ôte aux femmes, à l’écran, les films, toute espèce de honte – fiérotes et autres pimbêches, ô méprisables pantomimesKosta m’engage à « violer cette gonzesse sevrée des avances par ses partenaires anoures » (sans queue) - hélas, nous en sommes aux tribunaux.

Occasions immanquables manquées. Libérer la femme ? il en est des millions qui perdraient béatement toute responsabilité. Je veux rentrer à la maison.  

« Non, je ne regarde pas les défilés de ces esquelettes peu habillées, elles n’ont pas de cul et peu du reste ». J’étais au restaurant. Des mannequins parurent. O’Letermsen s’écria : « Dommage qu’on n’ait pas réussi le cerveau ».

Il m’est arrivé de « pleurnicher sur deux fliquesses abattues. Aurais-tu préféré qu’on abattît deux flics mâles ? » - oui…

Pour Kosta, nul progrès depuis la médecine de sa jeunesse : l'homosexuel est un névrosé, à soigner. Il existe des homos névrosés. Ces enculages d’autrefois sentaient trop l'arrière-cabinet de psy.


* * * * * * * * *


A la suite de j’ignore quelle indications d’emploi du temps, Kostia espère que les « barbaresques femelles » ne m‘auront pas « aggravé » une « misogynie fondamentaliste » - il est vrai que les deux sexes pratiquent avec le même succès la sottise humaine, de la mère Michu à Ducon-Lajoie. De quelles « activités génésiques »



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me serai-je vanté ? Quelles « prouesses lubriques » ai-je mises au pinacle, et lui, au pilori ? Pendant ce temps je ne touchais Djanem que rarement, et dix années n’ont pu l’effacer de moi. Jamais je n’ai dit un mot de mal de ma Kabyle ou Comorienne ou Mauricienne.

Ou Turque.

Kostas me reproche d'avoir un nombre incalculable de maîtresses : "grosses bises à toutes tes femmes K, X, Y et Z". Je me faisais écrire au Collège de Meulan. Que des femmes. "Ce ne sont que des copines ? - Non ma chère Collègue, je leur ai vu le cul à toutes comme je te vois".

...Je crois qu’un jour les femmes prétndront que toute pénétration soit considérée comme viol. « Si je comprends bien ta tortueuse pensée, les femmes sont des putes qui se font trop prier… Si tu ne veux pas prier, il faut payer ! Cash ! Moralité : le vouloir, sans le pouvoir, c’est bidon ». A 16 ans j’écrivis : « Je raterai ma vie par manque de volonté ». Kosta disait fort justement, à propos de nos désirs d’hommes et de femmes : « Deux spécificités qui devraient « s’emboîter » alors que nos approches culturelles les pervertissent » - comme disait Nietzsche (de mémoire) : « ...au lieu de n’être que les égarements de deux bêtes qui se flairent »…  On ne baise plus : on chipote » - « impuissance fondamentale à vivre le coït primitif ». Quant aux désespoirs d’amour et d’obstacles, ils s’appliqueraient bien moins à l’amante qu’à la Mère - nous voilà bien avancés.

« Tu restes en superficie ! » me reprochait-on. Mais si j’approfondis, je tombe, forcément, sur la mort (La mort est mon joker, bonne formule à replacer). Mme L., mon « prof de philo », me reprochait déjà ce travers : « Avec vous, de toute façon, il n’y a pas de problème, et la dissertation est terminée ».

Les tremblements de vieux tiennent lieu de jouissances. Les visions nocturnes font renvoi, font relent. « Salue tes guenons de ma part »  - étant le Singe Vert..., « Méfie-toi des femmes... » Elles vous plombent. « Et nous les abattons en plein vol ». Il reste convaincu que mes histoires salaces et répugnantes, de morpions ou de pus,



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éloignent de moi les femmes, le cœur au bord des lèvres. Telle serait la cause de bien des échecs. Il me considère comme un impulsif, persécuteur de « pauvres femmes » : pour vouloir toujours les sauter en un temps record ? « Je crois qu’il y a beaucoup de forfanterie chez toi » - « Je me contente de forniquer à feu doux : du clapotis génital. »

« Je vois que tu t’ancres dans une pitoyable misogynie car tu refuses (avec quelle véhémence !) de te rouler aux pieds de la Femelle du jour J ». Cependant : «Je me réjouis que tu restes dans la ligne misogyniste ; je pense que c’est par dépit » - oui, là encore.  « Laisse ta femme se reposer un peu ». Gardons cependant le meilleur pour la fin : «Fais gaffe : les hongroises sont dangereuses ! » - et pourquoi ? « ...tu sais bien ce qu’est un cheval hongre aussi je t’admoneste d’être vigilant pour sauver ta masculinité déjà chancelante ».

Il n’en aura pas manqué une.


FORMULES D’APPEL

« Cher B. L'Ermite » - sans h ! - ces variations sur l'en-tête m’évoquent ces identités de fantaisie que je décline au digicode chez ma fille : jamais deux fois la même. Cette coutume estudiantine s'est perpétuée jusqu'à présent. Et pour finir, Kosta, toujours voussoyant, me donne du « bonne année 56 ». Nous ne nous serons connus que sept ans. La durée d'un ancien mandat présidentiel.  Cher pithécanthrope relooké » : à peine, à peine… « Cher vieillard de 68 années de mauvais et déloyaux services » sans oublier l’extraordinaire « cher somptueugénaire ». « Cher Alphabétissime» concerne directement ma lubie de visiter chaque département par ordre alphabétique... « Cher Ami anthropomorphe » - n’en jetons plus.


GEIGNARDISES ET REMONTRANCES

Combien mes pleurnicheries le hérissaient : « Ça te turlupine, ça te mine, ça t’annihile, ça t’ « escagasse » (comme on dirait dans mon patois) » - la plupart de mes geignardises concernaient les femmes : « Te voici encore persécuté par la gent


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féminine » - « ce qui ne m’empêche pas de compatir à tes pleurnicheries sentimentales… » « Arrête de gémir » me répétait-il (« ...garde quelques larmes pour réjouir ton épouse ». Un sous-Musset larmoyant, un Lamartine lacrymal » - noter que l’Alphonse et l’Alfred se limaient la bite dans tous les bordels de passage. « Ta vie gynécologiquement très fournie qui va de Viviane en Javotte sur près d’un demi-siècle est certainement très intéressante d’un point de vue sociologique » - suave foutage de gueule.

Je voulais être plaint - « c’est presque aussi con que Mourir d’aimer donc évite le pathétique ». Propreté méditerranéenne. « Dans tes lettres tu ne cesses de geindre et de te plaindre de ton environnement humain. Que ne restes-tu dans ta cage ! (…) Tu es chiant à ronchonner sans arrêt ». « ...ne me prends plus pour un mur (de lamentations) »…

Jusqu’ici personne ne me l’avait dit (à ce point). Ceux qui me subissaient tentaient plutôt de me renfoncer dans d’inextricables et prétendues problématiques de « responsabilité » - vocable qui me hérisse jusqu’à l’hystérie. J’avais l’immonde impertinence de débarquer comme un chancre chez tel ou telle pour m’épancher sur mes déboires ; mon numéro faisait rire, j’en rajouiais des tonnes. Jamais je ne saurais témoigner d’une reconnaissance à la hauteur de ces héros de la pure charité.

« P. S.  Renonce à ton auto-dépréciation hypocrite » touché-coulé – l’enfoiré. En même temps, Kosta me félicite de mes restes d’ardeur. Tu m’aimais donc d’amitié, lâcheur ? Tu voyais mon « déboitage », tu sentais que l’autre homme n’était jaloux que par « convenance sociale »… La femme aimée cesse d’avoir du goût dès lors qu’elle ne donne plus signe de vie – mes désirs ont si peu dépassé ma main - « Salut, demeure chaste et pur » - je suis demeuré

Que d’obstacles. Queues d’obstacles. Je ne fus jamais ce « singe ithyphallique, rompu aux exercices copulateurs et répétitifs ». « Tu confonds émotion et érection». Mon ultime inspiratrice a rejoint la contrée surpeuplée des portes claquées - jamais nulle autre avant elle ne m’avait à ce point chaviré.



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Ce qu’il aura pu m’engueuler dans sa déception, constatant la multitude de mes contacts humains, en particulier féminins. S’il avait su mon double jeu, il ne m’eût jamais invité... mais, cher ami Kosta, vivre, c’est tricher (Fédor D.) Mon « romantisme misérabiliste », mes « eaux troubles » et mes « larmoiements » - je ne m’en rends pas compte. Et « prendre conscience » n’est pas simplement « savoir » ni « comprendre ». Cela peut prendre des dizaines d’années. Ceux qui parlent de « mauvaise fois » sont au mieux des simplistes, voire de parfaits ignares.

. « Quelle chance as-tu ! ou alors quel menteur es-tu ! » Le dernier chic était à l’époque de s’imaginer, mordicus, que ses erreurs ne pouvaient être que volontaires : « Tu n’as pas voulu voir... » - qu’en sais-tu ? ...c’est pourquoi, de nos jours, certains refusent d’ingurgiter plus longtemps ces salades de psychanaluse à deux balles. Sartrillons et structuralistes, combien aurez-vous forgé de générations de hargneux  je suis ce que j’ai voulu être - quelle présomption ! - mais aussi, quelle dérobade si l’on ny croiy pas...

Kosta ne m’a pas sermonné, mais combien de fois n’a-t-il pas brocardé sans pitié – allant jusqu’à citer Sophocle essaye de modérer tes appétits ». Pour moi le sexe était un dû. Indu. « Ta lettre sue la vantardise sexuelle » - moi ?...

"Je crois que je ferais mieux de faire des frasques comme un vulgaire bordélique." Le bordélique, c'était moi, de Bordeaux.

« Salut, baiseur invertébré ! » - pour invétéré - combien de trésors tardivement découverts – plaisirs du philologue. « Peut-être cherches-tu des raisons de gémir sur les putes qui te rançonnent (...)

Mais il m’encourageait : « Je plains ton handicap vieillot et pessimiste alors qu’à Mérignac certains luttent pour survivre à la connerie ambiante et océanique » : « ton esprit « léger » me chagrine ». Sa tendresse n’en fut pas émoussée : en tant que « rescapé de la spéléologie tu bénéficies de circonstance exténuante » - comment savait-il cela ?



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GREC (pour l’amour du)

« Cher Hellénophile » m’écrit-il. Et de me qualifier dans la foulée d’« ascardamycte » : celui dont le regard ne cille pas. Ce que je ne suis pas, contrairement à l’oncle Adolf. « Ma culture grecque » ajpute-t-il « s’arrête à Melina Mercouri des Enfants du Pirée. Pour le reste je grappille par ci par là ». Kosta Mavros est un papillon dans l’au-delà. Il me salue « hô Kollinion », gratifiant les iotas d’un point. Et moi, jamais je ne l’ai gratifié du moindre intérêt pour le copte… Voir le dessin de Sempé, où le contrebassiste repart de visite, l’énorme instrument sur l’épaule avec une tronche de trois octaves : « On aurait peut-être dû lui demander de nous jouer un morceau ? » - trop tard, Kosta est nort pèthanè

/ Et je n’en savais pas si long. Mon hellénisme n’a pas dépassé de quoi fournir un cours de quatrième. « Continue donc à patauger dans ton Iliade ». Racine la savait par cœur.

Jusqu'au bout Kosta s'est ressourcé au grec, à la prétendue luminosité de cette langue . Merci pour votre amicale et pédagogique correspondance… Il m'a confié le plaisir (et l'honneur) d’une réponse de Jacqueline de Romilly, « la félicitant pour sa prestation télévisée sur Thucydide ». Et me propose de lui écrire à mon tour : « Essayez de lui écrire correctement ! » - éviter à tout prix (on ne sait jamais) salut vieille p... en en-tête.

De temps en temps, la correspondance de Kosta s’achève par le fameux « χαρε » - « porte-toi bien » -shèrè. L’un de ses messages figure au dos d’une photographie : Femme assise, ronde-bosse dHenry Moore, inspirée de ces statues égéennes, tête ébauchée, petits seins pyramidaux sur torse plat.

Kosta explore les racines de la langue ancestrale, pour le plaisir de rouler sous sa plume les mots de la tribu éteinte. Je n’ai jamais songé non plus à lui demander s’il était jamais allé en Gce, ni même s’il y comptait des ancêtres. « Moi, j’ai commandé des CD de grec ancien… j’ambitionne de parler comme Socrate de Platon... » Nous avions avoué nos candeurs réciproques… « Crois-tu que Socrate a bu volontairement la ciguë ? » - oui, pour préserver les lois de la cité. « Il avait cent ans paraît-il ! » Non ; toute personne dont les rides rendaient l’âge indéterminable se






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voyait promue, d’un coup, au rang de centenaire.

XXX

...« -poulos », en fin de nom, veut dire « fils de » (« poulet », «poulain »). Du grec, Mavros (Mavropoulos) n'eut que des lueurs, émerveillées. À peine moins que moi. Ce qui laisse « le copte, le chinois », dans la marge : je dois exister, n’est-ce pas, monter en épingle mes bribes de savoir. « En ce moment me dit-il je lis Diogène Laërce, la vie des illustrissimes philosophes hellènes ». Vies, doctrines et sentences. « ...Mais il y a tant à lire qu’une nausée me prend de n’être pas analphabète ! » « C’est fou tout ce qu’il y a à savoir et que j’oublie vite, bien vite, trop vite » - Kosta, n’oublie pas que la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié : non pas les détails et les faits, mais le dépôt sacré du limon sur les rives. « Je lis du Stefan Zweig, du Diogène Laërce, des bribes de ci, de là… cahin-caha… »

Mon étalage de culture me nuisit. « C’est beau la Culture ». Il adorait la Grèce, et tous ses auteurs. Les Catégories d'Aristote lui échappent. Qu'il se rassure. Elles ont échappé à plus d'un. Illisible dit-il. Aristote confus par excès de clarté. Quant à Plutarque… Plotin… Boèce… Pitié… des logiques, des enchaînements, des raisonnements que nous n’entendons plus. Ce qui nous semble déductions par à coup et par sauts, de l'Antiquité, du Moyen Âge, de Hegel et des mathématiques, les rendent imperméables à bien des réfractaires.

La démonstration de cette étanchéité revient au remarquable ouvrage de Quignard, Albucius, où les raisonnements les plus tordus sont présentés comme allant de soi, et l’homme qui dans un accident a perdu la main droite se voit condamné à perdre la gauche, au nom de la symétrie et comme sanction de sa maladresse...

Kosta me trouve « bien sévère pour les tragiques athéniens qui ont nourri notre littérature et trituré nos mœurs » : exact. Je ne veux connaître qu’Eschyle : to plattothratt, to plattothrat. Je déclare Sophocle « incolore, inodore, sans saveur », ce qui ne prouve que mon abyssale connerie. Je rejette aussi « l’infâme Euripide », seule et unique mention, et en ces propres termes, de ce dramaturge, dans toute l’œuvre de Péguy. Les interminables et foireuses chicanes d’Euripide et les non moins




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languissantes jérémiades de ses mégères me cassent ta balakia mou, en bon français les couilles. Les neuf dixièmes des écrits de ces temps-là ont sombré avec leur civilisation. Les enseignants de basse antiquité furent en effet de grands éliminateurs de tous les talents inférieurs, et reproduisirent sans cesse les supérieurs. À ce jeu disparurent 90 % des écrivains, dont nous n'avons plus que les noms et les titres ; je n'avais pu que frémir en lisant sur la couverture d'un volume du XIXe siècle : « Recueil des meilleurs auteurs de second ordre ». De second ordre…

Kosta, pour sa part, me contraint à vérifier mes maigres sources et revient sur Aristote : né à Stagire, en Macédoine, d'où son surnom de Stagirite. Honte à moi qui confondais avec « stylite », gloire aux pierres séchées au soleil hellénique. La constitution d'Athènes, La poétique, m'avaient tour à tour déconstipé d’abondance.… Kosta Mavros eût voulu s’y connaître à fond, et moi aussi, car fussé-je devenu l’agrégé souhaité, je n’eusse pas atteint le niveau de seconde d’un potache de 1810. Jamais je n’ai dépassé les rudiments du grec, et si je lis dans le texte la langue d’Homère, c’est parce que le français se trouve sur la page de gauche. Je ne voulus pas apprendre l’alphabet grec avant l’âge de 13 ans, car mon ami Marcel (un autre) m’avait montré, que A français et Alpha majuscule, O français et Omicron majuscule, coïncidaient très exactement. Inconcevable bâtardise !

Markellos un jour signa « Philodoxos », « qui aime la gloire ». C’est ainsi que nous sommes. Admirons alors sur la même photo de classe, parmi ces fillettes dûment cornaquées par les bonnes sœurs, à la fois Jacqueline de Romilly (1913 – 2010) et Christiane Desroches-Noblecourt (1913-2011). Peignées, socquettes tirées, graves comme des papesses. Jacqueline, en fin de vie, devint aveugle : elle surveillait, devant sa vitre de four, la cuisson d’un poulet doré. Soudain, « les grilles se brouillèrent, et ma dernière vision s’effaça. Depuis, je dicte mon courrier. »


X


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Le siècle de Périclès dura de – 479 à – 429 au maximum. Ce fut « l’âge d’or athénien », Ve avant Jésus-Christ. Personne n’a pu établir la parenté du mot « péricliter » avec le nom de « Périclès » ; ce verbe viendrait de periclitari, verbe latin, « entreprendre ».

Nous échangions des considérations hellénistiques.

Il m’apprenait « que les artotyrites communient avec du pain et du fromage : ce qui est héroïque est d’avaler cela sans une goutte de vin » … Mon Dieu comme il était vivant. Combien nous serons morts.« Là je me laisse aller » m’écrivait-il.

Kostas considérait la Guerre du Péloponnèse comme un chef-d’œuvre. La traduction en était « très lisible » - celle de Voilquin, de Romilly, de X. ? Thucydide est sévère, ampoulé aussi bien que concis. Sans carte précise, on s’y perd. « Mon enthousiasme hellénique est réel et, depuis quelque temps, je porte des sous-vêtements de la marque Athéna ! »

Il demande l’origine de « boulimie » :  « faim de bœuf » ou « appétit de bœuf » ? cher collègue, c’est la même chose. Il s’enchante d’un « apotropaïque » (« détournant le mauvais sort ») ou d’un « hypocoristique » (« Lulu » pour Lucien) : « C’est fou tout ce que j’apprends avant d’oublier ».

Il est démangeant pour tout néophyte de parler ou d’écrire dans la nouvelle langue qu’il découvre. Tel mardi d’été, pour parler comme Gide, il me cita Boileau (B. déteste ces entrecroisements de références, je l’emmerde), «tout hérissé de grec » (« tout bouffi d’ignorance » - il eut l’élégance ou l’oubli de m’épargner le second hémistiche). Mais, poursuivait-il, « vous restez accessible à mon entendement standardisé ». « Pour emmerder ton acquis culturel », il m’emploie des mots que j‘ignore : « éphectique » signifie, chez Pyrrhon, « la suspension du jugement ».

Kostas se renseigne sur le théâtre, son protagoniste, son deutéragoniste, son tritagoniste… Combien nous devons ricaner des « principaux protagonistes » dont nous assomment les journaleux… il y aurait donc des « protagonistes secondaires » ?

Il est louable pour l’hellénisant d’achever sa lettre par de maladroites formules, mal



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accentuées, mal déclinées : « Au revoir, ô singe vert... ». Au revoir, K. M. Que tu le croies ou nom, tu me regardes de là-haut, avec tendresse. L’au-delà n’est qu’une construction de nos cerveaux. Le réel aussi. Et « thyroïde » s’écrit avec un « h », comme tu m’en as fait la correction. « Seul le fils du charcutier sait nous marquer de l’estime » disait Socrate à Eschine. Eschine était fils d’instituteur. Il s’agit donc d’un l’autre, surnommé « le Socratique ». Il me dit que tragédie signifie « chant du bouc », « mais tu devais le savoir » - je l’ai appris en 66 à la bibliothèque de Tours, aux temps préhistoriques.

« On reprochait à Diogène ses divagations : « Le soleil pénètre bien dans les latrines et pourtant il ne se souille pas ! » - et lorsqu’on demandait à Platon quelle sorte d’homme était Diogène, il répondit : « Un Socrate devenu fou ».


HAMAC

Il me montre un jour trois minuscules pousses arboricoles, souhaitant qu’un jour elles puissent supporter le poids de trois-z-hamacs. Je reste perplexe : le reprendre, ou non ? Puis je me lance : « J’ai d’abord cru que tu commettais une faute énorme et je me préparais à me récrier bruyamment. Puis je me suis dit que tu avais une foultitude de diplômes, et que tu l’avais fait exprès . » Il me regarde : « Je te savais con, mais alors que tu sois con à ce point-là, c’est être vraiment très très con ». Et je renchérissais. D’où me viennent ces renvois puants? Ma grand-mère disait « pour être content, il faut regarder au-dessous de soi ».


HAREM

Pourquoi voulons-nous trouer tout ce qui passe ? « Salut amical à toi et [à] ton entourage féminin ». Kosta s’imaginait volontiers que je jouissais d’un harem, dispensateur d’ « activités fornicatrices » ; il craignait qu’elles ne me « privassent d’une quasi-lecture… de [ses] œuvres complètes ». Jaloux de mes baises ? ...se foutant de ma gueule en feignant de l’être. Nos seules « éjaculations » n’étaient donc plus que



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« plumitives »… Nous nous souhaitions l’un à l‘autre une foule d’ « admiratrices insatiables » Un jour je reçois au travail, dans mon casier, quatre lettres de quatre femmes. « Ce ne sont pas des femmes que tu as possédées. Ce ne sont que des copines, sans plus ». - Mais si, Claudine : je leur ai vu à toutes le cul, comme je te vois ».

« Remise tes poules sur leur perchoir et n’imite pas Henri VIII ». Il m’imaginait dans un tourbillon de femmes : « Tu as l’auguste avantage d’être entouré de houris en tous genres : jeunes, moins jeunes, affriolantes, miséricordieuses, quémandeuses… « Connais toutes les femmes, tu n’en connaîtras aucune ; connais-en une seule, et tu les connaîtras toutes ». Casanova. « Tu me parais bien pessimiste pour un jeune homme encore sexuellement vigoureux ».

Hélas. Je n’ai capté des femmes que mes rancunes : « Salut… à toi… et autres... » - « Je pense qu’à mon retour j’aurai quelques précisions sur tes prouesses viriles ». En effet, tout cul qui passe est une histoire d’amour.

Il avait malgré lui recueilli mes confidences d'adultères épisodiques. Il espérait que le « mari » n'était pas informé. Si. « À la relecture (car je te relis pour tout comprendre) (« On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé ») je constate que tu as quelques déboires avec les « personnes du sexe »… nécessitant un préservatif littéraire (ou autre) »… Il m'aurait souhaité plus honnête. Il avait pensé que l'écrivant correspondait au vivant. Hélas, tel n'est pas le cas. « Ta femme va pouvoir recommencer à t’aimer… peut-être d’autres aussi ? » « Salut à toi et tes dames ». « À toi et ton entourage compassionnel et féminin je délivre des salutations ultra distinguées.

Les femmes m’auraient plaint, m’auraient consolé.

« J’aurais préféré vivre au milieu de pleureuses »

« Et rien que le bruit de la mer / Pour seule réponse »

Il n’approuvait pas mes escapades. Il sentait que j’aimais plus bas que moi, que j’en souffrais, que j’idéalisais. Je ne souscrivais nullement à ce diagnostic. Il me recommandait à mots couverts de me contenter « des « scènes » matrimoniales qui


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permet[taient] à mon épouse de vide ses glandes lacrymales et à [m]oi de remplir [m]es bourses séminales », ce qui est une étrange applications des vases communicants… Ai-je passé le temps d’aimer ? Oui mon bon La Fontaine, « avec le solde de [m]es chiches élans et de [m]es volontés velléitaires d’un sperme défraîchi »… Et tous nos courbons le cou

sous le joug des amours et des baises manquées…

Plus tard, commentant mes faibles prouesses érotiques dans une automobile à la raie :

« Veille à ne pas subséquemment souffrir d’un tassement de vertèbres depuis les lombaires jusqu’aux sacrées », soudées dans le sacrum. Cher ami, j’ai baisé à l’hôtel, deux ou trois fois. » Essaie l’amour à 3, tu auras ainsi une excuse à tes « manquements » et tes minauderies » - je minaude, moi ? - « j’espère que tu m’en rendras compte, ça vaudra son pesant d’érotisme préfabriqué » - le cul n’est pas le seul ingrédient de l’amour. Hélas…

***

...Je serais « persécuté par (m)es femelles admiratives… Amuse-toi bien avec tes trois hyènes »… « ...citoyens et hyènes » ? Il pensait donc que je baisais et ma femme, et F., et K. ...Il faut donc considérer sa bien-aimée comme un être entier sans avoir peur d’en être à tout jamais ensorcelé ? Étais-je moins un homme en restant fidèle  ? « Je suis consterné de te savoir la proie préférée des trois hyènes, je comprends que tu en sois contrarié ». Je me serai après tout bien défoulé sur les femmes… sans être pour autant une pine à tous trous. « DSK baise une (horrible) femme de ménage à faire débander un turc ! » - c’est bien mon avis, Z… Il y aurait toute une bibliothèque à écrire sur ce sordide guet-apens. « Et dire qu’il y a un chanceux sur dix pour être un agresseur sexuel... » - cette femme n’est pas l’agressée. Ces dames « n’arrivent pas à faire bander l’agresseur », pourquoi pas – « J’espère que tes épopées amoureuses ne sont pas la cause de ce silence graphique ». Peut-être que si. La date coïncide à peu près avec mon dernier amour. Oui, j’avais peur en elle.

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De ne pas être à la hauteur. DJANEM n’a plus voulu de moi. Débranchement de ma prise « confiance ». Elle était pourtant venue chez moi. Kosta me dit qu’elle « se prête à bien des concessions et se rend à domicile.  Même les putes refusent à se déplacer dans la région ! » Il était bien plus misogyne que moi. Même, macho.. Les autres me disaient «Mais vas-y donc ! Touche-leur le cul ! » Je ne suis jamais descendu jusque-là. Je n’aurais pas tenu la suite du rôle (où il faut sans doute se trémousser en soufflant comme une bête, à en croire les scénaristes), puis à enfoncer son gros pieu avec des grimaces d’athlète.

Non merci.

X

J’ai toujours porté les cheveux longs : pas pour être homo, car j‘ai horreur des bites, ni pour être une femme (passer d’une prison à une autre plus étroite encore, non, merci) – mais pour refuser de toutes mes force l’« idéal masculin » niveau après-rasage.

Mon amour est une contemplation, sans paroles, sans actions. Asphyxiant dit-on. Au point que Lazarus lui-même s’en apercevait, le déplorait sans le blâmer. « On sent que [Djanem] te manque  , m’écrit Kosta, « malgré ta « (bonne) volonté de t’en dispenser ». « Il y a paraît-il de la demande ! » Tous les amants le savent bien, et s’obstinent pourtant. Le sexe ne saurait suffire. Mes confidences à propos de femmes sont destinées dit-il à vouloir « prouver » mes « élans virils », alors que je le suis si peu.

Je répugnerais même à me montrer, si peu que ce soit, « viril ».


HUMOUR

« J’ai bien compris que l’accorte pâtissière vous ait laissé sur le flan » - je viens de comprendre ! ...on s’affine à te relire, Kosta. « J’essaye de pouffer à tes calembours [que] dans un premier temps je n’apprécie pas ; dans un deuxième temps non plus. Comment toi, tout bouffi de grec tu te laisses aller à ces bassesses littéraires ». Plus loin il évoque mes préciosités tarabiscotées, « calembours et calembredaines ». « Qu’est-ce



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que cette histoire corse qui n’a même pas l’excuse de la vacherie ? » Il me montrait d’un geste large la magnifique crique du Bec d’Aigle ; et moi, feignant le sursaut d’un éblouissement subit, je prenais tout à trac dans mon dos un cliché de BITE charbonnée sur un mur.

« C'est bien d'écrire des conneries au fil de la plume, non ? » Exact mon ami, C'est à cela qu'on reconnait l'ami ; à l’opposé de telle ou telle estimant, n’est-ce pas, que leur écrire n'était pas se décharger dans une poubelle - moi j’écrivais, ma foi, comme ça me venait. En somnambule.

Kosta s'intitule lui-même « intellectuel-écrivain-musicien-esthète » - nous nous en renvoyons de l'un à l'autre, aux deux ou trois degrés possibles, et plus encore. Entre vieux singes, au miroir l’un de l'autre : « Reposez-vous bien, vous en avez besoin étant donné vos débauches intellectuelles ». Car nous nous donnions de l'intellectuel… « Je comprends que ton épouse t’environne de nains de jardin afin de te valoriser (autant que faire se peut) ». Elle déteste les nains de jardin. Nous avons mesuré nos vies à l’aune de nos fatigues.

« ...Et quelle idée de s’abonner… vous êtes captif pour un an à la remorque d’un « collectif » de penseurs débiles ressassant leurs lieux communs à l’envi ». Cela peut aussi bien s’appliquer à ma personne.  Et le trait de s’approfondit : « J’apprécie toujours autant tes accès colériques contre la connerie ambiante à laquelle tu participes ». (« Quant à tes bouffées de connerie… ça te passera avec l’âge ») - hélas. Parfois je m’exerce à la maturité. Cela ne me va pas si mal.

Post coitum animal bien content.

Et plus tard, en contrepoint : « Tu as tellement d’humour mêlé de sous-entendus que je comprends de moins en moins ton écriture bizarre ». Les deux. Combien je valais mieux que ce que je disais, c’est ce que tous m’ont répété, jusqu’à mon père, « Tu nous auras bien déçus », peu de temps avant sa mort. Moi compris. Moi pas compris. Kosta m’écrit : »Pour ma part je persiste dans mon autosatisfaction et j’ai honte de penser du bien de moi-même ». Habile mélange des premier et second


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degré alias  troisième. Il qualifiait mes calembours d’ « humour aquitain », brumeux à terre lourde.

Voici un de ces bons mots du XVIIIe siècle, à coup sûr le plus spirituel des siècles : "M. d'Argenson disait à M. le Comte de S. qui était l'amant de sa femme : "Il y a deux places qui vous conviendraient également : le gouvernement de la Bastille et celui des Invalides ; si je vous donne la Bastille tout le monde dira que je vous y ai envoyé ; si je vous donne les Invalides, on croira que c'est ma femme". D'Argenson était chargé de la police...

« J’espère que la digestion d’icelui » (le cassoulet carcassonnais) « ne gênera pas tes compagnons de bonne fortune », par ses flatulences, s’entend…

*

Petit chef-d’œuvree, cet admirable récépissé (le mérinos) : « J’ai ta carte (luxueuse) avec les trois œufs dans leur nid (douillet) dans une enveloppe jaune (criard) ». Belle chute détonante…

« L’impôt sur le tabac sert à décourager les fumeurs ; l’impôt sur le revenu sert-il à décourager les travailleurs ? »

« Il paraissait con mais sans ostentation ». ...

Dans le cadre ou dans la boîte de l’humour noir, cette formule administrative témoignant de l’envoi de 30/100 de m³ de cercueil, deux fois 150, sous les numéros 225,704 et 225,705. Photocopie faisant foi. À 17 ans, il avait eu droit au port d’armes. Il m’en adressa photocopie, au dos de laquelle il m’écrivait : la « Section du bois » lui avait décerné 15 cm3 à valoir sur son cercueil. Les aura-t-il utilisés ? « En cas de conflit nouveau ou de pandémie (maladie grippale des oiseaux) je ferai une nouvelle demande ».

Questions : a-t-il lui-même procédé à cette demande ? A-t-il fait jouer ces tickets-cercueil par l’intermédiaire de ses descendants ? « En attendant, j’économise sur le bois du cercueil. Celle de « bons pour fragments » me réjouit : quelle pingrerie dans la grandeur, ou pingrerie tout court. Ou encore : « Descendre du singe ? Espérons que



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ce n’est pas vrai… mais si ça l’est, prions pour que la chose ne s’ébruite pas ! » - ce qui ne saurait surprendre dans la bouche d’une femme d’archevêque, fût-il anglican. « Je pense que tu as peut-être pris ton stylo pour un thermomètre ? » - entendre : 

« Où te l’es-tu donc mis, que tu ne m’écris plus ?

« J’ai apprécié la charia avant l’hébreu ». Ma foi, je croyais bien l’avoir trouvé tout seul…

« L’espoir fait vivre, l’agriculture aussi ».

ILLISIBLE

Mon écriture était selon lui à la limite du déchiffrage. « il vous suffirait d’arrondir les « o », d’épointer les « i », d’allonger les « l », « h », et d’approfondir les « p ». Mieux j’essaie d’écrire, moins je suis lisible. . « Jamais je n'ai vu d'écriture aussi puérile » disait Herr Grün, professeur d'allemand - forcément ! j’avais fait des efforts pour être lu.

« Bientôt je vais rivaliser avec Champollion pour déchiffrer vos lettres. Ou alors, vous avez commencé des études de médecine ». Je me suis appliqué

Mes « griffonnages » lui causent toujours « le même plaisir ».

Mon écriture devenait de plus en plus illisible : « As-tu été un faux gaucher contrarié ? » « Merci pour ta lettre de la St-Jérôme, tout à fait lisible ». Il se demande pourquoi mes F majuscules s’écrivent exactement comme des digammas : « Quelle est cette fantaisie scripturale ? »En revanche, ami Kosta, j’ai dû recourir à la loupe afin de décrypter un « Anus » incongru : ce qui donne « j’erre SANS (et non pas « Anus ») pouvoir exprimer ma bile noire »


ILLUSTRATIONS ET PHOTOS

Parfois, pour faire joli, je joins à mes lettres un cliché de mon cru. Par exemple, un confessionnal croisé au détour d'un transept.

Le 10 mars 2056, une magnifique photo fut prise par déclenchement


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Kosta MAVROS



retardé. Il m’en reste une photographie. Je le dépasse. Il présente des traits raffinés, aux yeux fendus magnifiques. Je montre mes dents, mes yeux hallucinés de flash, ou de peur, en rajoutant peut-être. Kostas exprime une immense tendresse, un intense charme félin. Et moi l’effarement sur un sourire outré. Ce fut ainsi commenté :

« Le grand singe vert et le petit singe qui n’est plus vert saluent Madame C. le 10.03.2056». Le tout signé « Bernard » et «Marcel », prénoms disparus.

En revanche : « Putain ! apprends à te servir d’un appareil photographique ou alors jette le tien » - quelle horreur ai-je pu envoyer ?


INFORMATIQUE

« ...qu’as-tu besoin de ces modernités pour dire le peu de choses intéressantes que tu as à dire ? » -Moi, je me passe d’ordinateur, tout est dans mes circonvolutions » « À quoi servent » disait-il « toutes ces mécaniques ? » Réponse : d’un seul coup de doigt, je viens d’effacer plusieurs pages de mon hommage. Bien fait.


ISLAM


Kostas m’envoie, recopiée de sa main, toute une litanie antimusulmane, inspirée du fameux poème de Brecht : « Quand ils sont venus arrêter un communiste, je n’ai rien dit... »

« Quand les islamistes ont puni de trente-neuf coups de fouet un de leurs coreligionnaires qui n’avait pas respecté le Ramadan je me suis tu car je fais moi-même un régime alimentaire strict. » Ironie féroce. Assurément, nul ne soupçonnerait chez lui de tels relents de malpensance. Tu n’en avais qu’au fanatisme et à ses suppôts. Sourates, n°4 verset 38 : « Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci », A égale A - « ...et



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parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes » - en prenant la conséquence pour la cause. « Pourquoi pleut-il ? - Parce que le chien est rentré trempé ».

« Elles conservent soigneusement pendant l’absence de leurs maris ce que Dieu a ordonné de conserver intact ». Il me semble que l’on peut aussi trouver cela dans la Bible ou le Talmud. Démolir les religions en se référant à leurs textes saints est inepte. Ils sont tous ineptes. Plus inepte encore est le fait de les triturer à l’aide de considérations historiques ou contextuelles : à ce compte, n’importe quel exégète autoproclamé peut leur faire dire n’importe quoi, y compris le contraire.

« Je continue à ne pas choisir entre les frères ennemis Israël et Ismaël. S’ils ont envie de se massacrer : moins il y a de cons, mieux le moins con prospère ». De même, pourquoi protester contre le dynamitage des Bouddhas de Banyan ? « Je ne suis pas bouddhiste ». Là-dessus, certaines se sont indignées du fait que personne ne s’indigne, plutôt, du sort fait aux femmes en pays taliban. « Mais les femmes, ça se remplace ! » Un peu comme si, devant la crise du commerce porcin, une abrutie venait accuser les éleveurs de ne pas s’indigner des viols de fillettes.

Les fanatiques vont jusqu’à interdire le jeu des cerfs-volants, mais « je n‘aime pas les cerfs, et encore moins ceux qui volent ». Une bonne catastrophe naturelle balaiera tout cela, et nous embarquera dans un Nouveau Moyen Âge.

Souvenons-nous des séparatistes d'Aceh (Adjè) à Sumatra : le tsunami passé et le pays bien repassé au rouleau, les musulmans ont déposé les armes, spontanément, pour demander du secours... au pouvoir central. Oui, "le Président de la République Islamique de France ira vendredi matin faire ses besoins religieux à la mosquée de Bormes-les-Mimosas, (il) ne pourr(a) que (s)e réjouir de (s)a judicieuse réserve vis-à-vis du monde islamique musulman", la rature est bien lisible. Une photocopie m’informe qu’un fermeur de 10 églises en Algérie, assimilant « l’évangélisation au terrorisme », « vient en France inaugurer une mosquée en Saône-et-Loire ». «Rendormez-vous mes frères, ça pénètre en douce » - bien entendu le maire appartient au parti socialiste.


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« Ne te fais plus d’illusions : les barbares sont dans la place (garde quelques deniers pour le burqa de Madame ») .Quant au voile : vice de raisonnement - « cette mesure (…) protège la femme et conforte sa dignité ». Autant dire que l’étoile jaune protégeait les juifs… « de plus en plus on voit du voile par-ci, par-là. Caprices de la mode : « La burqa va devenir l’habit pittoresque et folklorique de la Marseillaise » Or rien n’est plus palpé dans un bus égyptien qu’un cul voilé : nous n’en voyons pas la propriétaire, elle ne nous voit donc pas. Une de mes amies méditait déjà la disposition de ses cheveux sous le voile. Prête à se soumettre. Il y a des femmes comme ça. Et même, elles pullulent.

Les allusions détestatives au Coran sont légion chez Kostas : « Le Coran c’est aussi con que la Bible (…) j’aime pas la musulmanerie coutumière. » Et de s’indigner qu’on pût construire à Marseille « une grande mosquée ».

Les musulmans phocéens sourient et parlent le français sans le moindre accent. Kosta parle peu des juifs, mais les mettrait bien dans le même panier. Tu entres dans un bar et tu demandes un « gin » ; aussitôt dix têtes se lèvent : « Quelle taille ? » Mon pote, mon pote, perchè sei morto ?


JEUX DE MOTS

  1. « Ici, on n’a pas de nappes « frénétiques » : ces jeux de mots, chez moi pléthoriques, ne sont pas rares sous sa plume. Et mes propres « élucubrations » ne sont pas toujours si « éculubrées » ni équilibrées. Je n’ai compris qu’à l’instant même. « Il fait froid… et je « transite »… il est transi ! huit ans de retard dans ma comprenette ! « On a « brisé » le pare-brise… et la brise passe par tous les trous ». Le jeu de mot le plus nul, les « contrepèteries les plus faciles » m’auront toujours séduit, avachi, fait du tort Hector.

« 4 Avenue Victoria » Station.Il faut comprendre.



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X

Pour ma modeste part, je me faisais souvent reprocher, avec plus ou moins de lassitude, ma constante propension à la contrepèterie, à la fois comique et lassante.

Il m’avait réprimandé de lui écrire à l’adresse de la Scie au Tas, aussi lui ai-je épargné « La Chiotte A ». « Toutefois si tu t’abstenais de faire du calembour à la con (« les cons servent à Thouars ») ce serait encore mieux, quasiment parfait. » Et d’ajouter, ce qui témoigne d’une extrême délicatesse : « Cette observation n’entame en rien mon amitié ».

x

« Pisser sans péter, c’est comme un défilé sans trompette ». Je l’ai lu en forêt périgourdine. Kostas note que « les Chinois sont analphabètes », puisqu’il n’ont pas d’alphabet. Noter ce petit chef-d’œuvre, « en parlant de Casanova » : « Le con qui soupire… »

« Je voudrais, ajoute-t-il, être immortel pour rentrer à l’Académie française », faisant ainsi, à son tour , de la conséquence une cause. De la récompense, un droit, et même, une revendication… « Heureusement que je t’ai comme correspondant qui distingue canne et cane et strauss-can » - et j’enchaîne, en traduction : « L'hypothèse de l'homosexualité d'Andersen ne semble pas dénuée de tout fondement » 

X


Il guérira au pastis, « en évitant « le Bord de l’eau » blanchâtre », par allusion à l’éditeur des éditions du même nom. Ce n’est qu’à présent, une fois de plus, que je comprends celle-là : « Ne te laisse plus circonvenir par la gente féminine »- il n’a pas dit « circoncire », mais en y regardant de près : la fente... « Circonvenir » en prend d’inquiétantes ambiguïtés…

Kostas chante « hallal claire fontaine »… « J’aime bien Desproges, même à l’unité » : reste à savoir ce que c’était qu’une « proge »… Juste avant ce voyage : « Tu vas en faire des heureuses surtout si tu commences à l’Aube pour finir à Troyes » - je


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veux bien faire l’amour à Troyes, mais c’est tout de même à 4h d’autoroute ». Parfois le jeu de mot devient subtil : « À Cambronne qui le quittait il dit « Bon voyage Monsieur du Mot Laid » - « L’a-t-il dit ? Ne l’a-t-il pas dit ? » titrait Hugo dans les Misérables. Peut-être que si, après tout, mais il s’en défendit. En revanche, « La garde meurt et ne se rend pas » est attesté par plusieurs témoignages. Voilà ce qui nous unissait, Mavros et moi, profondément : le jeu de langue, le calembour bon : « Le vieux (mieux) persiste et (se) signe »… « La cour était pleine d’ordures et le chemin de bouses ». Après un calembour bon, le Sieur Kostas renchérit : « Excellent, non ? réponds par l’affirmative obligatoirement ! » ...Quant à ses lettres, elles sont invariablement estimées par lui-même « très intéressantes ». Il me semble lui écrire encore…

« J’espère » écrivait-il « que ton scrupule caillouteux te laisse en paix de temps à autre » : il s’agissait de calculs de vessie, pour lesquels il me descendit à l’hôpital. En fin de lettre,il revient à ma « voie caillouteuse »… « J’ai bien reçu ta lettre du six (en anglais six) ». Où le langage meurt tout meurt. Au cerveau.


JUSTIFICATIONS

Combien fut-il déçu de ma défection lorsqu'il s’imagina que j'étais cerné de multiples femmes et d'innombrables fréquentations ! Il me stigmatisa pour ma fausseté, ma traîtrise et mon cinéma. Hélas ! J'ai passé ma vie à rejouer Blanche ou l'oubli, qui est le b-a ba de la duplicité. Ralentis, ralentis : la mort te rattrapera sur ses grands pieds de squelette, si vite que tu ailles. Nous laisserons tout inachevé, le vent l'emportera comme dit l’autre.


LUCIDITÉS

« Je pense que tu oublies jusqu’au souvenir de tes turpitudes ! » - pis : je les refais.


MARSEILLE

La place « Jean Jaurès » était son centre de gravité, « que nous, anciens, appelions « La Plaine ». J’y fus, y achetai deux ou trois mandarines desséchées. Là prenait racine


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la rue St-Savournien qui y menait tout droit. Kostas me parle du Boulevard Baille, « bien fréquenté malgré l’absence de putes ». Sur les volutes basses Escalier St-Charles. Flingage facile. Couteaux dans la gorge, aussi. Marseille capitale culturelle (2013). « Marseille est un port ; il convient d’y être accueillant si l’on veut survivre ». « Ici c’est la Province romaine avec des aïeux phocéens d’Asie mineure donc pas de traces germaniques ne t’en déplaise ». (hélas : « Euric conquiert la ville en 476, puis c'est Gondebaud, roi des Burgondes, qui s'en empare en 486).

En 508, le roi ostrogoth Théodoric le Grand profite (…) de la bataille de Vouillé qui affaiblit les Wisigoths, pour s’emparer de la Provence » Saletés de Boches…

Combien il eût été souhaitable de visiter en sa compagnie « la cité phocéenne » ! alors que je n’ai pas même poussé jusqu’à l’Estaque, ni au « Vallons des Auffes : une petite calanque à la hauteur du Monument des Morts en Orient, sur la Corniche.

Ratonneau, vienne de « Roto nau » « cassé maintenant » (now) - en fait, « le navire rompu », « roto nau »,. Ratonneau & Pomègues : combien plus riche que « les îles du Frioul »… Le vrai Friûl, c’est Udine, Trieste. Mais le « frieu », en provençal, est le détroit séparant les deux îles, avant qu’il ne fût aboli par la digue Berry en 1822. Je n’apprends rien aux Marseillais. Gloire à Gaby Deslys, bien oubliée, « meneuse de revue », dont le tombeau (1920) serait marqué par une croix, sur un îlot « frioullaire »).


MISANTHROPIE

« ...Je m’étonne que tu puisses découvrir la méchanceté humaine et sa monstruosité surhumaine » - entre bourreau et victime, il est « double » et varie selon les circonstances ». Double, et « mixte ». Et la méchanceté ne se situe pas dans l’infra-humain,  mais dans une région supérieure de réalisation où n’atteignent que Dieu, la Kabbale et Nietzshe, Par-delà le Bien et le Mal.

« Je vois que tu apprécies toujours autant l’humanité » : Vastes horizons… « Évite aussi les ploucs qui font chier » - inenvisageable et perpétuelle perquisition... De toute


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façon je m’emmerde avec qui que ce soit, passé 20 à 35mn. Devenant ainsi largement aussi chiant moi-même. « Pourtant » m’écrivait-il, « la misanthropie que je pratique est déjà un signe d’intelligence, non ? » Ajoutant, un peu plus bas : « C’est con mais je ne m’entends pas avec les cons ! »

À présent je sais qu’il me faut une classe dont je sois le prof. Un public, contraint. Seul rapport humain que je conçoive. Et voilà pourquoi je n’ai jamais voulu entendre parler des fouilles et recherches linguistiques de Kostas : il aurait inversé le schéma, et j’aurais dû à mon tour apprendre quelque chose. Honte à moi.


MODE

« J’adore les défilés de mode c’est grotesquement futile ».

Ce déhanchement des défilés fut déjà repéré par Jean Genet. Il correspond d’ailleurs à la courbe du bassin féminin, et je l’ai parfois observé dans la rue. Les filles lancent les jambes de côté pour courir ou pédaler, leurs poignets s’écartent en tournant. Quelle perversion peut mener au mannequinat, ce réservoir de gouines aménorrhéiques … ?

Un soir nous avons vu à la télévision un quarteron de vieilles peaux devant recevoir Dieu sait quel Président, et se choisir les robes en caquetant. Et Kosta de brailler : « Allez vous cacher bande de guenons, vous êtes vieilles, vous êtes moches, même en Dior vous êtes à gerber »


MORT

Nous ne parlons pas de la mort ; mais du néant ce qui est tout à fait différent.

Quand il nous a quittés, il m'a hanté deux jours. Sa mère avait fait 95 ans. Je lui disais : « Ça te donne de l'espoir ». Il me répondit un jour « J'abrège » en me tendant son paquet de clopes. Je n’en ai pas repris. Les choses n'ont pas traîné. Tumeur, chute sur l'arcade sourcilière, et le soir même, l'hématome obstruant la parole, il devint aphasique. Puis il passa la main sur son visage, « comme s'il demandait que je lui ferme les yeux » me dit sa veuve au téléphone. « Il a toujours été très amoureux,

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jusqu'au bout. Je le sentais me serrer la main. Il s'est éteint aux urgences. »

Elle avait des sanglots dans la voix, je répétais oui sans pouvoir interrompre ce flot pressé de confidences – à la fin de sa sieste, Victoret Guingois, son héros « ne sentit pas la nécessité de se réveiller » « Les funérailles ont eu lieu le » (tant ), avait-il rectifié sur le faire-part - à St-Meyreuil, son village natal, au-dessus des vieux bassins fermés en 2003 où son père avait travaillé. Kostas était sorti du puits à 16 ans pour ne pas mourir comme les autres. Il n’aimait pas en parler : « Ce n’était pas marrant ». Ma liste des allongés s'allonge. Onze la même année. Ce frère qui meurt de sclérose, ce chien qui tombe. Qui se fendra d'un article à notre mort ? Depuis sa barque, Dante n’a repêché personne, les ombres dérobées sous ses doigts tandis que le nocher Kârônn monsieur Busnel, Kârônn, pesait sur sa rame, et non pas Charon. Barbare.

MUSIQUE

La douleur de disparaître poignait profondément mon ami : contemplant de l’œil et de l’ouïe « un (vieux) pianiste virtuose », il s’est retrouvé en « grande tristesse... » « Malgré son grand art il disparaîtra… à un certain degré de virtuosité on devrait devenir immortel... » - espérance proclamée par Hugo à l’enterrement de Balzac devant de tels cercueils, comment ne pas croire à l’immortalité - « et comme l’espérance est violente ». « À 86 ans » disait Kosta « je ne parviens pas à me persuader que tout ça, moi, je vais disparaître ».

Bonne Mère, Sainte Nature, qui nous aveugle à bon escient !

X

« La musique et la danse, Messieurs ! » ...La musique et la langue... Kosta polissait la langue à la gouge, jusqu'au fluide absolu.

Le quatuor se rassemblait le mercredi. Qui n’a pas vu en haut des marches la pantoufle de Kosta battant la mesure ignore ce que c’est que la tendresse. Le cœur du

monde en vérité battait au bout des charentaises de Kosta. Les musiciens s’asseyaient dans le petit salon ciré, en haut du perron d’intérieur. Se joignaient à eux quelquefois une ou deux dames, qui n’étaient pas ( disaient-ils) « au niveau ». L’une d’elles avait perdu son fils dans un accident de la route ; était-elle « au niveau » ?

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Le 21 juillet Kosta m’informe : « Hier je n’ai pu aller écouter ma fille (altiste) dans le quatuor qui se produisait à La Ciotat ; heure trop tardive et je n’étais pas rasé ! » - Kostas offrit à sa fille (opéra de Toulon, prof au Conservatoire et Médaille d’or) - une enfance de musique. « Je me félicite d’avoir été si directif, si autoritaire… » - éduquer un enfant c’est le contraindre, le dresser, le redresser encore. « Mon fils s’est insurgé » (devenu surgé) « mais il fait du banjo-mandoline avec art et avec plaisir » « Mon train-train et mon crin-crin ».

Le quatuor interpréta L’Alouette de Haydn. Plus personne ne joue cela. « Ici on joue encore du classique ». « Dimanche j’ai joué du Mendelssohn en quatuor chez des amis festoyants et mélomanes ». Où se sont incarnées les notes de Kosta ? « Papa, où va-t-on après la mort ? - La vie, c’est comme la musique ; quand ça joue, il y a de la musique, et quand ça ne joue plus, y a plus de musique » - simple et cruel.

Kostas jouait à présent un quart de ton trop haut. Personne n'osait le lui faire observer. « Un violoniste au sein d'un quatuor où on ne doit pas s'ennuyer » ! dit le journaliste. Non. Les quatre musieicns ne s'ennuyaient pas. S’inclinaient avec le grand sérieux des amateurs sur des partitions allemandes ou danoises. J'ai encore sa voix dans les oreilles - « mais non Colligne, je ne joue plus de violon, depuis plusieurs mois ». Ils ont répété le quintette de Schubert joué juste avant sa mort. Pour une soirée à Aubagne. Ce petit groupe jouait infiniment mieux que les grotesques de ma fac de Lettres où les violoncellistes raclaient à même le bois.

Kosta caressait « l'idée d'écrire un quatuor (style contemporain). Ce qu'il eût fait s'il t vécu cent ans de plus ; car on ne peut décemment décéder sans avoir parcouru la totalité de la sphère humaine. Alors nous serions Dieu. Alors il n'y aurait ni enfants ni enfantements. Alors nous serions morts.

Il m'était venu de lui vanter l'épinette de Jean-Benoît, il en vint à m'écrire "J'aime l'épinette, le pianoforte, le clavecin (bien ou mal tempéré) mais aussi dans la série des vents : le sarussophone et l'ophicléide en si bémol". Je connais l'ophicléide, ou

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"serpent à clés" ; mais le sarussophone ? de « Sarrus » et Gautrot. Le petit quatuor de Kostas faisait disait-il à présent dans la "cacophonie pour cacochymes éclairés". Plus tard : « la prestation du quintette de Schubert à 2 violoncelles a été fort honorable (1er mouvement... »).

L’un des participant ne me saluait pas, car « il m’avait déjà vu », oui, camarade, il y avait un an de cela. Peut-être pourriez-vous, indécrottable Perpignanais ! me serrer la main une fois l’an ?

X

Mozart se reposait-il de faire de la musique en faisant de la musique ? « J’ai de la musique de Mozart écrite pour cette formation restreinte : des trios-sonates d’église (qui n’ont rien de religieux). « C’était écrit pour meubler les temps « morts » des services un peu chiants ». « Le 8 nous reprenons la musique avec ses dissonances tolérées… et dire que cela nous plaît ! »- assurément ; soyez fiers de maintenir une tradition bien perdue : « toujours musical les mercredis matin, et j’espère que tu me viendras voir ». Lorsqu’ils avaient bien répété, ils se produisaient chez tel ou tel. Dans un parc abandonné. J’ai assisté de loin à cet estompage progressif : mais le public français est un public léger. Selon les préjugés. « Avec les « vacances », mes violonneux laissent mes cordes au repos » - un seul « n », Kosta, un seul « n »…

« Tu pourras assister le 7 à notre reprise musicale après une longue abstention de dièses et de bémols » - et d’une année sur l’autre, plus rien. « Mon violon est resté muet, muré dans sa boîte en attente de la reprise harmonique ».

« Je ne suis pas chanson, j’en ai même la sainte horreur (« art mineur ») mais on m’a fait chanter ( Au clair de la lune et J’ai du bon tabac ) » . Il ne sait et n’estime que L’internationale. Sacré mao.

 Gainsbourg « en fait un peu trop » - j’ai jamais pu le supporter, c’est une caricature d’artiste chantonneux ».… Gainsbourg marmonne. Sans leurs arrangements, ses textes seraient plats : « petites pisseuses » est la chose la plus

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dégradante que j’aie pu entendre. Autre exécution, Armand Mestral : « Je n’arrive pas à croire que nous fussions si cons dans la mélodie sirupeuse » - « Je ne connais point de chansonnettes, je ne les ai jamais aimées : c’est bon pour les borderlines aquitains » - « Johnny n’est pas mort et Dieu n’aura pas encore son âme noire ».

Au rebours de l’engouement contemporain, Kostas estime que « la musique de la Renaissance, puis le baroque, deviennent vite emmerdants… « c’est de la palinodie musicale » - dès que l’on n’aime pas une musique, on décrète que c’est « toujours la même chose ». Même le didgeridoo, vieux de  40 000 ans...

Quand donc eut lieu l’ultime réunion des vieux musicants ? ce fut aussi émouvant que la dernière diagonale dansée de mon Arielle, rue David-Johnston. La vie est peuplée de dernières fois.

J’ai assisté à plusieurs de ces concerts privés. Bouleversé d’une émotion contenue « Ce matin, mercredi, quatuor « passable » de Mozart, c’est jouable pour les amateurs éclairés ». « Mozart c’est de la quintessence musicale, il fut touché par la grâce, tandis que Beethoven en fut accablé ».

« Le mercredi musical se fait sans auditeur… nous gardons nos fausses notes pour nous ! » Je suis le dernier témoin. Tout s’est espacé au gré des vieillesses. Poursuivez-vous de loin vos morts successives ? Et pour l’éternité bat désormais pour moi la pantoufle héroïque de Kosta, battant la mesure, fidèle, sur le carrelage.

Depuis toujours la catastrophe plane au-dessus des têtes. Un jour brûlera le dernier violoncelle. « La musique est en congé jusqu’en septembre, je laisse reposer mon violon » .

OBSCURITÉS

Ses activités politiques auraient pu être enregistrées sur un « pedigree enregistré par la DST, ou les RG, ...bref le ministère de l’intérieur ». Et comme il me confiait « des choses que ma femme elle-même et mes enfants ne connaissent pas », j’aurais mauvais esprit à dévoiler ce que je ne connais pas. Mais ce petit homme doux devait sembler aux Asiatiques le parfait modèle d’agent indécelable. Nous sommes tous complices de choses sombres.



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(Mes) ŒUVRES

"Mes", "Nos", "Ses" : juste l'ordre alphabétique…

Maintes jeunes filles écrivent ainsi, entre deux fébriles branlettes, de ces

consternants romans peuplés d'homosexuels aphones, tournant leurs verres entre les doigts comme chez Françoise Sagan.

Mon Œûvre tiendrait en maints volumes. Elle serait purgée de ces irruptions de calembours qui suffiraient à barrer le chemin de ma Notoriété. Mélancolie qui m’étreint. De marchandises.

. "Je continue à espérer le volume 2 narrant des banalités à qui tu sais donner de la truculence" - hélas oui, je n'ai jamais rien vécu d'autre...

"Hé bien 43 pages de digest en trois mois ! Que faisiez-vous donc le reste du temps ?" Nous en étions encore à nous vouvoyer. En ce temps-là je travaillais aux Éditions du Bord de l'Eau. J'y investissais, je vantais "les rapports ou contacts humains". « J’attends », m’écrivait-il, « ta dernière défécation littéraire ». « Ne cède pas au découragement » - « moi, je me relis avec délectation ». Actuellement, tous mes romans, tous mes textes sont en réfection, au radoub,

Kosta sentait pour moi une estime peu méritée, comme toutes. Nous nous sommes confié nos échecs, qui sont autant de victoires, selon le principe du verre à moitié vide ou à moitié plein.

Je lui envoie Hispaniolades, qu'il trouve « bien écrit » et « intéressant ». Nous autres petits tas de terre. Si heureux d'attirer l'attention des petits tas voisins. « Écrire sur des personnages, amis ou parents, est un périlleux exercice » : ainsi dans Orlando le poète reçu, hébergé, nourri, s'est-il échappé de l'accueil de son hôte, comme une vipère de son sein. Il ne sera jamais plus reçu là, ni ailleurs. D’un autre côté, même Chateaubriand a déformé son père, le présentant comme tyran domestique.

Vargas-Llosa rappelle que le premier signe de l'acte véritablement littéraire est la transposition. « Vous avez un sacré talent, et j’enrage de vous savoir ignoré ». J’avalais ce miel avec volupté. « Pourquoi ne sommes-nous pas éditeurs ? » - voilà bien



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de cette naïveté d’adolescents extrêmes qui se flattent l’un l’autre, en renvois d’ascenseur ? Loin au-dessus de nous planait Pégase… Il me proposait de « tirer un n° 76 du SV », de « faire un encart pour tenter de vendre ce tome I », pauvre de nous ! Il rédigea une préface, que j’ai conservée. « Je ne sais par quel hasard un « texte » d’un hurluberlu, se prétendant simiesque et verdoyant, est « tombé » sous mes yeux » (malgré nos efforts, il nous fut toujours impossible de nous rappeler à quelle occasion postale nous avions pu nous connaître).

Kosta me fait parvenir une note pêchée sur la toile : « mais comment fais-tu pour être aussi célèbre ? » Il signe : « Bien humblement ». Il me donne de l’écrivain, qui n’était pas « banal maniant la plume masturbatoire ». En effet, « passé le choc des premières phrases assassines », il semblait que j’avais « à dire ». L’aigreur marque une grande mesquinerie, dissimilant mal une peur que nous portons tous  : celle du manque de respect. Kosta fustigeait ma « connerie », tout en la jugeant « jubilatoire » : il n’est pas déplaisant tout compte fait de tartiner sa petitesse à longueur de paragraphes.

Deux vieilles dames, à qui j’avais confié mes « Singe Vert », allèrent jusqu’à me reprocher un certain conformisme, parce que j’étais « contre », comme tout le monde – fallait-il donc que je rédigeasse un catéchisme paroissial ? Et Kosta dans sa préface fustigeait« notre « déliquescence intellectuelle aujourd’hui cornaquée par des pédants fourbus » Merci, ami Kosta, pour cette préface qui croupira parmi mes kilos de chefs-d’œuvre.... « Il suffisait d’un seul lecteur pour qu’existât un écrivain ». Voire zéro : un « psy » m’ayant un jour déclaré qu’un écrivain sans lecteur n’est pas un écrivain, j’aurais dû lui claquer la porte non plus, un psychiatre sans client n’étant pas, non plus, un psychiatre. « Je suis ce lecteur… et je n’en rougirai jamais » - c’est trop, c’est trop - il m'en écrivit pourtant des vertes et des pas mûres ; qu’il m’aurait suffi de l’avoir « réellement voulu » pour être un autre Descartes…



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Il m’apparentait à Céline (« que j‘apprécie énormément »), prose « faussement « déjantée » qui convient exactement à la vitupération exaspérée ou amollie » - « la fureur d’écrire, mais insuffisante » (Nadeau). « Oui tu as le verbe biscornu, ce qui te place dans la liste des futurs académiciens à bicorne ». Il déplorait que je n’eusse « pas eu la chance (l’opportunité) d’être remarqué par un éditeur professionnel ». -à présent la messe est dite. « Qui connaissez-vous ?» - là est le sésame. "Bien à toi. Persévère et même persiste, c'est le secret d'une hypothétique réussite".« Par contre, ajoutait-il, je n’ai pas aimé la « comédie dramatique » à laquelle je n’ai rien compris. Suis-je obtus ? » - non. Il s’agit de Gygès, qui voit la reine toute nue et tue le roi.

Plus tard en revanche, Kosta s’étonna que je m’étonnasse « du refus de [m]es manuscrits. Tu sais très bien qu’il te faut des introductions ! » Et d’ajouter : « Le fait que tu me fréquentes ne peut qu’ajouter à ta renommée. « … ce n’est pas une honte d’être haut placé » - «...à présent dirige ta lampe frontale vers l’intérieur de tes cervelles... »

(NOS) ŒUVRES

Nous n’avons guère nourri d’illusions sur la transmission de nos œuvres, isolés que nous étions, incapables de dépasser nos propres limites : nul ne peut écrire que ce qu’il est. Il me fit parvenir, deux ou trois fois, un atroce dessin humoristique, aux traits épais, figurant un écrivain de banlieue, sur le pas de son rez-de-chaussée, braillant au pied des tours : « Vous pouvez toujours venir me chercher avec votre Goncourt ! »

Et par la porte ouverte s'entrevoyaient sur trois niveaux d’étagères les dossiers ficelés de toute une vie, quarante épais manuscrits d’autant d’années de labeut courbé sous l’abat-jour de bureau, flambeau farouche et domestique du forçat des lettres. Et moi d’éclater de rire jusqu’aux larmes.

« En un sens je te félicite pour mener de front l’écriture et la pensée… tu penses donc tu écris… moi j’écris pour penser »



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Ses écrits m’ont souvent paru demi-teinte, et les miens, dépourvus de tout soupçon d’ébauche de structure. « Ou alors je devrais commenter ma longue vie en enjolivant ou cauchemardisant mon (long) passé ».

Sens des convenances ou turlupinades nous figuraient une confuse parenté avec les grands esprits : « À présent je cours entre mes débris, je trie mes papiers froissés."

J'espère que ton "don du ciel" se perpétuera dans le second tome de tes élucubrations philosophiques, plus philosophiques qu'élucubrées". Merci encore. "J'espère que la chaleur n'a pas entravé tes cogitations et tes mesquineries". Amen.

(SES) ŒUVRES

"Personne n'en veut". Nous sentons déjà la poussière. "Je crois que je ferais mieux de faire des frasques comme un vulgaire bordélique" – un Bordelais. Je discerne à présent les arrière-plans aigres-doux des "prouesses" et de l’ "indécent étalage" qu’il m’attribuait. Il signait "Mestre Capéou", d'une comédie qu'il avait écrite. Il appréciait mes commentaires sur ses Contes ésopiques  et autres élucubrations. Quant à mes « émerveillements », ils l’étonnent. Il sait bien que nous nous flattons l’un l’autre - apparemment j’avais déjà déversé sur sa gloire mon « pesant de pesante ironie »…

Le 15 01 60 je reçois une belle photo posée de mon Kosta, illustrant un entrefilet : « Kosta M. élu à l’Académie des sciences, lettres et arts » de Marseille. Il figure appuyé sur son coude gauche, en veston clair. Il joue comme j’aurais fait la fausse modestie, mais il rayonne de distinction : Marseille, capitale culturelle… Il eût bien aimé se faire reconnaître. Nous sommes 600 000 en Gaule à vouloir tenir sur le Mât de Cocagne. À quatre-vingts ans tous deux nous attendions encore la consécration. Nous nous foutions de nos propres gueules, ce qui rapproche.

Il me semble l'entendre d'ici « arrête-toi de te battre les flancs sur mon dos », de sa voix douce et traînante. Il écrivit Les contes d'Aubagne. Si peu de bagne et bien plus

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d’aube. Il en avait écrit les contes. Bien présentés, bien illustrés. Il compoea des « pamphlets, maximes, texticules et diverticules, tissus de finesses échappant aux bazookas ». Je lui délivrais des « satisfecit », qu'il relisait « avec délectation ». Ne pas oublier que bien des auteurs ne survivent que par une seule œuvre, un seul quatrain (Manon Lescaut). Au mois d'août, sa dactylo se reposait « dans la chaude garrigue montpelliéraine ». Et par 35°, au frais, il relisait ses œuvres, qui ne résistaient guère « à une relecture critique »

C'est par le mot « humain » que je qualifierais le plus volontiers Kosta. Il s'est même livré à l'humilité (sans s'humilier) de solliciter auprès de moi mon éditeur » pour le cas où il voudrait le publier « en tirage modeste », moyennant « une participation 'convenable'… « Qu'en pensez-vous ? Qu'en pense-t-il ? » Lisez aussi Dieu hait les rites, du gros Poulain de Marseille, décédé. Une autre grande voix humaine - un livre, une voix, une mouche, un soufle. « Je me demande bien pourquoi vous me flagornez fort courtoisement certes mais de manière exagérément appuyée ! » Pour me flatter moi-même...

Il m'aurait vexé de me flatter en retour. « Faites donc l'intéressé ! Y a que cela qui rapporte. » Bien travailler l'arrondi des yeux, bien forcer l'étincelle pupillaire…

« Comme tu oses taxer  d’inconsistance», me dit-il, « mon écrit, je me contenterai de te livrer une sensée réflexion ». Mais tout de même. Il eût aimé. Et moi donc. « C’est peut-être con mais c’est ingénieux à défaut d’être génial ».

Il n'avait pas de lecteurs. Si peu. « Mes lectures préférées sont celles que ma plume fertilisante imagine ». Imagine-t-on modestie plus grande que cette humble reconnaissance de fragilité. « J’adore les louanges », écrivait-il. « Ne te prive pas de me louanger ». Nous sommes reflets et poussières, tenues entre nos doigts de sable. Kosta possédait au premier degré cette humilité simple. Aux croisements brumeux des allées de cimetières.

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Il me conseillait doucement, sensible à nos deux vanités. Il approuvait mon désir de tout bien condenser, d'extraire le meilleur de mes Singes Verts afin de réjouir « les esprits tordus ». Il m’a signalé quelques amis dignes de recevoir le Singe Vert. L’un d’eux me reste à Maurice. Lui aussi écrit. Lui aussi, de son mieux ; il régale de fables fades ainsi que nos écrits à tous. Kosta : « Où en sont vos œuvres littéraires ? essayez de râler par écrit pour m'associer aux flots de votre fiel ». Toute sa vie on espère la gloire. Et quand on la tient : ' »Si j'ai enfin dans les bras la femme que j'aime – que vais-je en faire ? » À peu près Stendhal.

Aznavour, Juliette – les autres, non –un seul titre qui flambe, et l'incendie se propage ; ou 25 ans sous la même dalleau, de fervents admirateurs, sans issue, sans le moinde soulèvement de couvercle.

Kosta relisait ses œuvres, hochant la tête et n'en pensant pas moins, retenant ses attendrissements, avec méthode et Méditerranée. « Que lis-tu ? » demandais-je parfois. Il répondait qu'il relisait ses œuvres avec indulgence, là où Goncourt (Edmond) tutoyait la folie. « Ce sera mon Goncourt à titre posthume ».

« La très docte Académie marseillaise », écrit Cornille, lui avait décerné « le Prix du roman » pour son Victoret Guingois. Même pas édité. Lu attentivement et classé sur mon étagère. Il était fier de sa nomination, sans se laisser prendre. Non, cette œuvre n'était pas un « tourbillon de récits d'aventures », mais une biographie circonscrite aux confins de Perthuis et des Bouches-du-Rhône. Refusée par les réseaux éditoriaux. « Oui, j'avais (par fausse modestie) [oublié] de vous dire que le 3 novembre j’ai reçu le prix du roman décerné (en grande pompe ) par l'Académie de Marseille au Palais du Pharo » - c'est ce qu'il faut aux vieux, « une (petite) célébrité (très locale) ». Il fut approché » pour concocter « un scénario télé-cinéma » ; la chose ne se fit pas. Le journaliste, Mikhaïlos Kornilopoulos, n'y va pas de main morte. Il parle de « grands




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éclats de rire , et de bons mots à déguster sans modération. « T’ai-je envoyé Un Prince de Clèves » ? C’est l’œuvre, m’as-tu dit, qui te représente le plus : la Princesse refusait de coucher avec son amant - cette prétendue grandeur, que l’on réservait aux femmes, il l’a étendue à lui-même - il existerait donc des hommes qui renonceraient à des femmess ?

Il écrivit encore à 81 ans, « en [s'] inspirant (de très loin) d'Ésope » . Il signait "Mestre Capéou", du titre d'une comédie qu'il avait composée. Ses Racontars ésopiques étaient des ragots de bourgades, dont tous les héros portaient des noms helléniques, à l’instar des Arnolphe, Alceste, Philinte, Argon, Orgon ; Ésopoulos, Aristote, Ariston… X

Ce n’est ni dans l’intrigue, souvent convenue, ni dans les dénouements qui ne le sont pas moins, que nous devons dénicher Kosta. Mais dans le parfum de ses mots, dans les « subtiles fragrances », souffles de présence. D’autres auteurs composent « sous la rage ». Ces derniers dit-on possèdent plus de chance de toucher. Voire… La fureur d’écrire ne suffit pas. Penser qu’à octante piges Kostas en était encore à se demander quel était « le mécanisme administratif à utiliser » pour s’improviser « auto-éditeur » ! ...nous entonnions de bien sempiternelles rengaines, les ultimes «chants du cygne de l'aigreur »...

J'émettais sur ses lignes des opinions édulcorées, me jugeant bien supérieur à lui, zn toute réciprocité sans doute. Et s’il suffisait de hanter les homosexuels friqués de la Rive Gauche, mon Dieu, quel engorgement… Je ressens à présent son premier degré mal digérés sur mes "prouesses" et mon "indécent étalage".

PEINTURE

Son épouse peignait très bien au couteau, dans une luxuriance de détails, par touches de truelle habilement superposées. Elle avait peu à peu contacté à Chypre les






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ténors de la peinture à l’huile. À 70 ans elle cessa de peindre. La mienne poursuit, avec

des fortunes diverses. « Continue ta peinture, m’écrivait-il, je ne te connaissais pas ce talent artistique » – sans doute celle de mes volets ; mon voisin m’appelant «Picasso », j’ai répliqué « Non, Rembrandt ».

PÉNÉTRATION

Kostas était diplômé en psychologie, au temps où les débouchés s’offraient. Il me recommandait d’éviter à youde me garder de « la fausse autodépréciation dont tu uses et abuses ». Je lui disais : « Je ne dois plus avoir de secret pour toi ». Il me laissa croire que si.  Il se demanda si je n’étais pas hypocondriaque – il faut croire qur si. « Les hypocondriaques ont le droit d’être malades eux aussi ! Parfaitement ! » glapit un vieux ronchonchon alité à sa femme qui remporte intact le plateau repas, dos tourné, menton revêche.

PIÈCES JOINTES

Parfois, il joignait à ses lettres, ou m'envoyait par précieux paquets plats, des brochures burlesques et rares, sur L'art de chier, ou la meilleure façon de fouetter les femmes. Jusqu'à ce Traité des pets, où je découvrais la saveur rabelaisienne des apocryphes des siècles passés, avec ces fameuses « s » hampées au parfum de gothique, affurément, fans difcuffion poffible. Et je me délectais de ces scabreuses naïvetés d'antan.

Il n'y avait qu'avec moi qu'il pouvait exhiber ces graves enfantillages - en ses toutes dernières années. Il voulait « exciter » ma « plume du paon ». Je suis loin d’avoir tout lu ; j’y aurais peut-être moins perdu de temps que je l’eusse craint.

Dans un courrier d’octobre 11 (n.s. 58) je redécouvre une pleine page du Figaro, portant sur le foie, sur le rein. Passée ma crise d’urémie bénigne, j’aurais dû le lire





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attentivement. Le criseux « type » est un mâle quadra-sexa qui bouffe trop et boit trop peu. Je reçois, orné d’un petit collant rose fillette, une note on ne peut plus pertinente de l’Académie française : le masculin est dit « genre non marqué » ; « 5000 habitants » vaut pour les femmes aussi bien que les hommes. Le féminin est « genre marqué » : cela signifie qu’il n’a pas valeur d’universalité. Si vous dites « celles et ceux », vous citez les femmes deux fois, car elles sont également comprises dans « ceux »…. « L’opposition des sexes n’est donc pas pertinente »

X

D’une photographie : « Par quel malin pouvoir as-tu pu me rendre aussi horrible ? » Parce que vous l’étiez, cher ami, comme nous tous. Tant de pudeur dans cette fausse accusation.

  • Il m’envoyait de ces fichettes roses, mauves, vertes, de 10cm sur 20, souplement cartonnées, idéales pour de petits mots, ne fatigant ni l’expéditeur ni le destinataire En un recto-verso tout était dit. C’était un sobre.

Il m’envoyait aussi de temps à autre « un petit texte ». « Peut-être l’avez-vous lu ? » Oui, je lisais tout. Moi aussi j’envoie de loin en loin une pièce jointe, quelques « coupures journalistiques », dont j’ai oublié la teneur… prenant beaucoup et donnant peu.

L’an 58, il m’envoya sur beau papier une page de Jules qui fut son ami, et finit sa retraite à Maurice. Jules faisait partie de la même clique d’écrivains naïfs, qui déploreront jusque dans l’au-delà de n’avoir pas été reconnu selon leurs mérites. Jules. serait un filon à creuser, pour tout connaître de mon ami mort, mais il est discret, le bougre, et bien mort lui aussi : « ...vous devez savoir / Que la réponse est double et peut vous décevoir ». Il ne faut pas que j’en sache plus.






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PLUIE, BEAU TEMPS ET BÂTONS ROMPUS

Parfois nous parlons de tout.

« Ce jour il fait un froid de canard avec un mistralet qui vous glace jusqu’au tréfonds ». « Ici pluie et mistral, je me congèle me ratatine en attendant le redoux ». Il souhaite « le réchauffement de la planète » pour assouplir ses arthroses -« alors que chez vous l’humidité atlantique évite la dessication ». « J’ai « monté » le chauffage… À La Ciotat 2cm de poudreuse et la vie s’arrête »… « Ici, calme plat ; de la chaleur (modérée), et du vent (petit) venant de septentrion. » « Il commence à faire l’étouffante chaleur propre à notre climat appelant au farniente absolu ».

Qu’en termes galants… « Ici l’été pourri jugule la canicule (tiens, ça rime!) »…

Il s’intéresse, ou fait semblant, aux ciels d’Aquitaine : « J’apprends que le vignoble bordelais a été durement touché par l’intempérie ». . « Ici très chaud, je transpire sans perdre de l’amitié pour le mérignacien de la haute époque ».

Nos bâtons rompus témoignent d’une grande confiance. On se confie, « avec bien sûr la prétention de ne pas plaire à tout le monde ». Peut-être que souvent nous n'avions rien à dire. Signe de fusion entre amis, rien ne peut se définir à l’aune du rationnel.

Nous en sommes tous là, dans nos lettres. Nous « répondons », nous sentant à la fois bien et mal ensemble : « comment vas-tu… yau d’poêle » - mais en trois sémiogrammes chinois… KM, je te regrette vraiment. Nous aurions dû aller bien plus loin. Il faut « se ressaisir ». Toujours « se ressaisir ». « Ici très beau temps reposant ». « Heureusement que vous êtes un habitué du bouge et de la bauge » . Nous en étions encore à nous vouvoyer. La connaissance passe aussi par ces points morts. « La neige a fondu ». C’était en 2003, à l’Olympe de Chypre…





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La Ciotat, Marseille, furent atteintes… Z me parle du hongre, « cheval châtré » ; il me conseille d’éviter ce traitement, « car cela mettrait tant de pleureuses en branle » - « Je néglige mes broussailles, évitant ainsi les mauvaises rencontres naturellement funestes ». Plaise au ciel qu’il ne s’agisse que de jardinage. Et ce 22 juin de l’an jadis dix, il enchaîne de l’accentuation grecque aux matches ratés d’Afrique du Sud, achevant par ceci : « Sais-tu que pour un Chinois il y a beaucoup moins d’étrangers que pour un Français ? Tu t’en fous ? T’as bien raison, moi aussi ».

Donc, nous nous donnions de ces nouvelles de remplissage aussi nécessaires dans une correspondance que le « tissu conjonctif » de la matière grise : Pour la chaudière, restez couché jusqu'au dépannage. Sur le vent : « Je n’ai pas vu de rafales précipitées… on exagère toujours un peu ça fait partie du folklore provençal ». Sur les oiseaux, toujours absents du ciel ciotaden : rien sur les hauteurs, pas le moindre pépiement. Phénomène inexpliqué…

« Mon Dieu, que  ma prose est con ! Que Dieu me pardonne et toi aussi. » L’occasion me fut même donnée de lire une des ces formules qui traînent chez les épistolaires : « Je t’écris juste pour le plaisir de t’écrire ». Ce qui donne, chez l’ami K.M. : « Je t’envoie ce petit mot pensant que tu n’avais rien de plus intelligent à lire ! »

« Actuellement », m’écrivait(il, « je me fais chier avec des problèmes domestiques et pannes électroménagères ». « Tout va pour le mieux malgré des problèmes de plomberie et de débouchage d’un tuyau d’évacuation avec facture salée ad hoc ». Même les grands hommes ont des soucis de grille-pain. On vit banalement, on meurt banalement. Avec « deux climatisateurs » « je me régale en me refroidissant ». «L’installateur « est en train de travailler en maugréant, grommelant, tempêtant contre l’inventeur, le vendeur, le concepteur de cet engin appelé communément chaudière ». Merci d’avoir possédé une chaudière, d’avoir crevé de froid, d’avoir été un humain parmi d’autres.





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POLITIQUE


Jeune, frais, tampon du Comité de Libération des Bouches-du-Rhône. Gloire et Pagaïe ! « Citation de reconnaissance de la nation ». « Moi je n’ai pas fait le service, puisque je suis ancien combattant, malgré mon jeune âge ; [17 ans] j’ai même eu droit à une médaille ! » En 45 il reçoit une autorisation de port d’arme. Il me l’a montrée, son arme, dans son écrin rouge. « Range ça » j’ai dit. « La vue même d’une arme à feu me rend malade ».« Quand on cesse de vouloir épater les gens, on a fait un grand progrès ». De qui est-ce ? Il ne voulait pas m’épater. Si l’on ne veut plus impressionner personne, à quoi sert-il d’être sur cette terre ? « Aubry-Hollande… deux guignols qui jouent à s’épater dans la banalité »…

Kostas avait viré "extrême droite". Venu de la gauche la plus extrême, et moi, du socialisme le plus pâle. Il a « regardé défiler les défilateurs politiques, pédérastes et pédophiles… et fiers de l’être ». Tous pourris. Libres ? quelle imposture ! « Je suis écœuré par la goche et la droite… Il ne me reste que quelques précieuses années… qu’on ne vienne plus me faire chier par des idéologies foireuses » : « Je ne défile plus depuis mon « dernier premier » mai (oxymoron) à Pékin en 1964 ! » La chose doit marquer l’esprit.

Depuis il s’est désolidarisé des foules assassines.

Honte d’elles.

Eux aussi, les méchants, exagèrent : « je ne suis ni juif, ni journaliste, ni américain » - je suis moi-mêmeé. À propos des Tours Jumelles : « Je ne suis pas capitaliste »

Lazarus, toi qui as le dos large, tu t’es bien réjoui, de voir s’effondrer le World Trade Center, « pour une fois que ce sont EUX qui prennent ». Les capitalistes tuent les petits enfants, oui, mais indirectement : une petite Guatémaltèque peut avoir sa





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chance, mais un trader qui tombe le long des 138 étages n’en a aucune, lui, absolument aucune, et voilà pourquoi il est criminel de mettre sur le même plan le meurtre indirect, aléatoire, et le vrai meurtre qui répand du vrai sang et de la vraie cervelle.

« Quant à l’antisémitisme, c’est finalement excellent pour attiser les neurones débiles ». Ah bon tiens. « Vote en ton âme et conscience (si tu en as suffisamment) pour ce faire. » Désabusement aussi grand que serein. « Ton vote pour Marine restera secret je te le promets… moi je vacille entre elle et Mélenchon… on verra… mon choix n’est pas encore arrêté ». « La Marine L.P. va faire un bon score ; il serait temps de savoir pourquoi ! tu dois avoir ton idée, non ? »

...Mais dans je ne sais quel sous-livre consacré aux premiers pas du maoïsme en France, K. M. observe des lacunes. Je repère Gilquin dans la liste, grand cafardeux tourangeau. Mais Kosta, n’y figure point, alors qu’à l’entendre il en fut l’un des promoteurs (du maoïsme) «...après un premier voyage en Chine sur invitation en 1964 »

« Mais qu’est-ce que l’on aurait fait de l’Inde et du Canada ?! On arrive à peine à contrôler l’île de ma beauté ! » L’Inde ? On en aurait pris plein la gueule, comme les Anglais. Pour le Canada, peut-être moins. « À Marseille aussi on parle d’édifier une belle mosquée mais il y a problème… le minaret pourra-t-il égaler en hauteur la flèche de l’église des Réformés sise au bout de la Canebière (pas du côté mer) ».Marseille restera Marseille : « En ce moment la situation est calme, la semaine dernière on a liquidé trois quidams qui étaient du « milieu » - « À Marseille c’est l’hécatombe : on vous tue pour pas grand-chose en ce moment ». « Je me faufile entre les fusillades, très « tendance » en ce moment » - « je me calfeutre dans mon repaire ciotaden… on ne sait jamais n’est-ce pas ? » Simple constatation. Peut-être son épouse risquait-elle aussi à





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Limassol, mafia russe oblige. On a tué boulevard d’Athènes, en bas de la gare. Je m’y suis parfois promené. La mort rôde. Se pourrait-il que Benbassa me retrouvât ? ...après ses deux années de forteresse ? Ne serait-ce pas ma seule chance ?


La politique entraîne les lieux communs. « Moi les primaires, comme les primitifs ça ne me concerne pas (ou plus). » Tout le monde s’étripe. Un héros d’Aragon devenu gâteux ne savait plus prononcer que ce mot-là : pris d’une envie de pisser, il réclamait le « po...litique ». Quant à Hollande, Kostas craint « qu’il ne mette le pays bas » - le président le plus nul depuis Félix Faure, dont Clemenceau disait « En entrant dans le néant, il a dû se sentir chez lui ».

X

Aucune haine chez Kosta. Il admire la culture. Il s’estime toujours assoiffé. Il lisait le Figaro, bien autre chose que Renaud - prenons pitié des alcolos qui sombrent...

Souvent mes propos seraient « apodictiques », c’est-à-dire « évidents » - Kostas se fout de moi. « Je savais que je t’emmerderais apodictiquement mais je n’ai pu résister à ce plaisir ». « Mon brave sentencieux » ajoutait-il. « Continue » m’écrit-il « à batifoler dans la connerie ».

Nous aurions eu Ségolène. La présidente se ferait admirer par de nombreuses femmes des deux sexes. Nous aurions appris à baisser les yeux en rampant. KM nota dans son « calepin » la « magnifique citation de M.F. Garraud : « J’avais cru que Chirac était du marbre dont on fait des statues ; mais il était de la faïence dont on fait les bidets ». On ne le répétera jamais assez.

En 2007, Sarkozy accédait au pouvoir. Kostas honnissait la gauche. Il avait promu Mao, et se sentait encore honteux de certaine élimination. « Je te confie des choses que je n'ai jamais dites, ni à ma femme, ni à mes enfants ». Le dirais-je qu'ils ne me croiraient pas. Non, Kosta ne voterait pas « Grossetête ». madame. De l’UMP. Un jour,

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« nous n’aurons plus la Le Pen pour nous défouler politiquement… on fera sans... » Voilà comme il faut prendre la politique.

« Je ne pense pas à des manifs soutenant Marine. Elle sera je pense en deuxième position. Tout ce verbiage fait penser au Café du Commerce » Autrefois sur la place les hommes palabraient, et les femmes, chez elles, trimaient. Plus tard : « Hollande – le moins con de tous les prétendants me gonfle ; de plus il a l’air d’un hurluberlu ou d’un hibou réveillé en sursaut... »

« Tous les métiers sont difficiles, car obligatoires et répétitifs » – ô fertiles contestataires

Quant au Moyen Orient, « moi je ne suis pas proisraélien, ni propalestinien » - en gros, qu’ils se trucident entre eux » - comment cela, Kostas ? Gazaouis et Israéliens dans le même sac ? « À Gaza les uns et les autres peuvent librement s’exterminer ». Dos à dos ». Mage. « Bien sûr je regrette, écrit-il, qu’on ait brûlé deux douzaines de Coptes en Égypte… ils deviennent si rares qu’on les devrait ranger parmi les espèces à protéger ».

Mais pourquoi juifs et musulmans dans le même panier circoncisionnel ?

N’ayant aucun goût pour les débats persuasifs, j’évitais ces sujets-. « On ne choisit pas de qui on tombe amoureux ». Certes. « Nul n’est responsable de ce qu’il pense ». Assurément. Jamais d’ailleurs je n’ai retrouvé l’auteur de cette phrase. Ne plus dire Y a bon Banania mais Y a bon Obama…

Surprendrait (ou non) ses proches sa propension à peu estimer les mouvements sociaux ou syndicaux, après avoir flirté avec le maoïsme. « Dans le temps », La Ciotat était un bastion gauchiste : construction navale. À présent, plus que des bourges, ou des vieux qui chient dans leurs couches – du moins ce dernier sort lui fut-il épargné : « De l’Europe je m’en cague, de Cohn-Bendit et de Bayrou idem ». « On continue le

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feuilleton DSK, ça commence à me faire chier sérieusement » : ou bien tout le monde le savait, et ferme sa gueule, maintenant, ou bien on « révèle » un secret de Polichinelle, et le candidat est disqualifié. C.Q.F.D.

Un certain 5 octobre, il me conclut sa lettre (un de ses rectangles cartonnés) par la mention suivante : « 60e anniversaire de l’instauration de la tyrannie chinoise ». Il ne se pardonna jamais de l’avoir servie. Mais quelle descendance veut-elle tout connaître du père ?

À Kigali, nous serions accusés de génocide : pour avoir fourni des armes. Mais nous en fournissons à tout le monde ! « Tu ne vas pas me faire croire que tu pleures sur les Rouandais qui règlent leurs problèmes à coups de machettes ? » Ne pensons pas non plus que nos écrits aient pu jamais contribuer d’un iota au massacre d’une demi-personne. « Quant à la situation internationale, je m’en fous et m’en contrefous ». Depuis pas mal de temps, je suis « un gars de la Marine »… Les descendants n’apprécieraient pas non plus nécessairement cette déclaration : « Ils font chier, les homos, à l’heure où 1 Français sur 3 divorce ». Ils attribuerait peut-être cela aux mauvaises influences de ma personne… mon Dieu mon Dieu…

« Dimanche j’irai voter « citoyen ». Le soir je savourerai le triomphe de mes ennemis. Lesquels ? »


RÉCONFORT

Kosta ou Montaigne en action (« Eh quoi ! Avez-vous point vécu ? ») - j'ai « consciencieusement rempli mon cerveau » et vidé [mes] bourses ». Voilà de quoi me consoler, moi, d'avoir vécu. D'avoir simplement rempli ma fraternité humaine. Kosta consuma sa jeunesse dans l'action, dans le militantisme. Pour ma part, j’aurai déformé, ou formé, quelques bonnes centaines de disciples.

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RELIGION

« Je n’ai jamais eu qu’un seul prix de ma vie… devine ?… Instruction religieuse : apologétique… Prix que j’ai refusé étant athée ». Il distinguait l’Ascension de l’Assomption : « la connerie a ses subtilités » - non : la religion n’est pas un ramassis de conneries – quoique sur ces deux points du dogme, le bon sens ne semble pas l’emporter, mais que serait donc une religion « du bon sens » !

J’ai connu un jeune homme à fin collier, professeur de théologie, qui « ne croyait pas en Dieu » : la croyance est placée si haut sur l’échelle de la Révélation que jamais n nul n’oserait s’affirmer touché par la Grâce - « je ne suis pas digne de te recevoir ». Notre Premier Prix de théologie donc se trouve un jour « tracassé par les limbes », ce vague espace où ceux qui n’ont point connu la rédemption christique se sont morfondus en attendant le Sauveur : « je n’avais pas conscience d’avoir péché ». Si le péché n’avait de sens qu’avec la prise de conscience, il suffirait de se voiler la face.

« Je constate (avec étonnement) que tu ne témoignes pas pour Jéhovah ». Je les ai fichus à la porte en leur disant que, de toute façon, je ne pourrais jamais résister à l’appel de Dieu ; que s’il m’appelait, j’irais, mais que pour l’instant il ne s’était pas manifesté, et que la sortie, c’était par là. Dans le quartier, autant dire que les Témoins

changeaient de trottoir en m’apercevant...

Kosta détestait tout confessionnal, et cordialement tout curé ; son héros, Victoret

Guinguois s'enfuit le jour où le prêtre lui fit des avances. L’auteur de ce roman plus ou moins biographique me fit parvenir aussi Dieu hait les rites de Gilles Poulain, volume qui devrait être entre toutes les mains. Gilles est mort et son œuvre, mal imprimée, rejoint dans la fosse commune maints volumes pourris .

Kosta me date une lettre du « trentième dimanche du temps ordinaire » : ce dernier en effet prend chez les catholiques plus de la moitié de l’année civile.

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Kosta MAVROS



Le 12 octobre 2002, 202 morts à Bali. « Je ne me suis pas indigné, n’étant ni balinais ni indonésien ». Notre protestataire non violent se dévoile ici malgré lui  : tant que « les choses » n’atteignent pas son être à lui, sa profondeur à lui, rien ne saurait le décider.

Rappelons son allergie viscérale au Coran. À la Bible également : "J'ai connu la Bible en livre de chevet à Oslo, ouverte à la page de la femme adultère car la dame qui m'accompagnait n'était pas ma femme et (...) les patronymes étaient différents !" Curé, imam, ôte tes doigts de mon slip. "Quoi qu'il en soit on est foutu par toutes ces religions à la con, à la merci des curés, pasteurs, imams, bonzes…" Il n’appréciait pas mes cartes postales de bâtiments cléricaux et autres triptyques : « Cest fou ce que l’être humain s’est complu dans la connerie ».

Cependant : « Je lis de Frédéric Lenoir Socrate Jésus Bouddha (Livre de Poche) ». Après ma démonstration de l’arnaque « Jeanne d’Arc » - Mavros m’avoue son découragement : il croyait, au moins, à cette « vierge valeureuse ». Vierge oui, mais réclamant à chaque étape les deux plus belles filles du village, pour « se tenir chaud » disait mon père, instituteur naïf… Mavros commente plaisamment les révélations sur la fausse bergère de Domrémy : « Tout de même, tu m’en apprends de bonnes sur Yolande d’Anjou ! » - qui, belle-mère du roi Charles VII, connaissait Robert de Baudricourt, à Vaucouleurs, organisateur du trajet nocturne de Jeanne jusqu’à Chinon, mon Dieu quelle coïncidence…

Péguy ne s’en serait jamais remis...

Toujours est-il que sans transition, David fils de ma fille déclar

ait à 7 ans, l’âge de raison : « Dieu, c’est trop vieux, tout ça ». Kosta : « La religion (toutes!) m’a toujours fait chier ; qu’il y ait des escrocs pensant être «en rapport » avec l’au-delà me sidère. Comment peut-on être persan et si cons ? »

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Kosta MAVROS




« Le bouddhisme engendre des fainéants qui se font habilement nourrir pour ne rien faire sauf tourner de temps à autre des cylindres et des têtes débiles » - de convertis, ma foi… Signé : « Un bonze bronzé en devenir ».

L’ennui, c’est que le matérialisme tout sec ne peut répondre à tout. L’essentiel est de ne pas considérer comme une ineptie tout ce qu’on ne peut expliquer « scientifiquement ». L’athée ne voit Sieu nulle part. Le croyant ne peut s’empêcher de le voir partout. L’humain ne peut pas s’amputer de lui-même. « L’athéisme ne semble plus faire recette ! » - Leslie trouvait Dieu « évident ». Cela faisait rire son père. Mais les enfants voient Dieu plus que nous.

* * * * * * * *

Une vieille militante déplorait qu’on eût dépensé en vain tout cet argent à bâtir des palais à Dieu « juste pour des croyances » ; mais ces croyances, ma pauvre ! ont bâti tous nos arts. « Dieu est élevé et grand », et toi tu es un pauvre con -: « il n’y a pas lieu de se réjouir de tréspasser ». « Seigneur protège-nous de ce que nous sommes ». De ce que nous sommes devenus, et du fait même de vivre encore.


SAGESSE

« Je m’aperçois que toi aussi tu te laisses aller dans la voie d’une monotone sagesse; c’est que tu vieillis bien ». Peu à peu nous nous fondons. « Je me résigne à la sagesse. En réalité, j’y suis contraint par ma physiologie ». « Moi, je continue à végéter ». C’est si peu de chose… « Comme toi, je ne mets plus un pied hors de ma surface existentielle usuelle et usée » - la force des choses nous y restreint. En même temps nous n’en souffrons pas. « Quand rien ne s’oppose à vous on n’existe pas » - Dieu aurait-il besoin du Diable ? « L’homme est un apprenti » - de la « douleur », et cela toute sa vie. La veille de sa mort on apprend encore quelque chose.

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Kosta MAVROS



X

a)

Devises

« Éprouver une passion vous évite d’être malheureux de votre propre sagesse ». Kosta se rangeait du côté de Socrate (« sa vie fut d’une richesse insoupçonnée et il mourut pauvre ») : « Nous avons en nous toute la sagesse et toute l’intelligence : le tout est de la faire surgir… d’où l’accouchement ». Quel optimisme, quel abîme que l’homme, etc. « J’espère que tu arrêteras ta régression mentale pour m’entretenir de tes états d’âme colmatés philosophiquement » - et plus loin : « Halte-là, la connerie peut être contagieuse, encore que ta carapace intellectuelle te caparaçonne sur ce plan ».

Flatteur.

b) Humilité

 Mi-réelle mi-feinte. « ...des « choses » culturelles que j’ignore tant mon inculture est grande » - ma « spécialisation » provient tout simplement d’un contact permanent avec les antiquités, de par mon métier disparu ; et ce que tu connais, c’est mon ignorance à moi.

Il fut jadis directeur du C.M.P.P. (Centre médico-psycho-pédagogique) - la fonction implique une grande responsabilité. Rien n’a transparu de cette charge dans nos relations. Il était plus commode pour moi de le cantonner dans le rôle du petit vieux modeste et futé. « On s’aperçut que j’avais les titres ». Les excellents sont les plus discrets.

Je lui confiai deux fois le fin mot de la sagesse d’après Cinema Paradiso : « Un jour » dit le projectionniste « tu t’apercevras que dire quelque chose ou ne rien dire, cela revient exactement au même ». Je suis persuadé que le bon mot dit vrai ; mais je serais terrifié que cela fût.

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Kosta MAVROS




« Le bonheur c’est de continuer à désirer ce qu’on possède » saint Augustin. « Je me suis fait un aphorisme (eh oui!) : « Il faut abuser à bon escient »  « Apprécier le confort de la fatalité ».

Ma parole, c’est du Michel Onfray. « Les gens sont comme ils sont. Ils ont tort » - pas mal non plus. Et si le fournisseur nous roule, « (806,31 euros le pare-brise), « ça réconforte de voir qu’il existe des plus cons que nous »…

« Ainsi tu as des problèmes avec tes cervicales : c’est que ton cerveau est trop lourd… à force de penser à des conneries on finit par sombrer dans la sagesse »...

Baltasar Graciàn : «Se louer c’est vanité, se blâmer c’est bassesse ». Toute confession, à ce compte, est bassesse. Le repentir, bassesse. Je suis très superficiel avec une grande superficie … « Du moment où tu t’interroges cela signifie que ce n’est pas important ». Ou encore, que rien n’est important que la foi, ce en quoi l’on croit sans le remettre en question…

À une gauche sollicitation, Kosta répondit par écrit : « Étant donné mon âge, il serait trop malséant (ou long) » - la longueur est une malséance - «...de te raconter ma vie… bien remplie de tout (du bon et du moins bon). Il ajoutait avant la fin : « ...mais la plupart du temps je pense par moi-même : un exercice périlleux ». Je n’arrive pas à lui appliquer les baratins ordinaires, sur la prédestination des pensées, leurs inévitables bâtardises ; il se peut qu’il existe des âmes qui pensent par elles-mêmes, qui sont de qualité telle qu’on peut se dire «  vous pensez par vous-mêmes ». Et que cela nous rassurerait…

Combien aurions-nous tous besoin de nous entendre affirmer que l’humain pense par lui-même.

c) Suspension du jugement

« Dis-moi pourquoi l’homme est si con ; ça m’éviterait de déraper ». Dérapons,

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Kosta MAVROS




dérapons. Il serait vastissime, et irréalisable avant des siècles d’évolution accélérée, d’éradiquer la connerie qui tue, et recrée. Kali, déesse de la mort et de la reconstruction. Je ne sais pas me servir de mes raisonnements. « En ce moment je scrute le monde (et ses humains) d’un regard purement ascardamycte » - en ce moment, je cligne des yeux plusieurs fois par seconde, sans en avoir du tout conscience. C’est ainsi qu’à plus de 80 ans le monde se regarde encore. Il va falloir m’habituer à ces âges, où l’on pense encore, d’où l’on contemple encore. « Je pense de moins en moins » - fuite des neurones ; il s’agit de ne plus se concentrer sur l’inconnaissance, ni sur la relation du soi au monde…

J’ai demandé à mon beau-père de 93 ans : « Est-ce que vous pensez ? » Réponse : « De plus en plus ». « Est-ce que vous croyez en Dieu ? - De plus en plus ». Il serait stupéfiant, bien incomplet, bien décevant, que la peur de la mort à elle seule suffise à recourir à l’au-delà. « Que serions-nous, sans le secours de ce qui n’existe pas ? » Paul Valéry. « Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent ». La Bruyère. Il est bien étrange en vérité de penser par soi-même. Kosta m’envoie deux beaux textes de Rodriguès : La Vérité et Le Doute. « Ils ne prétendent pas à la littérature », mais c’est la voix du dernier message.

d) Conclusion

«J’attends demain la fin du monde qui verra le retour des dinosaures et autres diplodocus ». Nous y sommes, Kosta, nous y sommes.

SANTÉ

« À part cela », me dit-il ce 12 juillet 55, «  je vais bien, à la selle » : rien de plus exact. La survie se mesurait à l'aune de la selle. « Comment allez-vous » doit se compléter par « à la selle ». C'est l'origine de l'expression. En toute fin de Guerre et Paix, une merde famille exhibe selle de son bébé sur sa couche, afin de bien montrer à toute la simia que

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le bébé a rechié, donc ne mourra pas. Que Tolstoï achève son gros chef-d'œuvre sur un tel dessert en dit excrêmement plus qu'il ne paraît. « Je pisse encore jusqu’à 122cm (par vent nul )». « La diarrhée s’est transformée en constipation . « J’ai donc fini de m’emmerder » : il m’envoya en effet de savoureux fasci-cules sur « L’art de chier »… « J’espère que débarrassé d’importuns polypes, tu as pu reprendre tes activités sexuelles anormalement actives et soutenues » : essayais-je donc de le faire croire ? Il évoque sa « compassion » pour les « sacrées vertèbres et défécations diarrhéiques » - il faut bien un peu de concret dans les correspondances spirituelles, sinon, de quoi parlerions-nous ? « Je constate – avec regret – le gavage que te fait absorber ta moitié et ton engraissement n’a pas que des causes psychologiques (ce qui est rassurant pour ton tube digestif) ».

Pour éviter tout débordement, il s’est mis pour la « Pâque » au repos solitaire et au repas anachorétique ».

Nous concluront ce trop volumineux chapitre sur une citation délicacate : « je suis toujours dans un état merdique et j’alterne des périodes scatologiques entre des++ et des - - . »

Noter qu’il acrobatise : « Faisant l’équilibriste sur une chaise, je « chus ». Ne pas oublier ce juge colombien octogénaire qui, aux Temps du choléra, tombe de son échelle et crève pour avoir voulu attraper son perroquet.

Kosta embraye sur son « hypoacoustie » - sourd comme un potier, le pauvre. « Si tu entends moins bien, tu entendras moins de conneries… ce qui t’encouragera à écrire’autres conneries » - sa télévision tonitruait. « Ma santé » m’écrit-il « reste conforme à mon âge » « Que cela réconforte » dit-il « votre espérance de vie ». Que tout soir enterré comme l'humus, que ma « personnalité » s'engloutisse, et que de là où tu es, s'il est un « quelque part » de cette sorte, m'atteigne ton sourire .




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En 56, il souffrait encore, d’ « une sorte de sciatalgie ». Mais juste pour dire. « Je claudique moins… et ma canne ne sert plus guère qu’à affirmer ma prestance. » Plus tard Kosta fut affligé d’un lumbago, « avec deux piqûres quotidiennes, et des remontrances conjugales pour ma paresse insigne » ; il s’ « arrête «because » le lumbago récalcitrant » - « Passé soixante ans, quand on se réveille sans avoir mal « Lorsqu’il se réveilla, il n’était plus qu’un cadavre » (Ponson du Terrail) (oui : j’ai aussi rassemblé, au cours de mes lectures, plusieurs volumes de citations ; à l’heure où je vous parle, nous en sommes à 5863). « La seule chance que j’aie aujourd’hui d’avoir une femme à mes pieds est d’aller chez la pédicure ». « Mercredi dernier deux amis m’avaient apporté des coquillages variés (et non avariés) qui m’ont valu une diarrhée qui m’a cloué sur mon trône deux bonnes heures (diarrhéo ? je coule) - « Veille donc à ton alimentation et ménage Messer Gaster ». « Je me porte bien malgré les ans pesants ». « Quelle idée » m’écrivait-il encore « de faire voir des dents saines à un dentiste incompétent ! » - ce dernier aurait dû « me trouver quelque chose », et me faire payer sans que je souffrisse d’aucune affection… « J’espère » ajoute-t-il plus loin, « que tes cervicales jouxtant ton cerveau te laissent quelque pensée normalisée ».

Cunnilingus me les a fusillées.

« Sais-tu que je mange quelquefois du chou cru ? » - Journal d’un fou. Ni chou ni poivre, Kosta. Ni eau gazeuse ; pour ma Prostate… « Évite les tentations pâtissières que ta femme trame pour te charger en cholestérol ». «  Je ne me souviens plus de rien, je perds la mémoire, ça devient








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grave… je m’étiole, je me délite, je m’annihile ». Autant nous en pend au nez à tous. Il m’informe de sa visite au « Figaro » (le coiffeur), pour « élaguer les mèches rebelles de [s]a tignasse ».

Le rédacteur ici présent ne ressemble plus au baba-cool d’antan, mais à un vieux mal coiffé.

« Je te lis » ajoute Kosta, « sans difficulté mais avec des lunettes ». « Ceci dit ma nièce est décédée d’un cancer, 59 ans… peut-être te l’ai-je déjà écrit?! » - non... « Pour le cancer tu as raison, je suis contre la prévention qui vous prévient quand «ça » y est ».

En 2011 soudain, au petit matin, me voici à me tordre pour excès alimentaires. Même recouché, je me tortille. Dès 8h, j’ai demandé une ambulance. Kosta insiste pour me conduire lui-même à l’hôpital. Et je suis bien resté quinze jours, après mon retour, sans lui écrire ni le remercier. Toute sa famille le blâmait : « Tu te rends compte ! ...ce qu’il te fait risquer ! » Il m’a répondu en cachette au téléphone, car on avait exigé de lui de rompre toute relation avec ce pique-assiette, incarnation de la droite et de l’ingratitude.

Il ne m’a rien révélé de ce froissement familial. Ma première lettre après ce long silence fut de son propre aveu « besogneuse ». Je m’y excusais en termes embarrassés. Autre inquiétude courant 61 : « Je suis navré que tu t’enkystes depuis l’avant-bras » -   s’il m’en reste assez pour la branlette ? c’est mignon. En réalité, j’étais tombé sur le cul.

Quelle idée pour Kosta de se remettre au tabac, à 85 balais passés. « J’abrège », me dit-il. Déjà une petite infection du poumon en 2010, « le poumon, vous dis-je ». Une lente suppression programmée. « Je reviens de faire le plein de mes poisons nicotiniques ». Il fut emporté de façon prévisible.








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Kosta MAVROS

SINGES

« Chloré simiesque ». « Primate verdoyant »Il me servit souvent du Ser Chinge (« encore vert ») ( « chlorophyllé » - « ser » signifie «tête» en kurde, mais «fromage» en polonais. Ou bien « Mérignacienpithèque chlorophyllé » (« Sudouestpithèque ») - pu encore «simiesque  épistolier... » « avec de bonnes simagrées simiesques » - le singe nous fascine. Il a bien fallu un ancêtre commun, « un pithèque de l’époque mérignacienne ».

« On m’a enseigné qu’il y avait deux catégories de singes. La première à « queue prenante » et l’autre  à « queue non prenante ». Je pense que tu appartiens à la première catégorie. Mais là s’arrête ma flagornerie ».

SINGE VERT

Nous nous connaissions par bulletin interposé, appelé Le Cercop, parce qu'il contaminait tous ceux qui le lisaient ; ainsi le cercopithèque avec ceux qui l'enculent, infectant ceux qui le souillent.

« Le Singe Vert » en effet, se voulant cosmopolite, s'intitulait The Green Ape, « monkey » me paraissant trop grattouilleux. Il fallait que ce fût ape.

C’était une revue gratuite, un bulletin plutôt rectifiait Polac. Publication ouvertement misogyne. Kosta les lisait, s'en délectait, les trouvait, ces numéros, archicons, ou réjouissants : « Après réception et lecture attentive tu auras droit à ma bienveillante critique » … Il me lisait en plusieurs fois : « Je ménage mes plaisirs ! » ou bien « Je déguste ton fiel littéraire comme Socrate buvant sa ciguë… à petites gorgées ».

« Je pense qu’il serait préférable que vous concentriez vos contrepets dans une vraie chiure épistolaire (réunis en un nouveau tome analogue au premier » . Hélas : j’ai toujours considéré mes irruptions grotesques au sein même des écrits ou propos les

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plus sérieux comme une caractéristique de ma Puissante Originalité. Peut-être en effet ne méritaient-elles que le goût des cafards cuits dans la pâte à pain… Désormais ma vie est derrière, l’œuvre sans lecteurs.… Kosta me réclame un «2e tome », car non content de le distraire au numéro, je lui octroyais de petits volumes brochés récapitulatifs : les anciens numéros du Singe Vert, « passéistes », disait-il, ne valaient souvent qu'à leur date de parution. Je me croyais incisif, et trop souvent je délayais.

« Bien reçu le n° 77 (80, etc.) Merci ». Je n’ai pu offrir, comme chacun de nous, qu’une pièce déserte de plus à parcourir. « Merci pour le fameux tome III de tes sérieuses élucubrations simiesques ». « Je savoure ta prose / ithyphallique mais pas chauve » -

Le moindre fouteux a droit aux articles de Google. Moi, non, même pas…

« Je lis avec un intérêt passionné ton dernier volume (tome V). «  Rendez-vous compte : moi aussi, à mon niveau, j’ai diffusé mes « Cahiers de la Quinzaine ». Parmi toutes les conneries que tu débites (à l’aune d’un cervelet écervelé de mérignacien), il peut se glisser quelques pensées intéressantes. » « C’est (bien) (correctement) littéraire ». Estimons-nous heureux… « J’attends le futur et prochain « Singe Vert » qui devrait activer mes zygomatiques. »

Ma grande revue révolutionnaire cessa vers le n° 115. Répercussion zéro. Au début, ça avait du peps, le Singe Vert… mieux valait être du même avis que Moâ, « pour ne pas subir les admonestations, les objurgations, que tu réserves à tes ennemis intimes » - mieux vaut piocher sa veine odieuse, afin que l’outrance amène le rire (« les rieurs de son côté »). Cependant, si  Mavros apprécie mon « style qui devrait séduire un éditeur » et mes « écrits fielleux », il désapprouve mon « insertion d’un de [s]es

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textes » qui « arrive comme un cheveu sur la soupe, une sorte d’incongruité qui ne convient pas ». Et rien n’est en effet plus éloigné que nos esprits, le tien, Kosta, jouant sur la finesse, le mien sur le grossier. « J’attends le SingeVert avec son lot habituel d’écrits coquecigruesques et de billevesées qui bouleverse ma rectitude conceptuelle » : on ne pouvait mieux dire… Nous n’avons plus que  des bombes à fiel. Tout a basculé. « Quel dommage » sincèrement ? « qu’un si évident talent » - ironiquement ? - « reste ignoré des imprimeurs ignarement commerciaux » - « j’ai lu avec intérêt le n° 84 de les élucucubrations ». L’homme n’est qu’un instrument joué par Dieu. Il joue de celui-ci, puis le repose, change pour celui-là, et bien des Chinois ignorent jusqu’à l’existence de Proust.

Mon « Singe Vert » en revanche s’est toujours heurté au puissant mépris de Lazarus, mettant plus bas que terre mes turlupinadesencore un qui m’aurait bien aimé, si j’avais été semblable à lui... « Ton Lazarus est un jaloux, vicieux et pernicieux… Continue à déconner tranquillement sans avoir peur de son jugement sur ton torchon… on voit bien qu’il ne comprend rien à la littérature » - laquelle n’a rien à voir, en effet, avec des leçons de morale.

Il faudrait citer tout le texte de Kostas : d’abord les compliments, qui laissent présager de vives restrictions : « Tu as la plume vagabonde et fertile qui te sert à défouler tes bas instincts anathématiques », préférant « fustiger le prochain à défaut de l’aimer » rien d’original - « c’est bien : il a ce qu’il mérite ». Ce que c’est tout de même d’être moraliste - « et tu as la véhémence adéquate pour ce faire ». « Tu devrais être un taliban bordélique ça ferait avancer l’humanité dans le bon sang ». Tout est là : le texte, et le sous-texte. À la ligne.








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« Ceci étant dit j’aime bien ta prose » (au style, à présent) « à laquelle il ne manque qu’un peu d’anacréontique » - si je m’attendais ! ...du maniérisme en quelque sorte, « pour être valablement comprise par le populo » - quoi, c’est tout ? pas même une volée de bois vert ?  C’est donc à nous d’interpréter : si ma prose était plus policée, elle attirerait les suffrages de l’intellect… Ô braves critiques : ne jamais oublier qu’il n’est rien de plus vrai que ceci : l’auteur qui ne parvient pas, de lui-même, à déceler ses imperfections, restera impitoyablement imperméable aux avis d’autruie.

SPORT

Il condescend à me parler du Guingamp-Rennes – « des Bretons formant des équipes sans un seul Breton ! » Nous avions vu un vieux gravir une côte à la course, jusqu’à sa femme qui tricotait sur un parapet. « Regarde-le, celui-là, qui se tue sur ordonnance... » « Je ne jogge pas ». Même pas. « Aujourd’hui visite ophtalmo, la vue baisse comme tout le reste... » - les derniers mois, je restais fasciné par les châsses de ses yeux… Depuis 2011, il n’aurait plus dû conduire. Il me raccompagnait à la gare ; nous l’avons ratée deux fois. « Champ rétréci », «hémianopsis » : de la moitié ?

Il m’était pris la fantaisie de marcher « vingt minutes » par jour ; j’y ai renoncé, car on y voit toujours les mêmes pauvres trois ou quatre paysages - à moins de s’y rendre en voiture... « N’oublie pas ta marche quotidienne : vingt minutes me paraissent vraiment insuffisantes pour doper ton muscle cardiaque ». Il ajoute : « Ce qui est excellent c’est de faire de la marche à reculons (ou à cloche-pied) » - c’est sa tendresse.





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SUSCRIPTIONS, timbres, adresses, SUPPORTS ET INCIPIT


Jusqu’à la fin ses enveloppes s’adornèrent d’un tampon ainsi rédigé

« M. et Mme Markellos Mavros » : il était devenu, pourtant, indépendant. Même après son changement de numéro, « 4 » devenant « 80 (mètres) » depuis le centre du rond-point. Impossible de savoir, même parmi les autochtones, ce qu’était le « Fardeloup » : peut-être la déformation d’un nom de propriétaire, sans rapport avec le canidé…

Le carton de Kosta s'orne de palmes académiques, d'une décoration indécryptable et d'une croix grecque : « Les titres et les symboles impressionnent toujours les cons ».

Beau timbre, tout petit, sur une lettre de décembre moins de trois mois avant son décès : un quadrumane à grandes enjambées vers la gauche, si grande bête sur un si petit signe… En survit-il encore ? Comme il est beau, difforme, déséquilibré, contraint de marcher simiesquement.


Mon adresse fut une fois ainsi rédigée : Don Collignon Bernardin. Si j’avais été Dom, j’eusse posé au Bénédictin. Il m’a donné aussi du « Esq. », « esquire », « écuyer », in England. Le Sir avait aussi ses entrées sur l’enveloppe : « Sir B/L.A. Collignon », pour « Bernard-Lucien-André. « Lucien » du nom de mon petit oncle mort à 6 ans pendant la Grande Guerre. André du nom de mon médecin accoucheur, pendant la Seconde.

Il semble bien que la mention « Monsieur » ne figure jamais sur l’enveloppe .Et très chiennement « Bernard (Saint) C., - puisque je porterai ce nom sur mon couvercle - repris au-dedans par « Cher Chien Bernard ».

Pour les timbres, je n’y ai jamais bien pris garde. « Nyjhaven », « Port-Neuf », au Danemark. N’oublions pas le « timbre aux courgettes » du 15 mars 60. Puis les brocolis. « Excellentissime correspondant »… Il m’envoyait des petites fiches colorées, confiant la densité du propos à la rigidité cartone, rose, vert, mauve… « As-tu

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remarqué le luxe de ce « support » épistolaire ? » - ...tel carton pourpre pâle se voit pieusement daté du « dernier dimanche du temps ordinaire, avant le défilé de nos armées effrayantes » - «tu as droit à une carte format réduit qui contraste avec ta longue enveloppe... »

Poursuivons ces incipit, que certains ignares voudraient nous faire prononcer kipitt, Jules Kaéçar et Kikéro m’en parlaient encore l’autre jour. « Cher ami de longue date et de longue distance ». « Cher Épistolier courant (et parfois fatigué) » - du 10 courant « à Yellowstone » (?) En hommage à Larbaud, mentionnons le triglosse « Kyrie hellène y çon » .» Sur les enveloppes, « Av. » pour « avenue », la mienne, portant le nom d’une reine et impératrice des Indes, Victoria d’Angleterre. Il m’appelait « mi amigo bordélique », il évoquait Villon.

Je me suis d’ailleurs demandé si Burdigala n’a pas été spécialement créé par les philologues pour justifier le toponyme, alors que l’étymologie, sans doute, était si claire. Je suis d’ailleurs qualifié d’ « esthète bordelais (ou presque) », « Ô Aquitain convaincu (en un seul mot) ».

Une des plus belles en-tête me désigne par mes initiales : B.C, avec un M entre les deux, pour les Bordels Militaires de Campagne, « qui accompagnaient nos valeureuses et syphilitiques armées en goguette guerrière » - nous étions deux vieux potaches - « Ben Hard », pas mal non plus.

Nous échangions aussi sur les enveloppes les suscriptions suspectes, jetant parfois chez le facteur ciotaden les doutes professionnels : « Avec ton « adresse » à la con, le facteur ne voulait pas me remettre tes cartes dites postale » - iI me fallut des intitulés plus classiques : « Mon facteur reçoit des étrennes (méritées car il met ton courrier dans ma boîte aux lettres »).

Quelques suscriptions en español turístico : Señor Collignon Bernardín…

Jignore – il ne faut jamais demander ces choses – s'il conservait mes lettres, et leurs formules. Mais l'espagnol et l'anglais ornaient souvent nos saluts.

Votre distinguée lettre est arrivée dès le lendemain. C'’était le temps encore où mon K. se déhanchait la main sur deux pleines pages, d'une écriture ferme et dégagée. Nous nous connaissions à peine, il m'envoyait déjà Des pets – c'est le titre. Et c'est

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d’aujourd'hui seulement que je décrypte la signature « MacLear » c'est évidemment Marcel, son véritable prénom - «  McLear lowcost »- « Je perdure, persiste et signe » me dit-il. … « Salut du Géronte ! »

Il trouvait inutile que je rassemble ses lettres. À présent les voici classées dans une boîte à chaussures, analogues aux bafouilles de Sévigné, dont la marquise de Simiane, sa petite-fille, brûla les réponses.

Nous nous agitions loin au-dessous de la surface des tempêtes. « Je reçois ta lettre du 19 et constate avec plaisir ta vitalité scripturale ». Nous nous efforcions à l’originalité, par simple politesse d’amitié. L’écriture, c’était autant la composition d’œuvres immortelles que la rédaction de petits mots amicaux.

X

La plus belle de toutes les suscriptions, au vu et au su de toutes les Postes : « Monsieur B. C., écrivain d’écrits vains », qui me désigne à l ‘attention respectueuse

des préposés. Nous étions des derniers à envoyer des lettres. Ces plis échangés seront les derniers fils de perpétuations. C'est une civilisation écrite qui sous nos claviers se délite et disparaît, poursuit son cours sous le bitume… Au revoir à jamais, je vous rencontrerai dans tous ceux que je croiserai . Il m’écrivit à « Monsieur S.T. Bernard Collignon », serais-je un saint ? Je signais parfois « S.V. » pour « Singe Vert ». Et je ne peux plus m’expliquer telle suscription ainsi rédigée : « Monsieur B. C., champion de l’anaphore » - diable !

« Aurais-je anaphoré sans m’en apercevoir ? » -


TAQUINERIES

« Je comprends ton épouse qui t’environne de nains de jardin afin de te valoriser (autant que faire se peut ; j’ose espérer (…) que tu reviendras dans la normalité) » - mon «épouse » déteste les nains de jardin, et ma taquinerie consiste à la menacer de l’achat d’un gnome qui chie en jouant de l’accordéon. « J’attends la photo de ton épouse en burqa » - le Prophète nous en préserve. « Je constate, avec un plaisir non dissimulé, que la gent féminine te laisse en repos » : alors que c’est moi, bien sûr, qui

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ne cesse de la titiller. Toute ma vie chercher « la femme » : quelle sottise !

Mavros possède l’art de gentiment tourner en dérision tout ce que je prends ou ne prends pas au sérieux : « Ainsi tu joue le gaucho d’opérette dans ton micro local, un microscopique médium bordélique par lequel tu dois distraire quelques octogénaires malentendantes » - c’est ç’lâ, ouiiiii… - gauchiste, moi ? « Bon j’arrête mes méchancetés ». Ce qui permet de ne pas s’enfler.

Noter une allusion fine à mes incapacités bricolagiques : ayant appelé mon voisin à visser un plafonnier, il se trouve que je « sais occuper le loisir des autres ». Mais ne faisons pas un drame de cette incidente. Plus obscure est cette allusion à ma prétendue revendication d’une parenté avec Héraklès (?) - « travers bordelais : un aplomb de travers ! »

Un sourire pour La Dama azul sur les apparitions de la Vierge : « Salut à toi, et à Tadame ; faites-vous enfin du bon café ; ça réveillera tes neurones. Un autre pour mes vantardises désinvoltes : « J’espère que tu possèdes assez le tamoul pour envisager un expatriement prochain ». Remets-moi en place. Ne crains pas de m’apostropher : « Je te salue, ώ évangéliste des DordogNiais »...

Passons aux choses sérieuses : « Je ne bois de pastis que pour me désintoxiquer de ta prose ! »


Téléphone

Il avait une voix claironnante. Je l’entends encore. «Mais oui que vous me dérangez mademoiselle… Mais je suis en pleine sieste, il est quinze heures trente, là… Qu’est-ce que vous venez nous emmerder avec vos démarchages, là... » - je regrette sa voix. Plus tard il fallait gueuler, par sclérose des tympans. « Je ne peux pas te parler, j’ai quelqu’un, là » - qui serait furieux s’il me surprenait avec toi.


TÉLÉVISION

Il mettait le son à toute force. TNT, « dynamite »; c’est aussi une abréviation télévisuelle, regroupant des services gratuits. J’adorais ses soirées de télé, ses deux matches à la suite, ses somnolences obstinément niées, ses excès sonores à travers ma

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porte, mon petit lit sous le plafond blanc, et la manette qu’il tenait dans sa main repliée, pour que je ne puisse pas baisser le volume. Il roupillait. Je voulais détacher ses doigts. Il les resserra. « J’évite de regarder Arte qui risque de me rendre encore plus intelligent ». Kosta s’est instruit bien avant la télévision.


TENDRESSE

Sa veuve sous le deuil m’assure qu’il en éprouvait à mon égard. « À plus tard.. la joie de recevoir quelques balivernes ou billevesées issues de ta plume ». « Ainsi ta vie fut inassouvie malgré tes tentatives de tentations et je ne crus jamais que tu fusses fou (ou presque) » - obsédé par un coup à tirer ? même pas.

Il n’est pas jusqu’aux plaisanteries à mon égard qui ne portent la trace d’une profonde délicatesse : « Il est vrai que tu me connais peu mais suffisamment pour rester dans le cursus amical ». Ici m’atteint une vaguelette de tendresse. « J’espère que tu as pu échapper de Carcassonne entourée de ses inutiles remparts… tu as le génie d’aller où c’est psychologiquement dangereux.. c’est l’esprit aventureux du mérignacien de la haute époque ! « Que faut-il donc te souhaiter ? » Il nous restait encore 4 années de vie conjointe. « Tu es spirituel et lettré. C’est déjà beaucoup. ». J’étais son « épistolier préféré » - il ne l’était pas moins. Qui m’envoie vraiment des lettres à présent ?

Il paraît que j’ai envoyé une «lettre émouvante » : non pas que j’aie voulu cela, mais j’y évoquais un vieil ami mauricien… Cet ami de Mavros ne serait plus qu’un phare vacillant à l’autre bout du monde. D’une île à l’autre : « Je pense que le déchiffrage des inscriptions en provenance de l’île de Pâques arrivera à combler un horrible farniente qui agrémente ta vie ».

TUTOIEMENT

Nous ne nous sommes tutoyés que très tard, connus très tard..

« Allez, on se tutoie » : phrase redoutable, car tout retour en arrière implique refroidissement. Nous repérons ce progrès grammatical en date du 4 février

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2056. Il faudrait consulter. Encore un « vous » le 26 février, mais de quelle année ? le 6 est de ma main. Il me donne rendez-vous le 9 à 16h. 34 : de quelle année ? Dernière lettre à me vouvoyer. Y eut-il une période de va-et-vient ou de chevauchement ? Nous nous sommes vus, et plu. Il m’appela par mon nom de famille, puis par mon prénom, rarement. Puis il me traita de couillon, et ça, c’est du solide.

Le 10 avril 2056 marque la date précise de notre apprivoisement : après m’avoir, par persistance, vouvoyé, il raye, et remplace par « tes nouvelles » de « ta santé ».

Il m'emmena sur les hauteurs, dans une maison basse qu'il possédait, et me logea dans la chambre de son fils absent. Nous avions 17 ans de différence d'âge, lui plus de 80, 64 pour moi. Notre amitié vécut neuf ans, trois fois plus que pour Montaigne et La Boétie.

Ne nous étendons pas sur les discussions et les silences, sur mes promenades solitaires à La Corvine d'En Bas, un peu longues : « Tu n'es pas dans une pension, ici ! J'aimerais te voir de temps en temps ! » De fait, tout me semble théâtre, depuis ma onzième année. Jouons sincèrement et de toute notre âme : « ainsi tu te vautres dans la gabegie théâtrale ». Sans accent, sans accent…

K me reprochait de tricher, de feindre l'isolement et la misanthropie, bien que bourré de relations (éphémères). Il avait lu mes revues, m'avait envoyé ses œuvres, sur de menus incidents de sa vie ou de sa mythologie personnelle, issue des Grecs dont il était qui sait issu.

VIE

Lui-même ne resta pas plus de six semaines à la mine, le temps que sa mère le soustraie à cette profession mortifère, pour le faire étudier, au moins jusqu'au niveau d'instituteur. Il m'a dit, simplement : « C'était pas marrant ». Impossible d'en tirer plus.

Rien ne saura expliquer la survie d'un nom, d'une œuvre. J''ai conservé tous les ouvrages de Kostas Mavros, qui naguère m'alimentait de petits secrets, alors que la publication exige des athlètes de sociabilité, ce que ni l'un ni l'autre n'avons su ni

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voulu. J'ai conservé aussi ses lettres. Qu'attendre d'un héritier qui parcourant du regard mes étagères n'a rien trouvé de mieux à dire que ça en fera du papier, tout ça...

Autant de jours me séparaient de son âge que ceux qu'il me reste à vivre, avec optimisme. Les livres et lettres de Kosta couvrent à présent deux tiers d'étagère. « Ma femme et mes enfants n'ont jamais su ce que je te dis ». Mes cartons sont pleins. Ma honte de n'avoir pu si souvent lui parler qu'il voulait. Un mélange d'émotions flemmardes dirait-il me fait palpiter le cœur ; petits replis.

La correspondance est matériau ingrat, dont les couches instables glissent des classeurs. Je la pose sur le tapis, près d’une grande boîte à chaussures dont le couvercle ferme mal : « Commencer ici, 11 septembre 63 ». Mes lettres n’y figurent pas. Mes gambades corrompraient tout.

La première lettre est de juin 2055. Il oublie autant que moi ce qui nous a fait connaître. Mes envois du « Singe Vert » se font au hasard d'une succession plus ou moins alphabétique. Une liasse en reste à classer sur les deux, à charge pour moi d’intercaler la première dans la seconde. En 59 il envoyait une page tirée de mon site d'édition en ligne : «Mais comment fais-tu pour être aussi célèbre ? » Il me saluait «bien humblement », se payant nos deux têtes en une. C'était un jeu. J'ai effleuré ma vie, brassé bien du papier.

X

Il me ressemble, aux abords de la tombe. Sur la photographie, son visage affiche un rose pâle d'homme blanc, il me regarde et cherche à sourire, même si ce fut un effort. Il n'exprime plus que fatigue et politesse. Le dévisager pour le décrire me met la cendre au ventre. Éviter aussi la vue de mon père sur son lit de mort, lui qui bougeait des pieds joints si je touchais sa tête. Mavros est toujours vivant, pour 25 mois de reste.

Sa bouche est fine, ses yeux des puits sans fond. Je suis sa tombe de papier. Le plus ancien courrier que j'aie de lui le montre appuyé sur un socle de mo'ai, à Santiago. Il porte un vaste pantalon blanc se perdent les jambes et le bassin. Il porte des lunettes noires et sourit. Il aimait voyager, de livre en grands espaces, voir les choses de haut disait-il. Au verso il m'appelle Cher Grand Singe Anthropoïde. COLLIGNON SINGE VERT 100

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...J'avais repéré, dans un magasin de bimbeloteries, une combinaison plastique de grand gorille vert fluo, que j'aurais achetée si je n'avais pas craint d'y étouffer une fois tirée la fermeture Éclair. « Bientôt nous entamerons une nouvelle année : 2009 ; est-ce un nombre premier ? » Non, divisible par 7.

En ce temps-là nous nous voussoyions encore, et mon Arielle avait fêté ses soixante ans, « qu'elle devrait conserver plusieurs déc[ennies] ». Nous nous connaissions peu, lui et moi. Je m'était permis sans doute d'envoyer mon livre sur Péguy, enfin publié sur promesse expresse. Mais sans service de presse... Il me répondait « O'Higgins », grande avenue santiaguina en mémoire du Directeur Suprême ».

Retracer le court éclair où j'ai connu Kostas Mavropoulos n'est pas chose facile. Jamais je ne me suis moqué de lui.

Le 19 juillet, toujours sous le signe du vous, il me donnait du Ser Chinge « encore vert ». Le drame, minuscule eu égard à l'apparente superficialité de toute relation, est la disparition totale de l'année 2006, 2053 nouveau style. Ainsi le XIIIe siècle avait-il disparu dans l'anticipation du grand Aldous Huxley (1894 - 1963)


VEDETTES

« J’ai eu un coup de fil de Fabrice Luchini à qui j’avais reproché de « transgresser » les auteurs pour dire du Luchini ! » La chose dut particulièrement mortifier le comédien. Il s’en défend de toutes ses forces ; mais son illumination reste indispensable (« auteur » et « acteur » sont un seul et même nom ; c’est pourquoi (et non pas « c’est la raison pour laquelle ») nous devons dire « autrice », comme « actrice », et non pas « auteure », qui est un ignoble barbarisme). Luchini est un « acteur » mais aussi un « auteur », ce que Mavros lui reprocha par lettre : tout ce que vous récitez, lui dit-il en substance, « devient du Luchini », et vous tirez, en somme, la couverture à vous. » Notre acteur s’en piqua, et prit la peine de téléphoner à mon correspondant.

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Kostas fut si pétrifié qu’il ne se souvient plus de ce qu’ils ont pu dire ; « j’étais tellement surpris que je n’ai pu que balbutier ne sachant même pas à qui j‘avais bien pu écrire ! » Fabrice y trouva sans doute son compte, prenant pour réfutation sa prise incessante de parole. Luchini exerce le droit que tout lecteur possède : celui de s’emparer d’un auteur dans son propre esprit. Luchini place à la portée de tous, en pleine lumière, les si belles pages de La Fontaine, si négligées, si salies, que le public se remet à lire. J’aime la réaction humaine de ces deux hommes, l’un faible dans son ego, l’autre dans son dépourvu.

Sur Pagnol : « Non, je n’ai pas vu cette « fille de puisatier » je reste avec le film où Raimu jouait le rôle du père avec une présence vraie et non de fabrication auteuillaise ». Ne pas confondre avec Manon des Sources. « On ne peut imiter le ton et l’attitude du Provençal. Ça me contrarie beaucoup ces imitations ».


VICTORET GUINGOIS

Et Victoret Guingois, fausse biographie, lui valut le prix de l'Académie marseillaise. Même pas édité. Il a récrit, corrigé. Tout lui paraissait parfait. Pas un éditeur. Cette œuvre lui est « source d'interrogation... ». Couronnée par le prix de Marseille, et refusé par le dernier des petits éditeurs couillons, avec sa Clef d'Armoire aux Confitures. Je l'ai lu. Et retenu.

Kostas s'est acheté La cuisine des couvents et des monastères. Voilà ce qui se vend : les livres de cuisine. La monacale en particulier. Pas de quoi vraiment, en effet, contribuer aux régimes d'amaigrissements ! toi si fluet…

VIEILLESSE

« J’ai donc eu une longue vie très pleine, très riche » m’écrivait-il à l’époque du « vous », « … et, pour la plupart du temps, très con... » - la connerie n’est qu’une illusion d’optique. Comment parler de la vie sans tomber dans l’ordinaire ? « Le pote âgé n’arrête pas de vieillir : ce qui finalement est bon signe… non ? » « Maintenant je

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vise carrément le centenariat ». Nous voici en décembre. « Dans deux jours j’aurai accompli 82 années d’existence proprement inutile… et plus de sexcapades ! » - si peu de temps des 82, qu’il avait, jusqu’à la centaine… « Je vais dans ma quatre-vingt quatrième année d’existence… mais par routine, sans bien réfléchir aux conséquences d’un calendrier véloce. Quelquefois je suis épouvanté par les ans qui s’accumulent subrepticement. Mais, trêve de « geignerie », je vis sans maux avec mes mots et empreint de ma philosophie costique dont j’abuse à bon escient ».

Il lui reste six ans à vivre et je ne le sais pas. Lui non plus. « Je me réjouis de te savoir si heureux d’accabler d’ans un ami… et de boire si largement à sa santé encore florissante. Moi je me traîne, bientôt le 84e anniversaire ». Reste cinq : « ...je commence à terminer mon odyssée terrestre… plus que quinze ans pour être centenaire » - jadis on donnait volontiers du centenaire à tout homme qui passait les quatre-vingts - mes semaines s’écoulent comme les secondes à l’horloge du mur…

Non, la mort ne t'a pas oublié. Non, cette longévité n'est pas, n'est plus exceptionnelle. Non, tu ne mourras pas du cœur, mais du poumon. Nous nous serons connus sept ans, pas davantage. Plus que Montaigne et La Boétie. « On ne vieillit pas en un jour ». « Voilà c’est fait, je viens de ne pas fêter mes 85 années de bonne ou mauvaise vie ». Preuve qu’on y parvient…2011, donc.

Je lui souhaitais son 87e anniversaire. Une carte postale qui lui rappelait son « (trop) grand âge ». Il me convient à présent de me redresser sur mon siège, faisant de mes écrits une succession, un chapelet d'œuvres de jeunesse. « ...et moi je suis entré dans l’âge des souvenirs ». Il se moque tendrement des attentions municipales, non sans les réinterpréter : « ...je reçois des avis municipaux m’invitant à boire de l’eau avec beaucoup de « pastis » . « Moi, ça va… je touche du doigt le bord du cercueil… mais je pense avoir tout mon temps ». Mon ami, la nature est bien faite : « Bien sûr, je me suis promis de devenir un centenaire modèle… et j’en ai pour encore quinze années de soins intensifs ».

Les lettres s’espacent, se raccourcissent, vont cédant la place aux cartes plus faciles à remplir : « Merci pour ta carte du 29 juin » 2014 a. s. « Moi je végète,

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ressasse et m’annihile tant que je peux ». Mon ami, vient le moment où le seul qui reste à faire est de s’effacer soi-même,  de prêter doucement la main à la Camarde. « Je ne lis plus guère sauf tes lettres bien évidemment ». Et ce qui arrive, arrive : « …En attendant je pense ». « Est-ce que vous pensez ? - Énormément » répondait mon beau-père. La pensée restera notre unique flambeau, dans le long corridor des méditations.

Il m’a précédé. Tandem quiesco, « enfin je me repose ». Le voici à St-Savournin. Cette lettre est une de ses dernières.

Il naviguait, de ci de là, entre musique et langue grecque, comme nous tous, revisitant nos vies de musées ou de brocante. Quel bordel cérébral ! C’est de lui. Encore une intrusion que je veux faire. Il perdit tout, « sauf le nord polaire »… Les médecins, l’entourage, tentent de nous persuader que ce n’est pas grave, qu’il y en a de bien plus jeunes qui s’affligent, un peu comme les femmes essaieraient de persuader les impuissants que non, vraiment, leur manque d’érection «n’a pas d’importance ».

Me promenant à pied au-dessus de chez lui, j’ai longé une vaste cour de clinique, d’étranges conteneurs-poubelles, avec de vastes couvercles basculants. Des écriteaux en indiquaient de loin le contenu : COUCHES. Ce n’était qu’un fouillis de vieillards enfermés là, chiant leur vie parmi le va-et-vient revêche ou douceureux des infirmières. Les vieux ne pensent qu’à eux. Comment faire autrement. « Je crois qu’il n’y a plus que moi qui m’intéresse ».

Un beau jour, Kosta fit imprimer son « roman dialogué ».Il fallait persuader un Vieux de vendre sa parcelle. « Pour la couverture, il faudrait un vieux » dit-il à son fils. - Eh bien tu es vieux, toi, tu seras sur la couverture ». Il a donc fallu que ce soit son fils qui le lui dise ; autrement peut-être ne se le serait-il pas dit de lui-même. « Sinon tout va pour le mieux et pour le vieux » - celle-là, j’en suis jaloux.

« Je suis allé à la « crémation » de mon ami… un calvaire… beaucoup de peine... » Il ajoute aussitôt : « Pas de commentaire morbide… passons avant de trépasser. »

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Je ne trouve pas de Papy »sister » !! malgré toutes mes qualités. Mais je dois marcher au soleil, pour mon devoir de citoyen. Je lui appris cette citation de Joubert : »Le soir de la vie apporte aussi sa lampe ». Le moraliste disait exactement « sa lumière et sa lampe pour ainsi dire ». Fâcheux qu’il faille ciseler une phrase molle pour l’inciser dans notre marbre. Les aphoristes souvent perdent d’un rien le chef-d’œuvre, par souci de précision, par scrupule de choquer. Ainsi faisions-nous lui et moi. « Quelle chance avez-vous d’être jeune ! » - je retardais de 17 années sur toi. À présent, tu es parti à 89 ans, et sacrebleu, je te rattrape, je te rattrape… « aujourd’hui à 82 ans je n’ai plus à m’interroger sur ma longévité : j’ai dépasse la moyenne requise… toutes ces années sont du « bonus ».

Le vieillard vénérable à qui les destinées

Ont de l’heureux Marcel accordé les années.

« Salut du géronte ! Le 16.1.2055 ».

VOLTAIRE

« ...à mon âge, on voit disparaître ses amis (décès ou gâtisme extrême) et on commence à se sentir seul ». De telles mélancolies sont très rares chez Kosta. Je ne me sens pour moi jamais seul. Je n’aime pas la compagnie (cette déclaration avait éloigné de moi un lointain cousin, sourd un pot et désormais toujours).

« Lorsque avec ma calculette je consulte mon âge je suis effaré… du « temps qui reste » (…) et j’entame un autre mois avec un autre moi, rapiécé mais encore valide ». L’horoscope devient fluet. « la Maisonnée commence à s’éclaircir », mais il ne parle ni d’oncle ni de nièce. Pudeur provençale. « Il était temps, mais le temps passe »… De longues stations ponctuent mes phrases. Je n’ai connu de lui que sa pellicule, ce qu’il a bien voulu m’accorder.

Dans ce monde vieillir est indécent ; on souffre dans son éternelle jeunesse. Il m’écrivait cela pour ses vœux de 2011 (2058 n.s.). Je l’ai inscrit sur mes tablettes, sous le n° 5708,

71 à Jérusalem. Au recto, un dessin de Cailleaux  (cf. Édition). « Passe et salue » comme ils disent à Calvi - ou bien « paix et santé » ? « Quant à moi je m’étiole, m’annihile, me racornis »… « C’est fou ce que le temps passe, je n’ose plus calculer mon âge » mais je persiste et signe ».

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Il reste une pincée de lettres, de plus en plus réduites aux dimensions d’un carton. Un jour il me dit préférer désormais le téléphone. j’ai encore sa voix dans l’oreille ; ensoleillée, n’en déplaise aux pédants ; j’aurai connu un vrai Marseillais. « Tout va bien à part ce 86e anniversaire qui menace ma longévité espérée ». « Quant à moi je perdure, persiste et signe » - bis repetita.


VISITES

Il m’attendait à la gare avec sa superbe auto. « J’ai ta lettre du 28 mars et me réjouis de ta prochaine visite ». « Je suis d’accord pour les dates du 9 au 15 mai et je t’irai chercher à la gare historique de La Ciotat ».  «  Je serai dans ma voiture« devant la gare célèbre de la C . » - rien n’a changé depuis 1895… Il est venu toutes les fois. « Peut-être pour la dernière. - Vu mon âge, répondait-il, ta prédiction a de plus en plus de chance d’être juste ». Ma dernière reconduite le vit passer trois fois devant la gare sans s’arrêter. Ma dernière vision fut celle de son dos, refermant le coffre arrière.

Par sa carte de visite j’apprends que sa maison s’appelait « Villa Bagatelle ». Il ne m’en a jamais parlé.

« J’ai ta lettre du 1er mai qui me donne les détails attendus sur tes horaires ferroviaires. Je serai à la réception et à la réexpédition » - humour. Le 18 janvier 11, il s’impatiente des « lenteurs redoutées du calendrier ». Quelle bizarrerie d’attendre l’avenir… « Oui, je sais, c’est difficile pour toi, primesautier, de me comprendre. »

Il serait juste en effet de calculer mes dates et nombre de visites. Il y en eut peu. Sans doute une douzaine. « Pour ta venue pas de problème indique-moi les dates exactes ». Il ne fallait pas que sa femme fût là, ni personne d’autre : « Ma femme repart en mars (dernière semaine) dans son isle ». « ...va délaisser sa provisoire insularité le 18 de ce mois. Elle m’a recommandé d’aérer la maison. Il va me falloir (…) réhabituer à l’oxygène ». « Mon épouse est encore à Chypre jusqu’au 18 novembre (12) et je l’ai noté sur le calendrier qui me sert de repère dans le temps » - la Femme est le Maître du temps - « à quand ta visite printanière ? » « Viendrais-tu

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passer me voir ? » Il attend, pour une de mes visites, « [m]a décision ou (…) « [m]on indécision »… Il ne pouvait plus tenter de grands déplacements (l’égoïsme le plus farouche m’interdit de recevoir qui que ce soit sans me sentir au supplice… qu’aurais-je fait de lui ?) ...À La Ciotat jétais, selon son expression, « toléré ». Il est vrai que ma misogynie aussi fausse qu’affichée devait en défriser plus d’une. « Ma femme doit partir le 14 mars ». Escapade entre collégiens. L’ami est toléré, « mais attends que je sois partie » - elle revient « le 9, pour une durée de deux à trois mois ». « Comme tu es soumis ! » m’écrivait une femme, justement – pas du tout, F.T. : les pilotes d’hélico, Mavros et moi, consultent nécessairement la météo avant de prendre l’air - « j’attends donc september (avec) le départ de mon épouse et ta venue ».

...Elle pleurait après sa mort au téléphone. Elle ne m’aura jamais lu - décédée en 2020, 67 n.s. C’est pourtant à elle, surtout, que j’avais destiné cet ouvrage. « À bientôt donc » m’écrivait-il. Au printemps 57, il fut préférable de reporter ma visite pour cause de convalescence digestive - « je note donc les dates du 29 au 1er juin pour ta venue ». « J’espère que tu me viendras voir » : provençale antéposition fleurant bon son Racine - ...tu pourrais faire un stage culturel chez moi ».

Puis, au détour : « Ton court séjour m’a été agréable (moins tonitruant que d’habitude ») - j’aurais donc été bruyant, et sans gêne ? cela se peut. Alors, il m’a répondu : « tu es un commensal supportable et très convenable (là, c’est un trait d’indulgence) ». Il paraît qu’il ne faut pas se soucier de son apparence. À d’autres !

Je ne suis jamais allé de chez lui autre part, à l’exception de Nice, et d’Aix-en-Provence, où j’ai passé une seule nuit d’hôtel, exécrable, et très chère, en mars 57. Et tandis qu’il partait pour le bout du monde, j’errais à Charleville-Mézières, « ville touristique de renommée internationale » - pour les marionnettes, oui. Je lui parlais de Porquerolles, où « l’eau était transparente », au temps de Simenon, « et l’île semi-déserte ». Traditionnellement, mes visites se soldaient par un cadeau. Un volume de Tchang, (et non pas « Chang », bien la peine d’être de l’Académie) poète et sage sino-franco-académicien : « Tu as fait le bon choix ». Ou bien la méthode Assimil de grec

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ancien (deux fois…) surchargée de notes érudites au point d’en être devenu rigoureusement inutilisable, sous la plume de Geneviève de Romilly .

X

Kosta un jour me demanda par téléphone ce que j'avais bien pu faire d'un réveil de son fils, que je me suis longtemps obstiné à nommer Frédéric. J'avais dissimulé l'objet du délit, qui me fusillait les oreilles, dans l'épaisseur d'une pile de chemises, oubliant à mon départ de le remettre au chevet du lit…

X

Il m'écrivait : « J'ai souffert à la mort de chacun de mes Félix », et ne voulait plus d'animaux. Il me servait des cailles toutes rôties ; les cailles, sanglées côte à côte sous leurs emballages, m'intimidaient. Leurs os friables donnaient l'impression de broyer des oiseaux, qui avaient gambadé ou souffert dans des volières. Les derniers temps, ce fut tout simplement : « Va te servir au frigo »…


VOYAGES

    Mavros a vu le Chili, la Chine et le Sénégal, mais d'Athènes ou Thèbes pas un mot. Valparaiso, Buneos-Aires, Caracas, Bogotá... Il lui fallait de larges horizons, panoramas andins, appellations exotiques. Nous regardions de gros albums garnis de photos argentiques, et je le faisais commenter, à l'infini. « J'aime voyager loin » disait-il, « j'aime les grands espaces ». Mon budget, fort mal tenu, ne me permettait que de petits déplacements, concentrés mais fervents. « Ne te compare à personne ». Je me rabattais donc sur de petits horizons, versants de talus, clochers de Haute-Marne, pour des émotions à jamais engrangées.

    Non, Kosta n'a pas parcouru « seul la cordillère des Andes », parmi les lamas, vigognes et autres camélidés, mais il a pu marcher quelques kilomètres par beau temps sur un chemin balisé où je l'aurais suivi en imagination - trottoirs abrupts des raidillons de Santiago - car rien nulle part n'est vraiment différent. Regrette de ne pas connaître le Yucatan. « Coups de cœur qui le font rebondir en Asie, en Afrique » - au Sénégal il s'est

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  • Kosta Mavros


  • fait chier en crevant de chaud. « As-tu reçu le livre sénégalais », oui, hélas, ce ne sont que râleries sur râleries sur le manque de confort ; son ultime exploration ce crois-je. Tout lui a semblé désagréable ou presque. J’écrivis le compte-rendu de ce compte-rendu : mais cette critique ne fut jamais connue de lui.

  • « Je t’en remercie et te félicite d’avoir assez justement compris mon état d’esprit à vocation colonialiste ». Oui, nous sommes colonialistes. Et les Chinois excellent où nous avons échoué. Rien n’éteindra la barbarie humaine. « Salut à toi dordognais » - oncques ne fus-je...

  • De Cuba aussi, il est revenu, Hôtel Sévilla, « il y a 5 ou 6 ans déjà ! ».

  • «  Appétit de rencontres des autres, de connaissances nouvelles : appétit de rencontres avec ses jambes et ses poumons ». Mais les autres ne sont que nous. Ils ne nous disent, en les approfondissant, en les creusant bien, que ce que nous dirions nous, à quelques négligeables nuances près.

  • Kosta s’est rendu « au café de Pierre Loti au-dessus de la Corne d’Or à Istanbul ». La ville que je regrette de n’avoir pas visitée. Rome non plus… Il est allé chez les Chinois ; pour eux nous sommes des analphabètes… « Fais de beaux voyages comme un vrai Périgourdin dans ton char branlant ». Que le sort m’accorde de ne jamais me dévaloriser. Que je puisse avoir « bien mouliné », avec Arielle, dans les décors du Musée du Costume. Mes voyages n'auront jamais dépassé le Putois, région accidentée (falaises, cavités) autour de Ganges et de Sumène (Hérault). Ou « peut-être es-tu englouti dans les brumes des Ardennes impitoyables ? » Je ne vous verrai plus. Mes prochaines explorations ne se feront plus que sur petit écran, comme pour tout le monde.

Le grand-père de B. B. épluchait des coins de pays sur les cartes, afin de pallier son maigre budget. Il connaissait tout. Sa sagesse un jour s’éteignit, laissant Brigitte B. bien seule. « Tu parles d’Aurillac comme si c’était la capitale du Pérou ! » - ce qu’elle est, cher ami, « bouses » ou non. « Si tu pousses ton voyage jusqu’à Monaco (accessible sans passeport pour les étrangers) ne manque pas le musée océanographique et la relève de la garde princière ». S’appuyer ainsi sur nos correspondances permet de ramper comme en spéléologie, où si épuisé qu’on soit, chacun peut se relâcher au sein du sol, se calmer au fond du trou, et reprendre son souffle.

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Kosta Mavros




  • « J’espère que ton expédition rouerguoise a comblé ta soif d’exotisme » : eh oui… Aurillac, Rodès, me suffisent. « Je sais que tu n’es pas Conques même s’il t’arrive de fréquenter ces lieux insolites » - ni budget, ni goût du risque - bien obligé...

  • Conques reste et demeure une de mes plus cuisantes expérience de prostitution touristique. « Enfin cela te « Soulage » - même pas… quelle honte que ces souillures prétendues « vitraillères ». « Du hideux dans l’art » : il reste à l’écrire.

« Quand j’étais à Oran (1 an en 1954) les femmes étaient voilées entièrement et ne laissaient à découvert qu’un seul œil… et j’eus une faiblesse avec une vraie borgne… C’est un bon souvenir de mon époque coloniale ». Peu après, l’assassinat glorieux d’une famille d’instituteurs marquait le début de la fameuse Guerre d’Indépendance…

Nice, réputée mal famée, même à La Ciotat : « Ne fréquente plus ces quais glissants même pour de simples cauchemars. » J’étais allé seulement Promenade des Anglais, vierge encore de meurtres. « Les trains s’arrêtent de moins en moins » - les camions fous, non plus. J’avais traîné mes guêtres vers la gare de Nice-Ville dans un ciné porno infâme, où de graciles jeunes femmes fistaient de grasses mémés. C’étaient de ces dilatations insondables, tenant plus de l’obstétrique.

Marcher à Privas comme à Valparaiso ; t’appuyer langoureusement sur un colosse de l’île de Pâques, en souhaitant qu’il ne te retombe pas sur la gueule. Dénicher le grand dans le petit. Le petit dans le grand. Microscope sur la cellule du foie ; partie de scrabble sur les pentes de l’Annapurna. Je reviens de Provence en train par Carcassonne, Toulouse et Agen même. Un jeune couple s’entretient à haute voix de merde et de défécation : « De nos jours, la merde ne tombe plus sur les rails » (parce que la matière fait cale, ajouterais-je) (et je commente à mi-voix, sans drague, à l’intention de ma charmante voisine : « C’est intellectuel ! - En effet ! » répond-elle). Notre jeune couple prend à témoin deux sexagénaires unis par les fauteuils d’en face et les liens du mariage, qui tirent une tronche de vieux Carcassonnais offusqués - « … un spectacle de choix » commente Kosta : « ...des Carcassonnais emmerdés par des Agenais ».

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Kosta Mavros




...Dire que j’ai raté ses expéditions archéologiques d’Égypte ou d’Éthiopie, ses

recherches sur les sanctuaires coptes, d’Oxyrhynque ou d’ailleurs ? Il m’avait rappelé que la langue copte n’était plus utilisée que dans la liturgie, dans une variante du dialecte bohaïrique. Qu’est-ce qui avait bien pu l’intéresser à ce domaine si restreint, si inépuisable ? s’estimait-il d’origine copte ?

Il me disait « Je vois bien que ça t’emmerde, laisse tomber » - à quoi j’aurais pu répondre « Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps » (dixit Flaubert) – sans parler de la grammaire ou de l’écriture chinoise, que j’avais du moins effleurée ; mais je ne voulais pas risquer d’apprendre quoi que ce fût de qui que ce fût, car c’était moi, le Prof… quel imbécile, mais quel imbécile… Voir HAMAC .

X

...Quant au château d’If, auquel je n’ai pu aborder par mer agitée, on y montre un tunnel par où se serait évadé le Comte de Monte Cristo. « La réalité moins forte que la vision et qui doit être corrigée » ; je m’avise à l’instant que pas une fois ces pages ne mentionnent le nom de Marseille.


VUE

Il avait une pellicule de cataracte qui sur la fin lui voilait l'œil. Je lui disais de faire attention, au sommet de ses marches intérieures. « La cataracte attendra des jours meilleurs ». Peut-être est-ce bien inutile à partir d’un certain âge. « Il fait encore trop froid pour avoir froid aux yeux ». La cataracte réchauffe. Protège contre la dégénérescence de la rétine. « Si les lunettes sont trop onéreuses pourquoi ne pas te résoudre au monocle qui te distinguerait vraiment de la populace ».

Un jour nous joindrons tous la grande Nécropole...





TABLE 111

Introduction 1

Allusions perdues 1

Amitié 3

Argent 4

Automobiles 5

Bibliothèque 5

Biographie 10

Cartes postales et illustrations 11

Cochoncetés 14

Cocus 15

Confiance et banalités 16

Correspondance 16

Curés et nonnes 18

Dates 18

Désobligeances 19

Éditeurs 20

Enseignement 21

Épouses et Maîtresses 22

- les siennes 22

- les miennes 24

Érudition 26

Explicit (et signatures) 31

Facteur 32

Familles 33

Femmes 34

Formules d’appel 39

Geignardises et remontrances 39

Grec (pour l’amour du) 41

Hamac 45

Harem 46

Humour 49

Illisible 52

TABLE 112




Illustrations 52

Informatique, photographie 53

Islam 53

Jeux de mots 54

Justifications 58

Lucidités 58

Marseille 58

Misanthropie 57

Mode 59

Mort 59

Musique 60

Obscurités 63

Œuvres :

- mes 64

- nos 66

- ses 67

Peinture 70

Pénétration 71

Pièces jointes 71

Pluie , beau temps et bâtons rompus 73

Politique 75

Réconfort 80

Religion 80

Sagesse 82

- devises 83

- humilité 83


- suspension du jugement 84

- conclusion 85

TABLE 113




Santé 85

Singes 90

Singe Vert 90

Sports 93

Suscriptions, timbres, supports et incipit 93

Taquineries 96

Télévision 96

Tendresse 97

Tutoiement 97

Vedettes 100

Victoret Guingois 101

Vieillesse 105

Visites 105

Voyages 107

Vue 110

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